Une peur bleue

Stage de catamaran à Socoa du 12 au 17 juillet 1999

Baie de Saint Jean de LuzNous ne nous attendions pas à rencontrer de difficultés majeures. L'an passé, nous avions eu deux premiers jours laborieux, passés à apprendre le B-A-BA de la voile sur le 420 et à nous accoutumer à notre comportement réciproque sur le bateau. Puis les automatismes avaient commencé à rentrer.

  Là, rien ne s'est passé normalement.

L'école de voileTout d'abord, nous n'avons pas pris de vacances depuis le ski au Nouvel An, si ce n'est quelques jours épars, de ci, de là. Le rythme de la période fiscale s'est prolongé bien au-delà du 30 avril, aggravé par les problèmes de personnel pour remplacer Nathalie en congé maternité. Du coup, Jean-Louis n'a pas pu prendre une semaine complète de congé en juillet pour apprendre la voile, et nous ne nous sommes accordés que les après-midi. Cela signifie que nous étions de bonne heure au bureau, arrivés tard pour manger à la maison avec le couvert et le repas plus ou moins préparés par les enfants (plutôt moins que plus), un stress accentué par le fait que nous ne voulions pas arriver en retard à Socoa et devions manger en dix minutes pour partir sur les chapeaux de roues par l'autoroute.

Nous avons très vite vu que le moniteur qu'on avait attribué à notre groupe de 8 personnes (pour 4 catamarans) était beaucoup moins détendu et agréable que celui de l'an dernier.

Taquet - PoulieIl arrivait d'Extrême Orient ou de Tahiti, où les conditions d'utilisation du catamaran étaient très strictes, réservée uniquement aux marins confirmés, avec un apprentissage dans des lieux beaucoup moins encombrés que la baie de Saint Jean de Luz - Socoa. Il était nerveux et inquiet, bon technicien mais mauvais pédagogue, irritable et sec. Il pensait que nous savions naviguer et que nous souhaitions simplement changer de support. Sa surprise a été grande en constatant notre inexpérience.

Flottille d'optimists dans la baieNous avons mis un temps fou à gréer les bateaux : il fallait tout revoir. Réapprendre les nœuds (de huit, de chaise, les clés), savoir par où passer les écoutes (taquet - poulie - poulie - taquet), hisser les voiles sans s'arracher les mains (Jean-Louis s'est fait une grosse ampoule au doigt dès le premier jour), sans parler de la corvée de remorquage des bateaux du parking à la plage et inversement.

Heureusement, l'eau était bonne et les gilets de sauvetage nous tenaient chaud tout en nous donnant un sentiment de sécurité.

Catamaran sur la plage de SocoaSafran relevéDès la première minute sur l'eau, nous avons commencé à nous affoler : le vent s'est engouffré dans les voiles du catamaran avant même de les avoir bordées, ne nous laissant pas le temps de baisser les safrans. Le bateau a fusé au milieu des véliplanchistes débutants, des flottilles d'optimistes, toppers et 420, tout aussi inexpérimentées. Aucune action n'était possible avec la barre, bloquée dans une boucle de l'écoute de grand'voile, avec les safrans relevés. Nous ne savions que faire des voiles pour avoir moins de prise au vent, et la course s'est terminée contre un bateau à l'ancre. Nous avons choqué les écoutes et nous sommes aperçus avec surprise et soulagement que le bateau ne cherchait plus à avancer contre notre gré.

Safran relevéBallottant sur l'eau, nous avons attendu Alex, le moniteur, dont nous avons subi la première colère. Abaisser les safrans (l'un d'eux était en fait bloqué et rétif, tout le monde s'est échiné dessus à tour de rôle durant les six jours sans pouvoir s'en rendre maître), libérer le stick, border les voiles, et vole la galère, c'est reparti pour un tour. Dieu merci, le premier jour, il n'y avait pas trop de vent. Jean-Louis restait à la barre et chaque virement de bord nous donnait des boutons : blocage complet face au vent. Quand nous ne voulions pas avancer trop vite, le bateau s'emballait, et lorsqu'il s'agissait de tourner, panne sèche.

Alex arrivait, nous dictait les manœuvres d'un ton excédé, et, miracle, le bateau repartait dans l'autre sens. Arrivés en bout de trajectoire, re-problème, bateau coincé, la bôme vacillante, manquant de nous assommer à chaque claquement de la grand'voile relâchée, nous récitions notre leçon « pousser la barre, choquer la grand'voile, attendre que le foc se gonfle à contre et le tirer de l'autre côté tout en redressant la barre dans le sens de la marche », ah, nous l'avons entendue maintes fois cette antienne, mais rien n'y faisait, par défaut de bonne coordination dans les gestes et les déplacements sur le bateau. Alex accourait dare-dare et nous débloquait. A la fin de la séance, nous n'avons bousculé personne à notre retour sur la plage.

Parking à bateauxFort de SocoaLe deuxième jour, il y avait la tempête, un vent de force 5 ou 6, nettement trop fort pour notre niveau. Alex nous a « briefé » longuement, a pris des voiles plus petites sur d'autres bateaux (cata 14 au lieu de cata 16), nous a aidé à les mettre avec beaucoup de difficultés, le matériel n'était pas en bon état, incomplet (il y a beaucoup de fauche dans les ports de plaisance, tant l'équipement est onéreux), et il nous a répartis sur trois bateaux au lieu de quatre, pour faire le poids face au vent. Jean-Louis est parti avec 2 des jeunettes.

Elles étaient tellement mortes de peur que son courage est remonté, et il a beaucoup ri quand, tout d'un coup, sans prévenir, le bateau s'est renversé. Ils ont fait tous trois un super plongeon et ont dû apprendre à redresser le bateau. De longues minutes se sont écoulées, et au lieu de se redresser, nous avons vu depuis la plage où nous nous impatientions les flotteurs piquer du nez et le bateau faire mine de s'enfoncer par l'avant. Enfin, le catamaran s'est remis d'aplomb pour repartir.

Le phare de Saint Jean de LuzNous autres commencions à nous énerver : l'heure passait et nous n'étions toujours pas à l'eau. La consigne était claire, aller à l'eau chacun à son tour, avec Alex qui devait venir nous chercher à tour de rôle. Cependant, quand nous eûmes résolu notre problème de safran à coups de marteau, un autre moniteur qui était venu à la rescousse nous dit que nous pouvions y aller. Ce que nous fîmes.

Mal nous en prit. J'étais montée avec les deux autres filles, nous avons filé en trace directe en direction du fond de la baie, ravies de nous en sortir sans problème, d'autant que le vent avait découragé la plupart des apprentis marins qui nous laissaient le champ libre sur l'eau. Alex est arrivé vers nous fou furieux et, encordant le cata, nous a ramenées manu militari sur la plage, fulminant qu'il avait déjà assez de problèmes avec un bateau et que nous devions l'attendre comme il nous l'avait ordonné. Le troisième était parti sur ces entrefaites, nous suivant de près et essuyant les mêmes reproches, subissant de même un retour honteux, tiré jusqu'à la plage.

Falaises de schistes de SocoaNous apprîmes plus tard que Jean-Louis et ses nanas avaient défoncé le bateau de Nicolas, un 420 qui avait dû être remorqué d'urgence au sec, sans blessure pour personne heureusement. Journée pourrie : Alex nous a réunis après la séance, et je lui ai dit vertement mon sentiment sur sa conception de l'enseignement.

L'école de voileLe troisième jour a été merveilleux. Tout allait bien, nous avons viré sans encombre en fin de séance, tirant même quelques bords au large, avec cette vue superbe sur les falaises de Socoa et le plaisir de chevaucher la grande houle. Nous réussissions à voguer les quatre bateaux de concert, Alex était heureux et nous aussi.

Quatrième jour, calme plat. Je chantais pendant que Jean-Louis s'ennuyait ; nous sommes sortis de la baie, mais c'était pire, le vent est totalement tombé. Même en nous mettant totalement à l'avant du bateau, comme il nous avait expliqué, pour faire accélérer l'embarcation, rien n'y a fait, je rinçais mes chaussures de toile du sable ramassé sur la plage et c'est tout. Nous avons éprouvé nos plus grandes impressions de vitesse lorsque Alex nous a remorqué à la plage, nous aspergeant de son hélice.

Le cinquième jour, le vent avait de nouveau forci et nous avons encore bataillé pour virer de bord, dépassant les bouées indiquées comme limites, vertement remis dans les rails par notre cerbère. C'est en cherchant à atteindre la bouée face à l'embouchure de la Nivelle que j'ai eu un problème. Exceptionnellement, j'étais à la barre, et j'ai vu arriver sur moi un gros bateau de pêche, qui m'inquiétait beaucoup. Obligée de le longer vers la droite, la vitesse augmentait et je ne pouvais ni virer de bord, ni faire un empannage, car de l'autre côté, un des autres catamarans me bouchait également la route.

Bateaux à l'ancre dans la baieJe continuais tout droit entre les deux, de plus en plus vite, en direction de la rivière, et le bateau s'est mis à décoller, nous n'étions plus que sur un flotteur, avec Jean-Louis qui hurlait «Cathy, qu'est-ce qu'on fait ? ». Plusieurs minutes ou plusieurs secondes (en tout cas, c'était très long) se sont écoulées, j'ai tenté de tirer la barre à moi, mais ça n'a rien fait,  alors j'ai poussé,  et,  comme  au ralenti,  nous  avons  commencé  à chavirer tout doucement. J'ai dévalé le tamis, marché sur la voile comme Jésus sur les flots, et je me suis mise tranquillement à l'eau, pour faire le tour du bateau à la nage et tenter de le relever. Debout en équilibre instable sur le flotteur, nous avons détaché la corde prévue pour le redresser et attendu Alex pour qu'il nous explique la technique (la première expérience de Jean-Louis ne l'avait pas encore rendu expert en la matière).

Bien sûr, nous nous sommes encore reçu un savon, et il nous a expliqué que nous aurions dû choquer les voiles : l'idée ne nous avait même pas effleuré l'esprit un instant - toujours notre manque de pratique ! Nous étions restés sans réaction devant le problème, attendant qu'il se résolve seul, ce qui ne pouvait aboutir qu'au naufrage. Enfin, moi, j'étais plutôt contente de ce chavirement en douceur, pour une première fois, c'était cool. Et au moins, je ne m'étais écrasée contre aucun bateau.

La digue, le fort, la plage de SocoaTour de contrôleEnfin, le dernier jour, une régate était prévue entre tous les élèves. On nous avait expliqué le trajet et la technique la veille, mais le jour venu, Alex avait trouvé que les bouées, placées au beau milieu de la foule de bateaux, et le vent, de nouveau assez vif, n'offraient pas de bonnes conditions pour la faire en toute sécurité, donc nous n'y avons pas participé. Je n'ai eu aucun regret car les émotions éprouvées dès le décollage du bateau m'ont totalement vidées.

En effet, j'ai pris la barre pour démarrer et le fort vent de travers nous a fait fuser au beau milieu des véliplanchistes qui faisaient le mur devant la plage. J'ai commencé par en bousculer un au mollet, qui n'avait rien vu venir tellement il était concentré à tenir sa voile debout, et après avoir viré de bord car nous approchions de l'épi en rochers protégeant la plage à baigneurs, mon bateau s'est mis à avancer de façon inexorable vers un autre véliplanchiste, tout aussi aveugle, que j'ai couché de mes flotteurs sous sa voile, et je voyais sa tête qui faisait bosse dessous. CatamaranC'était le deuxième en cinq secondes que je manquais de tuer, je n'en pouvais plus de stress et de crainte. Alex, pourtant à portée de voix, n'avait rien dit pour m'aider à empêcher ces deux catastrophes coup sur coup.

Après nous avoir bien attrapés, il nous a laissé aller vers le large, en défendant à Jean-Louis de prendre la barre. Résultat, j'avais eu tellement peur que je n'osais pas prendre de la vitesse, laissant la grand'voile quasiment lâche et allant au maximum du près et me mettant face au vent dès que la vitesse reprenait. Voyant ça, Alex nous a encordés et ramenés à la plage, bien avant les autres catamarans. Jean-Louis était furieux, et après Alex, et après moi. J'avais éprouvé un tel choc de voir que j'avais failli me transformer en tueuse que, aussitôt le bateau tiré au sec, je me suis mise à pleurer.

Comme fin de stage, c'était réussi ! J'ai fini par me calmer et nous avons dégréé le bateau, aidé les autres à remonter les leurs, et mangé le goûter de fin de session.

Tout compte réfléchi, la peur que j'ai éprouvée en catamaran est largement supérieure à celle que j'ai pu ressentir en montant sur les rochers instables autour du Pic du Midi d'Ossau, ou en marchant sur les lacs à demi dégelés et envahis par la neige lors de cette même balade.

Le fort de SocoaMoi qui m'imaginais déjà faire de la voile le long des côtes, me voilà loin du compte, l'apprentissage est bien plus long que prévu . . . et je suis bien déçue.

Alex préconisait d'apprendre avec, comme coéquipier, un barreur confirmé, mais puisque ce n'est pas possible, Jean-Louis et moi nous disons que, finalement, il vaudra peut-être mieux refaire du 420 l'année prochaine que du catamaran, trop bien bâti pour la course à notre goût. Nicolas et son ami Rémy y ont pris beaucoup de plaisir, de même que Sylvain à la planche à voile, alors mieux vaut ne pas s'entêter . . . et ne pas risquer de se retrouver en prison pour meurtre involontaire !