Je
regarde le jardin par la fenêtre : la pelouse perce de ses brins élancés
les nappes de mousse sombre, des îlots de primevères repoussent aux
mêmes endroits que l'an passé, vite
rattrapées
par des hordes
de pâquerettes, alors que fânent déjà les jacinthes au pied du lilas
dont les bourgeons se colorent de mauve.
Des
buissons jaunes ou blancs éclatent
de couleurs progressivement atténuées par l'invasion des feuilles le
long des fins rameaux. Le camélia invite les azalées à suivre son exemple,
et le chêne cache peu à peu le soleil levant, déployant sa parure au
milieu
d'effluves voyageurs de lointains acacias. Les figues apparaissent
déjà aux branches du figuier et le pêcher fleurit tout rose. C'est
le printemps. Après trois longs week-ends de pluie, un temps plus clément
nous permet
de
retourner enfin marcher dans la montagne.
Ah
! Les crêtes d'Iparla, je les adore, et cette saison les met tout particulièrement
en valeur. En altitude,
le fond de l'air est rafraîchi par une forte brise qui emporte mon
bob rose, quelques nuages peu épais voilent l'ardeur solaire, et je
peux me passer des lunettes sombres qui m'empêcheraient d'apprécier
les dégradés extraordinaires de vert et de roux. Nous ne savons où
porter le regard.
Nous ne sommes pas bien hauts, mais le décalage est
sensible par rapport aux vallées abritées : nombreux sont encore
les arbres dénudés et ceux dont le feuillage fait exploser les bourgeons
arborent une verdure crue, aiguë, perçante, mais éparse, frêle, courte
et tendre, que traverse le regard vers la montagne brune.
Pour
épargner de la peine à Michèle, nous
avons fait la moitié de la montée en voiture, et l'avons
garée
au col d'Ispéguy, après avoir laissé
l'autre dans un pré de Bidarray très animé car
une course est organisée à l'occasion des fêtes
du village. Les sportifs s'échauffent
en courant de çà et de là, une tente qui
abrite de longues tables est dressée près du fronton.
Après avoir grimpé un moment, nous voilà sur les
crêtes qui ondulent
faiblement : d'un côté, la montagne offre des pentes douces
et herbeuses que broutent les pottoks,
de l'autre, elle semble tranchée net par une hache géante,
et la pierre mise à nu présente ses strates horizontales
dont les anfractuosités
inaccessibles servent de nids ou de perchoirs aux vautours fauves qui
planent en
couple dans les vapeurs chaudes ascendantes.
Abrités
par quelque chaos de roches, les buissons de myrtilles sont couverts
de fruits encore immatures. Entre deux crêtes, il faut redescendre
à travers une hêtraie lumineuse, au sous-bois dégagé comme un parc
aux souches moussues. A la sortie, nous profitons de ces ombrages mouvants
pour pique-niquer et entamer une petite sieste malheureusement interrompue
par une bourrasque de vilain augure qui nous recouvre d'une foule pressée
de nuages sombres.
De
peur de terminer la balade sous des trombes d'eau glacée, nous préférons
lever l'ancre et reprendre notre marche, tandis
que le soleil réapparaît quelque temps plus tard (et que Claude rouspète,
prenant de l'avance pour s'allonger et grappiller quelques minutes
de sieste
perdue...).
Sous nos pas s'échappent des lézards,
aussi contents que nous du retour du beau temps. Des scarabées à la
carapace noire aux reflets bleutés crapahutent sur le sol inégal, et
je prends garde à ne pas les écraser. Un éclair jaune zigzague à toute
vitesse : c'est un magnifique papillon aux grandes ailes marquées de
taches noires. Il
est trop pressé pour que je puisse le photographier, à peine posé,
il s'envole de nouveau, je me demande quand est-ce qu'il
trouve le temps de butiner. Sur un flan ensoleillé, des chevaux se
renversent sur le dos, les quatre fers en l'air, et se tortillent à
qui mieux mieux dans l'herbe odorante. Je n'ose m'approcher, de
peur de les déranger. Les autres derrière moi ont moins de scrupule
et avancent le plus possible vers une jument accompagnée d'un tout
jeune poulain à la grâce maladroite, dont le museau quête sans cesse
l'odeur de sa mère qui le hume en retour.
A
la fin, celui-ci passe de l'autre côté, abrité par le large flan, et
tous deux s'éloignent
dignement, la mère guettant d'un oeil les importuns.
Ces vastes espaces dégagés donnent une impression de liberté extraordinaire, et nous palpons l'immensité de toutes nos papilles dilatées. Même l'audition des sons rend sensible les distances, que nous aimerions franchir, tels des vautours ou des choucards, en planant silencieusement, notre ombre fuyant sur le sol inégal dont elle passerait les aspérités en se riant. Mais transpirer un peu ne fait pas de mal, et nous apprécions d'autant mieux notre chance d'habiter si près de tant de beauté sauvage. La longue descente se fait dans un bain d'odeurs capiteuses d'acacias surchauffés alourdis de grappes de fleurs innombrables de couleur crème dont les émanations s'élèvent lentement vers les cimes.
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Participants :
Michèle, Pascale, Cathy, Xavier, Claude, Jean-Marc, Jean-Louis, Richard |
Les crêtes d'Iparla |
Le 1er Mai 2005 |