Richard, Michèle, Max, Dominique, Jean-Louis B., Cathy | La Rhune |
7 janvier 2007 |
Le
Nouvel An est passé, avec une soirée calme entre amis clôturée par l'élaboration
d'une grande tour en équilibre instable avec le jeu nordique du Jenga.
Maintenant, il est temps d'éliminer les
excès alimentaires des fêtes et nous alternons footing, vélo et marche.
La première de l'année, c'est la Rhune, que nous redécouvrons toujours
d'un oeil nouveau. C'est d'abord l'exubérance des boules rouges sur
un houx aux feuilles presques plates et peu découpées qui nous interpelle.
Je
doute que ce soit bien la même espèce que celle que nous voyons en plaine.
C'est Jean-Claude, le compagnon de Michèle (une amie de Martine
rencontrée pendant l'ascension) qui nous déclare qu'il s'agit de la variété
montagnarde, qui possède des pieds distincts mâles et femelles. Renseignements
pris sur Wikipédia, c'est la femelle qui porte ces grappes de baies attirantes
mais toxiques (pour nous, mais pas pour les merles ou les grives, bien
contents de pouvoir s'en nourrir en hiver).
Moi
qui suis en plein dans la lecture passionnante de l'Europe des Barbares
(entre la fin de l'empire
romain et le début du Moyen-Age), je me réjouis de découvrir que le terme
"houx" est issu du francique "hulis" également à l'origine du verbe "houspiller"
et que l'on retrouve dans le néerlandais "hulst" :
j'adore rencontrer
des traces d'histoire encore perceptibles dans notre propre langue, et
que nous ayons gardé le terme de nos envahisseurs germains de
la tribu des Francs plutôt que celui utilisé par les Gaulois celtes ou les Romains
est vraiment étonnant.
Autres détails amusants, Hollywood signifie bois de houx, et la famille de Yves Joseph de Kerguelen de Trémarec, découvreur des îles Kerguelen, avait pour emblème le houx et pour devise "Vert en tous temps" car le nom Kerguelen fait référence en breton à un lieu planté de houx. Etant donné sa croissance très lente, accompagnée d'ailleurs d'une très grande longévité, le bois de houx est peu utilisé, si ce n'est chez les maquettistes et en marqueterie, notamment pour élaborer les pièces blanches des jeux d'échecs. Le plus célèbre objet en bois de houx est la canne de marche de Goethe, visible au musée de Weimar.
Nous
continuons notre progression, admirant les brumes matinales qui se déplacent
lentement dans le fond de la vallée,
dispersées progressivement par la douceur étonnante de cette aube hivernale.
Dominique,
qui est d'ici mais séjourne depuis 14 ans sur l'île de la Réunion, s'étonne
de voir à quel point les maisons sont soignées et les
jardins
entretenus
: même les fils électriques et téléphoniques sont enterrés, rien ne vient
ternir la beauté des villages.
Comme
nous faisons le tour de la Rhune pour accéder au sommet plus
progressivement, nous traversons un petit bois de
conifères dont certaines branches sont encapuchonnées
de blanc. A la fin de l'été, les papillons ci-dessous
ont pondu des oeufs collés
en
grappes aux branches
dont ont émergé les chenilles dites processionnaires
qui
se nourrissent
des
aiguilles. Je
pensais qu'elles
restaient
en file
indienne et se retrouvaient quand elles étaient séparées
grâce à des
phéromones, mais apparemment le principe est différent
de celui des fourmis : la
tête reste en contact avec les poils de l'abdomen de la chenille
qui précède, et elles émettent aussi un fil de
soie qui leur permet de retourner au nid. Ce sont leurs poils, qui
se cassent facilement,
qui sont urticants et allergisants. D'après Wikipédia,
la lutte chimique par pulvérisation aérienne d'insecticides
est de
plus
en plus abandonnée pour être remplacée par la lutte biologique
(pulvérisation
de toxines produites par une bactérie, dont l'ingestion provoque
la mort des larves par septicémie).
Comme d'habitude, nous rencontrons des
gens qui font l'ascension de très bonne heure (une femme descend déjà
à notre parking du réservoir de Sare à 9 heures et quelques alors que
nous arrivons juste), une paire d'hommes très pressée qui visiblement
s'entraîne pour une course prochaine et
d'autres qui grimpent aussi au pas de charge, plus tentés par l'exploit
sportif que par la contemplation.
Pourtant, nous ne nous lassons pas de regarder le paysage, qui offre
à chaque détour du sentier un nouveau point de vue accompagné d'un nouvel
éclairage.
Dans
le ciel, les nuages floconneux s'agglomèrent avec célérité pour se désagréger
bientôt sous l'action d'un vent violent dont nous
sentons les prémices en atteignant le sommet refroidi par ces masses
d'air en mouvement. Les ombres s'étirent en direction de la côte toute
proche, dont les détails s'étendent des dunes landaises aux contreforts
du Jaïzkibel, en passant par les vagues de la côte des Basques, la baie
de Saint Jean de Luz et celle de Txingudi. Je regrette toujours de ne
pas pouvoir envoyer sur le web des photos de la taille d'un poster, en
plein écran, tant la vue est belle.
Assez
curieusement, des cairns énormes, empilés sur des années,
ont disparu près du sommet. Max nous en fait
la remarque, étonné, et nous supposons que des gens sont
montés en 4x4
par la route des ventas et s'en sont emparés, pour construire
une borde ou mettre dans leur jardin sans doute. Heureusement que ces
voleurs n'ont pas fait de même avec le cromlech bien complet
qui est dressé un
peu plus bas. Suite à ma lecture du livre sur les Germains et
les Slaves, qui décrit leurs moeurs tribales du début du
premier millénaire, je me
demande si ce cromlech ne se trouvait pas au milieu d'une clairière
de chênes. En effet, ces deux anciennes populations avaient coutume
de se réunir à la pleine lune ou à la nouvelle lune
(qui servait de calendrier) dans des lieux clos sacrés situés
sur un monticule ou dans une clairière
d'un bois sacré pour
y accomplir
des rites
païens et régler les affaires de la communauté.
Peut-être
cette coutume remonte-t-elle au néolithique et qu'elle était commune
à d'autres populations tribales ?
Voici les
résultats succincts d'une analyse palynologique (du pollen) dans une
tourbière
combinée à l'étude
des résidus
carbonisés
réalisée à Cuguron (Pyrénées Centrales)
par Didier Galot et
deux autres chercheurs. Elle démontre que depuis 4500 avant J-C des
incendies d'origine humaine
ont été décelés sur ce flan nord des Pyrénées
centrales. Ils correspondent
à des
périodes
successives
de début puis d'intensification des pratiques agricoles depuis
le Néolithique
ancien et ils sont les premiers témoignages de l'exploitation
de la forêt.
Pendant
une première phase qui court de 4500 à 2700
avant J-C, les hommes du néolithique ouvraient par le feu
de petites clairières
dans des
forêts de grands arbres feuillus (noisetiers, chênes,
bouleaux, et aussi ormes, tilleuls, frênes, aulnes), où ils cultivaient
jusqu'à épuisement
du sol, puis se déplaçaient
un peu plus loin pour recommencer de même, pendant que la forêt
se régénérait rapidement
par la pousse d'arbres à croissance rapide comme les aulnes
: ils pratiquaient une agriculture extensive.
Puis,
de 2700 à 630
avant J-C, les hommes ont moins fait appel aux incendies de forêt,
probablement (supposent les chercheurs) parce qu'ils avaient découvert
l'usage d'outils métalliques.
A
partir de 600 avant J-C, les incendies reprennent de plus belle dans
la deuxième moitié de l'âge de fer, ils correspondent
à un accroissement
corrélatif des activités agro-pastorales. La couverture
forestière
décroît sans
se régénérer, ce qui indique l'instauration
de champs permanents,
la
réduction des périodes de jachère et la modification
du paysage. Enfin, la dernière période comprise entre le
11ème siècle et le 16ème siècle
de notre ère voit la réduction
drastique de la forêt de chênes pendant l'expansion agraire
médiévale.
Depuis le 17ème siècle jusqu'à nos jours, le paysage
est resté inchangé,
avec des champs et des pâturages fixes, la faible teneur en charbon
de bois révélant simplement un usage domestique et
l'écobuage
pour favoriser la pousse de l'herbe.