Au
réveil, dans le ciel encore sombre scintillent les dernières étoiles
: les nuages ont disparu, la neige
éclaircit le sommet des montagnes que l'on devine par la fenêtre de la
chambre douillette. Le temps est magnifique et personne ne traîne au
lit tandis que Rose et Pierre, premiers levés, s'activent à préparer
le petit déjeuner pour la communauté au son d'une vieille cassette d'Hugues
Aufray et de chants basques traditionnels. A part Michèle, qui a compté
les heures aux battements de la cloche de l'église toute proche, tout
le monde a bien dormi et nous sommes bientôt d'attaque pour une bonne
journée de marche. Nous sommes loin de nous imaginer comment elle
va se terminer.
Richard
avait annoncé à qui voulait l'entendre qu'il n'était
pas en état, ne
chausserait pas les raquettes, et ne pourrait
marcher que sur le plat : il ne venait que pour être avec nous.
C'est qu'il souffre par intermittence de sciatique, et qu'en plus, après
avoir fait la Rhune en un temps record un matin après Noël,
avec une descente en courant, il a glissé sur son balcon, fait
un grand écart douloureux
suivi
d'une
chute malencontreuse qui lui a fortement endolori la partie charnue de
son
corps.
Mais
l'effet groupe a joué une fois de plus, et il s'est retrouvé samedi
comme de coutume en tête de file, sans plus sentir qu'une douleur sourde.
Pierre a donc pensé (sans le lui dire, bien sûr) qu'il s'écoutait un peu et n'était pas si souffrant qu'il le laissait entendre. En accord avec Rose, il a décidé de nous faire découvrir une partie du cirque que nous n'avions pas encore explorée, une balade sur des crêtes sans grande difficulté, disait-il, avec juste une petite montée pour y parvenir et une descente dans la forêt pour rejoindre la deuxième voiture à l'arrivée, qui nous évitera une marche ennuyeuse sur la route à la fin. Ils y étaient allés tous deux l'été précédent et nous parlaient de la vue magnifique qui s'y déployait, avec le pic du Midi d'Ossau tout proche, jailli d'une vallée voisine.
D'ordinaire,
lorsque nous connaissons mal un endroit, nous prenons la carte et celui
qui a l'initiative de
la balade montre aux autres où elle se situe, le dénivelé, la longueur
estimée en nombre d'heures de marche, la qualité du terrain (forêt, prairie,
roche) : c'est ce que nous avions fait l'été dernier en Aragon où Max
et Richard examinaient les balades possibles et nous les proposaient,
sachant
qu'Elisabeth
marchait
à un rythme très lent, manquait d'entraînement, et ne pourrait pas faire
l'intégralité du trajet. Là, aucune carte, aucun contrôle par la communauté,
Max n'a pas cherché à s'assurer que Michèle pourrait suivre le groupe,
alors qu'elle est de santé très fragile, prend beaucoup de médicaments
(une
valise
! dit-il)
et
manque
d'entraînement, Richard n'a pas regardé non plus si cela dépasserait
ses capacités de l'heure présente, et les autres (dont je suis)
ont suivi, comme d'habitude, sans poser de question et en faisant
confiance.
Richard et Pierre avaient regardé la météo pendant la semaine
précédente, mais aucun des deux, à ma connaissance, ne s'est enquis des
conditions d'enneigement (Rose et Pierre savaient juste que la neige
ne descendait pas jusqu'à Lescun).
Une
fois parquées les deux voitures, nous
avons donc commencé à marcher,
d'abord sur une route, puis en direction d'une barrière rocheuse.
Rose et Pierre se sont mis
à discuter du chemin à prendre. Pierre était en
train de monter tout droit vers une faille un peu enneigée mais
qui paraissait praticable, mais
Rose signalait que le chemin partait du gîte que nous apercevions
plus loin, près duquel se tenaient des randonneurs. Il longeait
l'autre versant pour passer un peu plus au fond de la vallée vers notre
droite, par un col situé sur
le côté de
la barrière qui nous faisait face. Ils
ont donc
décidé
de le
rejoindre en coupant à travers les vallonnements, mais en grimpant, Cédric,
Richard et moi, qui marchions en tête, nous sommes aperçus
que la faille était
franchissable. Nous pensions qu'il s'agissait
d'un raccourci.
Cédric s'y est engagé, puis Richard et moi, Xavier et Jean-Louis,
et les autres
ont
suivi. C'était
un peu
sportif
et plutôt raide,
mais
Michèle l'a aussi franchie sans trop de peine, avec Max en soutien
derrière elle.
Nous nous trompions. Le chemin des crêtes
était plus haut, et il paraissait difficile de le rejoindre de
l'endroit où nous nous trouvions. Nous avons donc progressé sur
ces contreforts, pour finir par réaliser qu'ils se terminaient
brutalement en falaise boisée.
Alors
que
nous
examinions
les possibilités
qui s'offraient à nous, descendre
dans la gorge parcourue par un torrent pour regagner la vallée
(mais nous ne savions pas si nous trouverions
un chemin praticable, étant sans carte), reprendre le goulet que nous
venions d'emprunter (trop vertical), rejoindre le sentier plus haut (mais
la
neige était
plutôt
verglacée
dans l'ombre),
nous avons soudain vu débouler deux sangliers (Cédric en
avait vu trois près du petit bois au bout lorsqu'il était
parti en éclaireur). Ils ont
dévalé la pente à toute vitesse et ont grimpé sur
celle d'en face jusqu'à
mi-hauteur
sans même ralentir avant de disparaître dans les fourrés
: ils ne se posaient pas toutes ces questions, eux ! Je n'imaginais pas
que des cochons
puissent
courir
à
une telle
vitesse
! Ils étaient plutôt petits, mais tout de même ! C'était
la première
fois que nous en voyions, nous les avions dérangés et ils
n'avaient pas eu d'autre solution que de passer sous notre nez, à quelques
dizaines de mètres.
Revenus
de notre surprise - et bien que nous ne soyons pas chaussés de
sabots crochus, comme eux -, nous avons décidé de
surseoir au déjeuner (il était déjà midi)
et de traverser la zone enneigée pour
gagner le sentier. A ce moment-là encore, nous aurions pu revenir à notre
point de départ en nous dirigeant vers le gîte, sitôt
rejoint le chemin tracé, mais, malgré
la difficulté de progression sur les pentes verglacées,
nous n'avons pas pensé que nous étions en danger et qu'il
s'agissait d'un signal de l'état de la neige sur les pentes à partir
de cette altitude.
Nous
souhaitions simplement aller plus haut pour voir la belle vue sur l'Ossau,
Richard parlait de se rouler
dans la neige comme les Nordiques, puisqu'il s'était baigné la
veille dans le torrent, le
temps était magnifique, nous marchions en tee-shirt, nous étions
heureux de découvrir
de nouveaux paysages et de nous promener tous ensemble.
Après une ascension un peu difficile, où nous allions d'une touffe d'herbe givrée à un souple buisson de rhododendron presque enfoui dans la neige, en traversant des étendues de neige gelée où les bâtons enfonçaient peu et les chaussures glissaient, malgré la progression sur les carres plutôt que la semelle à plat, nous nous sommes arrêtés sur des rochers secs exposés plein sud pour nous restaurer. Là, nous avons eu le plaisir toujours renouvelé d'apercevoir sur un sommet la silhouette de plusieurs isards qui nous regardaient sans s'affoler, broutant tranquillement au bord du précipice.
Nous
avions perdu beaucoup de temps avec ce détour, il
était déjà une heure - une heure et demie. Lorsque nous avons repris
notre marche, glissant à moitié et
tapant le sol gelé de
nos talons ou de nos carres pour y trouver prise, Pierre commençait
à sentir qu'il ne fallait plus trop tarder. Michèle,
brusquement, a dérapé, et Rose
s'est empressée de la stopper dans sa glissade tandis qu'elle
appelait les hommes à son secours, incapable de la relever seule,
d'autant que Michèle riait et n'aidait pas beaucoup. Enfin,
nous nous sommes reposés
dans l'herbe d'un nouveau petit col, avec
vue sur le fameux pic du Midi d'Ossau, magnifique, et, derrière
nous sur l'autre versant du cirque, les aiguilles d'Ansabère,
la
Table et le Pic des Trois Rois (France, Navarre, Aragon), et le pic
d'Anie, entre autres.
Richard s'est effectivement déshabillé : accroupi dans la neige, il s'est frotté tout le corps avec de pleines poignées de cristaux de givre, paraissant y trouver le plus grand plaisir, pendant que les autres faisaient des commentaires goguenards et le regardaient en riant, sans aucune envie de l'imiter.
Nous aurions dû alors faire demi-tour,
mais nous
avons poursuivi encore plus haut, espérant gagner ces fameuses
crêtes
dont nous n'avions encore pas vu la couleur, avec à l'arrière-garde
Michèle,
entourée de Max, Pierre et Rose. Nous avons commencé à faire,
par la face ouest, le tour du grand pic qui dominait le col. En temps
ordinaire, nous y serions montés au sommet, mais comme Michèle était
de la partie, Pierre a cru bien faire en lui évitant un dénivelé supplémentaire.
Notre progression était
difficile, la neige toujours aussi dure, des langues lisses et verglacées
s'étiraient
en dangereux toboggans que nous devions contourner. Nous
pensions
que, plus loin, la marche serait plus aisée, mais ce n'était
pas le cas. Nous avancions
toujours à flanc
de montagne, une grave erreur que Cédric a soulignée, puisque,
inquiet, il était parti plus haut et qu'il avait constaté que
le sol était plus
souple
et plus sécurisant. Il me l'a dit mais je n'en ai pas tenu compte
et j'ai suivi le groupe. Nous
courions
de pas en pas
le
risque
d'une
chute incontrôlable
et mortelle puisque la pente, très raide, ne comportait aucune
aspérité
ni végétation susceptible de nous freiner. Effectuant de
petites pauses, pour évacuer
la tension, nous buvions un peu d'eau et grignotions des gâteaux
secs ou des quartiers de mandarine avant de reprendre la marche tandis
que la journée
avançait et que
le soleil descendait, allongeant nos ombres sur le sol.
Après
un passage vraiment difficile, je me suis exclamée à haute
voix que j'étais contente d'y être arrivée,
mais Richard a rétorqué d'une voix lugubre qu'il ne se
rejouirait que lorsque tout serait terminé. Il commençait à fatiguer,
sa jambe se raidissait, le moral des troupes baissait, nous ne nous étions
jamais trouvés dans une situation aussi délicate. Le problème,
c'est que nous n'en voyions pas la fin, plus loin, ce n'était
jamais mieux, et même
parfois c'était pire, nous cheminions dans un paysage superbe dont personne
n'avait le coeur ni le loisir de profiter tant il fallait se concentrer
sur la
marche,
prendre
garde où nous
posions les pieds et nous cramponner aux bâtons pour ne pas déraper.
Nous n'avions aucune envie de retourner en arrière, cela avait été tellement
malaisé de parvenir jusque là, et nous n'avions qu'une
idée en tête,
celle d'atteindre
cette forêt qui nous paraissait s'éloigner au fur et à mesure
que nous avancions. Jusque là, tout le monde avait fait bonne
figure, mais la fronde commençait à gagner.
Participants : Pierre et Rose, Max et Michèle, Richard, Xavier, Cathy et Jean-Louis, Cédric (samedi soir et dimanche), Yann, Isabelle et Cécile (journée du samedi) | ![]() |
Lescun |
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19-20 janvier 2008 |
Sauvetage à l'hélicoptère |