Sacrée doline !                    

 

Pic du Belchou - 11 Avril 1999

Monhoa

Nous sommes nombreux au point de rendez-vous du Parc Belay : c’est le printemps, nos amis ont amené leurs amis, les enfants courent sous les chênes en attendant les retardataires ; tout le monde se réjouit d’aller découvrir ensemble le Pic du Belchou.

Les voitures partent à la queue le leu, roulant à petite vitesse afin de ne perdre personne en route. Dans le ciel roulent de gros nuages gris et blanc, mais le soleil réussit à percer par endroits, illuminant la campagne aux couleurs rutilantes. Cette route de Saint Jean Pied de Port est un peu longue, mais magnifique : les arbres arborent toute la gamme de verts crus et tendres, des cerisiers sauvages déploient leur parure de fleurs blanches au milieu des forêts denses qui grimpent à l’assaut des collines. Une ferme basque entourée d’un damier de prés et de champs arbore une glycine mauve géante qui envahit toute sa façade. Des averses intermittentes nous inquiètent un peu : c’est que nous partons pour une marche sur la journée, pique nique dans les sacs à dos ; cependant, personne ne fait défection, groupe oblige (les commentaires pessimistes restent circonscrits à l’enceinte familiale des voitures).

AdarzaAu bout d’une heure et demi, nous laissons les voitures pour continuer à pied. Un large sentier creusé d’ornières monte en lacets jusqu’au sommet. De gros galets et cailloux dégagés par l’érosion pluviale roulent sous nos pieds. Le temps est de nouveau sec, de petits groupes se forment et montent en devisant gaiement. Richard quitte soudain le chemin, grimpe sur le talus et poursuit la montée directement à flanc de montagne. Un flottement s’amorce dans le reste des troupes : des voix féminines s’élèvent « Mais pourquoi ne pas suivre plutôt la route ? ». De crainte de ne pas rejoindre le groupe de tête, déjà haut (principalement les hommes et les jeunes garçons), les femmes et les adolescentes se décident à suivre le mouvement et entament lentement et avec un peu de mauvaise grâce l’ascension fatigante, en s’aidant parfois des mains pour s’agripper aux touffes d’herbe poussant sur des mottes de terre comme de longues chevelures vertes courbées par la pluie et le vent qui souffle en rafales. Penchés vers le sol, nous détaillons à loisir les fleurettes, chardons et champignons, puis, suant à grosses gouttes dès les premières minutes, nous nous octroyons une pose en nous redressant, tournés vers la vallée parcourue par l’ombre mouvante des nuages traversée d’un pinceau lumineux : la vue est superbe et récompense l’effort.

Nous nous regroupons à mi-pente, où j’apprends que Jean-Louis est furieux après moi. Le thermos de thé brûlant, mal fermé, s’est répandu dans son sac à dos, mouillant le pain (crime de lèse-majesté), et, à travers plastique, toile et k-way, le dos de mon mari. Je ne suis pas loin d’être excommuniée. Certains, déjà affamés, commencent à ouvrir les sacs ; après cet en-cas, nous reprenons notre marche, incités à patienter jusqu’au sommet pour nous sustenter de façon plus complète.

Malheureusement, un nuage plus noir que les autres menace : la pluie arrive, d’abord éparse, puis de plus en plus drue, se transformant en une véritable averse de grêlons. Nous n’avons nulle part où nous abriter : la végétation est rase et les quelques arbres qui poussent entre les roches sont fort rabougris. De toutes les façons, il est déconseillé de se réfugier dessous par temps d’orage. Nous avons tous enfilé rapidement pulls, cirés et bonnets de ski, sauf Carmen, dont l’imperméable ne comporte pas de capuche et qui subit nu-tête le déluge. Les plus jeunes se réfugient sous les capes et k-ways des parents. Nous attendons, immobiles, la plupart stoïques, d’autres moins, affolés par la violence du grain et inquiets pour leurs jeunes enfants. Nous sommes aux deux tiers de la pente. Les bons marcheurs ont envie de poursuivre jusqu’au sommet dès que le nuage sera passé, les autres sont plutôt d’avis de rebrousser chemin. En attendant, nous décidons de manger, debout sous la pluie fine qui persiste, afin de nous réchauffer et de reconstituer le moral défaillant des randonneurs néophytes. Des exclamations fusent, les plaisanteries reprennent, nous partageons nos victuailles, le café et le vin que les plus prévoyants ont songé à amener. A la fin du repas, la pluie a cessé. Sans même se consulter, un mouvement d’ensemble s’effectue vers l’aval, irrépressible. Les bons marcheurs sont désolés et descendent de plus en plus lentement, au fur et à mesure que le temps se rétablit : la distance à parcourir était minime pour atteindre le sommet et voir cette fameuse doline annoncée par Richard.

Il s’agit, nous a-t-il appris, de son ton le plus professoral, d’une dépression calcaire créée par l’érosion, assez spectaculaire à voir paraît-il. Nous restons sur notre faim. Par correction, nous rejoignons le groupe déjà agglutiné autour des voitures pour leur annoncer qu’étant donné l’amélioration du temps et l’heure encore précoce, nous décidons de remonter : « Qui est prêt à nous suivre ? » Peu de volontaires se désignent : il y a Richard, bien sûr, initiateur de la balade, Max, Jean-Jacques, Jean-Luc et moi-même, unique élément féminin.

Les autres nous regardent remonter d’un air goguenard, persuadés que nous sommes totalement fous de refaire la montée pour le simple plaisir d’atteindre le sommet, avec en outre ce temps toujours très instable.

Nous gardons deux voitures et les autres se regroupent pour rejoindre leurs pénates respectives.

 

Nous grimpons d’un pas vif et alerte, par le sentier cette fois jusqu’au bout. Je parle de mon projet d’organiser un voyage de groupe au Maroc, et chacun fait part de son expérience. Richard est marié à une marocaine, de même que Jean-Jacques, Max à une pied-noir, et Jean-Luc est un ancien baroudeur qui a fait l’Afrique, entre autres continents. La grêle nous surprend de nouveau à mi-pente, et nous nous tournons vers l’aval pour voir si nos compagnons sont déjà loin ou s’ils sont témoins de notre nouvelle infortune. Nous ne voyons pas les voitures : ils ne se sont pas éternisés au parking, pressés d’aller tous se sécher et se réchauffer dans leurs maisons.

Nous poursuivons plus lentement, perdus en pleine tourmente de vent, de pluie et de nuage qui traîne jusqu’au sol. Au sommet, nous nous blottissons contre la bâtisse en béton et Richard nous déclame, un peu piteux : « Derrière vous, vous avez une superbe doline, à gauche, vous devriez voir tel pic, à droite, tel autre … ». Il connaît tout par cœur, mais tout ce que nous savons, c’est que nous sommes frigorifiés, battus par les bourrasques, et frustrés de ne pas être récompensés de notre double effort. Nous ne regrettons pas d’avoir tenté le coup une deuxième fois, çà non ! Simplement, il faudra reprogrammer la balade par un temps plus clément, parce que là, c’était uniquement du sport à l’état pur, et nous étions privés de l’usage de nos sens par la Nature en colère.

Lorsque nous reprenons la voiture, laissant Jean-Jacques revenir seul chez lui, nous faisons une halte à Larressore dans le superbe appartement de Sylvie et Jean-Luc qui occupe tout le dernier étage d'une grande bâtisse, directement sous les toits, pour boire un thé brûlant en parlant d'astronomie.

 

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