Le
village de Zugarramurdi est apprécié à plus d'un titre.
Situé sur le versant espagnol des Pyrénées à quelques
kilomètres du village-frontière de Dancharia, il forme un triangle
équilatéral avec Aïnhoa et Sare, et attire de nombreux
visiteurs à plusieurs périodes de l'année. Mon fils aîné
Sylvain s'y rend pour écouter des concerts donnés dans l'enceinte
de l'immense grotte Akelarrenlezea (la grotte des sorcières), creusée
par l'"Infernuko Errea" (le Ruisseau de l'Enfer), qui est située
à quelques 500 mètres seulement du centre du village. Le carnaval
y est organisé avec faste et le premier jour de l'été
est célébrée la fête des sorcières.
Aujourd'hui,
les nombreux restaurants proposent aux convives une carte fournie à
laquelle s'ajoutent des mets de saison tels que la palombe ou le cèpe.
Nous avons réservé des tables pour 2 heures.
Devant
l'entrée se tient un grand groupe de femmes et d'hommes de tous âges
uniformément vêtus de tee-shirts jaune vif arborant un emblème
que je ne reconnais pas. L'un joue de l'accordéon, l'autre du tambourin,
ils tiennent un verre d'apéritif à la main et bavardent les
uns avec les autres. Des hommes âgés lèvent les bras en
l'air et se mettent à danser spontanément le fandango en formant
un cercle. Je m'informe auprès d'une jeune femme du groupe. Il s'agit
des membres de l'association d'Orio qui pratiquent la traînière
(cette grande barque qu'utilisaient les pêcheurs pour chasser la baleine)
: je me souviens maintenant, nous avons assisté à deux reprises
aux courses de traînières dans la baie de Saint Sébastien
et il y en a eu également dans la baie de Saint Jean de Luz. Chaque
village a ses couleurs et le jaune bouton d'or est celle d'Orio.
On
nous installe à l'intérieur, tout au fond, au calme, dans une
salle ornée avec goût d'instruments agricoles anciens et de maquettes
de bateau. Des peintures modernes égaient les murs de crépis
blanc. Au fond, un vieux portail de bois prolonge un muret bas qui devait
séparer les animaux. Je pense que nous sommes dans l'ancienne étable
ou dans la porcherie... Il n'était pas possible de commander à
l'avance un menu. Nous attendons près d'une heure notre repas alors
que nous sommes arrivés quasiment morts de faim ! Nous en profitons
pour regarder les photos de la balade sur le petit écran et faisons
des projets pour les week-ends à venir.
La
région est habitée depuis la préhistoire, comme en atteste
la grotte d'Ikaburu, près d'Urdax (Urdazubi), qui contient des traces
d'occupation magdalénienne (céramiques et pierres à feu).
A partir du IXème siècle, un monastère est fondé
à Urdax, qui sera à l'origine de l'apparition des villages de
Zugarramurdi et d'Aïnhoa. Ces maisons d'architecture typiquement navarraise
sont un indice de la forte personnalité de ses habitants qui se plaisent
à conter cet épisode dramatique de l'Inquisition où Don
Juan del Valle Alvarado, du tribunal de Logroño, effectua une "chasse
aux sorcières" qui se conclut par la mort sur le bûcher
de plusieurs villageois. C'était en 1610. C'était hier. Aujourd'hui,
les trois villages de Sare, Urdax et Zugarramurdi viennent de créer
le micro-territoire de Xareta, dont la devise est la suivante: « La
même culture, un seul et même peuple ».
Nos
palombes arrivent enfin dans nos assiettes, ou plus exactement nos demi-palombes
car, afin de les déguster bien chaudes, elles sont apportées
en deux fois. La peau en est brune et croustillante, tandis que la chair est
carrément saignante (et même sanguinolente près des os)
: nous sommes étonnés, mais affamés, et mangeons sans
protester. Rose part en cuisine pour demander que le plat suivant soit plus
cuit, mais cela donne peu de résultat. Christine renvoie son assiette
pour être enfournée un peu plus, sans changement évident.
A mon avis, le four est trop chaud, la cuisson pas assez longue, et sans doute
les convives trop nombreux pour la capacité de la cuisine... à
moins que ce ne soit véritablement délibéré. En
tout cas, nous ne trouverons pas de plomb perdu dans la chair, ni de différence
manifeste de goût par rapport aux délicieux pigeons élevés
par Archange, ma belle-mère. Je ne suis pas sûre que nous ayons
véritablement mangé du gibier.
Les
cèpes sont délicieux (moitié conserve et moitié
frais) et les raisins secs revenus dans le jus de viande avec de la crème
de pruneaux une bonne idée à retenir comme accompagnement de
viande. Pour faire bonne mesure, Pierre, Jean-Louis, Max et Jeannot se partagent
une côte de boeuf, parfaitement délicieuse (et saignante elle
aussi, mais là, c'est normal). Enfin, nous clôturons ce repas
par de la mamia, caillé de brebis au curieux goût de fumé.
Cela fait des années que j'en mange et c'est la première fois
que je le vois préparé ainsi. Jeannot, qui lit beaucoup, nous
donne l'explication : un fer chauffé au rouge a été plongé
dans le lait. La serveuse ajoute qu'il s'agit d'une pratique très ancienne.
Autrefois (depuis la préhistoire, dit-elle), les pierres du foyer étaient
plongées dans le lait pour le stériliser. Cela parfume curieusement
le caillé qui semble avoir été préparé
au bord de la cheminée.
Il
est pratiquement 5 heures de l'après-midi lorsque nous terminons le
café. Pierre et Rose rentrent à la maison avec tous les vélos
tandis que Jeannot et Christine nous remontent au col des Veaux (qui doit
probablement son appellation à la pratique très répandue
pendant des siècles de la contrebande). Les chasseurs sont partis.
La brume a envahi l'horizon, comme toujours en fin de journée, et les
ombres des montagnes s'allongent. Les vautours planent haut dans le ciel toujours
limpide. Nous remettons de l'eau dans le réservoir du moteur et notre
voiture démarre sans problème. Le retour, en ligne directe,
est plus court que l'aller, et nous retrouvons les enfants qui nous content
les péripéties de la journée : Sylvain a reçu
la vitre du four sur le pied, Cédric a brûlé un couvercle
de plastique dans le micro-ondes, et Nicolas s'est mué en banquier
familial pour faire un Mac-drive... Il n'y a pas que nous qui vivons des aventures
!