On parle peu de la raréfaction des insectes induite par notre présence, si ce n'est parfois pour déplorer celle des abeilles qu'il faut déplacer par ruches entières afin de leur faire féconder les fleurs de nos arbres fruitiers plantés sur des hectares, le miel n'étant qu'un sous-produit bien négligeable sans doute en chiffre d'affaires par rapport aux revenus de la location des essaims. De même, rares sont ceux qui regrettent le comblement des marais, zones inondables et zones humides en général, considérant qu'il s'agissait là de sources de miasmes et d'épidémies, et que les moustiques ne sont que nuisances à éliminer à tout prix. C'est oublier l'extraordinaire complexité de la nature, et l'imbrication de tous les êtres vivants entre eux et dans leur environnement. Le moindre changement dans leur agencement ou leur nombre induit des conséquences inimaginables et que nous remarquons souvent bien tardivement (à condition que l'une d'entre elles nous touche directement).

Jean-Louis et moi sommes allés récemment à une soirée d'initiation sur les chauve-souris aux grottes de Sare, organisée par Tangi le Moal, du CREN (Conservatoire Régional des Espaces Naturels) et membre de l'association de ces mammifères volants nocturnes (chiroptères). Nous avons appris que celles qui font halte dans ces grottes ou y résident sont insectivores, et qu'elles régulent, pour peu qu'on leur fasse bon accueil et qu'on ne les dérange pas, la population des moustiques et autres insectes nocturnes. Il expliquait qu'une des espèces est particulièrement adaptée au vol en forêt par un sonar court, rapide et précis : le déboisement lui pose un problème immense, car, sans point de repère à courte distance, elle se retrouve perdue au-dessus d'un grand champ comme nous le serions au milieu de l'océan. Le remembrement a certainement causé des ravages dans cette population, ou bien elle a émigré dans des régions plus hospitalières (résultat, nous sommes "obligés" d'utiliser des insecticides pour compenser la raréfaction des chauve-souris).

Nous sommes une fois de plus sur les contreforts pyrénéens, l'Haltzamendi et le Baïgoura, petites hauteurs "anthropisées", c'est-à-dire très peu sauvages, puisque des juments avec leurs poulains mêlés à des brebis paissent en liberté provisoire, et que les éleveurs entretiennent les alpages constamment menacés par l'envahissement des fougères, bruyères, ajoncs ou forêts. Dès que la journée avance, l'air s'emplit de bruissements, traversé à des vitesses et des hauteurs variées par une foule de petits êtres qui nous importunent de temps à autre en nous fonçant carrément dedans, faute d'avoir regardé devant eux en volant, ou attirés par l'odeur pregnante de sueur que nous émettons, à moins que ce ne soit par notre sang. Heureusement, la majorité de cette foule innombrable s'intéresse bien davantage aux fleurs qui recouvrent la montagne, bruyère rose vif ou clair, ou carrément blanche, ajoncs dorés et fleurettes timides au ras du sol, jaunes, mauves ou blanches. Moins poétiquement, mais tout aussi utilement, les insectes (dont pas mal de papillons, ainsi que des larves invisibles d'insectes) sont coprophages : ils se nourrissent du crottin de cheval et des petites crottes rondes de brebis qu'ils contribuent à dégrader et décomposer, faute de quoi, nous en serions envahis et infestés et les pâturages seraient étouffés et empoisonnés au lieu d'être engraissés.

Passant devant quelques chevaux, nous sommes surpris de constater qu'ils sont inégalement attaqués par les mouches qu'ils chassent avec vigueur de la queue ou d'un mouvement de crinière sans jamais réussir à s'en débarrasser totalement. Je lis à ce propos un article détaillé sur les méfaits de ces insectes peu sympathiques (vecteurs de maladies). J'en lis un autre qui sensibilise au danger environnemental causé par la vaccination du cheptel contre les parasites. En effet, si les mouches importunent grandement les chevaux par leurs piqûres douloureuses, leurs larves tombées sur le sol se nourrissent de leur crottin. Cependant, lorsque celui-ci contient encore des traces de vaccin antiparasitaire (vermifuge), les larves meurent et ne peuvent faire leur office de dégradation. Quant aux autres coprophages, ils absorbent le vaccin qui demeure dans leur organisme et induit ainsi une infestation en chaîne des insectivores, chauve-souris, oiseaux, autres insectes... ceci encore avec des interrogations non encore résolues. Ce qui est aussi intéressant, c'est que, de même que des insectes butineurs recherchent une espèce particulière de fleurs, les insectes buveurs de sang, de sueur ou de larmes s'attachent à une espèce particulière de mammifères, et donc les chevaux sont "associés" en une symbiose bien douloureuse avec tout un éventail de mouches et autres bestioles, et il en est de même pour les ovins ou les bovins. Le développement de l'élevage a donc contribué à celui de ces petites bêtes à la fois nuisibles et utiles que nous avons transportées dans le monde entier. Il me semble que les chevaux sont originaires d'Asie où ils disposaient de prairies immenses qu'ils parcouraient librement en hordes sauvages. Cette itinérance était une défense naturelle contre l'infestation par les mouches, qui n'ont pu se développer anormalement que lorsqu'ils ont été sédentarisés, disposant ainsi en permanence du gîte et du couvert pour toutes leurs phases de vie...

Lorsque nous suivons les crêtes, nous nous étonnons de la végétation à forte dominante de joncs, indicatrice de marécages jusque sur les sommets. D'ailleurs, l'eau affleure par endroits, et nous tâchons d'éviter de marcher dans la fine boue noire, glissante et traître et de glisser sur la roche rendue humide par le ruissellement. Ces plantes ont des dénominations diverses car elles poussent un peu partout à partir du moment où elles trouvent une humidité permanente et elles ont longtemps été utilisées comme textile végétal pour en faire des liens ou des ouvrages de vannerie : Jonc-des-chaisiers, Jonc-des-tonneliers, Scirpe des lacs, Scirpe des étangs, Schoenoplectus lacustris (L.) Palla, Souchet des lacs, Scirpus sp. (Cyperaceae). Il ne s'agit pas là de tourbières, contrairement à ce que je pensais, puisqu'il n'y a ni sphaignes, ni carex, ni roseaux. Leur présence est sans doute due pareillement à une relative imperméabilité du sous-sol qui limite les pertes d'eau par infiltration, liée à une pluviométrie importante supérieure à l'évapotranspiration, ainsi qu'à une probable capacité de la plante à freiner ou stocker l'eau. Tout près d'ici, le village d'Iholdi signifie "région où pousse le jonc".

Sur un site, je retrouve l'histoire de l’espadrille que j'ai déjà entendue au musée-magasin de la zone artisanale d'Ossès dont les anciennes machines et les vieilles photos m'avaient enchantées. L'espadrille, dont le nom vient du languedocien "espardille", est une chaussure légère en toile dotée d’une semelle caractéristique en corde de chanvre tressée. Cette sandale, dont l’Espagne et la France revendiquent l’invention, est très populaire des deux côtés des Pyrénées, de la Catalogne au Pays basque. Selon certaines sources, l’espadrille est originaire d'Espagne, où elle aurait été portée dès le XIIIème siècle par les fantassins du roi d'Aragon. Son nom dériverait d'esparto, une sorte de jonc que l’on tressait pour confectionner les semelles (et qui a aujourd'hui disparu paraît-il). En France, cette sandale a vraisemblablement été fabriquée au Pays Basque dès le XVIIIème siècle par des artisans du chanvre et du lin, même si son usage s’est surtout répandu dans la seconde moitié du XIXème siècle. Le village de Mauléon-Licharre en Soule (dans les Pyrénées-Atlantiques), qui est la capitale de la fameuse sandale de corde et de toile, a pris son essor vers 1850. En 1880, les espadrilles (espartiña en souletin) sont portées par les ouvriers des mines et s’exportent jusqu'en Amérique du Sud. La région compte alors une trentaine d’usines. En 1911, les 9 usines situées à Mauléon emploient 1600 ouvriers. Aujourd’hui encore, c’est à Mauléon que sont produites près de 65% des espadrilles de fabrication française. La fabrication y est restée artisanale. L’espadrille est faite de corde tressée et de toile. A l’origine, les artisans fabriquaient les semelles à domicile. La toile utilisée était le lin, qui a ensuite été remplacé par du coton aux couleurs vives (car le processus de fabrication de la toile de lin est bien plus long et compliqué que pour celle de coton, 8 étapes au lieu de 2 ou 3 je crois). Pour protéger la semelle des espadrilles, les paysans l'enduisaient de goudron. Aujourd’hui, la traditionnelle semelle en corde véritable est renforcée par du caoutchouc (mais la corde, sauf erreur, est désormais en chanvre, et a été importée d'abord d'Inde, et vient maintenant de Chine).

Contrairement au reste des Pyrénées, le Pays basque voit la pratique de l'élevage extensif augmenter, et certaines zones sont trop piétinées et surexploitées tandis que d'autres sont délaissées par le cheptel et leurs éleveurs. Le paysage reflète ce comportement et sa végétation varie en conséquence, ce qui n'est pas pour nous déplaire. Pendant le pique-nique, je m'amuse des positions invraisemblables de repos que prennent les brebis pendant leur sieste, une debout, la tête enfoncée dans l'ombre d'une petite grotte, sa voisine le menton appuyé contre un méplat. Sans les déranger le moins du monde, deux VTTistes dévalent la pente voisine en sautant des rochers, leurs compagnons les suivent avec plus de prudence. Ce sont des bons, qui sont montés depuis Bidarray et effectuent une boucle par les cimes avant de retrouver leur point de départ.

Nous retrouvons la voiture près de laquelle se dresse un arbre curieux, formé d'un vieux tronc de chêne écorcé aux fibres vrillées et aux deux branches en fourche sciées, contre lequel a poussé un genre de lierre qui s'y est tellement plu qu'il a formé un véritable tronc accolé dont émane une corolle de branchages tout à fait étonnante, mimant un arbre véritable.

Diaporama de Richard

 

 

Pierre, Rose, Richard, Max, Michèle, Jean-Louis, Cathy
Baïgoura - Haltzamendi
17 août 2008