Lorsque
nous arrivons au parking de Trabenia, peu après l'ancien poste
de douane qui gardait la route d'Ibardin, une voiture s'en va déjà.
Il est 9 heures, cela signifie que ses occupants ont commencé leur
marche vers les 7-8 heures,
dans le noir.
Au-dessus
de la forêt boueuse traversée par un ruisseau aux eaux
torrentueuses, une svelte jeune femme descend en courant suivie de
son fils qui n'a
pas dix ans : pas de sac à dos, pas de pull ni de blouson, ils
sont montés légers et dévalent comme des isards,
ils ne doivent pas sentir les
4° C de la température de l'air. Un
grand moment plus tard, c'est un homme élancé,
suivi d'une gamine d'environ 6 ans qui suivent en trottinant.
Nous
les hélons : "C'étaient votre femme et votre fils,
devant ? Oui ? Ils ont pris beaucoup d'avance !"
J'entends le martèlement d'un pas régulier accompagné d'un souffle avant de lever les yeux de dessous ma toque fourrée : un homme d'un certain âge dévale la pente en petit short lâche, torse et jambes nus, ventre plat, le tee-shirt coincé derrière, comme une queue grise. Quand nous arriverons au col des trois fontaines, il nous dépassera en sens inverse, toujours courant : "Deux fois la Rhune, pas trois, sinon c'est du masochisme !" nous confie-t-il sans s'arrêter. Nous l'avions déjà rencontré il y a un mois ou deux, tout aussi tonique. Max lui emboîte le pas, pour voir si son exploit est impossible à égaler. "Il n'a pas couru au dernier rampaillon, il marchait !" dénonce-t-il, heureux de ne pas s'être fait distancer.
Les
couleurs sont resplendissantes après ces pluies torrentueuses
qui ont lavé et rafraîchi considérablement l'air.
La mer, comme le ciel, sont bleu foncé, les prés au vert
exacerbé
de chaque brin d'herbe gonflé d'humidité contrastent
avec les étendues
rousses des collines couvertes de fougères fanées, tandis
que les arbres hésitent encore à plonger dans l'automne.
Nous montons au début dans
l'ombre fraîche des montagnes, les flans opposés déjà aveuglés
par les rayons obliques du soleil qui peine à dépasser
la Rhune. Nous avons l'impression d'être sur une île :
nous faisons l'ascension dos
à la
mer et, au retour,
en boucle
par
le côté
sud de
la Rhune,
nous lui faisons face. C'est même mieux qu'en Guadeloupe, où le
sommet
était tout le temps enfoui dans un épais nuage, occultant
la vue alentour. L'air est si froid qu'il empêche les fumées
de monter, et celles-ci s'étalent, paresseuses, comme un brouillard
léger sur la plaine boisée.
Levant
les yeux un instant, nous nous étonnons des
stries multiples qui sillonnent le ciel : les avions se sont tous donnés
rendez-vous à la même heure et leurs traînées
s'étirent en alignements
nord-sud, traces fugaces plus ou moins élargies suivant les
courants. A la hauteur des ventas, les montagnes lointaines découvrent
leurs pics enneigés, voilés d'une brume diaphane.
Les
pottoks n'en ont cure, penchés sur leur repas, de même que les moutons,
le dos marqué de rouge, étendus sur l'herbage,
qui
chauffent leur lainage avec concentration. Les yeux tournés vers l'Espagne,
nous essayons de nous repérer : est-ce Pasajes, ou bien déjà Saint
Sébastien ? Peut-être un peu des deux, la perspective écrasant les
distances. Il semble que nous voyons le Monte Igueldo et l'île Santa
Clara où nous avions pique-niqué et vu un dauphin dans la baie lors
de la traversée.
De
la baie de Txingudi, une myriade de petits bateaux se sont disséminés
au large, face aux falaises d'Hendaye et de Fontarrabie.
Par contre, les Luziens n'ont pas l'air de s'être aperçus du beau temps
et ne sont pas de sortie. La matinée a bien avancé et la lumière plus
diffuse estompe un peu les couleurs, de fins nuages marbrent le ciel
et la mer devient laiteuse. C'est vraiment le matin de bonne heure
qu'il faut se promener, après, ce n'est plus pareil, et les promeneurs
que nous voyons démarrer vers une heure de l'après-midi ne savent pas
ce qu'ils ont perdu en ne sachant pas se lever tôt...
Participants : Jean-Louis B., Max, Jean-Louis et Cathy | Rhune |
6 Novembre 2005 |