Framboises, Marquèze et Arjuzan (26 août 2001)
Cela
fait deux ou trois ans que ma mère me propose sans succès de
l'accompagner pour aller cueillir des framboises dans les Landes ; pas rancunière,
elle m'offre à chaque fois un pot de confiture encore tiède
que nous engloutissons en un éclair. Elle y est donc retournée
au mois de septembre - avec une de mes surs - et m'a fait don de sa
production culinaire. Je ne voulais pas laisser passer l'occasion une fois
encore. Quelques jours après, j'ai organisé une sortie dominicale
à Solférino (exceptionnellement, aucune ascension d'un pic pyrénéen
n'était programmée) avec les enfants et les amis, assortie d'une
visite à l'écomusée de Marquèze, et d'une baignade
au lac d'Arjuzan. Je voulais également visiter le "jardin des
plantes de nos grands-mères" à Arengosse, mais nous avons
manqué de temps : ce sera pour l'année prochaine.
Je
ne pensais pas que cela puisse être possible : des champs entiers de
framboisiers, alignés comme des ceps de vigne, tendus pareillement
sur des rangées de fil de fer, et chargés de fruits rouges à
en faire traîner les rameaux par terre ! Le propriétaire nous
a reçu, très gentleman-farmer, bottes de caoutchouc et foulard
Hermes noué dans la chemise entrouverte, avide de communiquer avec
ses visiteurs et de nous raconter sa vie. Évidemment, toute la production
ne peut être ramassée à la main par des visiteurs occasionnels.
Il a un tracteur spécialisé qui secoue les branches et collecte
automatiquement les fruits. Il nous conduit à l'endroit où se
sont arrêtés les précédents visiteurs. C'est très
organisé : il faut rester dans le rang, cueillir les framboises sur
les pieds de droite et de gauche à partir du petit piquet jaune, avancer
en tâchant de ne pas en oublier, car elles seront perdues et risquent
de se couvrir d'un champignon blanc (sorte de moisissure ou de mildiou) qui
pourra se propager à tout le pied. Nous avons une sorte de cageot métallique
muni d'une anse verticale qui contient les barquettes de plastique. En tout,
nous réussirons à en remplir 18, à raison de 600 à
650 grammes chacune, de quoi faire pas mal de pots de confiture. Il fait chaud
et nous suons rapidement à grosses gouttes. Il faut se pencher pour
découvrir les framboises cachées sous les feuilles et le foisonnement
des branches souples et légèrement piquantes. Le dos devient
rapidement sensible, peu habitué à cette gymnastique. Nous avons
le droit d'en manger autant que nous voulons pendant la cueillette et nous
ne nous en privons pas.
Les
enfants cueillent rapidement tout ce qui est à leur portée,
Jean-Louis vagabonde dans la rangée voisine, où les framboises
lui semblent meilleures et plus nombreuses (il se fait rappeler à l'ordre,
et doit rentrer dans le rang !), Richard prétexte un mal de dos pour
se dispenser d'en ramasser et s'en faire offrir. Max, Michèle et moi
faisons une collecte consciencieuse, glanant les oubliées après
le passage des enfants. Sabbah, quant à elle, préfère
les mûres dont les buissons qui entourent le champ regorgent. Il y en
a pour tous les goûts. Au bout d'une heure, l'enthousiasme faiblit et
Max vient m'aider pour compléter la dernière barquette tandis
que les autres se dirigent vers les voitures. Nous faisons peser nos barquettes
que nous payons au prix de gros et reprenons la route pour Marquèze.
J'ai mal lu l'information sur internet : je pensais qu'il
y avait un train toutes les vingt minutes, mais je n'avais pas fait attention
à la pause entre midi et deux heures. Nous arrivons trop tard pour
le dernier train de la matinée, il nous faut donc patienter. Nous négocions
avec la jeune guichetière l'accès au joli parc de la gare, équipé
de bancs aux dossiers gigantesques et fort originaux, agréablement
ombragés par de beaux arbres, afin d'y pique-niquer tranquillement.
Son collègue qui prend le relais pour l'après-midi est moins
compréhensif : il nous engage à décamper dans l'instant
- heureusement que nous terminons juste notre repas ! -. Nous
montons dans d'antiques wagons meublés de bancs de bois et tirés
par une locomotive à vapeur dont les émanations de fumée
nauséabonde nous asphyxient à moitié au démarrage
: le pittoresque se paie ! Nous décidons de suivre la visite guidée
afin d'avoir un aperçu complet du site. Notre mentor est une jeune
femme avenante en robe longue un peu trop étroite, les cheveux tordus
en deux petites nattes toutes raides, à la voix claire et professionnelle.
Elle nous fait découvrir l'organisation humaine et économique
d'un hameau landais à l'époque où les pins n'avaient
pas encore envahi le paysage et transformé les modes de vie. Elle nous
apprend à distinguer une maison de maître de celle des métayers
et du brassier, nous détaille les intérieurs et nous décrit
leur quotidien. Il fait très chaud : elle nous ménage des pauses
sous les grands chênes où nous nous asseyons à même
l'herbe rase tandis qu'elle poursuit ses explications. Nous passons devant
des panneaux fort bien fait qui nous donnent une idée des ordres de
grandeur : tant de moutons, tant de surface agricole, tant de cochons, etc.
sont nécessaires pour nourrir tant d'humains.
Je
n'ai pas la mémoire des chiffres, mais je réalise tout de même
qu'il s'agissait d'un écosystème très fragile et complexe
et je comprends mieux la perturbation apportée par la plantation des
pins sur la lande. Certes, la région a été drainée,
assainie, le sable fixé, les marécages asséchés,
mais tout un mode de vie, dur, certes, mais équilibré, a été
anéanti par cette nouvelle donne - sans parler des oiseaux migrateurs
qui venaient se reposer dans cette région à l'eau omniprésente
et la population humaine clairsemée, et des plantes et animaux déracinés
et chassés par cette monoculture envahissante -. Nous achetons du pastis
(gâteau landais) au boulanger qui cuit en même temps que son pain
devant la gueule brûlante du four, prenons le frais sous le poulailler,
perchoir à l'accès aménagé de façon à
le rendre impraticable au renard (mince branche à encoches) et assistons
au battage du linge par les guides converties pour l'occasion en lavandières.
Le bouvier à la barbe imposante passe sur une charrette remplie d'enfants
hilares. Il est devenu l'homme célèbre de Marquèze, car
il est passé à la télé pour parler de son métier.
Enfin, nous allons au moulin écouter le meunier expliquer à
qui veut l'entendre les conditions idéales de confection de la farine
: le grain ne doit pas être moulu trop énergiquement car sinon,
il chauffe, ce qui nuit à ses qualités gustatives. Il ne sert
donc à rien d'avoir un fort débit d'eau car les meules ne doivent
pas tourner à vitesse excessive. Le choix du grain en fonction de ses
conditions de culture ne suffit donc pas à assurer la qualité
d'un bon pain. Toute la chaîne de fabrication doit être étudiée,
jusques et y compris les conditions dans lesquelles le grain est moulu. Ce
n'est pas si simple !
Il
est déjà cinq heures, nous n'avons pas vu le temps passer, et
il nous manque tant de choses encore à voir : il faudra revenir. Nous
allons à Arjuzan retrouver Richard, ses enfants et les nôtres,
qui se sont dispensés de la visite et se baignent depuis le début
de l'après-midi dans le lac artificiel. Il s'agit d'un ancien site
d'extraction de lignite qui a été réhabilité par
EDF. Le cadre est plutôt joli, le lac assez grand, et le lieu réservé
à la baignade dispose d'une jolie plage de sable blond en forme de
croissant de lune. L'eau est à 26°C et malgré l'heure tardive
et quelques gouttes de pluie vite résorbées, nous y entrons
facilement et nous délassons de notre après-midi studieuse.
Le ciel ennuagé prend des teintes variées et le soleil glisse
ses rayons par les interstices mouvants. Le soir est proche. Nous nous partageons
les dernières victuailles, fruits et gâteaux secs mais personne
ne veut de mon chocolat totalement fondu dans son emballage et imprésentable.
Je suis obligée de faire un petit trou dans la feuille d'aluminium
pour l'aspirer et je dégoûte tout le monde ! Ce que c'est que
d'être gourmande...