Nous inaugurons un nouvel accès aux crêtes d'Iparla, par Urdos, ou plutôt la ferme Bordazar (parce que les panneaux indicateurs sont inexistants, et qu'il a fallu choisir à chaque embranchement à partir de St Martin d'Arrosa s'il fallait prendre à gauche ou à droite, et qu'à la fin, nous avons choisi la "mauvaise" option - résultat, nous avons raccourci un peu la boucle et évité une portion de marche sur le bitume -). Des voitures sont déjà garées contre le talus, un large sentier bordé de ronciers couverts de mûres délicieuses bien noires et juteuses ouvre une tranchée dans les prairies en direction de la paroi montagneuse impressionnante qui barre l'horizon. Un moment, nous suivons le cours d'un ruisseau dont le murmure suggère une impression de fraîcheur dispensée par l'ombre de chênes vénérables. Les chatons des châtaigniers se sont transformés en un chapelet de bogues vertes minuscules de taille décroissante au bout de chaque rameau. Il paraît qu'ils ont été plantés là comme arbres fruitiers à l'époque peut-être pas si lointaine où la farine de châtaigne permettait de subsister en période de soudure à la fin de l'hiver ou de disette après de mauvaises récoltes de céréales, quand le pain était la base de l'alimentation. Celle-ci constituait même la nourriture principale de certaines régions (Cévennes) généralement sous forme de bouillie dans du lait.

Comme à l'accoutumée, je traîne à l'arrière derrière les sportifs qui considèrent le moindre raidillon comme un défi à relever, et j'en profite, libérée de toute pression, pour photographier les beautés de la nature. En ce mois d'août, elle est justement particulièrement verte et fleurie, grâce aux pluies abondantes qui sont tombées en juin dernier, et je me réjouis de voir les tapis de bruyères rose foncé ou clair qui semblent avoir été plantées exprès en bordure du talus pour distraire le randonneur de la fatigue de l'ascension ou bien couvrent des pans entiers de la haute montagne, accrochées aux rochers qu'elles retiennent quelque temps d'une chute inexorable. Un magnifique paon du jour fonce de toute la vitesse de ses grandes ailes en suivant un courant parfumé invisible, d'autres papillons, plus petits, volettent de fleur en fleur sans jamais s'éterniser, avides de pollen et probablement sensibles à un monde de couleurs et de senteurs qui nous échappe totalement.

A ce propos, je me souviens avoir lu que les plantes influent sur le climat par leur seule présence et le rendent favorable à leur existence. Par exemple, le site "espere" montre l'effet des gaz organiques émis par la végétation (j'en reprends quelques passages ci-après). Il en émane principalement du gaz isoprène (environ 500 millions de tonnes/an) et des monoterpènes (130 millions de tonnes/an). En comparaison, on évalue à 200 millions de tonnes par an l'émission par les humains de composés organiques (sans compter le méthane, qui est un gaz à effet de serre, dont environ 200 millions de tonnes sont émises chaque année par des sources naturelles, et indirectement environ la même quantité par l'homme car le bétail et les rizières émettent beaucoup de méthane). Les plantes fabriquent de tels composés durant leur vie, et en particulier durant les phases de stress (chaleur, sécheresse, blessures...), qu'elles émettent grâce à leurs feuilles ou leurs aiguilles. J'observe ce phénomène à mon insu à chaque balade, en constatant que l'air s'opacifie, devient plus dense et les odeurs plus intenses lorsque le soleil est au plus haut, en début d'après-midi, tandis que les insectes s'affolent, énervés par tant d'effluves.

Une fois que ces gaz sont dans l'atmosphère, ils réagissent avec d'autres gaz (comme l'ozone par exemple). Les produits de ces réactions sont de nouveaux composés. Ces derniers peuvent se déposer sur les plantes ou le sol, ou bien s'agglomérer avec des particules dans l'air et les faire ainsi grossir. Ces particules souvent invisibles qui flottent dans l'air s'appellent des aérosols et sont nécessaires à la formation des nuages.

L'azote aussi est un élément important dans le monde vivant. Des molécules biologiques comme les protéines, les acides aminés, l'ADN qui jouent des rôles essentiels pour tous les organismes vivants en sont constitués. Les plantes captent cet azote dans le sol, qui est sous la forme de nitrate ou d'ammoniac; certaines bactéries prennent l'azote de l'air pour le transformer en ammoniaque assimilable par les arbres. Mais les bactéries peuvent aussi décomposer le nitrate pour former du protoxyde d'azote, qui est un gaz et sera donc relâché dans l'air. Ce protoxyde d'azote est très stable et très "résistant", il n'est pas détruit dans la partie basse de l'atmosphère (la troposphère) et monte jusqu'à la stratosphère où se trouve la couche d'ozone. Cette fabrication par les bactéries est ainsi la première source de protoxyde d'azote de la stratosphère. Ce composé participe au trou de la couche d'ozone, et revient finalement au sol sous la forme d'acide nitrique. Les émissions de protoxyde d'azote ont augmenté à cause de l'utilisation grandissante d'engrais dans l'agriculture. Environ 15 millions de tonnes sont émises dans le monde chaque année.

Enfin, les algues et le plancton végétal utilisent des composés soufrés à partir des sulfates de soufre contenus dans l'eau de mer pour réguler la pression de l'eau dans leurs cellules. Leur dégradation produit un composé organique soufré appelé sulfure de diméthyle qui est émis dans l'eau et passe dans l'air, où il réagit avec d'autres composés pour donner finalement de l'acide sulfurique, nécessaire à la formation des nuages.

Ces réflexions sur les émanations des plantes me sont venues quand je cheminais en peinant beaucoup au milieu d'un tapis dense de fougères très hautes qui maintenaient au sol une couche d'air humide à la température élevée, me donnant l'impression de circuler dans une étuve, un sauna scandinave ou un hammam marocain. J'ai beau chercher, je ne trouve nulle part mention de cette aptitude des fougères à créer sous leurs frondes un mini-climat tropical. Par contre, je trouve d'autres indications à leur propos qui me paraissent intéressantes sur Wikipédia dont je reprends des éléments ci-après. Nous cheminons dans des champs de fougère aigle (parce que, si on la sectionne à la base, on peut reconnaître un aigle à deux têtes sur la tranche). Là où je croyais voir une multitude de plantes, il n'y en a en fait qu'une à deux par hectare, si l'on se base sur l'étendue du rhizome, enfoui à 30 ou 40 cm de profondeur, dont émanent les crosses (les feuilles, à cycle annuel comme celles du chêne ou du hêtre), spécificité qui lui permet de résister à tous les écobuages sans problème. Ses propriétés allélopathiques bloquent la levée de dormance des graines du sol (ce qui signifie qu'elle ne supporte aucune concurrence sur le terrain), seules les espèces printanières subsistent (Muguet, Scille à deux feuilles et parfois le Maïanthème) (quand ses crosses commencent tout juste à percer la terre), mais elle avoisine sur les parcelles agricoles sous-exploitées ou abandonnées quelques autres plantes (bruyère cendrée, genêt à balais, myrtille...) et contribuera avec elles à la reconstitution d'un terrain propice pour les chênaies acidophiles.

Le gibier (lapin, lièvre, chevreuil) ne s'en nourrit pas ou se rabat sur les jeunes plants ; les couverts sont monotones et peu d'oiseaux en tirent parti. Il n'y a guère que la faune du sol (Arthropodes, Micromammifères) qui puisse abonder dans ces conditions. Son caractère exclusif empêche l'apparition de buissons que bien des animaux (oiseaux, chevreuils) pourraient mettre à profit comme abri et comme source de nourriture. Elle est en outre toxique, ce qui explique que des éleveurs s'évertuent à l'éradiquer par la fauche (une fin juin et une fin juillet pour affaiblir le rhizome progressivement sur deux ou trois ans et permettre à l'herbe de prendre le dessus), quand d'autres poursuivent son exploitation traditionnelle comme litière pour le bétail. Le risque, c'est que celui-ci, et notamment les jeunes veaux, s'en nourrissent et s'empoisonnent (à forte dose) avec l'aquilide A et les dérivés du cyanure contenus dans ces fougères (les rongeurs y sont aussi sensibles, de même que les chevaux s'ils en prennent de grandes quantités) - la jeune fougère contient une thiaminase (détruisant la vitamine B1), un hétéroside cyanogénétique et des substances cancérigènes -. Dans les massifs de fougères pullulent souvent des tiques propagateurs de maladies redoutables pour les chiens comme pour l'homme (Maladie de Lyme, par exemple). Seules les chenilles de certains lépidoptères (papillons) peuvent s'en nourrir sans dommage.

Pourtant, récoltée quand elle est fanée et desséchée, elle peut être utilisée dans le jardinage biologique comme protection contre le gel pour toutes les plantes sensibles, mâches, chicorée sauvage, scarole, artichaut, ainsi que pour les fraisiers grâce à son action allélopathique antifongique contre la pourriture grise, et en paillage contre la sécheresse ou les mauvaises herbes. En paillage frais ou sec de 5 cm d'épaisseur environ, elle attire mais empoisonne les limaces car elle contient un aldéhyde se transformant en métaldéhyde après fermentation. Le purin de fougère peut également être utilisé à cet effet et il serait encore plus efficace si l’on ajoute quelques marrons d’Inde écrasés lors de la fabrication. C'est également un insecticide puissant qui permet de détruire le puceron lanigère (que la plupart des insecticides chimiques n’arrivent pas à contrôler). Il serait également efficace contre le taupin de la pomme de terre et la cicadelle de la vigne (utiliser en pulvérisation dilué à 10% - laisser fermenter 1 dose de fougère dans 10 doses d'eau puis diluer le résultat de la fermentation dans 10 fois son volume d'eau et pulvériser -). C’est un des rares insecticides à utiliser en « curatif ». La fougère aigle pousse dans les sols acides mais elle n'acidifie pas le sol: cette plante est une plante améliorante qui contient de grandes quantités de chaux, remède naturel contre l'acidité. Mieux elle constitue un véritable engrais vert, 7 fois plus riche en azote, 3 fois plus riche en phosphore et 5 fois plus riche en potasse que le fumier de vache ! Il est donc souhaitable de l'incorporer au sol après qu'elle ait servi de "mulch". Elle favoriserait le développement d'un important chevelu racinaire. Dans l'Ouest des Pyrénées, l'agriculture traditionnelle en tire encore profit. Fauchée fin juin, à demi séchée et très lentement brûlée dans une fosse deux fois plus profonde et large (pour éviter les flammes, les agriculteurs recouvrent sans cesse le foyer de nouveaux combustibles), elle donne une cendre très riche en potasse.

Quant au rhizome, il est généralement considéré comme toxique cru, et il faut donc le faire cuire. Par exemple, il peut être coupé en morceaux et bouilli. Une fois moulu, on obtient une purée qui, séchée, est transformée en farine. En Europe, cette préparation a souvent été mêlée à de la farine de céréale pour faire du pain. Jusqu'au XIXe siècle, le pain de fougère aigle formait parfois la base de l'alimentation en cas de disette. Cette récolte sauvage est aujourd'hui laissée en désuétude. A Palma, on consommait ce mélange de rhizome moulu et de farine en bouillie. En Sibérie, on mettait à fermenter ces rhizomes avec les 2/3 de leur poids en malt pour en faire une sorte de bière. Au Japon, on en extrayait la fécule par un long procédé qui servait à confectionner des mochis, gâteaux cuits à la vapeur. Enfin, les indiens d'Amérique du Nord faisaient cuire ce rhizome pendant des heures dans leur four souterrain. Ils en mangeaient la partie comestible et recrachaient les fibres. On utilise toutefois de jeunes pousses de fougères cuites comme légume dans certaines parties du Japon et de la Corée et ces populations ont le plus fort taux de cancer de l'estomac au monde.

Pour terminer, je conseille la lecture du site Internet du village d'Itxassou, très bien documenté, qui, parmi plusieurs autres thèmes, étudie de façon remarquable et passionnante l'évolution du regard sur le paysage en se basant sur des textes littéraires ou journalistiques.

 

 

 

Richard, Max, Xavier, Pascale, Steve, Serge, Jean-Louis, Cathy
Iparla
10 août 2008