Artzamendi : la montagne de l'ours (5 mai 2002)

Samedi, après notre footing traditionnel à Chiberta, nous avons pris notre non moins habituel café (un grand jus d'orange pour moi) au premier étage du Mac Do de la Barre, avec vue sur mer et montagne, et tout naturellement est venue sur le tapis la question de notre activité dominicale. Max a affirmé immédiatement sa volonté d'aller marcher ; Jean-Louis B. a surenchéri, "je viens avec toi", sur quoi Richard, qui hésitait, a dit "moi aussi". Jean-Louis et moi étions invités à déjeuner, mais j'avais également très envie de les accompagner. Des noms de montagnes proches et "faisables" en une matinée fusèrent "la Rhune, l'Iroubela, l'Artzamendi", et nous optâmes pour ce dernier.

Donc, départ à 8 heures, obligé, si nous voulons être de retour aux alentours de midi. Nous avons de la chance : il a plu le samedi, et le lendemain matin à 7 heures, le ciel est tout bleu. L'humeur est au beau fixe. La température est douce, l'air est calme et limpide, le soleil matinal intensifie les couleurs printanières de la campagne et les contrastes ombre-lumière. Les acacias couverts de grappes de fleurs blanc crémeux odorantes ont pris le relai des mimosas pour égayer le bord des routes (il s'agit en fait de robinier ou faux acacia, qui est originaire d'Amérique du Nord d'où il fut ramené en 1601 par Jean Robin, jardinier du roi). Les cerisiers ont perdu leurs pétales immaculés et regorgent de fruits verts ou rouges qui nous mettent l'eau à la bouche. Nous laissons sur notre droite le village d'Itxassou et dépassons la stèle érigée en 1998 à la mémoire des 101 jeunes Basques morts pour la France en Afrique du nord de 1952 à 1962. Le cimetière possède une magnifique collection de stèles discoïdales et tabulaires remises en valeur par l'association Lauburu (environ 200 ) : il faudra que nous y fassions un petit tour lors de la fête des cerises qui aura lieu le premier week-end de juin. Nous prenons la petite route sur notre droite, et de nouveau la suivante à droite en direction du Pas de Roland et de l'Artzamendi.

Le nom de cette montagne (artza: ours, mendi: montagne) rappelle l'époque lointaine où ce grand prédateur solitaire hantait les Pyrénées, en même temps que le loup (Otsamunho près de Baïgorri vient de "oso", loup, et "muino", colline). Le site internet sur l'histoire d'Itxassou mentionne le nom pittoresque de l'arête rocheuse située juste au-dessus du village : Athekaitzetakomalgorrak (littéralement : "les hautes pentes du passage dangereux") qui illustre bien le sens imagé des lieux de la région. Nous passons sans encombre sur la route à une voie du Pas de Roland, longeant la Nive qui s'écoule dans les gorges d'Ateka Gaitz (mauvaise passe) et le rocher rendu célèbre par le passage des armées de Charlemagne à Roncevaux. Nous nous garons au bout, près du restaurant, et commençons notre marche, après un très court tronçon de route, sur un sentier qui passe dans un tunnel de verdure, d'abord bien dégagé, puis relativement calamiteux à mon goût, car il s'amenuise et se resserre tant que ronces et ajoncs griffent la peau à travers nos vêtements et que nous devons nous baisser pour passer sous les branches qui crissent sur le sac à dos. Enfin, nous voilà sortis, nous débouchons à l'air libre et cheminons sur de larges pierres (l'ancienne voie romaine ?) en direction de la cime.

Il fait très chaud à s'escrimer ainsi et nous retirons bientôt le surplus de vêtements, malgré le brouillard matinal qui s'est mis tout d'un coup à enserrer la base de l'Artzamendi d'une chape humide qui nous cèle la vue. Le soleil n'est pas loin, dont nous voyons à travers l'écran cotonneux le disque d'un jaune atténué, et il a bientôt gain de cause. Partout alentour les vapeurs se séparent en émanations de calumets de la paix aussi géants qu'invisibles avant de se dissoudre dans l'atmosphère épurée. Nous émergeons de la mer de nuages qui disparaît peu de temps après. La vue porte très loin et nous repérons l'inévitable barre d'immeubles de la ZUP de Bayonne et la grande étendue d'eau du marais d'Orx ; Richard devine les flèches de la cathédrale et un méandre de l'Adour tandis qu'il cherche en vain le phare de Biarritz, perdu dans le brouillarta côtier.

Mais ce n'est pas le tout, il faut grimper sans perdre de temps, alors je monte en suant et soufflant, le regard à mes pieds pour ne pas trébucher car le rythme est un peu rapide pour mes capacités. Nous faisons halte au rocher que Max et les enfants ont escaladé il y a une quinzaine de jours. D'en bas, il ne paraît pas bien impressionnant, mais lorsque nous en faisons le tour pour nous pencher dans le vide, et que Max nous explique que la descente en rappel se fait au démarrage sans aucun appui pour les pieds, avec le corps qui se balance vers la paroi en dévers sur plusieurs mètres, avant de pouvoir enfin se caler, nous saisissons la difficulté.

Les vautours volent très haut dans le ciel tandis que de la vallée s'élèvent les salutations matinales des coqs et les bêlements des agneaux dans les prés humides. De toutes parts sourdent des ruisselets, jusqu'au sommet, comme si la montagne entière était une éponge pressée par une main divine. Ce qui est bizarre, c'est que l'eau stagne par endroits alors que la terre ne forme pas de dépressions, mais au contraire se gonfle en mamelons bombés. En me documentant sur internet, j'apprends qu'il s'agit d'une zone protégée constituant un habitat ou comportant des espèces en danger de disparition sur le territoire européen et pour la conservation desquels l'Union européenne porte une responsabilité particulière. Le site comprend 60 % de marais (végétation de ceinture), bas-marais, tourbières, 20 % de landes, broussailles, recrus, maquis et garrigues, et Phrygana et 15 % de forêts caducifoliées (ceux sont les termes employés).

Les plantes ont des noms compliqués, comme le Rhynchosporion qui est l'espèce de mousse dont est issue la tourbe, l'Erica ciliaris et l'Erica tetralix, des landes humides atlantiques tempérées, que je prenais pour de la bruyère, l'Ilex et parfois leTaxus qui forment les sous-bois de hêtraies acidophiles atlantiques et qui me semblent être respectivement une sorte de houx et un petit conifère pas du tout intimidants. L'animal particulièrement protégé est, de façon tout-à-fait inattendue, l'Escargot de Quimper (Elona quimperiana). Je me demande en quoi il est protégé car ici aussi l'écobuage a frappé, et des squelettes noircis d'ajoncs se dressent tristement, au pied desquels repoussent courageusement quelques touffes d'herbe. Un peu plus haut, j'examine les tout petits champignons des prés aux têtes rondes et jaunes, parfois éclatés en plusieurs morceaux à moitié pourris d'aspect peu engageant.

A l'écart paissent tranquillement les pottoks, que l'on peut qualifier d'animaux préhistoriques puisque l'espèce est stable depuis environ 40 000 ans. Ils ont failli disparaître lorsque les hommes n'en ont plus eu l'utilisation au fond des mines, les pauvres... Là, ils ont l'air d'être libres et sauvages, mais en fait, ils possèdent tous une petite marque discrète à l'oreille qui indique leur appartenance à un éleveur de la vallée.

Pendant que je vaque à mes observations, nous apercevons deux hommes qui nous rattrapent à grande vitesse car ils font l'Artzamendi en courant ! Ils ont tout juste le temps de nous dire au passage qu'ils s'entraînent pour l'Euskal trail (orthographe non garantie) où ils devront parcourir par monts et par vaux deux fois 40 kilomètres sur deux jours. Le premier dépasse Max, abasourdi, qui accélère dans le sillage, puis les deux champions redescendent encore plus vite et disparaissent, comme dans un rêve... Un peu plus tard, nous en verrons deux autres, un peu moins bons, puis un homme d'un certain âge, qui parcourt le dernier raidillon en marchant, tout de même ! C'est qu'ils nous donneraient des complexes !

Nous nous arrêtons au pied du radar qui ronronne doucement durant sa giration perpétuelle et ne passons pas sur le versant sud où nous aurions pu voir l'un des sites préhistoriques les plus complets du Pays Basque où sont réunis des dolmens, des menhirs et des cromlechs, monuments mégalithiques érigés il y a 3000 ans. Plus prosaïquement, nous profitons de la pause pour nous restaurer un peu après l'effort, et surtout nous couvrir, car un vent frais s'est levé, annonciateur d'un changement de temps : des nuages commencent à s'amonceler à l'horizon, il est temps de redescendre.

Sur notre gauche s'élève le Mondarrain au sommet crénelé caractéristique, dont nous avons escaladé les falaises à la suite de John, le fils de Max. Autrefois s'y trouvait un château que se disputèrent au XIIIème siècle le roi de Navarre et le roi d'Angleterre... Un bourdonnement nous fait tourner la tête. C'est un petit avion à hélice qui passe entre les montagnes, à très basse altitude. Il retourne probablement sur le petit terrain d'aviation de la colline d'Urzumu après avoir lâché un planeur aux longues ailes blanches. Jean-Louis grappille quelques cerises avant de regagner la voiture, à midi, comme prévu : quelle organisation !