Changement de décor le lendemain : nous optons pour le plateau du Bénou en passant par Bilhères. Nous avons pris un sacré coup de soleil la veille et préférons un paysage reposant, sans réverbération fourbe et cuisante. Comme il faisait très froid, avec l'altitude, le vent, les passages nuageux et la neige, nous ne nous sommes pas méfiés et Jean-Louis a été tout particulièrement éprouvé par les rayons ultra-violets qui lui ont rendu le visage couleur aubergine ! Les autres ont la peau déjà aguerrie par leur séjour en Thaïlande, et moi, inquiète de perdre de nouveau mes lentilles avec mes yeux trop secs, j'ai dû sans doute davantage m'abriter de la lumière et du vent sous ma toque bordée de fourrure synthétique.
Ce nouvel environnement n'est pas pour me déplaire. J'adore les plantes et les petites bêtes, et ce paysage paisible aux couleurs douces me convient tout à fait. Le petit bois de sapins laisse la place à de vastes estives où nous admirons des bergeries superbes au toit d'ardoise, pour les mieux préservées, sur des murs de pierres aux couleurs chaudes. Les jacinthes sauvages (correction 2010 : orchidées, orchis bouffon ou orchis mâle) s'élèvent en bouquets de longues tiges élégantes, malheureusement bien moins odorantes que leurs cousines des jardins, et des fleurettes bleues percent la terre brune avec un air de fragilité trompeur. Les vautours fauves planent en cercles insistants, et je suis heureuse de ne pas les intéresser.
J'ai la surprise de tomber nez à nez avec une magnifique vipère tachetée aux couleurs chatoyantes, entre trente et cinquante centimètres de longueur, qui n'apprécie pas ma proximité. Elle se hâte en ondulant avec élégance et repère un trou près du grillage. Manque de chance, il est occupé par un gros scarabée émeraude dont la carapace lance des reflets métalliques mordorés. Celui-ci s'échappe à toutes pattes et la vipère peut enfin s'enfoncer dans les entrailles sombres, à l'abri de mes regards curieux.
Des chevaux aux proportions imposantes s'avancent en quête d'un câlin (ou de pain sec ?) : leurs pattes énormes recouvertes de longs crins blonds sont étonnantes. Un ruisseau déploie ses boucles avec lenteur autour d'un groupe de petits ânes plus discrets que celui qui nous avait tant importunés lors de notre séjour dans l'Atlas marocain. Sur le flanc d'une colline basse dénudée, des parapentistes s'entraînent à manier leur grande voile, débutants empêtrés dans les fils et handicapés par l'absence de vent et de dénivelé. Ils doivent courir comme des forcenés pour réussir à déployer la toile sans réussir à s'élever ne serait-ce que de quelques centimètres. C'est dur, l'apprentissage !
Nous observons leur entraînement pendant un long moment avant de nous décider à grimper en direction de la crête que nous n'atteindrons pas, faute de chemin praticable. En principe, nous devons trouver des hêtres, épicéas, sapins, pins sylvestres, érables et mélèzes. Je ne suis pas sûre de savoir tous bien les reconnaître, mais je m'inquiète cependant sur le sort des magnifiques conifères qui s'élèvent sur les montagnes qui encadrent le plateau du Bénou. Leur exploitation paraît plutôt fantaisiste et désordonnée, et aucune plantation systématique ne semble compenser les coupes. Mélangés à d'autres essences, ils forment une vaste forêt variée qui bruit de mille pépiements tandis que des prés s'élèvent le crissement des grillons. Je découvre sur Internet qu'il ne reste désormais qu'une seule scierie en vallée d'Ossau, installée à Laruns depuis 1930, et qui exploite encore le bois local. C'est vers elle que sont acheminés les troncs de ces sapins magnifiques... (Information erronée, correctif à la fin du texte)
Je profite du temps de sieste pour aller photographier ce qui me plaît hors des regards goguenards de mes compagnons. Dans une fleur de pissenlit fanée, des insectes évoluent avec aisance entre les graines duveteuses ou semblent flotter à la surface des brins fragiles. Un peu plus loin, l'odeur de buis envahit le sentier tandis que les feuilles de houx renvoient les rayons lumineux qui ricochent sur les surfaces luisantes et courbées aux pointes acérées.
Un arbre s'enracine dans un rocher et il est difficile de savoir qui, des deux, soutient l'autre, la mousse et le lichen recouvrant indifféremment l'un et l'autre dont les couleurs semblables dans les gris rendent la composition totalement hybride au point qu'il est impossible, lorsqu'on détache une partie de l'ensemble, de deviner son appartenance, végétale ou minérale. Un peu plus loin, il me semble plonger dans les mers chaudes, dans un univers d'algues, d'éponges et de coraux. Pourtant ce ne sont que mousses et lichens qui déploient leurs couleurs printanières et fleurissent à leur manière primitive de pionnières récemment sorties de l'eau nourricière pour envahir les terres encore vierges. Un champignon imite à s'y méprendre l'écorce dont il se nourrit, aussi dur qu'elle s'attendrit, minée par le pourrissement fatal. Il s'agit peut-être de jeunes amadouviers qui, une fois séchés, étaient utilisés autrefois dans les briquets à amadou (partie supérieure du champignon située juste sous la croûte).
En redescendant, nous voyons un groupe de parapentistes plus aguerris qui réussissent à s'envoler depuis le sommet de la colline dans un vent devenu plus vif. Plus loin, nous traversons un marécage où des fillettes pataugent avec un plaisir non dissimulé qui réjouit le coeur sous l'oeil débonnaire de leurs parents.
Rectificatifs
: le reste de squelette était celui d'un isard et non d'une brebis qui ne montent
elles qu'à partir
de la "dévête" (date d'ouverture officielle des
estives) début
juillet. La population d'isards a été frappée cet
hiver d'une nouvelle épidémie
de
kérato-conjonctivite qui entraîne une dégénérescence
des yeux et finit par les rendre aveugle, d'où des difficultés à se
déplacer (voire
chutes mortelles) et donc à se nourrir. Elle induit un
affaiblissement rapide et des comportements bizarres : ils rentrent dans
les villages, j'ai dû moi-même, en montant à Peyranère
un matin, descendre de voiture pour en pousser un du milieu de la route
et il y a même eu un isard qui est entré dans le tunnel du
Somport. Un garde du Parc m'a dit avoir estimé à 15% le nombre
de victimes de cette épidémie. C'est la raison pour laquelle
depuis ce printemps et cet été on
trouve régulièrement
des carcasses d'isards en montagne.
Pour info également il y une autre scierie à Bielle en plus
de celle de Laruns et de Gère -Belesten. Méfions-nous parfois
des vérités
définitives d'Internet! @+
José
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Rose, Pierre, Elisabeth, Jean-Louis B., Cathy, Jean-Louis | Ossau |
1er et 2 mai 2008 |