La Rhune

 

Jean-Louis C. a depuis longtemps envie de remonter sur la Rhune. Nous profitons de cette belle journée du premier dimanche du mois de décembre pour partir en excursion. Jean-Louis B., qui n'a pas envie de pique-niquer, propose que nous mangions à la Venta Yasola où je réserve des places à l'intérieur de la cabane pour une dizaine de personnes. Sylvie et ses enfants Diana et Julien, ainsi que Féridoun, se décident au dernier moment et nous partons avec plus d'une demi-heure de retard sur l'horaire prévu. L'automne a enfin paré la montagne de ses couleurs rousses, le temps est clair, nous voyons toute la côte de Bayonne à Fontarrabie et la Nivelle qui serpente à nos pieds. La route est superbe, par Arbonne et Saint Pée sur Nivelle et nous atteignons Sare sans encombre. Jean-Louis B. hésite un peu pour retrouver le départ du G.R.10, qui n'est pas évident, dans une impasse bordée de villas et de fermes. Nous nous garons dans un chemin privé et commençons la montée vers une crête intermédiaire qui précède la Rhune proprement dite. Nous nous déshabillons au fur et à mesure, échauffés par l'effort, mais dans les pentes supérieures le vent se lève, petite bise fraîche qui nous oblige à nous recouvrir.

 

Max, Féridoun et Jean-Louis C. avancent rapidement, mais doivent faire des pauses de temps à autre pour attendre le reste du petit groupe. Il doit rester 150 ou 200 mètres de dénivelée pour atteindre le sommet, mais l'heure avance. J'ai réservé pour une heure-une heure trente le repas, et il faut compter une bonne heure pour atteindre notre destination. Max propose de couper à l'horizontale et tous se rallient à son avis sans protester, mais en insistant bien qu'aucun d'entre eux n'avait réclamé de raccourci ! Qu'il en prenne la responsabilité ! Il fait bien. En fait, ce n'est pas si évident que cela de retrouver la venta, et nous marchons au jugé, à la suite de Jean-Louis B. et de Max qui essaient d'évaluer l'altitude de la venta et sa position sur les flans de la Rhune pour ne pas la manquer. En cours de route, ils demandent leur chemin : nous sommes dans la bonne direction, mais elle est encore loin. Finalement, nous l'atteignons à deux heures passées. Là, c'est le coup de feu : il y a un monde fou, réparti entre l'intérieur de la cabane et l'extérieur bâché pour se protéger des intempéries. Cette venta, à une heure et demie de marche de la route d'Ascain-Ibardin, reste ouverte toute l'année, tous les jours en été et les week-ends et mercredi le reste du temps. Les clients sont en majorité espagnols aujourd'hui. Il nous faut attendre un bon moment avant que l'unique serveuse puisse nous apporter le plat de pois chiches que j'ai commandé, précédé de soupe ou crudités, et remplacé par des frites-omelettes pour les enfants et Elisabeth. Je me fais attraper par la propriétaire.

 

Evidemment, j'ai réservé pour dix et nous ne sommes que cinq à manger ce qui était convenu. Sylvie ne risque pas de manger un plat où figure de la viande et nous fait un cours de diététique très controversé au cours du repas. "Vous n'avez qu'à sentir vos selles !", dit-elle, "si elles sont malodorantes, c'est que vous mangez des aliments qui ne vous conviennent pas. De quelle forme est votre estomac ? Allongée ? Oui, eh bien, cela signifie que nous avons un système digestif plus semblable à celui des herbivores, que des carnivores, car ces derniers ont un estomac rond, de façon à ce que les viandes qu'ils ingèrent y séjournent le moins possible !" Ensuite, elle nous parle des méfaits du lait de vache et termine par la recette des pois cassés. Il ne faut pas croire, c'est instructif, les marches en montagne... Comble de tout, il paraît que nous sommes en pleine saison du cochon et, depuis plusieurs semaines, elle doit supporter depuis son appartement de Larressore les cris qui s'échappent à tour de rôle des trois fermes alentour ! Elle nous explique que les paysans ont un long bâton terminé par un anneau en fil de fer qu'ils passent dans le groin hyper-sensible des pauvres bêtes. A chaque fois qu'elles bougent, elles hurlent. Les cochons crient même de peur, avant d'être pris. Alors, quand le couteau commence à faire son oeuvre, c'est l'horreur. Le sang jaillit à flot, dont une partie est bouillie et l'autre brûlée. Inutile de dire que le jambon ne l'inspire pas beaucoup en ce moment. Enfin, toutes ces descriptions ne nous coupent pas l'appétit, creusé par la marche et le bon air, et nous clôturons notre repas par la dégustation d'un très bon gâteau que Sylvie a préparé et emporté dans son sac pour le groupe.

 

Après quoi, nous nous scindons en deux : Elisabeth, Sylvie et les enfants gagnent le bar sur la route d'Ascain-Ibardin, tandis que nous repartons au pas de course pour récupérer les voitures avant la nuit. Au passage, nous examinons un phénomène curieux : il semble que des portions entières de forêts soient en train de dépérir. Le sol est tapissé des toutes petites aiguilles de conifères, sans doute des mélèzes, qui roussissent et perdent leur parure comme des arbres à feuilles caduques. Si c'était normal, toute la forêt en ferait autant, mais les arbres un peu plus loin restent verts. Ils sont peut-être atteints d'une maladie ? C'est curieux que l'on continue à pratiquer la monoculture alors qu'on en connaît les inconvénients. Je pense que si l'on plantait des essences variés, les maladies auraient plus de difficultés à se propager, sans parler même parler d'esthétique et d'hébergement d'une faune multiple. Les conifères ont en plus la fâcheuse tendance à acidifier les sols, ce qui tue beaucoup de plantes et affecte la qualité des eaux, je crois. Max est content : au retour, il se repère plus facilement et nous coupons au plus court, repérant au passage le col des Trois Fontaines où le sol est parcouru de multiples ruisseaux et transformé partiellement en marécages.

 

Le ciel s'obscurcit de minute en minute. D'abord plongés dans une douce ambiance dorée, puis rose, nous commençons à avoir l'impression que nos yeux y voient mal. Dans le ciel éblouissant, les petits nuages blancs prennent des couleurs rosées, puis rouges, puis grises, le bleu devient blanc, puis terne et sombre, tandis que nous distinguons de plus en plus difficilement les cailloux sous nos pieds. Les deux Jean-Louis et Max courent en descendant, et rient de plaisir, tandis que Féridoun et moi marchons d'un pas plus posé. Le vent s'est calmé. Il n'y a plus un bruit. Les odeurs s'exacerbent lorsque nous passons dans un sentier creusé entre deux haies. La nuit tombe, et les lumières sur la Rhune et dans Sare s'allument : Ouf ! Il était temps ! L'ascension de la Rhune, ce sera pour une autre fois, lorsque les journées auront de nouveau allongé et que nous aurons prévu un pique-nique dans nos sacs à dos, pour ne pas faire de halte trop longue. Et nous pourrons reprendre ce sentier balisé de deux traits orange et bleu, parce qu'il offre des paysages très variés et des points de vue superbes sur la côte et la plaine. Le GR10 passe dans le sillon entre la Rhune et la crête antérieure, c'est moins intéressant. Le seul petit bémol aura été l'odeur de bitume qui émane des rails du petit train à crémaillère, que nous longeons sur une petite distance, mais ce n'est pas trop grave et ne dure pas très longtemps.

 

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