Le lac d'Anglas

Ce dimanche matin est bien maussade. Nous prenons notre temps devant un petit déjeuner plantureux et varié avant de monter à Gourette en voiture. Une station de ski hors saison, c'est plutôt triste. La plupart des immeubles sont fermés, seuls deux bars maintiennent un semblant de vie, ainsi que les concurrents du Raid Bacarisse qui terminent leur course en VTT devant nous sur un circuit excessivement difficile. Nous voyons deux ou trois femmes, mais ceux sont surtout des hommes qui y participent. Je compatis au malheur d'un concurrent pas si jeune que ça qui boîte piteusement. La fatigue l'a rendu moins vigilant (surtout à cause de la course d'orientation de la veille, très éprouvante) et il n'a pas pu éviter un trou. En chutant, il s'est fait mal au genou, au bras, au visage, mais apparemment pas au moral. Le ciel se dégage un peu et nous décidons de ne rien changer à notre programme.

Le ValentinNous nous engageons dans le vallon glaciaire du Valentin, au pied du Pic du Ger. Le sentier longe le torrent au milieu d'une forêt humide. De petits champignons blancs à la corolle nacrée translucide poussent sur les troncs moussus. Passé un petit pont, la pente s'accentue et nous grimpons parmi les buissons de myrtilles et de rhododendrons dont certains pieds, très tardifs, portent encore des fleurs.

GouretteAvec l'altitude, la végétation devient plus rase, et je me mets à guetter l'apparition de marmottes dans les chaos de roches. Persuadée qu'elles seraient inutiles, j'ai laissé mes jumelles dans la voiture et elles me manquent. En hauteur sur ma droite, j'aperçois un reste de mur maçonné et des lambeaux de rails légers à écartement faible comme dans les mines. J'ai remarqué dans la forêt un gros câble de métal torsadé qui gisait à terre, et un autre, plus en amont. Je pensais d'abord qu'ils avaient un lien avec la station de ski de Gourette, mais nous sommes sur l'autre versant de la montagne, et pour une mise à la terre, le câble est un peu longuet. En fait, il doit s'agir plutôt de câbles autrefois suspendus entre des pilônes qui servaient à transporter le minerai ou le matériel pour la mine de fer dont nous allons découvrir l'existence près du lac d'Anglas.

Une bruine fine se met à tomber par intermittence : le ciel, un instant dégagé, est de nouveau envahi d'épais nuages qui donnent à notre ascension un intérêt plus sportif que touristique. Nous pensons manger dans la mine, qui en fait débouche sur l'extérieur en plusieurs endroits de la montagne, avec des voies aménagées avec des gros éclats de roche extraits du souterrain où les wagonnets emplis de minerais poursuivaient leur chemin jusqu'à un bâtiment aujourd'hui désaffecté et presque entièrement démoli. En fait, plusieurs groupes de promeneurs sont déjà là. Quelques randonneurs, mouillés pour mouillés, se rhabillent après avoir fait quelques plongeons d'un rocher dans le lac. D'autres déjeunent au seuil du tunnel. Un autre groupe encore se compose d'aveugles ou mal-voyants accompagnés dans leur randonnée par des personnes qui leur prêtent leurs yeux, leur épaule et leur compagnie : quel courage ! C'est déjà dur de marcher en terrain inégal, mais sans y voir, ce doit être effrayant et risqué de ne jamais savoir où l'on va poser le pied.

Les mines métallifères d'Arre et d'Anglas ont fermé en 1886. La vallée a remplacé cette activité par l'exploitation de l'or blanc : Gourette doit son existence au Palois Henri Sallenave qui, dès 1903, y effectua les premières descentes à skis des Pyrénées. Bien que des championnats internationaux s'y déroulent chaque année depuis 1908, la station ne voit le jour qu'en 1930.

La pluie s'arrête et nous déjeunons à l'écart, face au lac glaciaire qui reflète les montagnes alentour et le ciel changeant. Les reflets fugaces parcourent la surface, nous figeant dans une admiration muette. J'aperçois de petits poissons, des truites farios, peut-être, ou des ombles chevaliers dont la présence m'étonne, à une si haute altitude : comment sont-ils arrivés là ? Et comment survivent-ils lorsque le froid hivernal emprisonne les eaux sous une chape de glace et de neige ? En redescendant, nous reprenons une averse qui fait accélérer le pas à l'ensemble du groupe. Enserrés dans la brume, la balade est un peu irréelle, le paysage fantômatique et mouvant perd de sa substance, et l'absence de lumière le teinte en dégradés de gris. Au retour, pour nous ragaillardir, nous nous préparons un bon chocolat chaud au gîte avant de retrouver nos pénates respectives.


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