Après
avoir entraîné ma soeur Caroline en Aragon, c'est maintenant
ma soeur Sophie qui entre dans notre groupe de randonnées avec son
mari Charles et sa fille Agnès qui a déjà participé
à la balade aux gorges d'Olzarte il y a une quinzaine de jours. Tous
trois ont déjà lié connaissance avec quelques participants
lors d'une partie de pétanque organisée dans la semaine par
Richard. Agnès s'était jointe au groupe des enfants, Charles
faisait équipe avec David, de même gabarit, et il a fait montre
de ses talents de tireur en accomplissant quelques "carreaux"
mémorables. Quant à Sophie, elle a fait perdre Richard, son
ancien camarade de classe de lycée avec lequel elle a échangé
quelques souvenirs...
Richard
a choisi l'Autza pour la fraîcheur qu'apporte l'ombre des grands hêtres
moussus tout au long du chemin (sauf dans le dernier "rampaillon"
qui mène au sommet), appréciable en ces jours de grande canicule.
On peut même parler de sécheresse : nous n'avons jamais vu
le Pays Basque dans une telle désolation.
Dans
les prés et sur le chemin, l'herbe est jaune pâle, sèche
et cassante, plaquée sur la terre dure, et glissante sous la semelle
de nos chaussures de marche pourtant crantée ; la fougère
arbore déjà des couleurs automnales, et flamboie par endroits
de couleurs dégradées du jaune au roux puis au brun, alors
qu'elle garde dans des prés mieux irrigués une profonde couleur
verte. D'ordinaire, l'eau sourd de toute part et la montagne semble une
éponge dont s'écoule le trop plein par tous les pores. Aujourd'hui,
les ruisseaux sont à sec. Seules quelques résurgences réussissent
à préserver un faible débit et les flaques d'eau stagnante
trop chaude hébergent encore quelques têtards qui devraient
activer leur métamorphose en grenouille avant l'assèchement
inéluctable sous peine de mourir.
Les
juments accompagnées de leurs poulains de l'année courent
dans le vallon se désaltérer. Malgré des passages nuageux
et une brume de chaleur qui estompe l'horizon, la lumière est éblouissante,
chapeau et lunettes de soleil sont conseillés pour ne pas risquer
l'insolation.
A
propos de cours d'eau, j'intègre ici une interrogation, trouvée
sur internet, à propos des sources du Baztan qui devient en aval
la Bidassoa, rivière-frontière dont l'embouchure est dans
la baie de Txingudi, entre Hendaye, Irun et Fontarabie.
"... ¿Dónde nace el Bidasoa? ¿Será en la regata Aranea, ésta que arranca en el col Izpegi? ¿Será en la regata de Gorostapalo, aquella que arranca de las laderas meridionales del Autza? ¿ Será la regata de Amaiur? ¿La de Beartzun? Todas ellas forman el río Baztan. Luego, aguas abajo, ese río se llamará Bidasoa ..."
Luis Pedro PEÑA SANTIAGO.
-
Traduction : Où naît la Bidassoa ? Est-ce l'Aranea qui prend
sa source au col d'Izpeguy, ou bien le Gorostapalo qui dévale les
flans méridionaux de l'Autza, ou bien les ruisseaux d'Amaiur, ou
de Beartzun ? Tous ces cours d'eau convergent pour former le Baztan qui
s'appellera en aval la Bidassoa. -
Agnès
est un peu déçue de ne pas voir les jumeaux Julien et Jérémy
qui ont refusé de venir. Jonathan et Florian, ses cousins, font respectivement
du catamaran et de la planche à voile à Socoa, de même
qu'Anna B. dont elle a fait la connaissance à sa précédente
balade.
Xavier,
le filleul de Christine, est un peu âgé pour s'intéresser
à elle et il marche à grand pas, très content de découvrir
la montagne, bien qu'il soit un peu handicapé par des chaussures
trop petites qui lui occasionneront une vilaine ampoule et l'empêcheront
de pouvoir nous suivre jusqu'au sommet. Sophie adore l'équitation
et pratique régulièrement le saut d'obstacle (elle s'est cassé
la jambe lors d'une chute malencontreuse il y a quelques mois, mais cela
ne l'a pas empêchée de reprendre de plus belle). Alors, bien
sûr, les pottoks l'attirent irrésistiblement et elle tente
de les approcher. Trop sauvages, ils n'accepteront cependant pas de se laisser
caresser.
Cette
balade s'est faite en deux temps. Nous avons garé nos voitures à
la venta du col d'Ispeguy (672 m), après avoir pris une route sur
la droite qui longe la superbe église de Saint Etienne de Baïgorry.
Nous avons marché sur un sentier balisé de deux traits jaune
et vert jusqu'au col d'Elhorrieta (831 m) où nous avons observé
les cromlechs (il y en a 12 en tout, disséminés sur un grand
espace, cercles de pierres de différentes tailles érigés
par des hommes préhistoriques entre les deux vallées du Baztan
et de Baïgorry). Ils étaient plus visibles cet hiver, lorsque
les fougères fanées étaient aplaties et que la neige
envahissait le paysage.
Nous
avons pique-niqué, Sophie, Charles et Agnès sont redescendus
seuls à leur voiture pour se rendre dans les Landes en milieu d'après-midi,
quelques-uns se sont installés pour faire la sieste tandis que Max,
Yann, Richard, Christine et moi montions au sommet de l'Autza (1306 m).
Xavier nous a accompagnés un moment puis a déclaré
forfait, à cause de ses mauvaises chaussures. Il m'a amusée
: nous nous étions tous installés pour nous reposer un moment
et il trouvait que, décidément, ce sol inégal, en pente,
parsemé de crottes de moutons, de racines et d'herbes rêches,
était par trop inconfortable. Il grimpa dans le grand hêtre
qui nous ombrageait. Assis un moment à califourchon sur une grosse
branche, coincé contre le tronc, il faisait mine d'être très
bien, puis il sauta brusquement et nous avoua que, finalement, ce n'était
pas si génial que ça. Nous lui avons montré d'autres
branches, un peu plus haut, horizontales et surplombant la pente raide,
sur lesquelles nous l'aurions bien imaginé s'étaler comme
une panthère, pattes pendantes et museau allongé... Il n'a
pas essayé.
J'ai
toujours un regret, lorsque je me remémore des balades. Autant il
est facile de regarder les photos, bien qu'elles ne rendent que très
imparfaitement la qualité de la lumière, la profondeur du
paysage et ce que l'oeil nous a transmis, autant il est également
possible de rapporter quelques anecdotes, se souvenir des circonstances
et se renseigner sur l'histoire de l'endroit, autant les sensations éprouvées
sur le plan auditif et olfactif (et même tactile) sont parfaitement
intraduisibles.
Elles
comptent cependant pour une part énorme dans le plaisir éprouvé.
Par exemple, lorsque je me suis laissée distancer au retour, je trottinais
puis m'arrêtais pour photographier et reprenais ma course pour rejoindre
les autres. C'est alors que j'ai remarqué un bruit curieux qui montait
de la vallée, comme celui d'une cascade fantôme. Petit à
petit, le son se rapprocha et je sentis sur ma peau le souffle d'une brise
tandis que les feuilles des hêtres alentour se mettaient à
frémir et à bruire. C'était le vent engendré
par la différence de température entre val et mont.
A
l'aller, alors que le sol paraissait totalement desséché,
une odeur de cèpe m'a assaillie, très forte et persistante.
Je traversais justement un endroit boueux, unique vestige d'un ruisseau
qui traversait le sentier il y a de nombreuses semaines. J'ai regardé
autour de moi, cherchant les champignons, et j'ai hélé Max,
beaucoup plus habile que moi pour les trouver. Il n'a pas fait demi-tour
et je n'ai rien vu.
Nous
marchions à flan de coteau. C'était assez curieux. Par moment,
l'air immobile nous imprégnait de sa chaleur lourde et nous sentions
la sueur goutter entre les cheveux et imprégner le chapeau de toile,
dégouliner du visage, piquer les yeux échauffés derrière
les lunettes qui confinaient l'air et tremper nos vêtements légers,
formant une plaque humide sous le sac à dos. De temps en temps, nous
sentions une démangeaison, causée autant par la transpiration
que par les insectes qui se collaient à nous, attirés par
la moiteur, et les piqûres de moustiques (femelles paraît-il).
Seule Christine jubilait, fière de ses nouvelles acquisitions d'un
tee-shirt et d'un short en tissu hydrophobe (qui ne retient pas l'eau),
récente innovation des industriels des loisirs sportifs : ses vêtements
demeuraient quasiment secs ou, en tout cas, séchaient très
rapidement dès qu'elle transpirait moins.
Puis,
au détour du chemin, une brise se levait, tiède mais rafraîchissante,
et nous marchions d'un pas plus léger, l'oeil de nouveau curieux
du paysage. Nous avons bu des litres d'eau. La conséquence, c'est
que notre charge s'allégeait au fur et à mesure, en même
temps que notre peine à la transporter. Il nous a semblé croiser
un jeune qui ne devait pas être loin de l'insolation : il ne portait
pas de sac et ses parents ne semblaient pas l'hydrater assez. Le pas hésitant,
boîtant presque, paraissant avancer à l'aveugle, il s'est presque
laissé choir un peu plus bas, épuisé, lorsque ses parents
se sont arrêtés.
Pour
l'ascension de l'Autza, les hommes nous ont rapidement distancées,
Christine et moi, pensant, pour se donner bonne conscience, que je me souviendrais
bien de la route à suivre puisque j'étais déjà
venue plusieurs fois. Peu importe, nous avons marché à notre
rythme, et je racontais à Christine mes souvenirs de cet hiver, où
nous progressions dans la neige et le vent, la cime cachée dans un
épais nuage.
Je
reconnaissais l'endroit où nous avions déjeuné, debout
ou à peine posés sur des troncs renversés couverts
de neige, la sente le long des barbelés où les pieds s'enfonçaient
avec la neige qui gouttait à l'intérieur des chaussures, trempant
les chaussettes, le pied de l'Harrigorri (la montagne rouge), où
nous avons eu si froid que nous avons décidé de rebrousser
chemin. Cela semble irréel aujourd'hui.
Je
fais halte au même endroit et repère la silhouette reconnaissable
d'un vautour en haut du rocher. Il se tourne, inquiet, et s'agite : notre
proximité le dérange. Le temps de trois photos, et il s'envole,
majestueux. Je me remémore également notre première
ascension où David (le partenaire de Charles à la pétanque),
trop bien nourri par l'omelette espagnole de Carmen et pressé de
nous rejoindre, avait été brutalement saisi d'une crise d'asthme,
étouffement caractéristique suite à un effort trop
brusque. Il avait dû redescendre au pas de sénateur pour rejoindre
le groupe "sieste".
Bien
plus haut, nous progressons sur la pente herbeuse où Xavier L. (qui
n'est plus revenu en montagne avec nous depuis ce jour) a été
pris de vertige. Christine le connaît bien : il s'agit de son plus
proche voisin. Deux amis l'ont encadré (Richard et Max, je crois),
le tenant chacun par un bras, puis il a refusé toute aide et il a
préféré descendre presque en position assise, face
à la pente, mains et pieds en contact avec le sol, jusqu'à
ce que sa vision et son équilibre se rétablissent. Nous l'avons
vu se remettre en position debout plus bas, près de la forêt.
Pourtant, à cet endroit précis, il n'y a ni à-pic ni
falaise impressionnante.
Pour
nous, fort heureusement, aucun malaise ne nous guette. Nous suivons les
sentes à brebis et montons en zigzag jusqu'au chaos de roches branlantes
qu'il nous faut franchir avant d'atteindre le sommet herbeux. Ouf ! L'immense
panorama s'étend tout autour de nous : nous sommes récompensées.
Un site espagnol donne tous les sommets visibles depuis l'Autza : La
cuenca (vallée) del Bidasoa - Peña (pic) de Alba, Saoia, Mendaur,
Aiako Harriak, Larun (la Rhune), Legate, Alkurruntz, Gorramendi, Iparla,
Irubela...- , los valles de Alduides y Baigorri (les vallées des
Aldudes et de Baïgorry) , la barrera (barrière) Lauriñak,
Urkulu, Ortzanzurieta, Adi, Iturrunburu, y , más lejos, los primeros
contrafuertes pirenaicos (et plus loin les premiers contreforts pyrénéens)
: Orhy, Anie, Hiru Erregeren mahaia, Petrechema, Acherito, Alanos...
Je
ne peux pas dire que je les reconnaisse tous, mais je vois en plus l'Artzamendi
et le Mondarrain, qui ne sont pas cités, côté français.
Les hommes sont dans le cimetière : certaines personnes émettent
le souhait que l'on disperse leurs cendres au sommet de l'Autza et qu'une
pierre soit érigée en souvenir.
Près
de la borne où figure le nom du sommet et son altitude, une fosse
circulaire assez profonde nous intrigue. Si la roche était calcaire,
nous dirions qu'il s'agit d'une doline, mais ce n'est pas le cas. Alors,
quoi ? D'après le même site espagnol déjà mentionné,
il semble que nous ne soyons pas les seuls à nous étonner.
Plusieurs hypothèses sont émises : pour certains, elle aurait
une origine mystique, pour d'autres, un rayon en serait la cause, enfin
il s'agirait peut-être d'un habitant des vallées voisines,
monté avec pelle et pioche dans la ferme intention d'y trouver de
l'or...
Richard,
qui n'a pas très confiance dans ses articulations, redescend tranquillement
et nous fait bénéficier de ses connaissances géographiques.
Nous allons au sommet de l'Harrigorri, utilisé par les grimpeurs
comme paroi d'escalade, et nous repérons un anneau fixé dans
la roche et un câble d'acier qui sert de point d'ancrage pour fixer
une corde et descendre en rappel, peut-être. De la fiente blanche
macule la roche colorée : une preuve supplémentaire, s'il
en fallait, qu'il s'agit bien également d'un repère à
vautours. Le sol glisse beaucoup plus en descente qu'en montée. Heureusement
qu'il y a les racines des arbres pour nous retenir, dégagées
par l'érosion de leur gangue de terre aujourd'hui très poussiéreuse.
A partir de l'aire de pique-nique, où nous avons rejoint les "siesteurs",
la suite est plus facile. A la venta, nous prenons un rafraîchissement
bien mérité en observant la collection hétéroclite
(mais pas du tout poussiéreuse, preuve qu'elle se vend) où
des citations fantaisistes sur plaques émaillées ou banderoles
colorées avoisinent grappes de sacs et gerbes de cannes de marche,
bibelots, et souvenirs tous plus laids les uns que les autres. Le retour
est plus silencieux que l'aller. Seul les chauffeurs gardent un oeil sur
la route, tandis que les passagers s'assoupissent...
Participants : Sophie, Charles et Agnès, Christine G. et son filleul Xavier, Richard, Max et Michèle, Yann et Isabelle, Jean-Louis et Cathy | Autza |
9 août 2003 |