Après la montagne, direction la mer, mais pas directement. Nous faisons halte au château de Castelnou, en effectuant un petit détour avant Thuir. Le village de pierre, interdit aux voitures, peut rivaliser de beauté avec ceux du Périgord, où de flamboyants lauriers roses auraient remplacé les géraniums. Le seul regret, c'est qu'il semble dépourvu de vie, sans doute sommes nous arrivés trop tôt dans la matinée, les échoppes d'artisanat doivent être réglées par rapport aux hordes touristiques qui commencent à arriver lorsque nous terminons la visite. Le château en lui-même n'est pas transcendant, les propriétaires n'ont d'ailleurs pas fait les frais d'embauche d'un guide et profitent surtout de leur présence sur le circuit pour écouler le vin de leurs vignes.

Ce qui nous plaît beaucoup, c'est le reportage d'Arte sur la vie au Moyen-Age qu'ils font tourner en boucle dans une sorte de cellier étroit et sombre. Il remet en question les idées que l'on se fait sur cette période peu prisée des cours d'histoire, notamment en ce qui concerne l'alimentation. A l'époque (donc, durant tout un millénaire, de 500 à 1500), on considère qu'un aliment est également un médicament, pensée issue des Grecs, via les Arabes, selon laquelle les maladies seraient causées par un déséquilibre des "humeurs" dans le corps auquel on peut remédier par une meilleure alimentation (selon les qualités du chaud, du sec, du froid, de l'humide, correspondant aux quatre éléments, le feu, l'air, l'eau et la terre, représentations qui imprègnent aussi profondément l'alchimie). Par exemple, pour lutter contre la fièvre (chaude), une salade (froide) est tout indiquée.

Contre toute attente, les règlements sanitaires sur les marchés sont draconiens : les bêtes y sont vendues vivantes, ou bien tuées devant le client (je pense qu'il s'agit de la volaille), le pourceau (très prisé), le chevreau et l'agneau doivent être écoulés le lendemain de leur abattage au plus tard - les vaches sont conservées pour le lait et les travaux de labour -. Selon notre goût actuel, la viande serait trop fraîche, nous la préférons plus rassie (au moins en ce qui concerne le boeuf, pour le reste, je n'en sais rien). Ce souci de fraîcheur explique peut-être que la viande soit toujours bouillie préalablement à tout autre mode de cuisson (probablement blanchie, car elle est gluante, pour la nettoyer). Les pourceaux sont abattus entre Toussaint et Mardi Gras, tout simplement parce que, durant ces semaines, les mouches sont absentes et la conservation meilleure par temps frais.

La religion impose à tous de respecter l'observance des jours de Carême où la viande est interdite. En jours cumulés, le tiers de l'année y est consacré, dont tous les vendredis. De ce fait, les bouchers se transforment en poissonniers. Hormis le poisson fraîchement pêché en mer, lac ou rivière, on peut trouver du hareng en saumure (durée de conservation d'un an), qui sera supplanté par la morue, richesse des Hollandais qui pensent à la préparer directement dans les bateaux durant la pêche et la vendent dans toute l'Europe (qui n'existe pas encore, mais le terme est pratique). Le Moyen-Age voit apparaître les premiers livres de recettes (paraît-il) où l'on constate que le vin est bu en quantités astronomiques, mais il est très différent de celui qui est fabriqué de nos jours. Il s'agit d'un vin toujours jeune, récolté sur des ceps dont le raisin est bien moins sucré que de nos jours, il ne titre pas plus de 5 à 6°, et on l'associe (le vin rouge) à du miel, de la cannelle et du gingembre. Le vin le meilleur est foulé au pied, et l'on fait un vin de moindre qualité au pressoir (car il manque la rafle). A propos de raisin, on le récolte aussi avant qu'il soit mûr, lorsqu'il est encore vert, mais que la peau commence à s'assouplir. On le presse pour en extraire le "vertjus", liquide acidulé que l'on verse sur la viande cuite, en assaisonnement.

Cependant, l'ordinaire du paysan est plutôt composé de soupe. D'abord on dispose au fond de l'écuelle des tranches de pain (épeautre, seigle, froment) sur lesquelles on verse le potage (on dîne tôt). Elle est brune en hiver (à base de pois et de fèves), blanche au printemps (oignons) et verte en été (herbes). Le pain sert de tranchoir, puis d'assiette. Par rapport à aujourd'hui, il n'y a ni pommes de terre, ni tomates, ni poivrons et piments (importés d'Amérique), on ne mange quasiment pas de fruits, car ils sont acides ou âpres, petits et astringents pour la plupart, par contre, les Croisades permettent d'améliorer l'ordinaire de multiples épices exotiques dont les gens sont très friands. Les plats du Moyen-Age (ceux des moines et des seigneurs) sont généralement très fins et relevés avec beaucoup de délicatesse par des condiments locaux ou importés. Leur souci de l'équilibre fait qu'ils associent aux viandes des légumes, herbes ou condiments de façon à permettre la digestion la plus agréable possible.

Photos : Histoire du château de Castelnou racontée sur des pages ornées par une enlumineuse actuelle (détails).

SUITE

 

Cathy et Jean-Louis

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Du dimanche 13 au jeudi 17 juillet 2008