Jean-Louis en pleine action sur la paroi de BidarrayCe dimanche 6 octobre 2002, c'est la diaspora. Michèle, fatiguée par son angine, se repose à la maison. Jean-Louis B., très féru de course à pied, participe aux 15 km des plages d'Anglet à partir des Sables d'Or. Richard profite des derniers jours de beau temps chaud pour aller à la plage. Christine et Jeannot vont à la Cita, le festival du film sud-américain. Jean-Louis, Max, Cédric et Jonathan vont découvrir les voies d'escalade nouvellement ouvertes sur la falaise du Bastan, près de Bidarray tandis que John et Nico restent dans leur maison respective pour faire leurs devoirs de classe.

Pendant ce temps, Alida, Marie-Ch', Elisabeth et moi prenons part à une manifestation originale. Les libraires et disquaires indépendants de Bayonne (surtout ceux de La Rue en Pente) ont organisé une randonnée au Mondarrain, assortie d'un pique-nique, qui sera animée par des écrivains et un musicien, et se clôturera par une séance de dégustation à Itxassou : joli programme ! Deux départs sont proposés : le premier à 10 heures, pour les plus sportifs, avec 2 bonnes heures de marche à la clé (pour l'aller simple), et le deuxième à 11 heures, pour 40 minutes de marche seulement.

Bien sûr, nous choisissons la plus longue marche, et tâchons d'arriver à peu près à l'heure au rendez-vous (ce n'est pas moi qui organise, alors on ne va pas nous attendre !). Pour une fois, nous ne sommes pas en convoi. C'est là que je m'aperçois que j'ai pris la douce habitude de me laisser diriger. J'ai honte à le dire, mais j'hésite toujours sur les routes à prendre pour me rendre quelque part en dehors du BAB. Heureusement, mes compagnes m'aident : route de Cambo, à droite à Itxassou, mince, au rond-point, je n'ai pas tourné au bon endroit, où il est, ce fronton ? Enfin, nous voyons un attroupement, trouvons à nous garer un peu plus loin, et, après avoir endossé nos sacs et chaussé les souliers de montagne, nous nous apercevons que tout le monde est déjà parti ! Où ça ? Où sont-ils ? Un des libraires, resté sur place pour s'occuper du deuxième groupe, nous renseigne : ils ne sont pas loin, c'est par là !

JonathanMoi qui avais promis à Elisabeth une marche tranquille, en lui disant que ces intellectuels ne devaient pas être très sportifs, nous voilà en train d'avancer au pas de charge pour les rattraper. Heureusement que ça descend ! Le temps est superbe, mais le fond de l'air est frais à cette heure pas si matinale. A la sortie du village, les vaches s'approchent des barbelés, étonnées de cette troupe nombreuse. Nous prenons le temps d'admirer la nature, le paysage, les maisons soignées entourées de jardins fleuris, la montagne proche partiellement occultée par la première colline. Un gros lièvre détale dans le pré voisin. C'est nous qui l'avons ainsi effrayé ? Non, voilà deux chiens de chasse qui aboient à tue-tête et courent en zigzag, le nez au ras du sol. C'est vrai, c'est la saison de la chasse. Ils exagèrent, il y a des maisons partout, et nous qui nous promenions tranquilles, ils vont tuer quelqu'un !

Max, Jean-Louis et JonathanNous descendons jusqu'au ruisseau, enjambé par un ancien moulin réaménagé en petite villa adorable, et ensuite, il faut bien commencer à monter. Chemin faisant, je m'aperçois que je suis en pays connu : une ancienne adhérente de la société d'astronomie est là, ainsi que Françoise, une enseignante d'anglais qui organise périodiquement des réunions pour favoriser la pratique de la langue auxquelles je participe parfois. A l'heure du pique-nique, je retrouve Philippe, membre également de la société d'astronomie, accompagné de sa femme, Véro, bibliothécaire à Anglet et de ses deux filles. Je reconnais aussi une institutrice de l'école primaire Evariste Galois où sont passés tous mes enfants, et un couple de voisins qui habitent un peu plus bas, dans la même rue ! Enfin, je verrai à l'heure de la dégustation Christian Lamoure, ce jeune professeur de philosophie du lycée de Saint Jean de Luz qui nous a enchantés six mois durant, de janvier à juin 2002, à nous lire des extraits de livres de philosophes contemporains en nous donnant l'impression que nous étions intelligents. Le monde est petit...

CédricLes libraires ménagent de petites haltes en cours de route au cours desquelles ils tâchent de présenter les gens les uns aux autres. J'aperçois Françoise Daugey, la jeune femme qui sera notre "dégustatrice" de vin d'Irouléguy (attention, pas oenologue !) en fin de journée. A bavarder avec les unes et les autres, j'ai perdu mes compagnes. Nous nous retrouvons à l'orée du bois de hêtres qui ceint le sommet rocheux du Mondarrain. Aujourd'hui, nous n'irons pas plus haut. Chacun s'installe au plus près des écrivains qui lisent à tour de rôle des extraits de leurs livres : poésie, portraits, scènes de la vie courante, les styles sont variés, et il est plaisant d'entendre la voix et le ton de celui-là même qui en est l'auteur.

Jean-Louis et Richard, venu un moment avant d'aller à la plageOlivier Deck commence par la lecture d'un extrait des "Mémoires d'un arbre", éd. du Cherche Midi, de Carole Zalberg, qui n'a pas pu venir parce qu'un de ses trois enfants a été hospitalisé. Il poursuit par un extrait des "Chopines", éd. du Rocher, qu'il lit avec plus d'aisance car il s'agit de l'une de ses propres oeuvres. Son oeil brille, son texte humoristique est mis en valeur par sa diction claire et sa voix chaude. Il nous fait le portrait d'un personnage haut en couleur et la chute de l'histoire provoque les applaudissements de l'assemblée. Didier Bourda prend la suite avec une poésie extraite de "Y ou le chemin des lettres". Plus intimidé par le grand nombre des auditeurs, il murmure un texte difficile qui gagne à être lu dans l'intimité d'un espace clos. Jean-Pierre Delbouys, proviseur du lycée Paul Bert à Bayonne, nous ouvre son coeur et fait un retour sur son enfance et le regard qu'il portait sur son grand-père en lisant son livre "Siempre", éd. Milan. J'aime sa description très chaleureuse et précise : il a l'aspect d'un bon vivant, mais son écriture trahit une grande sensibilité. Jésus Aured clôt la séance par quelques morceaux joués à l'accordéon dans un style très personnel. Je l'avais déjà entendu faire des improvisations à la Luna Negra, en intermèdes de contes russes, et j'avais déjà noté sa grande originalité dans le toucher du clavier et surtout le maniement du soufflet, ainsi que son goût pour des notes tenues incongrues.

MaxC'est l'heure du pique-nique. Les enfants ont déjà craqué depuis un moment, troublant un peu l'audition des livres par l'ouverture intempestive des sacs à dos et des sachets. Maintenant, les bavardages sont permis et chacun se regroupe par affinité. Je reste non loin des écrivains, une oreille parfois attentive à leur conversation. Olivier Deck parle de pomme de terre : il vante les qualités de l'"Institut de Beauvais", patate peu esthétique mais au goût incomparable sans laquelle la garbure ne serait pas ce qu'elle est, et dont je retrouverai la tirade originale en page 66 de "Cancans", le livre qu'il me dédicacera en fin de journée. Visiblement, il adore manger et ne doit pas dédaigner mettre la main à la pâte car son livre est émaillé de recettes à l'ancienne et contient la description dithyrambique d'un marché de village. Tout comme Jean-Pierre Delbouys, avec lequel il semble avoir des atomes crochus, il a la nostalgie d'un certain art de vivre, où les gens prenaient leur temps et utilisaient les produits du terroir frais, cultivés sans artifice, vivaient en petites communautés et élevaient les animaux en les nourrissant sainement.

Le petit Sammy en perditionEn redescendant, je fais connaissance avec la "chef" de Véro, bibliothécaire d'Anglet qui est venue en compagnie de la bibliothécaire de l'université de Bayonne. Elle me parle avec enthousiasme de ses voyages dans le désert du Sahara qu'elle parcourt en compagnie d'un bédouin marié avec une Française, qui vit à Paris et organise des séjours à la carte. Je prends note car cela fait des années que nous rêvons d'en faire autant. Elle me dit le plaisir de dormir à la belle étoile, sur un matelas fin et dans un sac de couchage, avec le ciel immense au-dessus de soi, la vision des étendues désertes à l'infini, la variété des paysages, les dunes, les canyons creusés par des rivières aujourd'hui asséchées, les oasis, la montagne qui recèle des peintures rupestres datant de l'époque révolue où le désert était vert...

Sammy suspendu à la paroiPrises dans notre conversation, nous nous sommes un peu égarées et rebroussons chemin pour reprendre le sentier en traversant des buissons d'ajoncs piquants. Pour varier, nous faisons le tour de la colline sur la gauche, au lieu de repiquer directement à droite comme à l'aller. La balade sera plus longue, mais ça change un peu, ainsi, nous faisons une boucle. Arrivées à la salle municipale Sanoki à Itxassou, nous nous comptons : il manque Elisabeth et Françoise ! Nous faisons quelques va-et-vient à leur recherche, mais elles sont invisibles. En fait, prises elles aussi dans leur conversation, elles se sont un peu perdues, sont montées au lieu de descendre (!), et comme elles marchent toutes deux d'un pas de sénateur, elles étaient loin derrière tout le monde et sans point de repère, et nous n'aurons le soulagement de les voir entrer dans la salle qu'à mi-dégustation.

CédricAh ! Cette dégustation ! J'adore Françoise Daugey : le visage extrêmement expressif, les yeux grand ouverts dans un petit visage, elle nous fait un petit discours pour nous instruire dans l'art d'apprécier le vin. Bien sûr, elle a choisi le vin local d'Irouléguy. Les bouteilles de blanc et de rouge s'alignent sur la longue table rectangulaire à laquelle elle siège. En premier lieu, il faut un certain recueillement, de la concentration et du silence : le brouhaha s'estompe. Le verre doit être tenu de préférence par le pied, sinon le liquide précieux s'échauffe au contact de la main. Il ne faut pas secouer le vin et en inspirer l'odeur qui s'en dégage : c'est le premier nez. Puis faire tourner légèrement le vin dans son verre et sentir de nouveau : c'est le second nez. Enfin, l'agiter davantage afin d'en extraire les senteurs cachées révélées par le mouvement et le contact de l'air et inspirer une troisième fois. Ce n'est qu'après ce cérémonial que nous sommes invités à goûter le nectar en le gardant un moment en bouche pour y retrouver les saveurs découvertes par nos sens olfactifs. Attention, défense de cracher sur le carrelage clair de la salle de Monsieur le Maire ici présent (qui a fait l'ascension avec nous) !

Anna : descente en rappelChacun est invité à dire ce qu'il ressent, à qualifier le breuvage et en distinguer les composants, épices, acidité, fruits. Du rouge, elle dit qu'il est "animal" (moi, je pensais dans mon for intérieur, "râpeux" et lourd, mais je n'ai rien osé dire). Evidemment, elle ne va pas médire, et tous ses qualificatifs sont positifs et très imagés. Elle félicite ceux qui prennent la parole et abonde dans leur sens. Nous avons tous trouvé un siège et nous goûtons avec application. Ce n'est pas tous les jours que l'on a un cours en la matière ! Au sujet du vin blanc, je regrette qu'il ne soit pas accompagné d'huîtres du Bistrot de l'huître à Biarritz, quant au vin rouge, j'aurais aimé être attablée devant un bon plat de cèpes à l'ail et au persil, suivi d'une côte de boeuf bien saignante, comme à Laruns l'autre jour. Déguster sans victuaille autre que des petits morceaux de pain de campagne et sans les plaisanteries échangées par un bon groupe d'amis, c'est un peu triste. Nous partons avant la fin, pour ne pas risquer de rougir le ballon à un contrôle éventuel de police, chargées de nos livres dédicacés et enchantées de notre journée.