Depuis notre première ascension de la Rhune par l'Espagne, je suis intriguée par l'emplacement très bizarre de la frontière, située peu avant le col de Lizuniaga, et j'avais envie de me plonger un peu dans l'histoire mouvementée des limites entre états. Il faut dire que les incongruités sont légions dans ce petit périmètre. Il suffit de donner pour exemple le village navarrais de Zugarramurdi, enclavé dans la façade nord des Pyrénées, et dont les grottes appartiennent au même ensemble que celles de Sare, de même que la montée côté français vers le col d'Ibardin, qui était autrefois barrée par le poste de douane, et appartient à la commune de Vera de Bidasoa située à la pointe extrême de la province basque de la Navarre, tout contre le Labourd au nord et le Guipuzkoa à l'ouest. Sare, au contraire, contourne la Rhune par l'est et englobe une partie de sa face sud (mais pas jusqu'aux ventas de la cime).

Chargée de défendre les cols de Lizarrieta et de Lizuniaga contre les invasions provenant de la péninsule ibérique, Sare a bénéficié durant de nombreux siècles sous la monarchie avant 1784 d'une quasi autonomie. Elle portait la qualification de "République" (héritage romain, terme qui désignait les "civitates"), jouissant de la faculté de traiter librement avec les vallées et les communes voisines, ainsi qu'on peut le voir sur ces extraits d'archives de la commune : " ...Entre la République de SARE et l'université de Baztan...", " ...Entre la République de SARE et la noble ville d'ETCHALAR...", " ...Entre les Républiques de VERA et SARE...". Elle faisait partie du Pays de Labourd dont le statut politique jusqu'en 1789 est un véritable dominion soumis durant trois siècles à la couronne d'Angleterre et ensuite à la couronne de France. Grâce à ce statut, Sare passera de nombreux accords de bon voisinage, de pacages, d'alliances... avec ses voisins du Sud des Pyrénées, intitulés "accords de faceries", qui se perpétuent encore à l'heure actuelle.

Inversement, en 1402, le roi de Navarre Carlos III le Noble concéda aux habitants de Vera et Lesaka une série de privilèges en compensation de la défense de leurs terres face au Guipuzkoa et au Labourd. Ceci n'empêche pas les influences mutuelles, illustrées par l'introduction en 1610 du maïs depuis Bayonne, devenu une culture de base dans le système agraire de type atlantique. Autre exemple d'influence, à l'époque de Sancho Garcés III el Mayor (1004-1035), qui règne sur la majeure partie du territoire chrétien de la péninsule : Pamplona, Nájera, Aragón, Sobrarbe, Ribagorza, Castilla y León, et vise la Gascogne et le comté de Barcelone. Ce monarque organise le Chemin de Saint Jacques de Compostelle, introduit l'art roman et la culture clunisienne (diffusée à partir de l'abbaye bénédictine de Cluny - Mâconnais, France -). Il entretient des relations d'amitié avec son contemporain, le duc d'Aquitaine, Guillaume V le Grand (973-1030), comte du Poitou, célèbre pour sa piété et sa dévotion au pape, qui alternait tous les ans pour ses pèlerinages pieux le voyage à Rome et celui à Compostelle.

Ces relations bilatérales s'illustrent par l'implantation à Sare de la famille noble navarraise Lahet, connue depuis le début du XIIème siècle, et qui prend part à la quatrième croisade avec Louis IX et Thibaut de Champagne. Cette venue précède l'entrée de la Navarre dans l'orbite française, pour lutter contre les pressions de la Castille et de l'Aragon (1234). La Castille finira par envahir la Navarre au sud des Pyrénées en 1512, dont le dernier couple royal, Don Juan et Doña Catalina de Albret, trouvera refuge au nord des Pyrénées pour donner naissance à partir de 1555 à la Maison des Bourbons (Henri IV) qui règnera en France jusqu'à la Révolution et en Espagne à partir de 1700 (jusqu'à Juan Carlos I de Borbón, le roi actuel)...

Il y a eu un autre type d'influence du fait de notre voisinage avec l'Espagne islamique. L'amour courtois par exemple en est issu : il s'est d'abord exprimé dans les cours des seigneurs arabes, et s'est diffusé par le truchement des troubadours qui ont repris ses valeurs, tout en s'accompagnant d'instruments de musique issus de tout le bassin méditerranéen, jusqu'en Perse. Ont été touchés la littérature, la poésie, les chants, grâce principalement au roi castillan Alfonso el Sabio (1221-1284) dont la contribution au savoir européen dans de multiples domaines mérite d'être mieux connue.

C'est dire si nous vivons dans un lieu chargé d'histoire, où la petite a rejoint la grande, les petites luttes d'influence locales ayant eu des répercussions sur les destinées françaises, espagnoles et même européennes. Encore ignorants de toutes ces merveilles, nous assistons à une autre sorte de lutte, climatique celle-ci. La journée du 12 août est excessivement chaude, mais le flan sud agréablement ombragé par une végétation variée de hêtres, chênes et résineux nous abrite pendant notre ascension. Lorsque nous arrivons à découvert, une sorte de brouillarta se forme sur la cime, les volutes humides se heurtent à la face nord-ouest qu'elles escaladent avant de dévaler le flan sud-est par vagues successives. Nous sommes presque perdus dans cette opacité, ayant décidé de couper droit à travers un bosquet aux troncs élancés. Nous retrouvons heureusement le chemin en lacets un peu plus haut qui nous mène au sommet sans encombre. La descente se fera dans la brume jusqu'à mi-pente, puis, curieusement, nous descendrons sous le plafond nuageux où l'ambiance moins humide nous donnera envie de faire une "pause mus" (le dernier jeu à la mode) entre Max, Richard, Jean-Louis et moi, tandis que les enfants s'amusent et Michèle et William se reposent.

 


Rhune 12 et 19 août 2007

12/08 : Max, Michèle, William, Victor, Richard, Sammy, Jean-Louis, Cathy

19/08 : Max, Richard, Jean-Louis, Cathy