Biarritz, grande plage, 19/09/05, midi6 heures du matin : au-dessus de nos têtes, le ciel est noir, empli d'étoiles, tandis que la pleine lune, énorme et lumineuse, surplombe à peine les arbres, tous ses cratères, ses "mers" et ses montagnes bien distincts, même à l'oeil nu. L'air est vif, pinçant même, et contraste avec la douceur passée des matins d'été, où j'ouvrais tout grand les porte-fenêtres pour m'éveiller avec le chant des oiseaux bavards et volubiles. Trouverons-nous la neige, là-haut, sur la montagne ? Il pleuvait si fort, l'autre jour, à Anglet, et la température a baissé si brusquement.

En sortant de l'autoroute à Artix, avant Pau, je m'inquiète : bien que l'atmosphère conserve une limpidité et une transparence rares, une barre de nuages surmonte les Pyrénées : est-elle située en avant de la chaîne, ou bien pile au-dessus ? Peut-on la qualifier de "brouillards matinaux" un peu épais et élevés, ou annonce-t-elle une perturbation à venir ? Richard est tranquille : il va faire beau, assure-t-il.

Effectivement, le soleil éclaire le lac de retenue de Bious-Artigues, dont le niveau d'eau semble avoir encore baissé depuis notre dernière venue à la fin août. A cette altitude (1427 m), le thermomètre de la voiture affiche 4°C. Nous apercevons sur le flan d'un pic une légère couche de gelée blanche, trop fine, à ce qu'il semble, pour être due à une chute de neige. Les colchiques ont percé la croûte durcie de la terre et égayent les prairies de leurs fines corolles mauves tendues vers l'azur. Les fleurs apparaissent en fin d'été, puis la plante disparaît jusqu'au printemps suivant. C'est à cette époque que les feuilles ainsi que les fruits émergent. Comme l'hellébore, que les autochtones de la côte nord-ouest de l'Amérique du Nord utilisaient principalement comme anesthésique local, la fleur de colchique contient une toxine alcaloïde, la colchicine. Celle-ci possède des propriétés antimitotiques, c'est-à-dire qu'elle bloque les mitoses (divisions cellulaires). Elle est utilisée par exemple dans les crises aiguës de goutte.

Biarritz, Port Vieux, 19/09/05, midiNous quittons rapidement le chemin des 7 lacs et obliquons vers la gauche, en direction du col de Peyreget situé entre le double pic d'Ossau (qui culmine à 2884 m) et le pic de Peyreget (2487 m) que gravissent Richard, Max et Xavier en supplément ("pour le fun") tandis que Jean-Louis et moi passons la crête ventée pour pique-niquer en contrebas, face aux deux petits lacs. La dernière partie de l'ascension, que j'appréhendais un peu, a été plus courte que dans mon souvenir, mais tout aussi éprouvante pour moi : je déteste ces chaos d'énormes blocs de pierre entre lesquels s'insèrent des fragments en équilibre plus ou moins stable qu'il faut escalader en pariant qu'ils ne basculeront pas sous le poids, ou bien enjamber, se glisser dans les interstices, descendre, remonter, contourner en contrôlant qu'on reste à proximité des cairns, pierres empilées sur les pierres, qui servent de repères pour ce qu'on ne peut vraiment pas qualifier de sentier. En plus, l'appréhension aidant, le vide (pas très grand, mais quand même) entre les roches me fait tourner un peu la tête, et je dois faire des pauses pour rajuster ma vue qui se trouble et mon souffle qui s'accélère, avec l'effort de l'ascension, mon imagination et l'anticipation d'accidents possibles. Jean-Louis m'attend, quelques mètres plus haut, tandis que les trois autres ont déjà passé l'obstacle facilement et galopent hors de ma vue jusqu'au col... La montagne n'est pas égale pour tous.

Lorsque les autres nous rejoignent, nous explorons les abords du petit lac. Sous nos pas jaillissent des dizaines de minuscules grenouilles de l'herbe grasse et bien verte. Il est difficile de ne pas en écraser. Les amas de têtards vus lors de notre dernière balade ont achevé leur métamorphose. Certaines sautent dans l'eau très froide et s'immobilisent, comme mortes d'hydrocution. En fait, si l'on approche un de nos bâtons de marche, elles se remettent à bouger. Sans doute la température de l'eau proche de zéro les a anesthésiées. Biarritz, Port Vieux, 19/09/05, midiUne discussion s'élève, à propos des poissons des lacs d'altitude. Je me demande (et demande à mon entourage) comment ils sont arrivés là. Sans remonter à l'apparition des premiers poissons, par mutation de gènes d'animaux qui les précédaient dans l'ordre de la création, j'imagine qu'une espèce donnée apparaît en un endroit et se répand ensuite progressivement en circulant d'un cours d'eau à l'autre. Pour un lac aussi élevé, dont l'eau s'écoule vers l'aval sous forme de cascades, ruisselets ou en diffusant dans la terre pour réapparaître sous forme de résurgences, comment a-t-il été peuplé ? Les amis éclatent de rire devant l'absurdité de ma question, et disent que ce sont les associations de pêcheurs ou l'organisme des Eaux et Forêts qui se sont chargés de les approvisionner en poissons.

En fait, le site que je trouve (cliquer sur le lien ci-dessus) donne raison à tout le monde. En le parcourant, je retrouve le sujet qui m'a tellement frappée lorsque j'ai vu le film "le cauchemar de Darwin" qui traite de la "perche du Nil", poisson non autochtone introduit par des Européens dans un grand lac de Tanzanie qui a été à l'origine d'un désastre écologique et humain inqualifiable. A plus petite échelle, l'intervention humaine dans le peuplement de nos lacs et rivières crée des déséquilibres néfastes et difficiles à contrôler (exemple donné dans le site du vairon - ou rabotte -, petit poisson qui a été implanté pour nourrir les truites - également issues d'élevages piscicoles - et qui, en fait, dévore les oeufs de celles-ci, et les fait disparaître en peu d'années). C'est que nous ignorons encore tant de choses à propos des poissons, ainsi que le soulignait le directeur de l'INRA de Saint Pée-sur-Nivelle qui avait fait un exposé au groupe d'Indiens venus dans notre région sous l'égide de l'association Perspectives Asiennes, et nous parlait des recherches en cours sur le plan mondial pour améliorer le rendement des piscicultures et réduire les nuisances induites par leur exploitation.

Biarritz, Port Vieux, 19/09/05, midiUne fois restaurés, nous reprenons le sentier en direction du col de Suzon, dont nous apercevons la crête brillante de givre. Le flan sud en est dépourvu, mais tous les bouquets d'herbes exposés au nord sont couverts d'une épaisse couche de glace ciselée en peignes (ou antennes de papillon) accrochés le long de chaque brin d'herbe. Eclairée par le soleil gelé (le vent souffle avec force), toute la montagne scintille comme un champ de joyaux déposés sur la roche : une merveille ! La descente jusqu'à Bious-Artigues nous semble très facile (sauf pour Xavier qui souffre beaucoup des pieds à cause de ses chaussures neuves qui ne sont pas encore "faites"), et nous arrivons trop tôt (16 heures) pour patienter jusqu'au soir et déguster la garbure comme l'autre jour. Tant pis, nous nous contenterons d'une bière pour les uns, ou d'un chocolat chaud pour les autres avant de retourner sur la côte...

Le lendemain midi, c'est la plus grande marée de l'année (coefficient 111), avec un décalage d'un jour par rapport à la pleine lune, et je nage à Biarritz au Port Vieux avec quelques "Ours Blancs", un couple d'Anglais et un couple de Russes équipés de masque et tuba dans une mer étale aux rochers découverts très loin au large, vers le Boucalot. L'accès depuis la plage est un peu rébarbatif et rebute les plus délicats : le sable sous l'eau peu profonde est couvert d'algues et quelques bulles suspectes en surface inspirent aux baigneurs de la répulsion - ils prétendent que l'eau est polluée -. Cela ne m'a pas empêchée de nager vers le large, au-delà du rocher de la Vierge, si longtemps que mes doigts étaient devenus blancs et plissés : un plaisir, avec la vue sur la montagne et l'Espagne à l'horizon, et la vaste courbure du golfe de Gascogne bordé par la côte des Basques et les falaises de Bidart à Hendaye.

 

Participants : Richard, Max, Xavier, Jean-Louis, Cathy
Frimas
Dimanche 18 septembre 2005
Tour du Pic du Midi d'Ossau