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Rose
nous a invité à passer le week-end dans le gîte de son frère à Lescun. Nous
sommes au début du mois de février et il a bien neigé récemment : nous
allons nous promener dans les alentours en raquettes.
Certains en possèdent, d’autres doivent en louer. Moi, débordée par des préoccupations diverses et variées, j’ai simplement vérifié sur l’annuaire qu’il y avait bien quelqu’un qui pouvait nous en procurer sur place, et j’en suis restée là. Hélas ! Hélas ! Trois fois hélas ! A notre arrivée, lorsque j’avoue que je n’ai pas téléphoné pour faire les réservations, Rose me fait les gros yeux. Nous partons dans les rues en pente du village, avec Rose et son frère Jean-Paul, en quête de la maison où le loueur est sensé demeurer. (Je vous laisse imaginer les reproches que me fait Jean-Louis …). Aucune pancarte, aucune indication nulle part. J’interroge un gamin dans une cour qui va se renseigner auprès de ses parents : le loueur est parti dans les Alpes il y a peu de temps, fermant purement et simplement son local. Nous retournons penauds aux voitures dont les passagers nous attendent en devisant. Ils nous avertissent que le responsable de la Maison de la Montagne vient de passer, et nous allons lui rendre visite, tout à côté du parking : Ouf ! C’est lui qui a hérité des quelques raquettes et bâtons du loueur, il en a une dizaine de paires à disposition. Nous n’en demandions pas tant. En plus, il nous fait un prix canon, et les autres me disent en riant que, finalement, j’ai fait une bonne affaire et que j’ai eu bon nez !
Nous
n’avons été retardés qu’une demi-heure. Nous reprenons les voitures pour monter
un peu plus à l’intérieur du cirque de Lescun et prenons un chemin caillouteux
plus praticable par des 4x4 qu’avec nos simples voitures pour routes asphaltées.
Nous avons atteint la limite neigeuse, les pneus commencent à déraper, il faut
reculer pour se garer en contrebas. Tout le monde s’équipe, et nous partons,
les raquettes et bâtons à la main. Le temps est superbe, le ciel d’un bleu intense,
la vue porte au loin sur les montagnes environnantes, scintillantes de neige,
qui contrastent avec les bruns et verts de la vallée. Nous chaussons nos raquettes
(opération longue et délicate, tout le monde s’entraide, il faut régler l’écartement
à la taille des chaussures de marche, serrer les lanières), nous nous peinturlurons
la figure de pommade blanche (nous devons nous protéger, la réverbération est
forte, il ne s’agit pas d’attraper une insolation), et nous amorçons la montée
en marchant en canards, en faisant de grands pas grinçants, imposés par la taille
de nos équipements qui se frottent l’un contre l’autre et nous font parfois
trébucher. Après quelques chutes et quelques rires, nous réglons nos pas (sauf
les jumeaux Julien et Jérémie qui ont des bottes de caoutchouc sur lesquelles
les lanières n’ont pas de prise et qui perdent régulièrement leurs raquettes).
Nous décelons sur les côtés du sentier des traces de lièvre (deux petits trous,
deux longues traînées), et essayons de deviner dans quel sens il est allé. Un
peu plus loin, des traces peu profondes rectilignes font penser à celles d’un
renard, mais il manque la traînée de la queue, alors, ce doit être un autre
animal. Le silence règne, seuls deux choucards noirs planent dans le ciel. Nous
ne voyons pas d’isards, cette fois-ci, et la neige a endormi tous les habitants
de la montagne.
Deux
groupes se forment rapidement, la famille Duez, aidée de Pierre Sorhaïts, le
bon Samaritain, forment la queue et remettent périodiquement les
raquettes des enfants, tandis que les autres avancent d’un pas plus régulier
et prennent leurs distances, faisant périodiquement des haltes pour s’assurer
que le reste de la troupe suit bien. Nous faisons connaissance avec un couple
qui n’avait encore jamais participé à nos balades. Jean-Paul Dugène fait des
marches en montagne depuis tout jeune, il connaît les Pyrénées comme sa poche,
obligé d’aller de plus en plus loin, côté espagnol notamment, pour découvrir
encore de nouveaux sites, qu’il décrit sur le plan technique (accès, trajet,
durée, difficulté, altitude, etc.) et historique, sur des pages « word »
de son ordinateur (en chemin, il prend des notes sur un petit calepin). Cédric
découvre avec un choc que sa femme, Christiane, est justement son professeur
de musique au collège, qui a déjà eu également tour à tour Sylvain et Nicolas.
Il a cours avec elle dès lundi matin, de 8 à 9. Une fois remis de ses émotions,
il la bombarde joyeusement de boules de neige qu’elle subit avec bonne humeur
(elle lui a fait la bise pour le saluer), puis il la laisse tranquille, s’adonnant
aux joies de la découverte de la montagne en raquettes.
Nous obliquons en direction du lac de l’Hurs, longeons
un torrent aux rochers couverts de calottes de neige qui dévale la pente plantée
de grands arbres dénudés égayée de quelques sapins et de grands buissons de
houx aux feuilles luisantes, enjambons une clôture à trois rangs de fil de fer
barbelé, (ou passons en rampant dessous), traversons un pré enneigé en pente
raide.
La
marche est rendue plus difficile par endroits en raison d’arbres déracinés qui
se sont couchés en travers du chemin ou carrément dessus. Il faut les contourner
en nous frayant un passage sous les branches et en enfonçant dans la neige fraîche,
profonde et non tassée. Pieds et raquettes se désolidarisent et se tordent en
tous sens sur les talus et les flans de la montagne, les bâtons s’enfoncent
brusquement ou perdent leur prise, dérapant sournoisement. Il faut parfois s’agripper
aux branches ou aux buissons pour s’extirper des mini-fondrières. Nous suons
et soufflons, ôtons au fur et à mesure des couches de vêtements jusqu’à finir,
pour certains, en tee-shirt. Mais aux haltes, gare au refroidissement !
Le soleil brille, mais le fond de l’air est frais : nous nous régalons
de barres de céréales, de « lions » chocolatés et de carrés de chocolat
au lait et aux noisettes ; il faut boire aussi régulièrement, pour prévenir
la venue de crampes, et également parce que l’air est particulièrement sec et
nous dessèche la bouche – il est difficile, avec l’effort que nous fournissons,
de respirer uniquement par le nez, que le froid fait couler -.
Un tournant du chemin ensoleillé nous fait découvrir
tout le cirque jusqu’au bas de la vallée ; certains demandent grâce et
nous faisons halte pour pique-niquer. Les enfants, à peine rassasiés, se mettent
à faire un bonhomme de neige, charriant de gros blocs de leurs mains gantées.
Nous partageons les victuailles contenues dans les sacs à dos, en commençant
par une fiole de manzana que Jean-Paul fait circuler à la ronde. Elle est fraîche
à souhait et, bue dans ces conditions, nous paraît particulièrement délicieuse
et parfumée. Il y a également une « chahacoa » (flasque en peau de
mouton) de vin rouge pour accompagner pâté de foie, jambon, poulet, et fromage,
et pour finir, du thé sucré gardé brûlant dans le thermos. Quel régal !
Un grondement sourd nous fait tourner la tête : une avalanche est en train
de dévaler la montagne, dans un couloir profond et étroit qu’elle continue de
creuser jusqu’à la vallée : on dirait un torrent qui s’écoule en large
cascade, et il faut les jumelles de Jean-Paul pour faire la différence – d’énormes
blocs détachés de la montagne tombent au sein du flux, entraînés par le poids
de la neige -. La chute dure au moins une dizaine de minutes. Durant notre heure
de halte-restauration, nous en apercevons ainsi plusieurs, de tailles variées,
pour la plupart plus discrètes et silencieuses, plus réduites également et plus
lointaines. Nos deux montagnards nous déconseillent de poursuivre jusqu’au lac.
Il faudrait passer dans ce couloir d’avalanche et ce n’est pas prudent. Nous
avançons juste un peu, pour voir le passage de plus près, et voyons un groupe
de cinq espagnols monter justement à pied le long d’une de ces pentes dégagées
de tous arbres par les coulées de neige : quels inconscients ! En
rebroussant chemin, nous entendons de nouveau un grondement sourd. J’espère
que les imprudents n’ont pas été entraînés par la vague blanche.
La
descente est plus facile, et certains l’agrémentent de courses tout schuss dans
le sens de la pente, délaissant le chemin. Gare aux arbres ! Les enfants
(et pas seulement eux) rient aux éclats, enchantés, et terminent en bataille
rangée de boules de neige.
La promenade écourtée par la fonte dangereuse des neiges
se termine de bonne heure et, après avoir rapidement déchargé les voitures dans
le chalet au village, un petit groupe repart à la découverte d’une cascade proche,
un autre se précipite dans un bar pour regarder un match incontournable à la
télé et les autres s’installent autour du feu qui pétille dans la grande cheminée.
Je découpe oranges et pommes en cubes que je laisse macérer dans la sangria,
et réchauffe tartes au fromage, aux oignons et pizzas. Tant pis pour le riz
cantonais, nous n’avons plus faim et passons directement au dessert commandé
par Rose à la fermière : de la mamia (une pleine jatte de lait caillé de
brebis) et, pour comparer, un récipient de lait caillé de vache (plus onctueux
mais plus fade), arrosés de miel liquide (des ruches du frère de Rose), de sucre
en poudre, de confiture de mûres maison (faite par Rose) ou nature. Nous terminons
par une initiation au jeu basque de mus (prononcer mouche), sorte de poker,
où la difficulté de l’apprentissage des règles s’accroît de la mémorisation
obligatoire des termes en basque : ba, ez, baï, iduki, imbido … Max est
perdu, mais il s’accroche, têtu et joueur invétéré, Richard, Pierre et Jean-Paul
communiquent par signes et font des annonces (vraies ou fausses, c’est le règne
du bluff) à haute voix.
Pour la prochaine fois, Richard va nous préparer un
lexique écrit, ce sera plus simple.
Tout le monde au lit, moi la première ! Les chambres
à l’étage sont fraîches, contrastant avec la chaleur de la cuisine-séjour où
se situe la cheminée. Nos visages sont gelés et je m’enfouis toute entière dans
mon sac de couchage, tandis que d’autres raconteront le lendemain qu’ils ont
enfilé pulls et bonnets de ski !
Ce dimanche, Michèle est fatiguée, elle reste au chalet.
Du coup, ses jumeaux veulent en faire autant, malgré les encouragements de Max,
et Jonathan reste avec eux.
Ils font bien : le démarrage est rude, çà monte
dur.
Sur
un méplat, nous découvrons avec surprise trois igloos. Pierre et Richard se
précipitent à l’intérieur, puis Max et Cédric. Je défais mes lanières et m’y
glisse à croupetons. Il fait plus doux à l’intérieur que dehors, malgré le soleil
qui brille. Une douce pénombre à la luminosité bleutée emplit l’espace. Le sol
est plat, bien tassé. Je n’y tiens pas debout, bien sûr, mais je n’ai pas de
sensation de claustrophobie, la voûte arrondie est assez haute au-dessus de
ma tête, lorsque je me tiens accroupie, et j’aperçois l’extérieur d’un blanc
lumineux par le petit tunnel d’accès. Je me sens bien là-dedans. Les blocs de
neige cubiques ou parallélépipédiques qui ont servi à sa construction se distinguent
nettement et paraissent presque translucides, malgré l’épaisseur, car il ne
fait pas du tout sombre dans ce minuscule habitacle. Lorsque nous reprenons
la route, nous croisons les courageux qui ont passé la nuit au frais (l’air
n’y descend pas au-dessous de 2-3°C, paraît-il). Sur leur sac à dos est accroché
le tapis de sol bleu enroulé serré, parfois doublé d’une pellicule isolante
brillante d’aspect métallique. Ceux ne sont pas des rigolos : ils avancent
à la queue leu leu, d’un grand pas régulier de marcheur aguerri, sans bavardages
ni rires (il y a aussi des femmes). Ils ont dû se tasser à trois ou quatre par
igloo, pour se tenir chaud.
Le temps tourne brusquement, l’air est plus frais,
et de fortes rafales de vent glacé soulèvent des nuages de poudre de neige qui
viennent nous fouetter le visage et nous bousculent pendant notre montée, fort
rude, il faut le dire. Le ciel encore bleu est cerné de nuages qui passent à
grande vitesse et nous obstruent par moment le soleil. Nous avons changé de
vallée et sommes allés en voiture dans la vallée d’Aspe, perpendiculaire à la
route du cirque de Lescun.
Nous
atteignons à grand peine le lac d’Estaens, entièrement recouvert de neige et
reprenons le chemin du retour, sans nous arrêter, par les crêtes. La vue reste
superbe et en partie dégagée. Vers une heure, nous trouvons un flan ensoleillé
relativement à l’abri du vent qui s’est calmé entre temps et déjeunons au soleil.
J’ai les doigts qui gèlent, Christiane garde ses gants pour manger ; nous
nous régalons des restes de pizza et de gâteau de noix de la veille au soir.
Nous ne nous attardons pas et redescendons en faisant des prouesses dans la
neige vierge, dévalant en courant directement dans le sens de la pente, glissant,
sautant, … et tombant dans l’ouate glacée (mais pas trop humide). Max immortalise
les chutes dans son appareil photos numérique. Pour la peine, nous n’avons plus
du tout froid, les nuages restent calés au fond, accrochés aux sommets pointus ;
le soleil brille, et nous terminons bien plus agréablement la balade que nous
ne l’avons commencée. Les Sorhaïts et les Dugène repartent directement chez
eux, tandis que nous reprenons la route de Lescun pour remiser les raquettes
empruntées dans un lieu convenu et ranger le chalet avant de le quitter. Le
retour à Anglet est ponctué par les buts des équipes de hand-ball française
et suédoise décrits par le speaker à la radio qui devient presque aphone, et
les hurlements de joie ou de dépit de Richard. Dans la voiture des Duez, ils
écoutent le même programme, et Jonathan (qui a suivi les jumeaux) nous décrit
tout excité, lorsque nous nous réunissons, le déroulement du match. Dès l’arrivée,
ils se précipitent sur la télé pour voir les dernières minutes exaltantes et
pleines de suspens : quelle ambiance ! car nous avons convenu de nous
réunir tous chez nous pour manger le fameux riz cantonais de la belle-mère de
Michèle (2 kgs !) arrosé des restes de sangria. Pas de cuisine à faire,
Michèle se charge de le réchauffer sur ma gazinière, et nous nous séparons bientôt
pour récupérer par une bonne nuit de sommeil de la fatigue accumulée, avant
la reprise du rythme normal de la semaine.
Il va falloir organiser une autre sortie en raquettes,
si l’enneigement le permet, car c’est une détente extraordinaire et un dépaysement
radical, à seulement deux heures de chez nous. Nous avons hâte de faire partager
notre plaisir à d’autres amis, alors, à la prochaine !