AVENTURES EN ARAGON
Pano
C’était une chaude après-midi de juillet. Armando avait accompagné à la guitare son père, à la mandoline, qui nous avait chanté de vieilles chansons italiennes, puis des ballades écossaises, suivies d’airs anglais bien connus.
Assis sur les chaises en arc de cercle sur l’aire aplanie devant la maison, la table sur tréteaux recouverte de boissons et de gâteaux à l’ombre généreuse d’un arbre aux larges feuilles, nous attendions paisiblement en devisant que Julie vienne prendre le relais avec ses chansons américaines.
A mon oreille parvinrent tout d’un coup des propos qui éveillèrent mon attention. Françoise racontait ses dernières vacances et évoquait avec une verve éloquente un gîte où elle avait passé quelques temps, dans un village abandonné. Le site était sauvage, isolé et préservé des foules, en Aragon, aux portes de la Catalogne. Un lac, non loin de là, permettait de se rafraîchir, et la garrigue odorante offrait aux promeneurs des chemins innombrables à explorer alentour. Sans y prendre garde, je fus conquise et logeai l’information dans un coin de mémoire.
Quelques temps plus tard, Jean-Louis m’annonça que nous serions en vacances à la fin du mois d’août, et qu’il souhaitait faire avec moi une cure de thalassothérapie. Il fit toutes les démarches, mais au moment de la confirmation, je lui proposai soudain en échange un séjour dans l’air chaud et sec de l’Aragon, qui lui serait certainement bien plus bénéfique et offrirait en outre une détente et un dépaysement bienvenus. Je téléphonai à Françoise pour avoir les coordonnées et appelai en suivant en Espagne pour me renseigner plus précisément.
J’en parlai autour de moi et finalement, je réservai pour quatorze personnes du mardi 22 au dimanche 28 août 2000, Sylvie, Jean-Luc et d’autres devant nous rejoindre en plus à compter du mercredi. Jean-Jacques étudia les cartes, découvrant que le village était entouré de montagnes culminant à mille mètres de hauteur. Il étudia à l’aide d’un programme à l’ordinateur le meilleur chemin pour y parvenir, qu’il communiqua par internet à Richard et nous expliqua au téléphone. Sa fille Nora s’inquiétait de savoir si elle pourrait dormir en chambre plutôt qu’en dortoir, et s’il y aurait des douches, tandis que Jean-Jacques s’assurait qu’il y ait bien l’électricité pour soigner son fils Florian s’il avait une crise d’asthme.
Enfin nous partîmes, à quatre voitures, avec une heure de retard sur l’horaire prévu (comme d’habitude), et prîmes l’autoroute de Pau, pour rejoindre le tunnel de Bielsa au sommet de la vallée voisine du cirque de Gavarnie, où nous passerions la frontière.
A partir de Lannemezan, le convoi se regroupa, et nous découvrîmes ensemble l’autre versant des Pyrénées, jusqu’à atteindre une piste à peine carrossable, creusée d’ornières et parsemée de grosses roches, que nous parcourûmes au ralenti durant un kilomètre, et qui terminait en cul-de-sac : c'était le bout du monde ! Le chemin s’arrêtait devant des ruines entourées de ronces, accrochées à flan de montagne, où pas une âme ne paraissait demeurer.
Il était déjà huit heures du soir et le soleil ne tarderait pas à se coucher. J’avançai en éclaireur et découvris après quelques minutes de marche une grande maison encore debout, à laquelle on accédait par une pente abrupte.
Nous traversâmes un porche sombre et montâmes un escalier en contrebas d’un passage encore inachevé, accroché au mur de façon sommaire par des madriers et bordé d’une rambarde en équilibre sur des empilements de briques, ainsi que de tréteaux branlants.
Une poule caquetait sur l’esplanade, l’écuelle d’un chien traînait dans l’herbe sèche, et nous abordâmes un homme qui prenait le frais sur une chaise de jardin. Sans se déranger, il héla d’une voix forte « Kurt ! ».
Nous attendîmes un moment. Un homme sortit de la maison et nous salua, passant rapidement de l’espagnol au français (il était suisse). Il commença à nous faire visiter dortoirs et chambres. L’intérieur était coquettement aménagé, nous dûmes nous déchausser (comme l’indiquait une pancarte manuscrite scotchée sur une marche) pour grimper à l’escalier de bois qui menait à un dortoir haut de plafond, dont tout un côté était fermé de fenêtres donnant sur le panorama d’une vallée encaissée et dont le plancher était garni de deux ou trois lits et d’une double rangée de matelas étalés à même le sol. A l’étage, une mezzanine sous le toit comportait également plusieurs matelas éparpillés dans divers coins.
Nous redescendîmes sur la coursive extérieure et traversâmes une cuisine encombrée des reliefs laissés par les clients du gîte, pour prendre (sans retirer nos chaussures cette fois) un escalier encore de béton brut qui menait aux chambres. Une première s’ouvrait derrière un rideau, une deuxième, à laquelle nous accédâmes par un escalier meunier fort raide terminé par une trappe qui faillit être fatale à Jean-Louis. Pour s’aider à monter, il s’était malencontreusement appuyé sur le bord, et celle-ci s’était brutalement rabattue sur ses lunettes et son nez. Les autres montèrent précautionneusement, et découvrirent dans un émerveillement unanime la vue superbe du soleil couchant sur la montagne illuminée. Tous voulaient y dormir, malgré son accès difficile.
Enfin, nous allâmes par une troisième entrée dans une autre partie du bâtiment où nous visitâmes encore d’autres chambres disponibles.
Les enfants avaient déjà adopté d’emblée le premier dortoir, situé au-dessus de la salle à manger qui nous était réservée, et d’une cuisine qui était déjà prise pour d’autres clients. Ils commençaient à se disputer bruyamment pour se répartir les couchages.
Kurt nous expliqua pendant ce temps les derniers « détails » pratiques (dont il ne m’avait aucunement avisée au téléphone). La sécheresse sévissait depuis près de trois mois. Il était donc obligé de nous rationner l’eau du robinet. Les douches étaient inutilisables. L’unique WC, situé tout en bas dans le porche d’entrée, ne devait être utilisé qu’avec parcimonie, des seaux de fer blanc emplis d’eau de vaisselle sale devaient être versés dans la cuvette après usage, en guise de chasse d’eau. Nous étions vivement invités à faire nos petits besoins dans la nature, et sans utiliser de papier hygiénique, car il mettait plus de deux ans à se biodégrader.
Pour boire, il nous conseillait d’aller à la fontaine (« fuen ») avec des bidons de cinq litres en plastique blanc mis gracieusement à notre disposition. Le sentier démarrait dans les ronces, face au parking où nous avions garé les voitures. Il fallait le parcourir durant une dizaine de minutes. Il aboutissait à un réservoir d’eau potable alimenté par le dessous (sic) dans lequel nous devions puiser, et qui nous servirait également pour nos ablutions du matin et du soir.
Il était désolé de n’avoir pu trouver de cuisinière : nous serions donc également obligés de faire nous-mêmes nos repas dans la cuisine commune à laquelle nous devions accéder par l’extérieur, en passant sur la coursive inachevée, et devrions faire en outre notre vaisselle, de préférence avec l’eau puisée à la fontaine pour économiser celle du robinet.
Sylvie m’avait prévenue la veille du départ, lorsqu’elle avait réservé pour son petit groupe, que Kurt lui avait signalé de me transmettre d’amener à manger puisqu’il n’avait finalement pu trouver personne pour nous faire la cuisine (contrairement à ce qu’il m’avait annoncé au téléphone). J’avais donc fait les courses pour quatorze, pour le premier dîner et le premier petit déjeuner sur place.
Inutile de dire que l’enthousiasme des troupes commençait à baisser considérablement, notamment parmi les sept adultes. Nous ne nous attendions pas à de telles entorses aux règles du confort le plus élémentaire, ainsi qu’à l’annonce des prestations prévues.
Cependant, l’heure avançait, il fallait parer au plus pressé. Nous nous mîmes à débarquer les bagages, les trimbalant sur les quelques deux à trois cent mètres qui séparaient le parking de notre lieu d’hébergement.
Sur ces entrefaites, dans un nuage de poussière, une auto arriva et j’eus la surprise de découvrir Françoise et Armando, accompagnés de leur fils Kyle, d’un neveu et de leur ami José, qui terminaient leur second séjour de l’été dans le gîte. Françoise nous fit la promesse de nous montrer dès le lendemain les meilleurs sentiers, ainsi que le chemin du lac.
Puis Elisabeth, Saba et moi nous attelâmes à la confection du dîner tandis qu’une équipe partait chercher de l’eau à la fontaine et que Kurt indiquait aux autres l’emplacement de la vaisselle et des couverts.
Les adultes plaisantaient en s’activant, et nous fûmes bientôt tous attablés dans la bonne humeur, chacun racontant ses difficultés, qui à la cuisine, qui à la fontaine.
La nuit était tombée. Nous découvrîmes alors au balcon de la salle à manger un merveilleux ciel étoilé. L’air était pur, sec et doux, un avion traversait en clignotant les constellations, deux ou trois lumières au loin nous laissaient deviner l’emplacement de maisons dispersées.
Le silence était empli du crissement des grillons et seules nos voix résonnaient dans l’espace serein.
Jean-Jacques, l’unique nyctalope du groupe, aida la communauté à trouver tour à tour le chemin des toilettes puisque personne n’avait bien sûr amené de lampes de poche, et que Kurt n’avait pas jugé utile, par économie d’électricité sans doute, d’équiper la descente de lumières. Puis les enfants partirent se coucher, tandis que nous rejoignions le coin des chaises et banc de jardin, afin d’admirer dans l’obscurité le scintillement des étoiles dans le ciel partagé par la voie lactée.
De temps à autre, une exclamation fusait au passage d’une étoile filante. Nous partagions en chuchotant notre science astronomique et nous posions mutuellement des devinettes.
Un à un, nous rejoignîmes notre matelas. Jean-Jacques dormait à part avec Florian, à cause de son asthme, de même qu’Elisabeth et Jean-Louis Bessou, car elle était claustrophobe.
Tous les autres étaient réunis dans le dortoir : les cinq Constant, les quatre Biscay, et Nora Pérarnaud : deux couples et six enfants. Saba et moi étions inquiètes et dormîmes à peine. En effet, si un des enfants s’était éveillé en pleine nuit pour des besoins naturels pressants, il aurait risqué en se hâtant pour sortir se soulager dans la nature de plonger dans le vide, car aucune norme de sécurité n’était respectée en ce qui concerne la coursive inachevée, passage obligé pour accéder à l’extérieur.
Je restai assise sur ma couche, à contempler la nuit étoilée et écouter les bruits nocturnes qui pénétraient par les fenêtres ouvertes. Quelques ululements de chouettes couvraient parfois le concert des grillons. J’entendais la respiration toute proche de mes voisins, Jean-Louis à ma gauche et Richard à ma droite. Par moment, un des enfants rêvait à haute voix ou gémissait. Nora ronflait et respirait lourdement, gênée par ses allergies.
Le cours de la nuit passa lentement, l’air fraîchissant peu à peu et faisant éternuer Nicolas, le plus proche des ouvertures avec Cédric en face de lui.
Le matin déclencha le défilé vers la porte. Richard s’installa tour à tour dans le lit de sa fille et de son fils, leur souhaitant un bonjour amoureux. Puis, très dynamique, comme tous les matins qui allaient suivre, il s’empara de sa serviette et partit se laver à la fontaine, puis poursuivit par l’exploration des environs immédiats jusqu’à l’ermitage au-dessus du village.
Pendant ce temps, je sortis en chemise de nuit et robe de chambre et allai regarder le lever du soleil sur la montagne depuis le milieu du village abandonné. Les oiseaux s’éveillaient, de même que les insectes, et particulièrement les petites mouches, fort importunes.
L’agitation grandit dans la maison et je retournai m’occuper du petit déjeuner du groupe avec l’aide de Kurt qui allait chercher les uns après les autres les ustensiles nécessaires dans sa maison voisine de la nôtre.
Enfin, tout le monde fut prêt et Françoise nous montra le départ de la piste vers le lac de Puy de Cinca.
Nos repères pris, nous nous donnâmes rendez-vous pour le milieu de la journée et partîmes à Panillo, le village voisin. Nous ne tenions pas à être de corvée de repas et de vaisselle chaque soir et avions résolu de nous renseigner auprès de l’auberge dont nous avions repéré l’enseigne la veille au soir pour qu’on nous y prépare à manger. Nous trouvâmes porte close. Le groupe se scinda en deux : je pris avec Jean-Louis Bessou les enfants pour les mener au lac tandis que les autres allaient faire le plein d’essence et de nourritures terrestres pour le pique-nique de midi, à Graus, première ville civilisée et pas du tout pittoresque des environs.
La piste du lac était longue (8,5 km) mais plus praticable que celle de Pano. Elle descendait en lacets à travers la garrigue, dans les odeurs de poussière, de thym, de romarin et de résine de pin. La chaleur commençait à peser et mes jeunes passagers piaffaient d’impatience à l’idée de se retrouver bientôt dans l’eau bienfaisante du lac.
Une barrière ouverte semblable à celle des passages à niveau des voies ferrées nous donna l’impression d’entrer dans un domaine privé. C’était à peu près le cas. Trente ans auparavant, l’état avait exproprié tous les habitants de cette vallée, les aidant à s’installer un peu plus loin, et le barrage construit à une extrémité avait provoqué l’inondation de toute la région sur des kilomètres de longueur et à peu près un kilomètre de large. Des villages avaient été recouverts, l’eau avait érodé les rives, dégageant la roche dorée stratifiée. A cette époque de l’année, les besoins en eau nécessitaient de laisser s’échapper l’eau du réservoir et la limite de la végétation indiquait nettement le niveau maximum, bien deux à trois mètres au-dessus du niveau actuel.
L’économie de la vallée avait été bouleversée, et même les villages des environs s’étaient progressivement vidés de leurs habitants.
Nous pénétrâmes véritablement à Puy de Cinca sur une grille empêchant les troupeaux de sortir. Nous longeâmes un élevage d’émeus importés d’Australie (Ghame), puis nous vîmes au loin des ânes, des moutons et des chèvres, des oliviers et de la vigne, des amandiers, et nous nous garâmes dans le parking situé non loin du lac, à proximité de bâtiments en ruines faisant face à une grande bâtisse rénovée.
Une serre, une cabane, un local d’où émanait le bourdonnement bruyant d’un groupe électrogène, des machines agricoles dernier cri montraient que le souci de réhabilitation des lieux de la communauté européenne ne passait pas seulement par le tourisme, mais également par la réimplantation des activités locales traditionnelles.
Les coqs nous saluèrent depuis leur poulailler recouvert de tôles qui devaient concentrer sur la volaille la chaleur solaire.
L’eau du lac était bleue mais opaque, on y accédait par un débarcadère en pente douce où nous vîmes accotés deux kayacs. Cédric fut le premier mouillé, rapidement suivi par tous.
Plus d’une heure plus tard, les autres arrivèrent, Richard excédé d’avoir tant tardé à se rafraîchir à cause de ces problèmes d’intendance. Françoise et Armando arrivèrent alors que nous terminions notre pique-nique. Elle était énervée : Kurt n’avait pas été correct, il avait augmenté le prix de ses prestations (mise à disposition des chambres et cuisine) sans les avertir, n’avait même pas été aimable, ne tenant pas compte de leur fidélité. En fait, sa femme, qui gérait tout, l’avait quitté depuis deux mois, et un certain flottement régnait sur l’organisation générale et l’accueil. L’esprit gripe-sous de Kurt l’avait emporté sur son sens commercial, et il cherchait à tirer le maximum de ses clients actuels, sans penser au long terme.
Françoise l’avait mauvaise et n’eut de cesse que je ne l’accompagne au bâtiment rénové du lac : en réalité, bien qu’aucune pancarte ni enseigne ne l’annonce, il s’agissait d’un hôtel-restaurant, qui faisait également office de gîte pour les grands groupes.
Les conditions financières étaient équivalentes à celles de Pano, le confort en plus et le charme en moins.
Nous ne fîmes ni une ni deux : l’unanimité se déclara pour emménager dès que possible dans ces lieux. Après discussion, nous convînmes de rester encore une nuit à Pano, par correction, et surtout parce qu’il nous restait encore beaucoup de nourriture à finir, et nous viendrions ensuite terminer notre séjour à Puy de Cinca. Jean-Louis et Richard étaient les plus véhéments : les problèmes d’eau potable et les conditions sanitaires précaires avaient eu raison de leur moral. Quand je pense que Jean-Louis rêve depuis toujours de s’installer dans une île déserte – je lui rappellerai Pano, à l’occasion. Nous avions atteint nos limites : moi-même, j’étais tombée malade, autant sans doute de contrariété qu’infectée par l’eau. Il était temps de s’en aller.
A notre retour à Pano, nous envoyâmes une délégation formée de Jean-Louis et de Richard annoncer la nouvelle à Kurt, tandis que les autres se réfugiaient dans la salle à manger, guettant les bruits de voix. Puis nous nous mîmes de nouveau à préparer le repas, pour vingt et une personnes ce soir-là, Syvie, Jean-Luc et leurs compagnons étant arrivés durant ces entrefaites.
Ils n’étaient pas très contents : dès leur arrivée, nous leur avions annoncé notre prochain départ, auquel ils se refusaient, donnant la préférence au charme des lieux plutôt qu’aux contraintes matérielles qui contribuaient même à l’attrait du site.
Les hommes annoncèrent qu’ils souhaitaient explorer avant de partir le village abandonné, et aller voir le coucher du soleil depuis l’église et le promontoire rocheux.
J’abandonnai Saba et Elisabeth aux tâches ménagères et les accompagnai, munie de mon appareil photos.
Le soleil descendait progressivement derrière les montagnes lointaines. Les grillons et les mouches crissaient et vrombissaient, les odeurs se concentraient, avivées par la chaleur du jour qui montait du sol.
Nous grimpâmes au clocher encore presque intact, d’où nous pouvions apercevoir le lac en contrebas où nous avions passé la journée. Puis nous marchâmes dans le thym, le romarin et les chardons brûlés par le soleil, jusqu’à l’extrême pointe. Nous ne cessions de prendre des photos, saisis par la beauté et le calme du site.
Les Aragonais, fuyant devant l’invasion arabe, avaient choisi de se réfugier dans ce nid d’aigle isolé dans la montagne qu’ils n’avaient délaissé que depuis une trentaine d’années.
Cela posait d’ailleurs des problèmes à Kurt, qui s’en était ouvert à quelques uns d’entre nous. En effet, ce chef d’entreprise suisse amoureux de l’Aragon avait décidé de racheter peu à peu toutes les maisons du village. Il avait dû pour se faire se livrer à un véritable travail d’historien, car les archives des anciens propriétaires, décédés pour la plupart, étaient difficiles à retrouver, et parfois même inexistantes, certains n’ayant pas cru bon de se déclarer, pour éviter de payer des impôts. Kurt avouait que ses acquisitions n’étaient pas toutes faites dans la légalité la plus stricte, par force, et qu’il lui fallait parfois utiliser d’autres moyens.
Son gîte lui-même fonctionnait d’ailleurs uniquement par le bouche-à-oreille et n’avait aucune existence officielle. Ses revenus occultes lui servaient à payer les frais de réhabilitation des maisons qu’il retapait d’ailleurs avec beaucoup de goût et de soin, mais avec la lenteur que l’on peut imaginer.
Il n’y séjournait pas à plein temps, obligé tout de même de faire un peu acte de présence en Suisse dans son entreprise, source principale de ses revenus.
Nous revînmes doucement, l’obscurité descendant lentement et laissant apparaître les premières étoiles.
Nous passâmes une joyeuse soirée, dans les chants et les rires, puis la majorité se retira pour dormir, tandis que je m’installai une dernière fois sous le ciel d’été étoilé, rejointe par Jean-Jacques et Florian, puis Jean-Luc et Sylvie. La paix nocturne régnait, avec en arrière-fond la musique d’Eric Satie, et les devinettes qui jaillissaient des fenêtres, posées aux enfants par Richard et Jean-Louis : moment de rêve inoubliable.
Cependant, je passai de nouveau une mauvaise nuit, troublée cette fois-ci par mon dérangement intestinal, et restai la matinée entière à garder la chambre, dans l’incapacité de me mouvoir. Les autres, compréhensifs, en profitèrent pour faire une dernière promenade le long de la corniche à flan de montagne, tandis que la jeune classe jouait bruyamment dans le dortoir, dans l’ignorance de mon malaise.
Puy de Cinca
Enfin, nous empaquetâmes de nouveau tout notre fourbi et partîmes pour Puy de Cinca, nous précipitant directement sur les douches et les toilettes et nous répartissant de nouveau avec animation les lits superposés sur trois étages. Nous occupions un dortoir entier et étions les seuls clients de l’hôtel : nous pouvions prendre nos aises.
Kaku, notre jeune hôtesse, et le cuisinier, n’avaient à s’occuper que de nous et nous jouissions enfin d’une vraie détente, débarrassés des soucis d’intendance. Plus de courses, plus de cuisine ni de vaisselle, plus d’eau à aller chercher aux cinq cent mille diables, plus de soucis de sanitaires, le lac à proximité nous tendait les bras et la garrigue alentour était parcourue de multiples sentiers de randonnée passant par d’autres villages abandonnés (Lapanilla, Clamosa) sur des pitons rocheux entourés de vestiges de cultures étagées en terrasses (principalement oliviers et vignes).
Nous nous baignâmes tout l’après-midi, les enfants faisant assaut de prouesses autour de Richard qui les encourageait. Ce dernier nous offrit après le dîner une veillée agrémentée de jeux tellement animée que les enfants ne voulaient plus aller se coucher. . .
Jean-Louis Bessou ronflait bruyamment, dans des tonalités graves et sonores. Des chiens se mirent à aboyer de concert. Ceux d’entre nous qui ne dormaient pas encore se plaignaient des ânes qui secouaient leurs sonnailles au rythme de leurs mouvements. Vers deux heures du matin, ils se mirent à braire tous ensemble, durant un long moment. Puis le calme revint. Je me levai et allai hors de la chambrée prendre l’air à la terrasse voisine. Les grillons chantaient et le clapotis lointain du lac était parfois couvert par le bruit des poissons surgis hors de l’eau dans la crainte de prédateurs d’eaux profondes qui replongeaient dans un jaillissement d’éclaboussures.
Le lendemain, il bruinait et nous prîmes notre temps pour nous préparer. Les horaires de repas étaient espagnols : 9 h – 14 h – 21 h. Nous partîmes tous ensemble explorer le maquis. Passant devant le troupeau d’émeus, nous observâmes leur comportement, campés à une distance respectable du haut grillage qui les enfermait en un large enclos.
Ils nous faisaient penser aux vélociraptors de Jurassic Parc. A notre arrivée, ils s’approchèrent dans un grand mouvement d’ensemble, dressant tour à tour leur long cou surmonté d’une petite tête au bec pointu et à l’œil fixe d’où s’échappait un gloussement bizarre et inquiétant.
Des sortes de boîtes aux lettres fixées à l’intérieur servaient à leur verser les céréales dont ils se nourrissaient, signe évident qu’il ne devait pas faire bon pénétrer sans protection à l’intérieur. Cédric assista un soir à leur nourrissage. Il en revint impressionné : les émeus se précipitaient vers la mangeoire où le grain arrivait, se distribuant mutuellement coups de pattes et de becs. Lorsque l’homme passait à la mangeoire suivante, ils délaissaient la première et recommençaient le même manège : visiblement des bêtes de faible entendement, goinfres et dangereuses.
A les voir, nous imaginions sans peine les reptiles qui étaient, paraît-il, leurs ancêtres.
Nous poursuivîmes notre chemin, dans les odeurs capiteuses et la chaleur de nouveau montante, grappillant de ci de là les mûres, framboises, airelles, figues, amandes, et autres baies ou graines et cherchant à reconnaître les essences végétales qui nous environnaient : buis, thym, romarin, pins, lavande, genévriers à la taille immense, chênes verts . . .
Jean-Jacques, que nous avions surnommé « Puits de science », nous étonnait par ses connaissances précises et variées et la qualité de ses explications, que ce soit en physique ou chimie (il est ingénieur), ou en agriculture, astronomie et bien d’autres sujets.
Son esprit caustique nous emplissait de joie et la promenade était émaillée d’éclats de rire sonores jaillissant de l’un ou l’autre groupe, chacun faisant assaut d’esprit et de plaisanteries pour amuser l’assistance.
Les enfants suivaient, également dans la bonne humeur, et des chansons s’élevaient dans l’air pur, entonnées en chœur par le groupe dès l’audition des premières notes.
L’après-midi, les enfants découvrirent qu’ils pouvaient essayer les kayaks, tandis que les adultes s’isolaient dans une courte sieste. Puis, laissant Saba se reposer encore, et les enfants s’activer dans les jeux aquatiques, nous repartîmes à la découverte avec pour but un monastère près d’un village abandonné.
Continuant à grappiller et découvrant même des grenades mûres au sein d’un verger abandonné, nous passâmes devant des bâtiments aux belles pierres, isolés dans la nature revenue à l’état sauvage, et atteignîmes le village. Richard esquissa un mouvement de recul brusque lorsqu’il entendit un chien arriver en aboyant. Devant nos moqueries, il se reprit et pénétra sur l’aire au fond de laquelle était garée une voiture militaire. Un homme s’avançait à notre rencontre et nous aperçûmes une femme qui disparaissait en un clin d’œil dans le village qui nous surplombait. Richard, prudent, brandissant une main dans laquelle il tenait une bouteille d’eau, ouvrant l’autre en signe de paix allait vers lui en répétant que nous étions des touristes en promenade. Nous le suivîmes, l’homme semblait nous barrer le passage et Richard commença à lier conversation en anglais. Nous apprîmes ainsi l’histoire du village. Après le départ de tous les habitants, des hippies espagnols s’y installèrent. Pour survivre, ils se mirent à démanteler petit à petit les maisons, les vendant en pièces détachées, tuile après tuile, poutre après poutre. Puis le village fut de nouveau abandonné aux intempéries. Maintenant, il était squatté par ce jeune couple, composé d’un Galois et d’une Allemande. Nous demandâmes de quoi ils pouvaient bien vivre, mais il détourna la conversation, relatant qu’ils squattaient auparavant un autre village, dont ils avaient été chassés par l’état qui était propriétaire des lieux. L’état se refusait à louer ces locaux, dans la crainte de ne pouvoir se débarrasser par la suite de leurs occupants. Le couple habitait ici depuis le mois de novembre et s’y trouvait bien. Quelque volaille caquetait au loin. A part çà, tout paraissait à l’abandon, aucune parcelle de terre récemment cultivée n’était perceptible. Nous vîmes que nous ne pourrions passer outre ni visiter les lieux, comme c’était notre intention première. Nous fîmes donc demi-tour, plaisantant sur les moyens supposés d’existence de ce couple marginal.
Durant ce temps, Nicolas donnait un cours de kayak à tous les enfants, à l’aise dans son rôle d’aîné bienveillant et patient, leur indiquant l’art et la manière de manier la pagaie. Sur le soir, les adultes essayèrent à leur tour, se promettant d’en faire davantage le lendemain.
Une nouvelle soirée de jeux fut suivie d’histoires racontées dans le noir, lorsque nous fûmes tous au lit.
L’inconvénient de ces dortoirs, c’est la promiscuité, l’absence d’intimité, le bruit de quelques uns imposé à tous. Mais il est largement compensé par une connivence, une complicité et une ambiance qui nous ramenaient aux jours lointains de notre enfance.
Richard était le maître des soirées, leur animateur et leur âme. Sa science d’instituteur était mise au service de notre petite communauté de quatorze personnes et les adultes, tout comme les enfants, s’initiaient aux jeux qu’il organisait ou s’enfonçaient avec délices dans les méandres de ses histoires, contées avec art d’une voix chaleureuse.
La nuit fut interrompue à deux reprises par les appels angoissés de Florian Pérarnaud, en train de s’étouffer avec le sang qui coulait de son nez dans sa gorge. Il avait déjà eu une crise d’asthme à Pano, et Jean-Jacques eut ainsi durant tout son séjour ses nuits entrecoupées par les interventions auprès de son fils. Nora, quant à elle, était toujours gênée par ses allergies et rouspétait parfois à haute voix durant son sommeil.
Les sept adultes décidèrent de marcher le lendemain matin, se réservant la perspective de la baignade dans le lac pour l’après-midi. C’était sans compter avec le bloc des enfants, unis dans le même désir d’aller au lac de préférence à la garrigue. Nous tînmes bon, et ce fut avec une évidente mauvaise volonté qu’ils nous suivirent en direction du village abandonné de Clamosa, que nous n’atteignîmes pas, était donné l’humeur des jeunes, choisissant de couper par un village plus proche, Lapanilla, pour raccourcir la boucle.
Puis nous les lâchâmes, et ils s’envolèrent comme des moineaux vers le lac, courant à perdre haleine d’une seule traite et prenant des raccourcis pour l’atteindre plus vite, n’ayant aucun problème d’orientation pour retourner au bercail.
L’après-midi, je tentai de monter sur le kayak bleu derrière Richard, mais après trois tentatives infructueuses ponctuées de chavirements dans les éclaboussures et les éclats de rire, il abandonna, et je pris les pagaies pour promener Jean-Louis derrière moi, ravi de se laisser porter.
Ensuite, Richard partit en exploration avec Nicolas de l’autre côté du rivage, dans l’embouchure d’un petit torrent (« barranco ») qui formait une échancrure dans la falaise.
Puis ce fut mon tour, et nous partîmes en direction du sud, où le vent forcissant nous obligea à obliquer vers une falaise percée d’une grotte qui me faisait penser au site de Cro-Magnon en Dordogne.
A notre retour, nous prîmes Nora et Ana à califourchon à l’arrière de nos embarcations et partîmes dans l’autre direction. Laissant les kayaks aller à la dérive et nous arrimant l’un à l’autre, nous nous mîmes à nous raconter mutuellement des histoires pour enfants au milieu du lac. Les filles étaient sous le charme et nous ne vîmes pas le temps passer.
Durant ce temps, les autres avaient commencé une partie de pétanque, mais le terrain était moins propice qu’à Anglet, caillouteux, en pente et irrégulier.
Au cours du dîner, nous demandâmes à Kaku si nous pouvions utiliser les autres kayaks que les enfants avaient repérés sous la serre. Nous convînmes de partir à six kayaks pour neuf passagers, chacun équipé d’un gilet de sauvetage, durant la prochaine matinée. Saba et Elisabeth préféraient rester sur la terre ferme et Jean-Jacques, au grand dam de ses enfants, souhaitait rentrer un jour plus tôt chez lui, pour avoir le loisir de se reposer de ses vacances durant tout le dimanche, avant la reprise du travail le lundi suivant.
En attendant, nous fêtâmes dignement l’anniversaire de Jean-Louis Bessou, avec force tapas arrosées de champagne espagnol et de coca-cola pour les enfants.
Accompagnés par nos propres chants, nous nous mîmes à danser quelques minutes, sous les yeux éberlués des enfants.
Après les jeux, nous nous installâmes les uns après les autres dans le noir, sur l’escalier en gradins à l’extérieur, encore chaud de la journée, à observer les étoiles filantes et les volte-face acrobatiques des chauve-souris. Puis Richard nous raconta de nouveau une histoire terminée dans les cris, les rires et les plaisanteries, et nous montâmes nous coucher.
Le lendemain, tout le monde était prêt de bonne heure. Florian alla faire du kayak une dernière fois, et sa sœur se baigna, tandis que Jean-Jacques empaquetait toutes les affaires et les portait à la voiture. Il lui fallut ensuite toute sa persuasion et sa patience pour emmener sa progéniture désespérée et gémissante qui nous regardait partir sur les six kayaks.
Sammy était derrière son père, Ana derrière Nicolas et les deux Jean-Louis étaient à califourchon l’un derrière l’autre. Le kayak s’enfonçait tellement dans l’eau qu’il donnait l’impression de devoir couler d’un instant à l’autre. Ils réalisèrent rapidement que ce n’était pas praticable, celui qui pagayait s’épuisant plus que de raison dans cette embarcation peu sûre. Ils prirent donc chacun un kayak et Jonathan grimpa derrière moi.
L’air était calme, l’eau limpide, le soleil répandait une douce lumière sur les falaises ocres et jaunes, nous ramions, imaginant difficilement devant ce spectacle paisible le drame vécu par les villageois chassés de leurs habitations englouties sous les flots.
Le barrage avait encore laissé s’écouler de l’eau, pour l’irrigation, l’électricité et les besoins en eau potable, et le niveau du lac avait encore baissé d’au moins un mètre en deux jours.
Jean-Louis commença à s’inquiéter du retour, nous allions trop loin selon lui et le retour serait difficile.
Mais il nous fallait accoster car Cédric avait une ampoule à la main ; les rives alentours n’étaient pas praticables, il nous fallait rejoindre tout au bout du lac une petite plage bordée de quelques tentes où quelques bateaux ballottaient doucement. Cédric monta derrière Jean-Louis Bessou, toujours aussi conciliant et accommodant, Ana prit le kayak de Cédric, et vogue la galère. C’était sans compter avec le vent qui s’était levé durant notre courte halte. Ana n’arrivait absolument pas à ramer contre. Nicolas encorda son kayak au sien et entreprit de la tirer, tandis qu’elle pagayait vaille que vaille, plutôt inutilement. Voyant qu’il peinait trop, Nicolas lui dit d’embarquer de nouveau à l’arrière de son kayak, tirant toujours l’autre. Mais la tâche était trop lourde, il n’en pouvait plus, le vent se levait de plus en plus, et il exigea de son frère qu’il remonte sur son bateau.
Repoussés par les bourrasques chaudes du vent du sud qui formait des vagues grandissantes, l’avant des kayaks se soulevait et perçaient les flots dans les éclaboussures d’embruns qui retombaient sur nous. Nous comprîmes rapidement qu’il valait mieux longer la rive pour s’abriter un peu. Dès que nous cessions de ramer, nous reculions, il nous fallait donc forcer sans discontinuer, inquiets de l’heure qui avançait et du vent qui forcissait.
Nous longions les poteaux téléphoniques d’une route engloutie, et faisions de courtes haltes récupératrices dans les encoignures de la falaise.
Je pris de l’avance, à la poursuite de Cédric qui avait repris du poil de la bête, talonnée par Jean-Louis Bessou. Passant en tête, j’arrivai fièrement avec Ana derrière moi sur le kayak, bonnes premières, suivies galamment par Cédric qui nous avait laissé passer et, cinq à dix minutes après, par Jean-Louis Bessou.
Le temps passa. Saba et Elisabeth, restées sur la grève toute la matinée, commençaient à s’inquiéter. Kaku et le cuisinier sortirent de la maison tandis que j’allai à leur rencontre pour nous excuser du retard. Il était déjà trois heures de l’après-midi et Jean-Louis et Richard n’arrivaient toujours pas. Nos hôtes s’apprêtaient à se décider à mettre en marche le zodiac lorsqu’un cri annonça enfin qu’ils étaient en vue. Ils étaient épuisés, Richard serait bien rentré à pied, si seulement Jean-Louis avait eu des chaussures aux pieds. Ils durent donc rentrer à la rame, avec force haltes. Quelle aventure !
Nous eûmes la surprise, après une sieste bien méritée, de voir arriver Sylvie, Jean-Luc et leurs compagnons. En payant, le matin, Jean-Jacques avait appris que le feu s’était déclaré à Pano.
En effet, durant la nuit, nous avions assisté à un véritable spectacle de son et lumière, avec du tonnerre et des éclairs de toute beauté. Vers les quatre heures du matin, nous avions été plusieurs à noter un formidable éclair qui avait été suivi de très peu d’un énorme coup de tonnerre, et nous savions que l’orage sévissait non loin de là. Mais nous ne pouvions pas imaginer que la foudre était tombée sur la colline en face de Pano, non loin de la piste, et qu’ils étaient en train de lutter là-bas contre un début d’incendie. Des avions vinrent arroser la garrigue, les pompiers firent leur possible, et Kurt demanda à ses clients de rester à ses côtés pour lutter contre le feu à l’aide de tapettes, puisqu’il n’avait pas d’eau ! Sylvie et Jean-Luc s’y refusèrent, empaquetèrent une partie de leurs bagages et s’enfuirent avec leur ami et les enfants. Revenus quelques heures plus tard, ils durent repartir définitivement car le feu avait redémarré et ils ne voulaient pas prendre de risque.
Lorsque nous partîmes pour le parc national d’Ordesa, le lendemain, nous longeâmes le lieu du sinistre, finalement relativement éloigné du village puisqu’il était resté circonscrit au flan de la colline qui lui faisait face. Mais il est évident qu’avec la sécheresse qui sévissait depuis deux à trois mois, il aurait pu se propager sur des kilomètres sans problème, car l’Aragon n’est pas équipé de coupe-feu comme dans les Landes, et ressemble beaucoup aux paysages de Provence, aisément inflammables.
Le Parc National d’Ordesa
Nous avions vu en passant par Bielsa que le Parc National d’Ordesa était un peu éloigné pour le faire en excursion sur la journée à partir de notre lieu de séjour. Nous avions donc convenu de nous y arrêter sur la route du retour.
Afin de mieux en profiter, et étant donné que l’entente avait été parfaite au sein de notre petit groupe, nous décidâmes de prolonger d’une nuit notre séjour en Espagne et de trouver un gîte sur place.
Jean-Louis et Elisabeth Bessou préférèrent retourner par le bas et la route de Huesca – Saragosse – Pampelune. Jean-Jacques nous ayant déjà quitté avec ses enfants, nous nous retrouvions par conséquent à neuf personnes, les familles Biscay et Constant réunies.
Nous arrivâmes, après quelques péripéties, dans le superbe village de Torla, très touristique, qui faisait davantage penser à un village suisse par son architecture et son cadre de hautes montagnes, d’aspect plus alpin que pyrénéen.
Néanmoins, nous trouvâmes sans peine un gîte au prix aussi raisonnable que nos deux lieux d’hébergement précédents et partîmes marcher tout l’après-midi.
Le nombre de visiteurs dans le Parc National est limité à 1800 personnes par jour, acheminées par navette tous les quarts d’heure depuis le parking aux voitures jusqu’au point de départ des sentiers.
A cette époque-ci, la fin août, nous entrions déjà dans l’arrière-saison et nous ne rencontrâmes guère de monde sur le chemin de la cascade. Charmés par le cadre, nous poursuivîmes sur le sentier du cirque de Cotatuera en traversant le torrent sur un petit pont de fer surplombé par la cascade. Nous montions à flan de montagne. Arrivés à une zone d’éboulis, nous laissâmes Saba avec les plus jeunes, poursuivant uniquement à cinq, Richard, Jean-Louis, Nicolas, Cédric et moi.
Jonathan s’était plaint de ne pas voir tous les animaux dont je lui avais tant vanté la présence durant notre trajet. Seul un petit écureuil châtain foncé à la magnifique queue en panache avait traversé la prairie sous nos yeux, près de la cascade, pour vite se réfugier sur un arbre.
Par contre, lorsque nous atteignîmes le chemin plus escarpé, j’aperçus un aigle ou un vautour planant au-dessus de la paroi rocheuse et plus loin, à l’endroit où Cédric avait voulu grimper un peu, nous nous exclamâmes tous ensemble au même moment : des isards passaient sur la corniche juste au-dessus de Cédric, alors que j’étais en train de le prendre en photo.
Affolés, ils coururent vers la gauche, se heurtant à un cul-de-sac, firent demi-tour et repassèrent au galop, refaisant encore un aller-retour avant de trouver une issue vers la droite.
Arrivés derrière le promontoire herbeux sur la hauteur, ils se sentirent plus en sécurité et revinrent nous observer depuis leur perchoir.
Je les mitraillai de photo, mais le zoom insuffisant de mon appareil ne donna qu’un piètre résultat, par rapport à ce que nous avions observé dans mes jumelles. Peu importe, c’était déjà extraordinaire d’avoir eu la chance d’en voir au cours de l’unique après-midi que nous passions ici.
Le lendemain matin, après avoir fait des emplettes comme des touristes, nous reprîmes le chemin du retour par Artouste, où nous pique-niquâmes en bordure de torrent dans un cirque de montagne à l’herbe rase où paissaient des moutons.
Il y avait du vent et l’air était plus frais qu’à Ordesa, et a fortiori qu’à Pano et Puy de Cinca. Nous ne nous attardâmes pas. Le temps de projeter notre prochaine balade (l’ascension du Taillon, au-dessus du cirque de Gavarnie) pour la semaine suivante, et nous retournâmes à nos pénates, nous jurant bien de revenir dès que possible en Aragon, et tout particulièrement dans le Parc National d’Ordesa, d’où nous regrettions de partir déjà.