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Rhune embrumée |
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C'est
le troisième dimanche d'affilée (et le premier de ce mois de
mars 2003) que Max fait l'ascension de la Rhune, mais cette fois, il n'est
pas seul. Malgré le temps maussade, Jean-Louis B., Jean-Louis et moi
l'accompagnons avec deux "nouvelles recrues", Sylvie et Sandrine.
D'ordinaire, il accomplit l'aller-retour en un temps record, et s'en fait
un point d'honneur, (il monte vite et descend en courant), mais aujourd'hui
le rythme sera donné par les dames. Le vent souffle en hauteur et nous
croyons à plusieurs reprises que l'horizon va se dégager. Mais
cela ne dure pas et une petite bruine fine se met à tomber par intermittence.
Fort
heureusement, il fait doux, et le temps bouché ne décourage
pas nos compagnes. Nous ne partons pas du col de Saint Ignace où se
situe la gare du "petit train de la Rhune", mais préférons
démarrer près de Xilardikoborda, sur le flan est, comme la dernière
fois. Malgré le manque de luminosité, j'essaie de prendre quelques
photos, et nous montons en devisant. Sandrine avoue son faible pour les manechs,
ces moutons des montagnes basques à la tête noire surmontée
de cornes en spirale. Je préfère les pottoks, qui nous regardent
passer d'un air placide sans cesser de brouter au milieu des buissons d'ajoncs
qui bordent notre chemin.
A
mi-pente, Max s'exclame : "un cromlech !", et puis se reprend en
riant : "mais non, ce sont les vestiges d'une borde (une bergerie) !".
En fait, de grandes pierres dressées caractéristiques de ces
monuments du néolithique sont intercalées parmi les pierres
plus petites, fondations d'un mur presque entièrement disparu. Très
fréquentée depuis au moins 5 000 ans (son nom vient d'ailleurs
du basque "larre-un", lieu de pâturage), la Rhune possède
de nombreux vestiges préhistoriques, comme dans le reste des Pyrénées,
et notamment un groupe caractéristique de 9 cercles de pierres qui
se situe au Nord-Ouest du coteau de Gorostiarria dominant à l’Est
la tourbière des Trois Fontaines et qui a été classé
monument historique par arrêté du 13 octobre 1956.
En
recherchant quelques données sur la Rhune, je découvre une légende.
"Il y a bien longtemps, un feu couvait dans les entrailles d’un
grand serpent à sept gueules qui dormait sous La Rhune. On l’appelait
"Leben Sugea" (le premier serpent), être mythique qui était
le Maître du Monde aux yeux des Anciens. Sur la montagne, vivait un
berger heureux. Un jour, il rencontra une très jolie fille d’un
village voisin et s’éprit d’elle. Celle-ci lui déclara
qu’elle ne prendrait pour mari qu’un homme riche et puissant.
Afin d’obtenir la quantité d’or et d’argent qui lui
faisait défaut, le jeune homme rendit visite au Diable, dans sa caverne.
En échange de son âme, il apprit le secret pour devenir riche.
Le Démon lui ordonna d'embraser les forêts de la Rhune. "Leben
Sugea", réveillé par l’incendie, se mit à
cracher 1'or et l'argent que la montagne dissimulait. Des ruisseaux de métaux
précieux se mirent à couler depuis le sommet. Dans sa hâte
d’amasser la plus grande fortune possible, notre berger se servit de
ses mains et de ses bras et périt brûlé. De même,
disparurent avec l’incendie les forêts ancestrales. Voilà
pourquoi, durant des années, les versants de La Rhune restèrent
vierges de toute végétation..."
La
montagne servit sans doute de refuge également aux "sorcières"
basques jusqu'au début du XVIIème siècle, qui y célébraient
leurs sabats à l'abri des regards pour éviter d'être traquées
et brûlées par le cruel Conseiller de Lancre. En 1654, une chapelle,
dédiée au Saint-Esprit, fut édifiée au sommet.
On s'y rendait encore en pèlerinage, depuis les villages voisins, en
1834. Plus tard, la Rhune servit de champ de bataille aux armées de
la toute nouvelle République française. En effet, le 7 mars
1793, la Convention Nationale déclara la guerre à Charles IV,
roi d’Espagne, qui voulait venger la mort de Louis XVI, son cousin.
Redoutes, tranchées et fossés couvrirent de nombreux sommets
de la frontière franco-espagnole jusqu'à la paix de Bâle,
signée en 1795.
Après
un marché conclu avec Charles IV à Bayonne, en 1808, Napoléon
1er installa sur le trône d’Espagne son frère Joseph qui
dut réprimer très rapidement une insurrection, illustrée
notamment par les célèbres tableaux de Goya : "Dos de Mayo"
et "Tres de Mayo". Afin de refouler les Français, des troupes
alliées formées d’Espagnols, de Portugais et d’Anglais
furent placées sous le commandement du Général Britannique
Wellington. Pour arrêter leur progression, Napoléon 1er nomma
le Maréchal Soult à la tête de l’Armée d’Espagne,
en remplacement de son frère ; ses armées s'installèrent
le long de la frontière d'Hendaye à Saint Jean Pied de Port.
Il organisa la défense par la construction de nombreuses redoutes (fortifications
isolées).
Voici
le récit d'un des épisodes de cette guerre qui eut lieu sur
la Rhune.
La Redoute Étoilée
de Kolar Handia se situe sur le plateau d'Ihitz Zelaya qui s'achève
sur la crête d'Altchiague (625 m). Entièrement construite en
dalles de grès superposées, cet ouvrage en forme d’étoile
à six branches répondait à sa vocation de défense
:
• Un long mur d’enceinte épais de 80 cm et d’une
hauteur de 2 mètres,
• Une banquette formée de dalles larges à l’intérieur
du mur, permettant de se hisser à une hauteur suffisante pour assurer
les tirs.
Le
10 novembre 1813, les soldats de la redoute ne pouvant plus contenir las assauts
ennemis durent l’évacuer à 8 heures. Le général
hanovrien Von Alten consigna, dans un rapport à Wellington, la prise
de 2 pièces, toutes les tentes de l’ennemi et environ 48 hommes.
Sa compagnie avait perdu 48 officiers et 469 hommes, tués ou blessés.
Les troupes françaises se rallièrent et se dirigèrent
vers la redoute Louis XIV qui tomba aux mains des ennemis après 7 heures
de combat. Vers 11 heures, les redoutes de Mendibidea et Ermitebaita furent
abandonnées sans avoir pratiquement combattu. A 14 heures, les troupes
anglaises pénétraient dans Saint-Pée-sur-Nivelle, les
Espagnols occupant Ascain. Les combats du 10 novembre marquèrent le
début d’une longue série de défaites françaises.
La paix de Toulouse, signée en avril 1814, mit fin à la guerre
d’Espagne.
Plus
tard, l'Impératrice Eugénie, séjournant à Biarritz,
lança la mode des excursions à La Rhune. En voici le récit
de Flaubert, de septembre 1862.
"Nous sommes allés samedi dernier à une montagne appelée Larune, qui est près de l’Espagne et a trois mille pieds de haut. Nous sommes arrivés jusqu’au pied de la montagne, Panizzi et moi dans la voiture de Leurs Majestés. Nous trouvâmes là des chevaux avec leurs guides. Les ladies s’installèrent dans des cacolets que vous pouvez vous représenter ainsi que des chaises avec un cheval au milieu. ll est nécessaire de bien équilibrer les deux charges car autrement l’une des dames tombera. La montagne est très belle. Panizzi sur son cheval perdit son chapeau, sa canne, et vainement il s’adressait à son guide en toutes les langues qu’il connaissait. Mais celui-ci malheureusement n’entendait que le basque. Quand nous fûmes au premier plateau, le cacolet de l’impératrice broncha soudainement et elle et sa compagne Mme Scalani, furent en danger de tomber à terre. Quand nous parvînmes au sommet, il était déjà tard. La vue y était très belle. Après une heure de descente par des sentiers dociles nous arrivâmes à une auberge de contrebandiers. Là nous fut servi un excellent dîner."
Afin
de promouvoir le tourisme dans les Pyrénées, la compagnie des
Chemins de fer du Midi créa des filiales qui furent à l'origine
de grandes réalisation hôtelières et touristiques, en
particulier à Font-Romeu et Superbagnères. L'une d'entre elles,
la société des Voies Ferrées Départementales du
Midi, réalisa au Pays Basque la ligne à crémaillère
de la Rhune. Sa construction débuta en 1912, mais en raison de la guerre,
sa mise en service ne put avoir lieu que le 30 juin 1924. La ligne part du
Col St-Ignace (169 m) et se termine à 887 m, à proximité
du sommet de la Rhune qui se trouve en territoire espagnol. Outre la venta
traditionnelle, le sommet est rehaussé par une grande antenne où
sont notamment fixés les émetteurs de la chaîne de télévision
ARTE pour le Pays Basque et les Landes.
Nous
y faisons halte pour nous réchauffer un peu en buvant un café.
Je préfère un petit verre de moscatel accompagné de touron
dur aux amandes, et les deux Jean-Louis se partagent une appétissante
omelette aux deux poivrons. Sylvie se fait saluer par deux relations, et Jean-Louis
et moi voyons également arriver une personne que nous connaissons :
la Rhune est vraiment un lieu de randonnée très couru, quel
que soit le temps ! Nous redescendons tranquillement et arrivons à
près d'une heure de l'après-midi à la maison.