Nous
sommes peu nombreux (seulement 6) en ce dimanche 9 février 2003 pour
faire cette balade sur l'Hautza plusieurs fois reportée à cause
des intempéries. Nous profitons d'une accalmie pour aller enfin nous
dérouiller les jambes au-dessus de Saint Etienne de Baïgorry.
Au fur et à mesure que nous nous approchons du col d'Ispeguy (672 m),
les nuages s'amoncèlent et défilent à vitesse accélérée.
Le parking de la venta est déjà rempli de voitures dont les
occupants, plus matinaux que nous, ou bien plus proches, sont éparpillés
dans la montagne.
Le
début de la promenade est trompeur : le sentier descend légèrement
en contrebas de la frontière franco-espagnole avant d'amorcer une remontée
franche et continue vers le pic de l'Hautza qui culmine à 1306 mètres
dans les nuages et sous la neige. Nous nous rappelons que nous y sommes venus
en groupe de plus de 20 personnes, un été, par une chaleur torride,
heureux de pouvoir profiter de l'ombrage des hêtres vénérables
tout au long du chemin, dont certains semblent émaner directement de
la roche moussue, excroissance végétale d'un socle minéral,
en une symbiose parfaite, où l'on ne sait si l'arbre tient la pierre
ou inversement.
Christine
est fatiguée, elle travaille trop et ses yeux, qu'elle vient d'opérer
récemment de la myopie par cette nouvelle technique du laser, lui font
souci : elle n'y voit pas correctement et n'est pas contente du résultat.
Nous faisons des pauses pour l'attendre, mais ne pouvons faire halte longtemps
car nous nous refroidissons très vite. La température est basse
et nous atteignons bientôt la limite de neige. Le sentier devient excessivement
boueux et se transforme même par endroits en ruisselet. En altitude,
nous n'entendons plus d'oiseaux, mais seulement le vent qui souffle par bourrasques
et oblige arbres et arbustes à faire le dos rond, tendant leurs branches
en sens opposé.
Au
col d'Elhorrieta (1000 m d'altitude), nous passons devant plusieurs bornes
frontières, pierres dressées, menhirs modernes, symboles de
la séparation des territoires et des hommes, à l'opposé
des vestiges érigés par les Celtes ou leurs prédécesseurs
pour servir de lien entre les esprits des morts et le ciel, cromlechs mystérieux
répartis dans toutes les Pyrénées du Golfe de Gascogne
au Pic d'Aneto, comme dans l'Europe entière. Une petite route goudronnée
relie les "bordes", bergeries en plus ou moins bon état,
vides en cette saison, et des clôtures de plusieurs rangs de fil de
fer barbelé empêchent les troupeaux d'empiéter sur les
forêts (du moins c'est l'utilité que je leur attribue). Nous
montons tout droit dans le sous-bois en direction des falaises d'Harrigorri,
haut lieu d'escalade que Max observe d'un oeil attentif, tâchant de
repérer le chemin d'accès et les voies. C'est incroyable le
monde qu'il y a malgré ce temps peu propice à la balade ! Nous
croisons des groupes de personnes plutôt âgées, d'humeur
joviale, un couple qui revient justement du sommet, des Espagnols dont certains
sont en tee-shirt, sans sac à dos, et descendent la montagne en courant
! Ils doivent nous trouver ridicules avec nos gants, anoraks et bonnets de
ski...
Le
sommet est complètement enfoui dans les nuages bousculés par
un vent violent et froid. Christine préfère redescendre. C'est
vrai que cela ne vaut pas vraiment le coup de se geler pour ne rien voir du
tout. Nous décidons de manger ensemble sur le pouce, assis sur des
pierres sèches dans la forêt dans un endroit relativement abrité,
puis redescendons au col où nous laissons Christine et Jeannot continuer
tranquillement jusqu'à la venta tandis que nous faisons un détour
par l'Elhorriko Kaskoa (983m).
Nous
traversons le col et découvrons tout d'un coup plusieurs cromlechs
(ou baratz), cercles de pierres (péristalithes) de tailles différentes,
disposés non loin les uns des autres. Certains ne sont composés
que de petites pierres à moitié enfoncées dans la terre,
tandis que d'autres sont dotés d'une ou plusieurs pierres de grande
taille. Y sont enfouies au centre les cendres des morts, à même
le sol ou dans des cistes (coffres) de pierre. Le tout est parfois recouvert
d’un tumulus (talus de pierre ou de terre). La sépulture est
placée non loin du brasier (alimenté par le bois qui provenait
des forêts immenses qui recouvraient alors la montagne). Les offrandes
trouvées sont généralement très pauvres. L’enveloppe
corporelle du défunt ne revêt plus l’importance qu’elle
avait lors de l’inhumation. L’incinération permet à
l’esprit du mort de se libérer et de retrouver le monde de l’au-delà.
Le cercle de pierre qui a subsisté, de la période précédente,
protège les vivants du monde des morts et vice et versa.
Tout
comme les dolmens, les cromlechs se situent dans les cols, hauts pâturages,
mais à une altitude plus élevée car l'essor de l’agriculture
et de la population pousse les bergers à la recherche de nouvelles
terres. 214 cromlechs, 61 tumulus-cromlechs, 213 tumulus simples ont été
recensés dans le Pays Basque. Les cromlechs existent depuis l'âge
du fer, où l’inhumation a laissé place à l’incinération
et à des sépultures plus modestes. Cette période correspond
à l’arrivée des Celtes en Europe et à l’évolution
de la pensée face à la mort. Un des sites de la nécropole
d'Occabe (près d'Irati), dont on a effectué la datation des
cendres au carbone 14, remonte à la période 767 à 216
av. J.-C.
Juan
José Ochoa de Zabalegui –San Sebastián,1928–, 'investigateur
privé sans licence' du cromlech pyrénéen depuis quatorze
ans, a fondé "Cromlechpyrene" qui est un espace du Net où
il défend l'idée que, indépendamment de leur éventuel
caractère funéraire, tous ces monuments représenteraient
tous des étoiles ou des planètes. Selon lui, le diamètre
du cercle serait proportionnel à la magnitude de l'étoile et
les témoins singuliers (grandes pierres) donneraient des indices sur
l'éphéméride astronomique représentée,
puisqu'ils sont orientés vers les étoiles en question, à
un moment concret, qui coïncide fréquemment avec le lever ou le
coucher de l'étoile représentée, en rapport avec le paysage
qui encadre le firmament.
Pour
appuyer ses dires, il site les Chaldéens qui faisait l'analogie entre
les planètes et les âmes (d'après Philon d'Alexandrie),
et les Grecs antiques, selon lesquels, durant le solstice d'été,
les âmes descendaient du ciel vers la terre par la porte du Cancer,
appelée porte des hommes, et retournaient de la terre vers le ciel
durant le solstice d'hiver, par la porte du Capricorne, appelée porte
des dieux (Porphyre, L'antre des nymphes de l'Odyssée).
Il a localisé ainsi : 1) le 'Triangle d'Été' au complet avec accompagnement à Errekalko, dans le bassin de l'Urumea, 2) les 'Trois Rois d'Orion' à Ezio, Lepoko Estua dans le bassin de l'Urumea et Arrataka dans celui de la Nive et enfin 3) Aldébaran avec les Hyades à Urlegi, dans le bassin de la Bidasoa.
Enfin, je ne peux pas m'attarder, Richard, Max et Jean-Louis sont déjà loin et attaquent la pente de l'Elhorriko Kaskoa. Le sommet est très rocailleux et la neige emplit les interstices : je dois faire attention où je mets les pieds. Il fait moins froid que sur l'Hautza, mais le temps tourne à grande vitesse et une bruine fine commence à tomber : pas le temps de s'éterniser. Nous redescendons et manquons de nous tromper de chemin, alors que les nuages nous plongent dans une quasi-pénombre. Heureusement que le brouillard reste sur les cimes. Grâce à la vigilance de Max, nous retrouvons nos marques et regagnons la venta à seulement 2 heures et demie : courte randonnée, mais grand bol d'air frais ! Nous apprécions le café (un chocolat chaud pour moi) tandis que Jeannot et Christine nous présentent des amis qui déjeunent près d'eux, dont le père et le fils ont été dernièrement vainqueurs de l'Hirukasko : de sacrés sportifs !