Hassan a un objectif précis avec un groupe comme le nôtre : faire connaître tous les aspects de la vie de ses congénères. Dès la traversée du premier village, il s'arrête au pied d'une mosquée toute simple et nous explique les cinq Piliers de l'Islam qui sont les devoirs incontournables que tous les musulmans doivent appliquer. Ils ne sont pas explicitement soulignés dans le Coran comme le sont les Dix Commandements dans la Bible, mais rapportés dans un hadith prophétique : "L'islam est construit sur cinq [piliers]" (Rapporté par Al-Boukharî et Muslim) (merci à Wikipédia pour me les avoir rappelés).

* Le premier pilier, la Chahada, est l'attestation de foi de la croyance en Dieu et de la prophétie de Mahomet, c'est la plus importante.
* Les cinq prières quotidiennes : (Salat, As-salaat).
* L'aumône : la zakat (Azz-zakaat) est l'aumône aux plus pauvres dans les proportions prescrites.
* Le jeûne du mois de ramadan : (saoum, As-siyam) du lever du soleil à son coucher, le jeûne est prescrit. En cas de maladie qui l'empêcherait ou en état d'impureté (non tahar) (menstruation par exemple), un même nombre de jours doit être jeûné au cours de l'année. Il est recommandé de lire le Coran dans son intégralité durant ce mois, ainsi que l'a fait Mahomet.
* Le pèlerinage à La Mecque : (hadjj, Al hajj) au moins une fois dans sa vie si le croyant ou la croyante en a les moyens physiques et matériels.

Durant le trajet, nous verrons justement Hassan pratiquer l'aumône à une paysanne lourdement chargée à laquelle il donne un peu de l'assortiment de fruits secs dont nous ne voulons plus.

Parfaitement connaisseur de nos mentalités, il entre dans de grandes discussions avec les uns et les autres, notamment sur le sujet de la famille. Tout en reconnaissant que son père a l'esprit très large (Hassan est le 4ème de 7 enfants, vit dans son propre appartement à Marrakech, et "sort" avec Estelle, une Française, depuis quelques mois, mais c'est son père qui lui a enseigné son métier de guide, puis il a suivi une formation dans la première école du pays ouverte dans sa vallée d'Azilal, complétée d'une spécialisation de guide de moyenne montagne dans les Alpes françaises), il insiste sur la très grande importance du respect des enfants envers l'autorité de leurs parents. Il trouve impensable (et même à la limite scandaleux, même s'il ne le dit pas) que l'on puisse "placer" les anciens en maison de retraite : les enfants ont le devoir de s'occuper personnellement des parents jusqu'au bout, même et y compris si cela signifie le sacrifice de l'un des enfants (et bien plus probablement de la belle-fille, je pense in petto, sans le lui dire).

En fait, dans ces villages, il semble que chacun ait sa place, selon ses moyens. A Ait Ahmad, nous voyons un jeune qui semble un peu débile et qui, paraît-il, est né sans langue (signe d'une consanguinité probable au fond de ces vallées d'où les gens sortent peu) qui s'occupe à garder les chèvres. A Ait Zitoun, une petite fille très vive affublée d'un bec de lièvre réclamait avec insistance de jouer avec nous aux cartes : ce sont les mêmes cartes espagnoles que celles utilisées pour le mus qui servent au Maroc. A Imin'Tala, chez la propriétaire du dernier gîte (une femme, contrairement aux deux jours précédents où c'était des hommes), trois petites vieilles font du tissage, la plus ancienne, presque aveugle, est chargée de faire les noeuds. Notre hôtesse explique que les grands tapis sont réservés à l'usage familial alors que les petits (dont elle va nous chercher un exemplaire que je trouve moins beau et moins typique que celui qui est en cours sur le métier à tisser) sont vendus aux touristes.

Hassan nous a amenés chez elle pour nous faire voir comment on fait traditionnellement le pain. Ce qui est amusant, c'est qu'en fait, pour leur propre consommation, les femmes le cuisent au four à gaz, et non plus contre la terre cuite qui entoure le foyer de la cheminée... La démonstration était juste pour les touristes ! La cuisine offre d'ailleurs un mélange pittoresque de tradition et de modernité, de même que les autres pièces de la maison, dont la terrasse est équipée d'une parabole affublée d'un linge sur le capteur, signe que la télé ne fonctionne pas beaucoup.

Le roi a décidé qu'à l'horizon 2010 tous les villages auraient l'électricité, la première chose qu'ils installent chez eux est donc la télé (et la lumière dispensée par des ampoules nues au bout de fils apparents qui courent le long des murs et des plafonds). Par contre, Hassan n'a pas parlé d'une installation générale de l'eau courante ni d'égouts dans les villages... Comme en Espagne avant - et aussi en France il y a encore plus longtemps -, les Marocains ne semblent pas sensibles à la crasse ambiante. Les alentours de Marrakech sont parsemés de plastiques, de même que les ordures sont jetées autour des maisons dans les villages. Nous avons vu des ruisselets courir dans les ruelles de terre et de roche, mais j'ignore s'il s'agissait des eaux usées. Par contre, j'ai eu le sentiment que les Marrakchis faisaient un effort méritoire pour nettoyer leur ville, au moins dans le centre touristique et les beaux quartiers. Nous avons vu sur la place Jemaa El Fna de la Médina une camionnette arroser le sol et des balayeurs un peu partout dans les ruelles. Il y a aussi un ramassage d'ordures organisé dans les souks par des hommes qui tirent des charrettes à bras en criant dans la foule pour se frayer un passage.

J'ai demandé à Hassan si ce sont les hommes qui obligent les femmes à se couvrir de voiles y compris sur le visage, et je me suis fait fusiller du regard : selon lui, il s'agit réellement d'une décision indépendante de leur part, un simple signe de grande foi et pratique religieuse. N'ayant pas eu l'occasion d'en interroger (il n'y en avait qu'à Marrakech, et encore, pas en très grand nombre, et aucune dans les villages berbères), je ne me prononce pas.

Autre sujet un peu difficile à aborder, celui du roi : sa photo trône partout, quelle que soit l'opinion du propriétaire de la maison, gîte, magasin ou autre. C'est obligatoire et l'on n'en parle pas.

Les pauses de midi et les veillées le soir ont été marquées par des parties de cartes acharnées (mus et tarot) et nous avons également chanté, ce qui a plu à Hassan et Mohammed qui se sont joints à nous pour chanter les chansons françaises qu'ils connaissaient et nous en enseigner une en arabe (ou berbère ?). Pierre et moi aurions bien aimé qu'ils nous racontent des histoires, alors, comme ils ne savaient que dire, ils se sont procuré le dernier soir de grands tambourins et nous ont chanté des chansons traditionnelles berbères en éclatant de rire au milieu et en bavardant entre chaque avec un grand naturel. Ce n'était pas préparé, juste le plaisir d'être ensemble et de nous faire part de leurs coutumes - chant de mariage, chant de fête, chant improvisé, tous plus ou moins répétitifs à notre oreille mais accompagnés au tambourin d'un rythme implacable et varié à la fois : impressionnant et très intéressant ! -. Après, ils nous ont fait passer à la ronde les tambourins pour qu'on essaie à notre tour, et ce n'était pas facile ! Enfin, on leur a réclamé le jeu de cartes qu'ils avaient promis de nous apprendre et on a joué tous ensemble, muletiers y compris, en riant à coeur joie.

Suite

 

 

 

Pierre et Rose, Xavier, Max, Michèle, Julien et Jérémy, Richard et Anna, Cathy, Jean-Louis et Jonathan
Maroc 2007
28 octobre au 3 novembre 2007