Préambule

Nous avions tellement apprécié notre précédent séjour en Aragon l'année dernière que nous avons souhaité réunir les mêmes participants pour retourner au parc national d'Ordesa, seulement entr'aperçu le temps d'une demi-journée par la moitié du groupe au retour, mais qui nous avait fait une très forte impression. J'ai fait des pieds et des mains pour trouver un hébergement au bord d'un lac durant les deux premiers jours afin de contenter les enfants, les deux derniers jours devant être consacrés à la marche en montagne : malheureusement, le "viaduc" du 15 août était très chargé et j'ai dû réserver les quatre nuits consécutives à Torla uniquement. Le gîte de base ne pouvait recevoir tout le monde le 15. Richard, Jean-Louis B. et cinq des sept enfants ont donc couché dans un camping sous des tentes. Le 16, ils sont allés dans le deuxième gîte du village, et ils ont rejoint le reste du groupe à l'Atalaya les deux derniers jours.

 

Torla

Partis vers les onze heures d'Anglet, nous avons passé le col du Pourtalet sous une pluie battante. Nous sommes redescendus sur le versant méridional en quête du soleil et avons déjeuné de tapas à Biescas. La pluie s'était arrêtée et les nuages agités laissaient passer de temps à autre les rayons du soleil. A Torla, nous avons laissé les enfants goûter et découvrir le village sous la haute surveillance d'Élisabeth tandis que nous nous occupions de trouver le camping et de dresser les tentes. Puis nous nous sommes installés au gîte. Nous avons traversé un patio qu'un large porche séparait de la rue pour monter à notre logement. Au rez-de-chaussée, exigu, deux bancs en angle dans l'espace ouvert ont été surnommés par Jean-Louis et Jean-Jacques "la salle de lecture" sur laquelle donne une pièce, également non fermée, réservée aux repas hors sac.

L'accès aux étages se fait par un grand escalier étroit à la cage entièrement recouverte de lattes de bois clair. Une mini-mezzanine pourvue de deux matelas nous surplombe, sans rambarde de protection, à laquelle on accède par une volée de marches très espacées fixées dans le mur : c'est "la chambre", ainsi dénommée par notre hôte. Sur notre gauche, une porte coulissante cache un premier dortoir de onze couchages, répartis sur trois niveaux superposés éclairés par une porte-fenêtre (sans rideaux ni volets) ouverte sur un balcon au-dessus du patio ; une petite pièce attenante sert de débarras pour loger les bagages. Au sommet de la volée de marches, nous ouvrons la porte du deuxième étage. Nous sommes sous les combles, très hautes au-dessus de nos têtes. Un fil à linge barre l'espace, supportant serviettes et vêtements à sécher qui remuent doucement dans le courant d'air provoqué par la porte-fenêtre à droite ouverte sur un balcon.

Un Espagnol se soigne un pied qu'il a surélevé sur un tabouret au milieu de la pièce, tout en discutant avec un compagnon de chambrée. Sur notre gauche, des casiers de rangement pour valises et sacs à dos occupent un pan de mur. En face, une salle d'eau collective comporte deux lavabos, trois douches et trois W-C pour l'ensemble des clients du gîte, enclose dans ses quatre murs, mais dont la lumière s'échappe par un large interstice sous le toit, éclairant vers la droite les couchages sommaires. Au niveau du sol, quatre matelas s'étalent, côte à côte, auxquels on accède en se baissant, car un deuxième étage en bois les surplombe, pareillement équipé. Enfin, au-dessus, accessible par une échelle de bois, une mezzanine un peu plus vaste est recouverte des six matelas qui nous sont réservés. Séparés par une cloison, d'autres couchages pareillement disposés occupent le fond du local. En tout, il doit y avoir une capacité de vingt six à vingt huit couchages. Les deux Nora, dispensées de camper avec les plus jeunes, comparent cette disposition à celle d'un poulailler ou d'un clapier à lapins. L'accès à l'oreiller se fait à quatre pattes et lorsqu'on s'assoit sur le matelas, on manque de se cogner la tête à chaque fois contre la poutre malencontreusement située au niveau du milieu du lit. Par contre, sous la poutre principale où nous disposons entre les deux groupes de matelas d'un petit passage sur le plancher, il est possible de se tenir droit, ce que fait remarquer Jean-Louis, optimiste. Jean-Jacques relève aussitôt qu'il n'a qu'à dormir debout ! Le propriétaire nous prend vraiment pour des sardines : il a utilisé l'espace au maximum de ses capacités, profitant de la situation privilégiée de Torla, à l'entrée du parc national d'Ordesa.

Les affaires posées, nous redescendons pour prendre notre premier dîner, à la carte, s'il vous plaît. Notre hôte (français) nous installe dans une petite salle voûtée en pierre de taille percée de deux lucarnes sur un côté, pleine de charme mais un peu sombre, qui fait penser à une cave. Le reste du bar-restaurant, aux murs de pierres grises apparentes, solives, petites tables et bancs de bois marron foncé, est décoré de tableaux de peinture moderne. L'ensemble est agréable et chaleureux. Nous mangeons fort bien et les enfants, contents, entament quelques chansons paillardes. Puis Jean-Louis dépose la moitié du groupe au camping, quelques kilomètres plus loin en direction du parc avant de revenir se coucher au gîte. Je suis inquiète : durant le repas, nous avons entendu de gros coups de tonnerre, la pluie n'est pas loin. Effectivement, elle tombera à seaux à plusieurs reprises au cours de la nuit, accompagnée de tonnerre et d'éclairs. Pour une initiation aux joies du camping, c'est réussi ! Cela ne dérangera pas Sammy qui s'endort comme un loir aux côtés de son père. Anna est également enchantée de l'expérience, contrairement à Jonathan, son compagnon de tente. Florian se réjouit de son indépendance toute neuve, loin de son père qui dort au gîte, mais Cédric n'apprécie pas l'inconfort, d'autant qu'il ne retrouve pas son sac de couchage, mis par erreur dans l'une des autres tentes. Jean-Louis B. retrouve une nouvelle jeunesse, ravi de n'avoir pas à subir la promiscuité qui règne dans le gîte. Le lendemain, Jean-Louis les trouvera tous réunis dans une tente à bavarder tranquillement. Les tentes n'ont pas pris l'eau, il y régnait une tiédeur confortable, contrastant avec la fraîcheur et l'humidité environnante : je me suis inquiétée pour rien. Par contre, Elisabeth, comme d'habitude, a du mal à supporter le confinement du gîte car elle est claustrophobe. Elle s'est couchée sur le matelas le plus central, les pieds non loin de l'échelle meunière et la tête près du fenestrou grand ouvert. Jean-Jacques racontera à son mari, qui couchait sous la tente, qu'il a passé la nuit à la surveiller et l'aggriper par les jambes convulsivement, à chaque fois qu'elle faisait mine de basculer au dehors...

 

Le cirque de Soaso

C'est notre premier jour de marche. Nous partons tard : il a fallu replier les tentes humides, loger toutes les affaires dans notre voiture, prendre le petit déjeuner... Jean-Jacques retourne au gîte où il a oublié son vêtement de pluie, tandis que nous l'attendons au point de départ des bus-navettes qui desservent le parc. Nous allons découvrir le cirque de Soaso et la "Cola del Caballo" (cascade nommée la "Queue de Cheval"). Le ciel est nuageux, mais le plafond est au-dessus des plus hautes falaises qui nous entourent de leur hauteur majestueuse. Le chemin serpente longuement dans la forêt qui longe le torrent. Des ruisselets sourdent de toutes parts, nous sommes au royaume des champignons qui font l'enchantement de Jean-Jacques et de Jean-Louis B. L'œil aux aguets, ils en découvrent toujours de nouveaux et tentent par recoupement de reconnaître leur appartenance. Ils sont orange vif et hérissés de pointes, ou en forme de chapeau pointu crème pâle juché sur un haut pied grêle, ou alors en boule tassée blanche, en buissons de petits chapeaux marrons, imitent les feuilles mortes à s'y méprendre, tentent le promeneur avec leurs odeurs de cèpe mais des couleurs violacées peu engageantes, que sais-je, nous ne savons où donner de la tête !

Élisabeth s'intéresse davantage aux framboisiers sauvages couverts de leurs baies granuleuses au jus désaltérant. Elle délaisse les vertes encore immatures et choisit avec délectation les plus grosses à la teinte rouge foncé. C'est que la route est longue pour ses jambes peu aguerries, et la montée continue, bien que peu prononcée, incite à des pauses reconstituantes. Personne n'arrive à suivre le rythme du benjamin de la troupe, le petit Sammy, qui marche comme il respire ! Plusieurs cascades ponctuent la sente large et très fréquentée par les promeneurs, espagnols pour la majorité, et nous pique-niquons sur la berge du torrent, tandis qu'un drôle de petit oiseau noir au ventre blanc marche d'un pas vif dans les eaux peu profondes, enfonçant la tête entière de droite et de gauche, et disparaissant brusquement pour nager en zigzag et attraper ses proies aquatiques. Puis il se perche sur un rocher, guettant le poisson ou la petite larve de son œil acéré. Les adultes s'allongent pour une courte sieste tandis que les enfants discutent ou chantent, perchés sur des rochers du torrent, à l'ombre d'un arbuste.

Ensuite, nous poursuivons notre chemin dans un paysage qui change : les falaises s'écartent en un cirque immense, et nous avançons sur une herbe rase parsemée de rochers qui me fait penser aux estives de la vallée d'Aspe où nous étions récemment. Seuls manquent les troupeaux de vaches, moutons ou chevaux, puisque ne sont admis que les animaux sauvages. Tout au fond, cachée par une énorme butte rocheuse, s'écoule depuis les cimes la fameuse cascade de la Cola del Caballo dont les eaux très fraîches sont directement puisées aux cimes enneigées visibles depuis la vallée. Sur le chemin du retour, j'aperçois de l'autre côté du torrent un troupeau d'une quinzaine d'isards qui descend de la falaise en zigzag vers le torrent. Les jeunes, gris clair, se poursuivent en cabriolant puis disparaissent dans les hautes herbes. Je ne vois plus que les croupes brunes tranquilles des adultes qui broutent dans le pré vert vif éclairé par les derniers rayons du soleil couchant : en montagne, la nuit tombe plus vite.

J'attends les enfants qui traînent derrière pour leur montrer ma découverte puis laisse derrière moi les trois ados qui boudent, découragés par la longueur du trajet, et emboîte le pas aux jeunes, requinqués par mes gâteaux secs et un peu d'eau fraîche. Nous arrivons bien tard, et, tandis que j'attends avec Élisabeth l'arrivée de Cédric et des deux Nora, les autres prennent le bus afin d'installer l'équipe des campeurs dans le deuxième gîte et occuper nos tables pour le dîner prévu à huit heures du soir. Les grands ont allongé le pas et ne tardent pas, fort heureusement (j'ai à peine le temps de finir ma bière) : nous pouvons prendre le bus suivant et rejoindre le groupe à Torla. Au dîner, avec menu unique cette fois-ci, nous prenons en entrée un délicieux gazpacho andaluz. Soupe froide composée principalement de tomates et concombres mixés assaisonnés d'un peu de vinaigre, dans laquelle chacun ajoute à volonté des petits morceaux de légumes (poivrons, tomates et concombres), elle a été faite dans les règles de l'art. Evidemment, comme tout aliment inhabituel, les enfants rechignent à en manger, contrairement aux adultes qui se régalent. Malheureusement, ce ne sera pas du goût de l'estomac de Jean-Jacques, qui va se tordre toute la nuit de douleur. Ce sera le tour d'Elisabeth de surveiller ses allées et venues, inquiète pour sa santé...

 

Triste

Le lendemain, repos : les enfants n'accepteraient pas de fournir pareil effort deux jours d'affilée. Nous décidons d'un commun accord de prendre les voitures pour aller visiter "Los Riglos", petit village au sud de Jaca dont les formations rocheuses sont originales, de couleur rouge ou ocre, à l'allure de pains de sucre ou de cheminées de fée. Chemin faisant, je pile devant le panneau indicateur du Monasterio de San Juan de la Peña, sur le mont Oroel. Jean-Jacques, qui roulait derrière nous, me persuade de rejoindre la voiture de Richard en m'assurant que nous pourrons le visiter au retour. Il fait beau et chaud. Nous nous dirigeons vers un lac de retenue non loin de là, dans la ferme intention de nous y baigner et d'y pique-niquer. En cherchant le village de Triste, un petit vieux nous renseigne : les eaux du lac, très prélevées en cette période estivale, sont basses et vaseuses, nous ferions mieux de remonter le cours d'un petit torrent qui s'y jette car, un peu plus haut, nous pourrons nous baigner dans une piscine naturelle aux eaux pures, ainsi que le font certains jeunes du village.

Nous longeons le lac et constatons qu'en effet les odeurs sont nauséabondes, les abords aux allures de plages de sable blond sont très marécageux et les eaux peu profondes sont troublées par la vase. Nous faisons demi-tour et suivons les conseils du villageois. Je prends la tête de l'expédition et me fraie un chemin parmi les buissons du lit à demi asséché du torrent. Un mince sentier est visible par moment, qui disparaît parfois au milieu de la boue ou des roches recouvertes d'algues poussiéreuses. Je poursuis, confiante dans notre mentor, et finis par découvrir un peu plus loin deux silhouettes en maillots perchées sur une haute roche ronde de couleur claire. Nous touchons au but ! Mais par où ont-ils bien pu passer ? Nous essayons plusieurs directions, pour enfin trouver la voie qui nous mène à une superbe vasque de pierre qui se déverse plus bas en cascades de gouttelettes et filets d'eau. Une autre lui succède, et nous nous changeons à grande vitesse pour goûter au rafraîchissement des eaux calmes qui reposent sur un lit de galets. Au point le plus profond, elles scintillent d'un vert d'opale.

Nous nous y plongeons plus facilement que dans le torrent du Bastan, près de Bidarray, et jouissons d'un soleil franc et chaud qui agresse le pauvre Jean-Jacques aux intestins endommagés par l'absorption du délicieux gazpacho andaluz. Le vinaigre a eu raison de son équilibre digestif, et il s'enfouit presque totalement sous deux serviettes pour lire dans une ombre peu reposante tandis que retentissent les cris aigus des enfants qui plongent à plaisir dans l'eau pure. Après le pique-nique, les enfants m'emmènent en exploration vers l'amont. Nous faisons du canyoning facile, sautant d'un rocher à l'autre, grappillant des mûres au passage, et découvrons avec émerveillement un cadre digne d'une publicité pour OBAO : une double petite cascade a créé deux petites cuvettes d'où l'on peut glisser sur les roches lisses et rondes comme sur un toboggan dans la vasque plus profonde d'une superbe piscine naturelle entourée de falaises. Les enfants se douchent sous les eaux qui bondissent en crépitant sur leur peau bronzée puis dérapent en riant dans la baignoire blanche aux eaux vertes.

Les plus hardis s'élancent pour plonger ou sauter depuis les hauteurs et font un concours d'acrobaties. Je les laisse un moment pour aller chercher les adultes et nous abandonnons Jean-Jacques endormi sous ses linges. Un peu plus tard, je reviens le chercher et trouve la place vide : il est allé se reposer dans sa voiture. Nous restons longtemps à alterner bains et repos sur les roches lisses et blanches. Perchées sur un rocher qui surplombe la vasque aux eaux pures, les Nora nous présentent un spectacle de chant et danse directement inspiré de la télévision, et plus particulièrement de "Loft Story". Cédric nous fait un festival de plongeons, que les plus jeunes tentent d'imiter avec plus ou moins de succès. Jean-Louis B. explore un peu plus haut et découvre que les eaux du torrent sont retenues par un petit barrage afin d'être prélevées par le village pour ses besoins en eau potable. Nous sommes donc assurés de la pureté du lieu. Nous quittons à regret notre havre pour retourner aux voitures et rejoindre Jean-Jacques.

Anna, par deux fois, enfonce ses jambes dans des fondrières de vase et manque d'y laisser une sandale qu'elle doit récupérer en y enfonçant son bras : elle est dégoûtée ! Sur la route de Jaca, nous faisons un détour par le monastère, situé effectivement dans un cadre spectaculaire, presque au sommet du mont aux flans effleurés par les ailes des vautours. Il est à moitié enfoui dans une immense grotte et nous passons devant son architecture travaillée, vibrant acte de foi des Espagnols du XIIème siècle qui repoussaient peu à peu hors de la péninsule ibérique les Arabes présents depuis des siècles. Malheureusement il n'est pas possible de s'y arrêter, la route est trop étroite. Un parking paysager a été aménagé sur le sommet plat de la montagne entre les arbres de la forêt et un service de navette par bus assure la desserte du monastère pour les visiteurs encore très nombreux malgré l'heure tardive. Nous avons juste le temps d'apercevoir des aires de pique-nique, des sentiers pédestres, des bâtiments religieux à moitié démolis et devons nous résoudre à reporter à une date ultérieure la visite de ce lieu superbe : il est trop tard, nous sommes à deux heures de Torla et avons promis d'être là pour le dîner à 8 heures et demie. Nous redescendons du mont Oroel au milieu d'une végétation presque méditerranéenne et regagnons nos pénates. Au gîte, la majorité d'entre nous émigre dans le dortoir du premier étage, tandis que Richard et Jean-Jacques restent au second. Toujours à cause de sa claustrophobie, Elisabeth s'installe en dehors des "clapiers" sur un matelas tout contre la porte fenêtre entr'ouverte à laquelle nous avons suspendu des couvertures en guise de rideaux pour préserver notre intimité, et Jean-Louis B. évite la promiscuité en occupant le local des bagages attenant. Afin d'éviter les disputes, nous désignons aux enfants leurs nouveaux couchages (jeunes au milieu, ados au-dessous, Jean-Louis et moi au-dessus), dont ils s'accomodent bien vite.

 

Le cirque de Cotatuero

Les enfants, gonflés à bloc par cette excellente journée de détente, se réveillent sans rechigner dès sept heures et demie au son d'un "Debout les gars, réveillez-vous !" entonné par les voix dynamiques de Richard et Jean-Jacques. Ceux-ci sont encore secoués de rire au souvenir de la mésaventure nocturne de leur voisin de couchage. Celui-ci, de carrure imposante, s'étant levé pour une raison qui lui est propre, le cerveau encore embrumé de sommeil, a heurté à toute volée une poutre des "clapiers", faisant trembler tout l'édifice. Jean-Jacques, éveillé, a dû se pincer pour ne pas s'esclaffer et Richard, brutalement sorti des nimbes, s'est demandé s'il n'était pas en train de vivre en réel un épisode du Titanic heurtant un iceberg, dont il écoute régulièrement la musique du film dans sa voiture ! Nous retournons aujourd'hui sur les traces de notre première promenade dans le cirque de Cotatuero, que nous avions dû écourter faute de temps.

Jean-Louis et moi sommes retardés un long moment par la recherche éperdue de notre sac à main qui contient argent et papiers d'identité. Nous laissons partir le groupe et prenons, en désespoir de cause, le bus suivant, après avoir fouillé toute la voiture et tous les sacs du gîte (y compris ceux de nos compagnons). Le mystère est résolu à l'arrivée du bus : j'avais mis la veille au soir le sac à main dans le sac à dos de Cédric qui l'a repris ce matin sans en contrôler le contenu. Ouf ! Remis de nos émotions, nous pouvons profiter de cette promenade magnifique dans le cadre plus grandiose (et moins prisé) que celui de Soaso. En plus, il fait beau, et les falaises chatoient de toutes leurs couleurs, du jaune à l'ocre en passant par le rouge et le brun. La montée est plutôt rude jusqu'à la cascade, Élisabeth et moi peinons un peu dans la forêt, attendues galamment par nos conjoints respectifs.

Nous pique-niquons peu après la cascade sur un méplat, dans un petit bois de pins bien sympathique, et faisons la sieste à l'abri des rochers qui nous protègent du vent frais qui s'écoule le long des pentes. De gros nuages noirs nous inquiètent. En plus, l'immobilité nous a refroidis. Nous rangeons nos affaires et nous mettons à héler de concert Richard et Jean-Louis qui ont disparu ! Nous commençons sans eux la route jusqu'au pierrier où je donne des recommandations de prudence aux enfants en attendant les hommes. Il n'y a pas de danger si l'on est attentif et que l'on regarde où poser les pieds. Je confie chaque jeune à un homme et place les adolescents au milieu de nous dans la file. Nous sommes à flan de falaise : un pied de côté, et c'est la chute sur des dizaines ou centaines de mètres. Les enfants ont compris, ils ne font pas les fous. Pour admirer le paysage, nous faisons des pauses. Ensuite, nous reprenons la marche, les yeux fixés sur le sol devant nos pas.

Lors d'un de nos arrêts après un passage délicat autour d'un pignon rocheux, nous découvrons derrière nous sur les hauteurs herbeuses des isards. Le chef du troupeau reste immobile à nous surveiller, sa silhouette de profil marron clair se détache nettement sur le gris de la falaise vertigineuse. D'autres bougent, avancent et disparaissent derrière des herbes. Nous restons un long moment à les observer, à la jumelle et à l'œil nu. Puis nous reprenons notre longue descente en admirant le superbe panorama qui nous entoure. Richard photographie des plantes vert tendre qui semblent s'enraciner directement dans le rocher. Jean-Louis les tâte : les feuilles semblent gonflées d'eau et ont la consistance des algues, il n'y a pas de tige apparente. Quelle adaptation au milieu ! Au-dessus de nos têtes, des roches semblent prêtes à se détacher, peut-être suffirait-il d'un souffle ?

Nous préférons ne pas abuser de notre chance et passons notre chemin rapidement. Les essences végétales varient au gré de l'altitude, et la randonnée tout autour du cirque nous offre des perspectives sans cesse changeantes : même les enfants tombent sous le charme et reviennent au point de départ d'un pas décidé en chantant à tue-tête - pas de risque de revoir des isards ! De retour à Torla, la jeune troupe, qui prend de l'indépendance, part faire les magasins, tandis que nous nous asseyons pour boire le verre de l'amitié : déjà trois jours de passés, sans presque y prendre garde tant ils ont été bien remplis. Nous nous mettons d'accord sur la meilleure façon d'occuper les quelques heures de liberté qui nous restent et décidons de découvrir les gorges ("gargantas") qui mènent aux Thermes (Balnearios) de Panticosa. Au cours du dîner, les enfants, en guise de remerciement pour ce séjour, offrent à leurs parents respectifs ainsi qu'à Elisabeth et Jean-Louis B., surnommés pour l'occasion "Tatie Zaza et Tonton Bisou", des cadeaux touchants.

 

 

Balnearios de Panticosa

Panticosa est une station de ski espagnole située non loin du col du Tourmalet. Les gorges sombres et encaissées qui mènent au bout de la vallée sont belles, quoique moins spectaculaires et plus grises que les falaises d'Ordesa, mais il est malheureusement impossible de s'y arrêter pour admirer le point de vue. Nous les parcourons jusqu'au bout où elles s'évasent joliment en une vallée glacière occupée par un petit lac circulaire, malheureusement pollué : des algues vertes pelucheuses en tapissent le fond peu profond parsemé de détritus divers. Quelques barques et pédalos sont amarrés au ponton bordé par un beau parc boisé. Des bâtiments imposants mais pour une bonne part désaffectés sont le reflet d'une époque révolue où les riches de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle "allaient aux eaux" pour se faire soigner, se détendre et se reposer. Nous mangeons assis sur des roches arrondies situées au côté opposé de la station thermale.

Tandis que les enfants s'amusent et que certains font la sieste ou disputent une partie de master mind, Jean-Jacques, Élisabeth et moi entreprenons à pied le tour de la vallée en commençant à mi-pente. Plus nous avançons, et plus le vent s'affaiblit. Bientôt, nous progressons dans un sous-bois odorant à l'air tiède en direction du bruit de la chute que nous avions aperçue en arrivant. Le torrent dévale en cascades depuis le sommet dans un grondement qui couvre le pépiement des oiseaux et nous oblige à parler plus fort. Nous le traversons sur deux poutrelles et gagnons ce que je pense d'abord être une petite chapelle abandonnée et qui est en fait une fontaine sous coupole, avec de grandes ouvertures sur trois côtés. Nous descendons dans une aire boisée qui devait être magnifique lorsqu'elle était entretenue, attenante à un vaste pré où j'imagine les dames en robes longues et mains gantées, qui se promènent en abritant leur teint nacré sous une ombrelle de dentelle tandis que des hommes chapeautés de noir leur tiennent compagnie dignement.

Au fond, je repère un grand chalet plus moderne où nous allons prendre un café. Il s'agit d'un gîte ouvert toute l'année dont les prix défient toute concurrence, et qui m'a l'air fort sympathique. J'y retournerais bien pour faire de la raquette aux alentours, mais Jean-Jacques me démontre que les pentes raides s'y prêtent peu. Il y a au moins trois sommets de plus de 3000 mètres non loin de là et nous ne sommes qu'à 1800 mètres. La plus petite balade fait 800 mètres de dénivelée (une petite Rhune) : il y a intérêt à être en forme ! On peut pratiquer un peu le ski de fond en bas autour du lac (6 kilomètres de pistes), ou alors le ski de randonnée, pour les plus sportifs et aguerris. Cependant deux randonnées sur les trois présentent de grosses difficultés et ne peuvent s'effectuer que dans des conditions atmosphériques et de revêtement neigeux favorables. Je crains que cela ne soit pas pour nous, et c'est bien dommage.

Nous lisons le panneau explicatif situé devant une autre fontaine aux eaux tièdes. Lors des débuts de la formation des Pyrénées, à l'époque du carbonifère, durant la période de l'ère primaire située entre -280 et -210 millions d'années, de nombreuses remontées de magma eurent lieu. Du granit remonta à la surface, dégageant des émanations radioactives. Ensuite, les glaciations successives de l'ère quaternaire érodèrent la montagne pour lui donner son aspect actuel. Ce lieu, déjà connu des Romains (on a retrouvé des pièces de monnaie romaines), est connu pour les propriétés de ses eaux. Certaines ont une température de près de 50°C, d'autres, plus tièdes, de 20°C. Elles sont parfois radioactives, détiennent une très faible teneur en minéraux. On leur attribue des propriétés diurétiques et digestives diverses. Les habitants du village, qui est presque abandonné en période hivernale, cherchent à défendre sa pérennité et ont obtenu des instances de l'Europe qu'il soit considéré comme un ensemble de bâtiments historiques. De ce fait, des fonds ont été alloués et nous voyons qu'un des bâtiments d'un luxe désuets est en train d'être rénové, et même agrandi, peut-être d'une sorte de piscine couverte aux ouvertures immenses et au toit très élevé. Nos compagnons nous attendent, les enfants sont déjà retournés au parking et sont tous assis dans notre Peugeot 806. Nous terminons à regret notre visite et retournons à Anglet après avoir convenu de nous retrouver le soir même à la maison pour une ultime réunion tous ensemble autour d'une même tablée.


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