Max est le vétéran du groupe : il a déjà participé à l'Hirukasko deux fois et c'est lui qui nous y a entraîné. Il s'agit d'une randonnée sur la journée où chacun peut trouver son bonheur : les plus sportifs et amoureux de la compétition se sont entraînés pour "faire" les trois pics dans le meilleur temps possible, les autres arpentent la montagne à un rythme plus lent, grimpant trois, deux ou un pic au choix. Il n'y a rien à gagner, hormis un tee-shirt imprimé (et une coupe pour les vainqueurs) et le souvenir d'une journée bien remplie.
Pour
arriver à l'heure (il est la ponctualité même), Max a fait dire par Richard
à Jean-Louis qu'il faudrait partir de la maison à 6 heures et quart, afin d'être
à 7 heures tapantes à Bidarray pour retirer les bracelets et fiches de passage
en échange de nos tickets d'inscription. Moyennant quoi, nous étions prêts un
quart d'heure à vingt minutes plus tard, comme d'habitude...!
Près du Pont d'Enfer, sur l'aire utilisée habituellement pour les départs de rafting, il y a foule, les voitures sont garées sur les bas-côtés de la route, une ambiance fébrile règne parmi les randonneurs revêtus des tenues les plus hétéroclites. Des exclamations fusent de toutes parts, chacun découvrant à cette occasion une ou plusieurs personnes qu'il ne s'attend pas à voir là. Hommes et femmes jaugent le poids des sacs, sondent le ciel pour savoir si le temps se maintiendra, retirent un lainage, ajoutent un tee-shirt de rechange. A notre réveil, le ciel était très couvert et des nuages très noirs roulaient en se bousculant (d'autant plus sombres que le soleil n'était pas encore levé). Ici, le ciel d'un bleu limpide parait d'une stabilité exemplaire. Les prévisions météo annoncent la chaleur. Il ne faut pas oublier crème solaire et couvre-chef.
Jean-Louis,
dès notre arrivée, a repéré des "nanas super canon" et se demande
combien de pics elles vont grimper. Richard, les deux J-L et moi, avions convenu
de n'en monter que deux, tandis que Max et Jean-Paul, en meilleure condition
physique, feraient l'ensemble du parcours. Mais en entendant certaines déclarer
qu'elles feront (bien sûr) les trois, J-L persuade Richard, qui ne demande que
çà, de changer de programme et d'en faire un de plus.
Au
bout d'un temps d'attente où nous nous délectons du spectacle des six cents
participants regroupés par paires (pour des raisons de sécurité), le train affrété
spécialement pour l'occasion par les organisateurs (tous bénévoles) arrive sur
l'unique voie et s'arrête devant les voyageurs massés dans l'herbe le long des
rails. Je suis déçue : je m'imaginais monter dans une de ces vieilles michelines
suivie de wagons brinquebalants, comme à la Rhune. Au lieu de quoi, nous avons
droit à des voitures corail tout à fait banales. Un organisateur nous diffuse
par les hauts-parleurs, alternativement en français et en basque, les règles
de la course, les difficultés du parcours et les recommandations d'usage, tandis
que nous roulons jusqu'à Itxassou où nous devons sauter d'une bonne hauteur
depuis la dernière marche du train sur le ballast, faute de quai et de gare.
La foule des marcheurs
traverse le pont, les meilleurs se hâtant certainement pour se retrouver les
premiers sur la ligne de départ, afin de ne pas perdre des minutes précieuses
à slalomer entre des gêneurs. Nous n'avons pas ce souci : j'essaie au contraire
de prendre du recul pour immortaliser l'instant avec mon appareil photo. Richard
et Jean-Louis prennent rapidement leurs distances, et je pars donc totalement
en queue de peloton, au grand dam de mon coéquipier JLB, un peu honteux tout
de même, et qui sera bien heureux lorsque, progressivement, nous nous mettrons
à dépasser pendant l'ascension de l'Artzamendi ceux qui avaient déjà trop présumé
de leurs forces et étaient partis trop vite.
Malgré
l'heure précoce, il fait déjà beau et chaud. Le corps dégoulinant de sueur,
nous devons faire halte pour nous protéger du soleil. Nous n'avons pas prévu
que la transpiration qui continue de s'écouler à flot de nos pores dilatés par
l'effort de la montée empêcherait la crème de pénétrer. Nous devenons la risée
de notre entourage et sommes surnommés "faces de lune" à cause de
nos visages tout blancs. A chaque fois que nous croiserons ces marcheurs, pour
les doubler ou nous faire redépasser par eux, ils s'exclameront : "Ah!
Mais on vous reconnaît !"
Le
premier pointage a lieu au sommet de l'Artzamendi, près de l'antenne balayant
l'horizon en haut d'une tour similaire à un château d'eau, où les jeunes basques
réquisitionnés pour la journée sont montés vers 8 heures en voiture par l'autre
côté. Petite halte, premier changement de tee-shirt de JLB qui en a prévu quatre
de rechange, et nous admirons la vue sur les contreforts des Pyrénées et les
échappées en V sur la plaine et la côte, déjà légèrement voilées car le temps
commence à tourner. Des pottoks nous regardent d'un air paisible, sans paraître
dérangés par cette foule inhabituelle. Puis nous passons sur l'autre versant
et suivons une route bitumée pendant un moment, avant d'obliquer sur un sentier
balisé par des confettis (mais oui) jetés dans l'herbe rase d'altitude. Nous
allons tout droit, à la suite de quelques personnes qui butent au bout du chemin
sur un à-pic de tous côtés.
Ciel
! Nous sommes perdus ! Nous nous dispersons pour retrouver la trace de confettis
salvateurs : ils ne sont pas bien loin. Nous aurions dû tourner un peu plus
haut, ce n'est pas bien grave. Les difficultés annoncées dans le train commencent
alors : la descente est raide, étroite, parsemée de rochers, érodée par les
centaines de pas qui nous ont précédés depuis le début de la matinée en une
poussière fine et glissante. Nous apercevons plus bas Xumus, la ferme nichée
au bas des montagnes située près du chemin qui mène au lieu de restauration
en plein air aménagé pour l'occasion. A mi-pente, des sauveteurs sont postés
en surveillance. En réponse à ma question, ils m'indiquent que les premiers
sont déjà passés deux heures et demie avant nous !
Quel
rythme ! JLB est de nouveau saisi d'une légère inquiétude : il voudrait à tout
prix arriver avant nos amis qui escaladent l'Irubela pendant que nous en sommes
toujours à l'Artzamendi - question d'honneur ! Arrivés dans le vallon ombragé
irrigué par un ruisseau qui franchit les obstacles en cascades scintillantes,
nous nous mettons (enfin) à presser un peu le pas. Ouf ! Personne de notre entourage
n'est attablé sous les toiles de tente. Nous nous installons et mangeons en
écoutant la musique basque jouée par les accordéonistes et un guitariste. Sur
ces entrefaites, Max et Jean-Paul arrivent, étonnés de nous voir encore en train
de manger ... Quels sportifs ! En attendant l'arrivée de J-L et Richard (longtemps
après), JLB et moi allons nous joindre aux choristes pour chanter des chants
basques que nous lisons sur un petit calepin. Les serveuses improvisées, profitant
d'un répit dans l'arrivée des randonneurs, se mettent à danser avec énergie
en dessinant avec quelques marcheurs déjà reposés un cercle invisible devant
les musiciens.
C'est
bien ce qu'il me semblait : Jean-Louis n'en peut plus après sa double ascension
de l'Artzamendi et de l'Iroubela ! Richard, après deux pleines assiettées d'achoa,
attaque sans son coéquipier l'ascension du dernier pic, l'Iparla, en compagnie
de notre groupe (presque) reconstitué. La fatigue commence à se faire sentir.
Les nuages sont descendus coiffer les sommets et nous montons sans voir la cime,
à l'aveugle, dans un univers ouaté uniquement animé par le concert des grillons
. Richard, épuisé, demande à chaque randonneur que nous croisons le temps qu'il
nous reste pour atteindre le sommet : nous n'avons jamais si bien pris conscience
de la relativité du temps et de l'espace ! Aucune réponse semblable, du quart
d'heure à l'heure et demie, de cent mètres à deux kilomètres, plus nous nous
approchons et plus le but s'éloigne !
Une
fois passée la "porte du ciel", nous sentons qu'il n'est plus bien
éloigné. Max, Jean-Paul et Jean-Louis B. nous y attendent, sortant les k-way
pour s'abriter de la légère bruine. Nous partageons les dernières friandises,
barres de céréales, chocolat et pâtisseries au sésame, avant d'entamer la dernière
descente. Richard, après un cachet d'aspirine qui interrompt un début de crampe,
a retrouvé son dynamisme, JLB saute d'un rocher à l'autre et court à demi, Jean-Paul
descend, imperturbable. Quant à moi, les muscles des cuisses saisis d'une légère
"tremblote" due à la fatigue, j'avance lentement, escortée à un pas
derrière moi par Max, toujours bon Samaritain.
Nous
retrouvons Jean-Louis tout guilleret à l'arrivée à Bidarray (amené en voiture
par Pierre et Rose qui se sont contentés de l'ascension de l'Irubela) et assistons
à la remise des prix (après avoir reçu nos tee-shirts). Puis nous descendons
(toujours à pied) jusqu'au bord de la Nive où nous nous nous congratulons, enchantés
de notre journée, avant de retourner à nos pénates.
Pour la petite histoire, Jean-Louis et moi enchaînons directement sur la soirée de clôture de la fête de l'école primaire de Jonathan, où nous danserons jusqu'à une heure et demie du matin........