Samedi
15 février 2003, 6 heures 30 du matin. Cédric, Jonathan, Anna
et Mikel montent dans le bus : ils vont passer une semaine à Laruns
et faire du ski de piste (et peut-être du snowboard) à Gourette.
Délestée de mes deux plus jeunes enfants, j'essaie d'organiser
une journée de raquettes en montagne. Ce n'est pas évident.
Nombre des amis habituels sont indisponibles. Enfin, deux familles sont partantes
; Carmen et David viennent avec leurs deux enfants Adrien et Anna (13 et 8
ans) et Yann, notre nouvel ami breton, membre émérite de notre
toute récente association Anglet All Seasons Swimming Club, et fervent
amateur de natation en mer fraîche, souhaite faire découvrir
la neige à sa fille Cécile (7 ans) et s'initier à la
raquette. Isabelle, son épouse, devait venir également, mais
son essai de footing à Chiberta ce même samedi matin l'a découragée
et elle craint de ne pas réussir à nous suivre en montagne.
Quant à leur fils Florian (10 ans), qui s'est mis au footing avec aisance
et dynamisme, il est parti en colonie de vacances depuis une semaine dans
les Alpes pour faire du ski et ne sera de retour que lundi.
Nicolas est aussi des nôtres, avec Marie-Ch', enthousiaste, et nous voilà dix (en comptant Jean-Louis et moi-même) à partir ce dimanche matin dès 8 heures. J'avais téléphoné au col du Somport où l'on m'avait garanti un grand beau temps, mais Carmen et David préfèrent retourner à Iraty où ils sont allés le week-end précédent, alors nous nous plions à leur désir. Ils ont loué les dernières raquettes au magasin de sport de la place St André à Bayonne. Nous espérons donc pouvoir nous en procurer directement sur place.
Il fait très beau jusqu'à Saint Jean le Vieux, et même au-delà, jusqu'à Lecumberry et la Chapelle St Sauveur, cachée derrière une colline et que je n'entrevois qu'au retour. Mais soudain des nuages s'amoncellent, fermement accrochés aux flans des montagnes et semblant en émaner, comme le souffle gelé d'une respiration, et nous nous enfonçons dans une brume ouatée. Nous regrettons d'avoir renoncé au col du Somport. Bien sûr, il y a beaucoup de neige, et elle semble excellente, mais se promener sans pouvoir jouir du paysage, c'est un peu dommage, surtout pour un premier contact avec la montagne en hiver.
Ah
! Fausse alerte ! Le soleil, vaillant, perce l'écran et nous débouchons
sur les crêtes couvertes de sapins et de hêtres dénudés
dont l'extrémité des branches saupoudrée de rosée
givrée scintille gaiement. Je peste d'avoir oublié mon appareil
photo. Nous avons l'impression d'être en avion et dominons une mer de
nuages dont émergent les cimes des montagnes enneigées : la
vue est magnifique. Le moral remonte dans la voiture. Yann s'exclame à
tout bout de champ : "Cécile, regarde, la neige, et là,
on dirait une tête sombre coiffée d'un casque blanc qui retombe
sur les yeux, tourne la tête, admire la montagne qui dépasse
des nuages au-dessous de nous...!"
La dernière montée est très raide, mais bien dégagée et déserte. Ce n'est qu'après le parking qu'il nous faudra rouler dans la neige avec précaution jusqu'au local de location de matériel. Malheureusement, un groupe de 33 personnes a réservé depuis la veille des raquettes et il n'y en a plus aucune pour nous. Adrien passe les siennes à la petite Cécile, et nous prenons des skis de fond. Yann, souple, ne rechigne pas, bien qu'il ne soit jamais monté sur des skis. Nous nous engageons sur la piste verte, mais un gardien, moderne cerbère, interdit le passage aux piétons et aux raquettes. Il est intraitable et nous devons faire demi-tour. Nous n'allons pas nous séparer à cause du règlement ! (Nous comprenons bien que les pistes de ski de fond demandent un entretien spécial, qu'elles sont fragiles et qu'il ne faut pas les défoncer en marchant dessus, mais nous lui promettions de marcher sur le côté : il ne veut rien entendre...)
Nous allons de l'autre côté de la route, réservé aux luges, marcheurs et raquettes, et apprenons à Yann à utiliser les skis sur un terrain accidenté, pentu et encombré d'enfants et de piétons : heureusement qu'il est têtu ! Il tombe, se relève, recommence et retombe, mais à la fin de la journée, il aura fait d'énormes progrès. Cécile et Anna font rapidement connaissance et s'amusent ensemble. Adrien skie de concert avec Nicolas et Marie-Ch', le moral de tous est au beau fixe, malgré ces divers contretemps. Je souhaite retrouver la piste que nous avions suivie l'hiver précédent avec Pierre et Rose. Comme elle semble assez éloignée, Nicolas s'inquiète et préfèrerait nous laisser pour aller skier sur les pistes balisées. Nous décidons de déjeuner tous ensemble, et les trois jeunes nous quittent pendant que nous nous dirigeons vers la piste des Escaliers. Jean-Louis décide de rejoindre les fondeurs et nous laisse également.
Des nuages se forment et se dissolvent dans une brise légère mais frigorifiante. Pour le moment, le temps a l'air de tenir. Il faut dire qu'il fait très frais. En fin d'après-midi, nous croisons une dame qui annonce une température de -4°C. C'est vrai que nous avons chaud en marchant, mais dès que nous nous arrêtons, nous nous refroidissons très vite, d'ailleurs, Anna avait du mal à tenir son sandwich à mains nues, il a fallu qu'elle remette les gants.
Cela
fait plaisir de voir ces petites jouer dans la neige, elles s'éloignent
de nous, se créent leur petit monde, s'installent au pied d'un arbre
mort, explorent les pentes, les trous et les monticules, découvrent
les stalactites de glace qui pendent des talus le long du chemin, se roulent
à plaisir, bien au chaud dans leur combinaison imperméable et
cherchent des pentes où se laisser glisser. La "mayonnaise"
a bien pris, et les parents sont enchantés de les voir profiter comme
cela de cette journée et marcher sans rechigner, entraînées
l'une par l'autre. Seules avec leurs parents, elles auraient trouvé
mille prétexte pour traîner et refuser d'avancer, alors que là,
elles s'amusent et ne sentent pas la fatigue ni le froid.
Nicolas
dira la même chose d'Adrien, qui découvre également le
ski de fond et ne se laisse aucunement distancer, alors qu'ils font la piste
verte, et puis la piste rouge de 10 kilomètres, en une petite après-midi
! Finalement, Jean-Louis ne réussira pas à les rejoindre et
arrivera une demi-heure après eux à la voiture, et nous, bons
derniers, ayant profité le plus possible de la bonne volonté
de la jeune classe.
Chemin faisant, nous découvrons des traces d'animaux, certaines très légères, difficiles à identifier, peut-être un oiseau, ou un petit mammifère, d'autres bien franches où l'on reconnaît la marque des quatre sabots joints du chevreuil qui franchit en quelques bonds le sous-bois dont les pentes sont couvertes d'une profonde épaisseur de neige, et, plus loin, des poils de sanglier sur le sentier. Les choucards passent en criant, et David se demande ce qu'ils peuvent bien trouver à becquetter dans cette froidure. Un petit torrent réussit à se frayer un chemin dans la neige et bondit vaillamment parmi les cascades gelées qui bordent son lit. Nous apercevons au loin les cimes des pics d'Orhy et d'Anie qui jouent à cache cache avec les nuages, de plus en plus denses en fin d'après-midi.
Chemin faisant, je relate mes lectures sur les cromlechs d'Occabé (nécropole sur une hauteur voisine qui comporte 32 monuments dont plus d'une dizaine sont très nettement visibles, et forment chacun un péristalithe -cercle de pierres- d'environ 6 à 7 m - la datation au carbone 14 des restes organiques d'un des sites donne une fourchette d'âge de 767 à 216 avant J.-C.-). Yann, quant à lui, nous raconte sa découverte de menhirs dans la mer ! Il pratiquait la plongée sous-marine en Bretagne et a pu constater de visu que le socle hercynien s'enfonce progressivement dans la mer (c'est son explication). J'ajoute qu'avec le réchauffement de la Terre, les glaces des pôles ont fondu et le niveau des mers a dû monter depuis la fin du néolitique.
Effectivement,
renseignements pris sur le site internet du ministère de la culture
à la rubrique "mégalithes du Morbihan" (http://www.culture.gouv.fr/culture/arcnat/megalithes/fr/neo/fsneomer.htm),
j'apprends que, depuis la dernière glaciation vers 16-18 000 ans av.
J.-C., le climat s'est progressivement réchauffé, de plus en
plus fortement à partir de -8 000 environ, pour atteindre une température
même supérieure à notre climat actuel entre -5 000 et
-3 000. Depuis, on ne connaît plus que des oscillations mineures, comme
le "petit âge glaciaire" (de la fin du moyen-âge au
19e siècle), ou le léger réchauffement des dernières
décennies. Pour la Bretagne et les régions voisines, on considère
que, vers -16 000, la mer était à environ 120 mètres
en dessous de son niveau actuel, ce qui laissait la Manche entièrement
à sec tandis que le rivage de l'Atlantique se trouvait à une
centaine de kilomètres en avant de la côte morbihannaise d'aujourd'hui.
Il est très difficile d'évaluer le tracé des rivages
anciens à partir des fonds marins actuels en raison des phénomènes
d'érosion sur les parties exposées et de sédimentation
dans les zones abritées.
Il est cependant certain que la Bretagne était entourée, encore
au Néolithique, de plaines littorales dont les îles et écueils
d'aujourd'hui représentent les derniers indices (de toutes les îles
bretonnes, seules Ouessant et sans doute Belle-Ile étaient déjà
coupées du continent au début du Néolithique). Tout autour
de la Bretagne, des monuments mégalithiques aujourd'hui plus ou moins
submergés témoignent de cette évolution du littoral.
Un exemple spectaculaire en est la double enceinte d'Er-Lannic dans le Golfe
du Morbihan, dont certains menhirs reposent à 1,5 mètre sous
le niveau des plus basses mers actuelles. Compte tenu des marées, cela
suppose un niveau marin inférieur d’au moins 6 mètres
lors de leur implantation.
Cécile ne veut plus quitter Anna. Malgré l'inquiétude de son père, elle tient à effectuer le chemin du retour dans l'autre voiture, pour continuer à s'amuser ! Nous faisons halte à St Jean Pied de Port pour prendre un chocolat chaud tous ensemble et Yann ne récupère sa fille qu'à Anglet, devant notre maison. Nous nous promettons de nous retrouver de nouveau, avec Isabelle et Florian en sus, pour une prochaine sortie en montagne. Il faut profiter que les enfants s'entendent pour faire d'autres balades aussi réussies !