De l'immense paroi irrégulière jaillie du fond des âges émanent des bouffées de sons étouffés, vagues hurlements d'une foule invisible, sifflements et souffles d'orgues improbables, tintements de cloches de villages engloutis. L'imagination s'envole avec le vent et le regard cherche en vain entre les anfractuosités la source de ce sortilège.

Le soleil en descendant vers l'horizon allonge la silhouette des montagnes, plongeant les vallées dans une ombre rendue parfois plus intense par le passage de trains de nuages pressés. Les hirondelles tournoient en happant les insectes minuscules soulevés en groupes denses par l'air chaud tourbillonnant au-dessus de l'herbe rase. Le cri d'un choucard se répercute contre la falaise qui en renvoie l'écho. Très haut dans le ciel plane un vautour isolé.

Les troupeaux dispersés sur les pentes obéissent à l'appel du soir et se dirigent lentement vers le fond de la vallée. Leurs sonnailles tintinnabulent paisiblement, animées par le branlement de la tête qui broute d'une brebis blanche ou noire, d'une vache ou d'une jument, suivies de leur rejeton de l'année encore libre de toute entrave.

La vallée d'Ossau nous procure comme toujours un sentiment renouvelé de plénitude et l'impression profonde de nous trouver dans un coin de paradis terrestre. C'est avec cet état d'esprit que nous demandons aux tenanciers du gîte du lac d'Ayous s'il est possible d'y séjourner l'hiver. Nous nous imaginons déjà face à un paysage immaculé, les lacs pris par les glaces, et nos raquettes crissant dans la neige vierge. J'évoque la soupe brûlante après la randonnée et la miche de pain de campagne pour le petit déjeuner. Hélas, trois fois hélas, on nous annonce que seul est mis à la disposition des rares randonneurs un dortoir non chauffé, le reste du chalet n'est ouvert qu'en été. Sachant que la route qui mène au barrage de Bious-Artigues est fermée chaque hiver et qu'il faut monter à pied depuis Gabas en portant le couchage et la nourriture pour plusieurs jours, nous abandonnons l'idée avec tristesse.

Max oeil de lynx repère en gravissant le sentier à travers la hêtraie des champignons dont certains ressemblent à s'y méprendre à des bolets alors qu'ils possèdent des lamelles sous leur capuchon brun. D'autres, de la taille d'une feuille morte, imitent les cernes des arbres sciés. A l'étage des estives emplies de sauterelles crépitantes vertes, dorées, brunes ou rouges s'étale une vesse-de-loup caoutchouteuse éclatée de la taille d'un grand bol aux spores dispersées.

A chaque altitude sa fleur. Il ne faut pas remettre à plus tard la photographie d'une espèce en se disant que le moment n'est pas propice, que les compagnons de marche sont loin devant et que l'on profitera d'une prochaine pause pour les immortaliser. Parfois, il s'agit d'exemplaires uniques qui ne poussent qu'en un seul endroit. Je resterais bien des heures immobile à observer la vie foisonnante, particulièrement dans cette nouvelle haute vallée que nous explorons, à laquelle nous avons accédé en contournant le lac de retenue de Bious-Artigues par la droite, pour rejoindre par derrière le pic d'Ayous, notre premier objectif.

Une ruche miniature est fixée au bas d'un gros rocher. Des digitales dressent leurs hampes fleuries. Des bouquets de chardons bleus hérissent les prés de leurs tiges raides. Au ras du sol s'étalent des fleurs géantes jaunes dans leur écrin de feuilles piquantes. L'herbe, si douce à l'oeil, n'a rien d'un gazon, et la sieste dans la prairie a tout de l'exploit du fakir sur sa planche hérissée de clous. La nature s'équipe pour lutter contre les intempéries et surtout l'assaut des troupeaux aux dents ravageuses.

Nous trouvons l'eau d'un des nombreux lacs qui s'étagent le long de notre parcours anormalement tiède, sans doute plus de 15°C, à l'image de la mer surchauffée par la canicule des dernières semaines, et nous y nageons sans problème, même pas dérangés par les petits poissons ou les tétards qui foisonnent près du bord. Je m'amuse à observer les différents stades de la métamorphose de ces derniers, et observe l'un d'eux qui arbore déjà presque toutes les caractéristiques de la grenouille, à part la longue queue qui subsiste. Quelques rares névés blanchissent des vallons encaissés de montagnes éloignées : ils risquent de se réduire comme peau de chagrin si ce temps continue.

Jean-Louis tient à nous emmener sur "sa" montagne, le pic Casterau, et nous mettons nos pieds dans les pas de Max qui dirige notre ascension avec aisance. Richard, les tripes nouées par l'inquiétude, progresse sans regarder vers le bas et se plaint de vertige. Ce n'est qu'une fois parvenu sur le vaste sommet en plateau herboré qu'il se décide à admirer le panorama superbe qui s'offre à notre vue. A plat ventre au bord du gouffre, il admire les lacs et désigne les dolines que l'on distingue mieux en les surplombant ainsi. La descente, par contre, ne sera qu'une formalité : l'essentiel, c'était de vaincre l'appréhension (justifiée par une quasi-verticalité de la pente, tout au moins vue d'en bas, et l'invisibilité du sentier que l'on ne devine que lorsqu'on a le pied dessus, au fur et à mesure). Cependant, comme dit Max, il n'a fallu "mettre les mains" que deux fois lors de deux passages rocheux, rien à voir avec une ascension toute en escalade ! Après, nous étions tous contents de l'avoir fait, à cause de la vue, et du vide alentour qui donne réellement une impression de hauteur.

 

 

 

Ossau
30 Juillet 2006
Richard, Max, Jean-Louis et Cathy