Que font deux amoureux de balades en montagne qui se rencontrent ? Ils échangent des informations sur des pics dont ils ont aimé l'ascension et le point de vue. C'est ainsi que Denis, lors de notre footing hebdomadaire du samedi matin à Chiberta, nous a parlé du Mendaur. Il doit être visible depuis le quartier de la Z.U.P. à Bayonne, légèrement à gauche de la Rhune et en arrière plan (parce que, depuis le sommet, nous avons vu cet immeuble inesthétique, mais très remarquable). Au point de vue altitude, il mesure 1134m et ne doit donc pas être plus difficile à atteindre que la Rhune.

Il faut avoir la foi pour partir : il a pleuviné tout le samedi et les nuages paraissent indélogeables, immobiles, gris et bas, mais ... la météo a annoncé grand beau temps pour dimanche. Comme cela nous arrange, nous espérons qu'il n'y aura pas de décalage de 24 heures comme cela arrive souvent. A 7 heures, la traînée d'un avion dans le ciel à l'est est rose sur fond bleu. A 8 heures et demie, un épais brouillard s'est abattu sur toute chose, cachant le soleil. "C'est signe de beau temps !", dit Richard qui ne veut pas se laisser décourager pour si peu. Et en fait, il n'a pas tort, sur la jolie route d'Espelette, nous traversons des nappes de brouillard de plus en plus rares et le ciel est totalement dégagé à Dantcharia, où nous avons donné rendez-vous à un autre petit groupe qui va monter avec nous. Après la frontière, mise à part la zone de ventas toujours aussi laide, nous traversons un chapelet de villages superbes, nichés dans la vallée encaissée. La province du Guipuzcoa (San Sebastian) se termine en pointe sur la côte, nous sommes donc en Navarre, qui ne fait pas partie politiquement de la C.A.V. (Comunidad Autonoma Vasca), bien que ce soit une des sept provinces basques (et surtout une des quatre "espagnoles"). Le style des maisons diffère notablement de celui du Labourd (chez nous), quoique les éléments constitutifs en soient les mêmes, grès rose des Pyrénées, crépis blanc, bois apparent et tuiles rouges.

Quelle qu'en soit la taille, il se dégage de ces habitations une impression d'opulence, d'un noble passé, et nous admirons les pierres apparentes, les balcons en bois tourné, les blasons, la peinture blanche immaculée (témoin de l'amour que portent tous les Basques pour leur maison "etche"). Chaque village s'agglomère autour d'une église de grès rose sombre, d'un style gothique sobre, exception faite de la cathédrale d'Elizondo, particulièrement imposante.

Par curiosité, j'ai consulté le site internet de cette grosse bourgade, pour en connaître l'histoire et savoir un peu de quoi vivent les gens dans cette vallée du Baztan (le Baztan est le nom que prend la Bidasoa à sa source). Tout d'abord, l'un des personnages de l'opéra de Carmen se glorifie d'en être originaire :

"Yo, señor, he nacido en Elizondo, en el Valle de Baztán. Me llamo don José Lizarrabengoa. Usted conoce mi tierra lo bastante como para sacar por mi apellido que soy vasco de origen y de sangre, y cristiano viejo. Si antepongo el don a mi nombre no es por presunción ni por antojo, sino por derecho de bien probada hidalguía. En mi casa de Elizondo podríais revisar el pergamino de mi linaje".

(Próspero Merimée, "Carmen", capítulo III).

La première occupation du lieu date du néolithique, et il est encore possible de voir sur les hauteurs de nombreux dolmens. A l'époque romaine, la population commence à se sédentariser au fond de la vallée et il est question d'une voie romaine qui aurait existé, mais les premiers documents datent des alentours de l'an 1000. En 1025 est instaurée la seigneurie du Baztan, et d'après la signification du terme basque Elizondo (près de l'église), des maisons se sont installées autour de l'église en ce lieu qui a acquis ses lettres de noblesse en 1440 (avec un écu dont les signes se retrouvent peut-être sur les blasons sculptés des façades ?). Par l'attribution de ces privilèges, le royaume de Navarre tente ainsi d'asseoir son pouvoir. C'est ainsi que s'édifient de nombreuses maisons de nobles et des palais.

L'élevage est la principale activité depuis toujours, mais les communes, qui possèdent la majeure partie des terres, pratiquent également la culture des céréales, bien que la qualité du sol s'y prête mal, et d'autres cultures vivrières. Une activité artisanale et commerciale contribue à assurer une certaine indépendance et autonomie. Il ne faut pas oublier les fêtes, toujours très nombreuses dans tous les villages basques : fêtes de Saint Jacques (en souvenir du chemin de Saint Jacques de Compostelle, sans doute), baztandarren biltzarra (fête du biltzar - assemblée des communes - du Baztan), hamabi ordu euskaraz (fêtes basques avec diverses activités et du théâtre populaire des rues pendant douze heures), des foires, et, bien sûr le carnaval, toujours très vivant. Enfin, dernier petit détail, mais non des moindres, Elizondo a été le siège, comme tous les villages de la frontière, d'une intense activité de contrebande, particulièrement entre les années 1940 et 1960.

La vallée est éclairée de biais par le soleil levant et je lève la pédale pour passer au ralenti dans les rues étroites pendant que mes passagers s'exclament en regardant de gauche et de droite. Il faudrait s'arrêter pour prendre des photos, mais nous savons que nous avons une longue marche à faire, et la journée est trop courte pour concilier tourisme et sport. Le nez dans la carte achetée par Max, Richard nous achemine sans trop de difficulté au point de départ situé au village d'Ituren (qui n'a pas encore fait son site sur internet mais mérite également le détour). L'ermitage de La Trinidad, juché sur le sommet, ne nous paraît pas si loin que ça, vu d'en bas (nous sommes à environ 200 mètres d'altitude).

Garés sur la placette d'Aurtitz, nous demandons notre chemin et nous engageons à pied sur la piste du Mendaur. D'abord très large, elle se réduit à un sentier dallé qui ressemble à la voie des gentils (voie romaine) que nous avons empruntée pour monter au Gorramendi depuis Eratzu. A la sortie de la forêt, nous arrivons bientôt au petit lac de retenue qui nous intrigue un peu : un barrage oblige les eaux à passer dans une conduite forcée, tuyau noir qui dévale les flans de la montagne jusqu'au village en contrebas ; le niveau, très bas, dénude les rives en cercles concentriques de graviers sans végétation ; de notre côté, un deuxième mur complète l'enceinte, percé d'un déversoir situé très bas : comment est-il possible que les eaux puissent atteindre un niveau apparemment supérieur ? Mystère. La dernière pente devient plus raide, je regrette d'avoir mangé autant de dattes et de pruneaux pendant la pause.

Pendant que les hommes montent en faisant la course (surtout Serge, Jean-Marc, Jean-Luc, Max et Richard), Maïté et moi progressons en lacets tout en faisant plus ample connaissance, encouragées par les deux Jean-Louis qui nous attendent un peu plus haut. Elle me confie son expérience de jeunesse, où elle a été bergère avec son fils de quatre mois, un prématuré qui pleurait souvent. A partir du moment où le bébé s'est retrouvé sur les estives, il s'est calmé. Eveillé dès 5 heures avec les brebis, il prenait son biberon. Puis elle suivait les bêtes dans la journée avec le berger et les chiens, surveillant qu'elles ne dépassent pas la frontière, et les brebis retournaient à la bergerie chaque soir. Les bergers et le bébé se couchaient tôt (pas de télé, ni radio, ni téléphone, et il fallait se lever de bonne heure le lendemain). Le plus dur, me dit-elle, ce fut pour retourner quatre mois plus tard à la civilisation.

Dans le bosquet, nous étions à l'abri et n'avions gardé que le tee-shirt, maintenant que nous sommes en altitude, l'herbe rase ne freine plus le vent qui souffle en rafales glaciales. Nous enfilons pulls, anoraks et même bonnet de ski et saluons nos compagnons qui se gèlent à nous attendre près de l'ermitage balayé par les vents. Un escalier a été construit en pierres plates superposées pour faciliter l'accès des fidèles ; celui-ci s'insère d'abord entre de masses rocheuses de poudingue (galets de rivière cimentés naturellement) puis il devient plus aérien et nous surplombons le vide, sur notre droite. Un autel fleuri occupe un pan de mur, des bancs de bois sont disposés contre les trois autres parois.

La porte ouverte laisse passer un courant d'air réfrigérant et nous préférons nous asseoir à l'extérieur, plein sud, face au panorama superbe des montagnes enneigées à l'horizon. Des vautours planent et s'élèvent jusqu'à notre niveau, et nous pouvons détailler toutes les finesses de couleurs de leur plumage, ainsi que leur économie de mouvement pour profiter des masses d'air ascendantes. Le vent nous fouette un peu, et il faut s'accrocher à nos emballages plastiques pour ne pas polluer le site. Malgré tout, certains s'envolent, arrachés à nos mains. Les maladroits sont hués : nous sommes tous très sourcilleux sur la protection de notre environnement et veillons le plus possible à ne pas laisser de déchets autres que périssables sur nos lieux d'agapes.

Refroidis par notre immobilité, nous redescendons rapidement jusqu'au col et avançons à flan de l'autre montagne (Ekaitza), légèrement moins élevée, pour rejoindre le bord du cirque d'Arana, objet d'une balade ultérieure. Dans une petite mare, Serge, en bon instituteur, repère des amas gélatineux contenant des points noirs caractéristiques : ceux sont des œufs de grenouille. Il en glisse dans une bouteille à l'attention de ses élèves qui auront la joie de découvrir dans l'aquarium de l'école l'éclosion des têtards. De véritables biologistes interviennent chaque semaine dans l'école de la Z.U.P. qu'il dirige pour apprendre aux élèves à mieux connaître leur environnement. Depuis peu, ils bénéficient d'un aquarium d'eau salée et d'un aquarium d'eau douce, d'un microscope et autres instruments d'aide à l'observation, et ils effectuent (ou projettent d'effectuer) des sorties à l'INRA de Saint Pée sur Nivelle où sont étudiés les saumons, au marais d'Orx, et sur une dune de la côte landaise : c'est à donner envie de redevenir un enfant ...

A vouloir à tout prix effectuer une boucle, le trajet s'allonge indéfiniment. Nous quittons le sentier pour couper à travers bois, où nous retrouvons le gazouillement des oiseaux, et nous nous écroulons sur un flan ensoleillé et abrité pour faire une pause qui se transforme en sieste. Nous y gagnons d'ailleurs un bon coup de soleil tandis que Maïté, qui a voulu suivre Jean-Luc pour cesser d'être à la traîne, nous appelle de temps à autre depuis sa position en contrebas, inquiète de ne pas nous voir arriver. Enfin nous nous relevons et rejoignons nos compagnons en glissant (et même chutant à moitié) sur les pentes glaiseuses couvertes de feuilles mortes et de pierres moussues et branlantes. Maïté et moi retrouvons notre place en queue de file, et, passant près d'un terrain dévasté par le feu, elle évoque l'époque (qu'a connu sa mère) où l'écobuage s'effectuait de façon sensée et rationnelle.

Une semaine avant, les vieux du village montaient débroussailler les sentiers, faisant des coupes claires afin que le feu ne se propage pas inconsidérément. Cela se faisait effectivement obligatoirement par vent du sud, qui sèche la broussaille, attise le feu et le fait avancer, mais les éleveurs restaient à côté, à surveiller, contrairement à l'inconscience actuelle, où les incendies sont laissés à eux-mêmes. Peu d'accidents survenaient, sauf parfois, comme pour la personne de 70 ans cette année, quelqu'un surpris par un vent tournant qui rabattait les fumées asphyxiantes vers les hommes. Cet écobuage avait pour but de détruire les ajoncs, buissons épineux qui blessent les bêtes et provoquent des infections, et qui empêchent l'herbe de pousser, détruisant en l'espace de trois mois des pâturages entiers par leur extension accélérée.

Mais il n'était pas question de brûler des chênes comme cela s'est fait à Sare, où un de ses amis y a perdu 15 ans de travail. Les hommes d'aujourd'hui oublient de préserver leur patrimoine naturel, et perdent les coutumes anciennes qui permettaient de garder un équilibre entre une activité humaine, l'élevage, et la conservation de la montagne, avec ses forêts et la mince pellicule de terre végétale si sensible à l'action de l'érosion.

Après une bonne bière dans le bar du village, nous nous séparons. Une voiture reprend le chemin de Dantcharia et la nôtre bifurque vers Vera de Bidasoa et Irun (contre ma volonté, bien que je sois au volant, car Richard profite - avec l'assentiment muet de Max et des deux Jean-Louis- de mon manque de sens de l'orientation pour m'indiquer une voie plus directe : je m'aperçois trop tard de mon erreur et fais contre mauvaise fortune bon cœur - de toute façon, il est déjà très tard, il faut rentrer, mais ... je reviendrai, promis !).

 

 

 

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