Cette histoire de saumons me tarabuste. Il me semble que le problème est mal posé. Déjà, à la fin de l'exposé des chercheurs, je leur posais la question suivante : pourquoi ne pas élever plutôt des poissons "herbivores", comme font les Chinois avec les carpes ? La réponse a été immédiate et sans appel : cela ne plairait pas aux consommateurs (avec en arrière-pensée, "c'est bon pour les Chinois, pas pour les Européens"). Réponse subsidiaire, les carpes chinoises sont élevées dans des régions plus chaudes que les nôtres, elles ne supporteraient pas nos hivers (en réalité, la carpe commune adulte peut supporter des températures variant entre 1°C et 35°C) - et je ne vois pas pourquoi il n'y aurait pas de poissons herbivores européens comestibles -. La deuxième question que je me suis posée porte sur la raréfaction des espèces sauvages, qui va de pair avec l'altération de leur lieu de vie (qualité de l'eau et du biotope sur les côtes, dans les cours d'eau et les lacs, accessibilité des lieux de vie et de reproduction) et la pression de la pêche. Pourquoi ne pas intensifier les mesures prises qui sont actuellement manifestement peu efficaces et dont l'effet arrive à peine peut-être à freiner la vitesse de disparition des espèces. Enfin, ma dernière question est relative à la croissance de la population humaine, qui est le phénomène à l'origine de toutes ces perturbations environnementales. Personne n'en parle vraiment et aucune conférence internationale à l'échelle de Rio ou Kyoto ne vient médiatiser un planning familial mondial.

En ce qui concerne ce dernier point, les données ne peuvent être qu'estimées, et elles sont de moins en moins fiables au fur et à mesure qu'on remonte dans le temps. Voici quand même quelques chiffres fournis par des études américaines (wikipedia), avec l'année suivie de la population mondiale estimée : -10 000, 1 à 10 millions : -6 500, 5 à 10 millions ; -200, 150 à 231 millions ; an 1, 170 à 400 millions ; an 200, 190 à 256 millions ; an 1000, 254 à 345 millions ; an 1500, 425 à 540 millions ; an 1800, 0,813 à 1,125 milliard ; an 1850, 1,128 à 1,402 milliard ; an 1900, 1,550 à 1,762 milliard ; an 1930, 2,07 milliards ; an 1960, 3,023 milliards ; an 1975, 4,073 milliards ; an 1990, 5,279 milliards ; an 2000, 6,085 milliards ; projection à 2050 : 9,075 milliards. Donc, si je résume, nous avons mis de -10 000 à l'an 1800 pour parvenir à la population d'un milliard, soit 11 800 ans, et 200 ans pour l'augmenter de cinq milliards supplémentaires. On peut tourner les chiffres dans tous les sens, de toutes les façons, nous avons là un problème majeur que tout le monde occulte. C'est bien joli de parler d'environnement, mais tant que nous ne serons pas capables de maîtriser l'accroissement de notre propre population, rien ne pourra être fait efficacement en matière de protection des espèces (animales et végétales) ni d'alimentation (pour les humains).

Je viens juste de terminer un livre très intéressant sur l'Evolution : L'effet Darwin - Sélection naturelle et naissance de la civilisation, de Patrick Tort, aux éditions du Seuil. Si j'en ai bien assimilé les termes, selon Darwin, l'humanité se distinguerait de l'ensemble des animaux (dont elle fait partie) par la moindre proportion d'instinct et, corrélativement, une plus grande part d'intelligence (donc de risque d'erreurs) liée à une plus grande sociabilité (ce qu'il nomme la "sympathie" envers son prochain étendue à tout un groupe social). Cette "sympathie" que nous développons de plus en plus (ce qui signifie qu'elle serait un avantage en terme d'Evolution) s'exerce non seulement à l'égard des individus performants, mais également envers les plus faibles dont elle s'évertue à préserver la vie et qui, de ce fait, peuvent avoir des enfants. En raccourci, cela signifie que l'Evolution a sélectionné un être qui, par son organisation sociale, met tout en oeuvre pour lutter contre l'Evolution. L'humanité permet donc aux moins performants (sur le plan individuel) de survivre et prospérer. Par contre, son organisation sociale a suscité la capacité de modifier son environnement, tout d'abord par l'utilisation d'outils et la maîtrise du feu, puis par "l'invention" de l'agriculture et de l'élevage (connues des fourmis bien avant notre existence).

La plus grande vertu prônée désormais n'est plus la force physique, la puissance guerrière individuelle, la combativité (toujours sur le plan physique), mais l'amour (la "sympathie") individuel et surtout social, traduit dans les faits par un long accompagnement des enfants jusqu'à l'âge adulte, un effort considérable en matière de médecine pour réduire l'impact des maladies et des accidents, la répartition des richesses (aussi imparfaite soit-elle) pour réduire la malnutrition et la pauvreté, les actions envers les handicapés physiques et mentaux et, bien sûr, les soins aux personnes âgées dont la durée et la qualité de vie ne cesse d'augmenter. Cette "sympathie" va même beaucoup plus loin puisqu'elle permet une collaboration toujours plus intense entre les individus, qui s'est effectuée sans doute d'abord au niveau du noyau familial, puis de la tribu, s'élargissant progressivement à la nation et désormais à la coopération internationale (mâtinée de concurrence, mais qui contribue à un progrès qui rejaillit sur l'ensemble des communautés à plus ou moins long terme). Cette tendance vers plus de "civilisation" n'a pas été rectiligne, mais les guerres et régressions diverses n'ont pas empêché la population humaine de croître dans des proportions parfaitement effrayantes, quant à ses conséquences sur notre environnement et sur notre survie à terme.

Malthus (1766-1834), pasteur anglican et économiste britannique, avait été frappé par la misère qui avait résulté des mauvaises récoltes qui avaient sévi de 1794 à 1800, pendant six ans d'affilée. Sa crainte tournait autour de l'idée que la progression démographique est plus rapide que l'augmentation des ressources, d'où une paupérisation de la population. Les anciens régulateurs démographiques (les guerres et les épidémies) ne jouant plus leurs rôles, il imagine de nouveaux obstacles, comme la limitation de la taille des familles et le recul de l'âge du mariage. Voici, ci-dessous, un commentaire extrait de la page Wikipedia sur Malthus.

Bien que le modèle sinistre de Malthus soit exact (à fécondité maximale, tous les descendants d'une génération ne peuvent survivre), ses prévisions ne se sont pas réalisées. Les éléments nouveaux ont été :

* la transition démographique : dès 2005, "plus de la moitié de l'humanité est déjà au-dessous du seuil de remplacement" des générations (Gilles Pislon (INED, Six milliards d'hommes). Il faut toutefois noter que dans cette donne :
o L'humanité est passée dans les années 1960 par une période où deux hommes sur trois souffraient de malnutrition (en 2005, un sur sept)
o Les deux pays les plus peuplés au monde - Inde et Chine - ont adopté des politiques malthusiennes
* le fait qu'une partie du trop-plein d'individus émigrerait vers les États-Unis ou les colonies, dont elle tirerait profit.
* L'utilisation massive des énergies fossiles est venue fausser l'équation sur laquelle Malthus avait basé son raisonnement en :
o augmentant les ressources énergétiques et les rendements agricoles (révolution verte)
o permettant des échanges internationaux de biens de subsistance à des coûts de transport extrêmement bas

Cette analyse optimiste est déjà périmée, puisque nous voyons désormais les limites des ressources pétrolières, la raréfaction des ressources en eau potable et d'irrigation, l'accroissement des surfaces désertiques et surtout, la perspective effrayante d'un basculement climatique dû au réchauffement planétaire que nous provoquons en partie par nos activités. Ce dernier pourrait provoquer l'immersion sous les océans des régions côtières où réside la majeure partie de la population mondiale, avec la modélisation d'une fonte des glaces polaires et arctiques dont l'épanchement dans l'océan atlantique bloquerait le Gulf Stream (cela s'est déjà produit dans le passé) avec des conséquences inimaginables.

 

Pour revenir à l'aquaculture, en mettant de côté tous les problèmes évoqués ci-dessus, cette pratique est apparue en Égypte et en Chine au IVe millénaire avant J.-C. Une aquaculture extensive existait dans toute l'Europe dès le Moyen Âge, exercée dans une multitude de mares et de réseaux d'étangs, dont certains étaient périodiquement vidés et mis en culture, fournissant un complément alimentaire important aux paysans et aux moines. Les rivières elles-mêmes étaient localement des lieux de production, par exemple près des moulins à eau, qui nourrissaient et attiraient des poissons avec leurs déchets (riches en vers de farine et autres invertébrés) dont des truites de mer. Des viviers marins ont existé, parfois en forme de navire ou de ponton (ou les retenues d'eau de mer derrière les barrages des moulins à marée), où l'on pouvait conserver ou engraisser des poissons ou crustacés.

L'évolution actuelle de l'aquaculture vers l'intensification engendre les mêmes difficultés que pour les animaux terrestres. D'une part, il faut les nourrir, leur concentration en grandes populations confinées entraîne des risques accrus d'épidémies, contre lesquels sont créés des vaccins, des antibiotiques, des traitements préventifs et même des O.G.M., races de poissons génétiquement modifiés, pour le moment théoriquement interdits sur le marché alimentaire. D'autre part, se posent également des préoccupations éthiques, qui mobilisent moins que pour le bétail ou la volaille : elles portent sur la maltraitance des animaux, leur confinement et promiscuité excessifs, qui engendrent stress, agressivité, cannibalisme, maladie, dégénérescence et mort. Ce n'est évidemment pas le problème de l'INRA qui se préoccupe uniquement de diversifier l'alimentation de ces poissons carnivores dont l'élevage est pris comme un postulat intangible, afin de baisser la pression de pêche sur les petits poissons servant à les alimenter - un kilo de poisson d'élevage nécessite la capture de trois (truite portion) à sept (très gros bars) kilos de poissons sauvages (capelans, anchois) pour leur alimentation -, et se tourner vers des ressources végétales terrestres plus accessibles et moins onéreuses à terme.

Enfin, pour en venir à la première question que je me posais, les poissons herbivores et filtreurs, élevés pour la plupart dans les systèmes simples que sont les petits étangs d'eau douce représentent environ la moitié de la production aquacole mondiale (ONU). Il s'agit principalement de la carpe, surtout élevée en Chine. Il ne faut donc pas se focaliser par trop sur l'élevage des poissons carnivores dont la consommation est essentiellement européenne et nord-américaine, et qui constitue une part tout à fait concise de la production mondiale, dans laquelle il faut inclure les crevettes (également carnivores), mollusques et algues. Simplement, il faut prendre en considération que la recherche du moindre coût de production provoque la délocalisation de la production dans les pays moins développés, qui n'ont pas les moyens de mettre en oeuvre des mesures de protection de leur environnement, ce qui engendre la destruction de mangroves et la pollution des eaux douces ou marines. En outre, il n'est pas évident que l'alimentation de ces animaux dans ces pays soit vraiment appropriée, certains scandales récurrents mais peu médiatisés en sont la preuve.

L'illustration de cette page avec des fossiles d'animaux disparus permet de relativiser notre existence, vieille seulement de trois à sept millions d'années pour notre espèce, mais seulement 200 000 ans pour l'homo sapiens, qui n'est pas le premier, mais sûrement pas non plus le dernier organisme à évoluer sur la Terre...

Réaction d'Hervé à ce texte (26/11/08) :

Je suis obligé de répondre !!...car je te vois en pleine crise existentielle et philosophique sur l'avenir de l'humanité ! Tu pars de ces braves saumons, qui fonctionnent uniquement à l'instinct, pour te poser mille questions sur l'avenir de l'humanité ? Saumons sauvages devenus Saumons d'élevage. Il en est de même pour l'humanité qui a subi une énorme mutation : l'homo sapiens est devenu un homo economicus (consommateur) .C'est une forme de société équivalente à l'élevage en batterie ! Malheureusement il n'y en pas pour tout le monde. La solution, il y en a 2 : Réduire la population de la planète, et accepter, dans les modèles économiques proposés, la croissance zéro. Tu peux aussi simplifier les problèmes de l'humanité avec une analyse de base évidente de ce que nous sommes : Il y a dans l'homme 3 fonctions évidentes subtilement imbriquées : la fonction "animale", la fonction "créatrice" et la fonction "communautaire". Les animaux n'ont que la fonction "animale" et un peu aussi parfois la fonction "communautaire". C'est donc la fonction "créatrice" qui a foutu le bordel partout (les religions, les inventions de modèles de société, les règlements, les attributions de valeurs,...etc.). Un philosophe américain nommé "Paul GOODMAN" a fait une très bonne analyse de ce que nous sommes. Peut être allons nous (toute l'humanité) disparaître comme les dinosaures ?.. Les Ours, les saumons sauvages. Il ne faut pas se torturer le coco pour cela, humilité, fatalisme sont de mise. Même si les immenses connaissances acquises dernièrement nous pourrissent d'orgueil. Hervé

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Où sont passés les saumons atlantiques ?
18 novembre 2008
Article paru dans le journal Sud-Ouest.
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