C'est devenu un rendez-vous obligé des clients de la librairie de la Rue en Pente qui assistent, toujours plus nombreux, à la randonnée littéraire annuelle organisée en automne par les deux couples de libraires et leur ami de la librairie Gribouille, située en contrebas de la même rue Poissonnerie, qui débouche à l'angle des halles de Bayonne. Quel que soit le temps, et pourtant cette fois la pluie semblait imminente dès le matin de bonne heure, qui en a découragé quelques uns (heureusement !), et sans se concerter malgré l'évocation d'un covoiturage possible, les gens - plus de 120 (85 l'an dernier) - (davantage lecteurs que marcheurs) ont envahi de leurs voitures la place de l'église d'Urdax et les rues avoisinantes. Même la guardia civil était de la partie, avertie sans doute par les libraires de ce rassemblement inhabituel. Un office se déroulait dans l'église et nous avons eu la surprise de constater à l'issue de la messe la présence parmi les fidèles endimanchés de militaires arborant blasons et médailles, et affublés de curieux galurins que nous étions deux ou trois à essayer de prendre en photo (discrètement).

Le départ tardant un peu, j'en ai profité pour explorer les proches alentours, me promettant (comme d'habitude) de revenir plus tard visiter les curiosités du lieu, ce moulin (errota) en plein village, encore en activité, qui dispose d'un bief magnifique, canalisé entre des parois de grès rose qui dépassent le niveau de la rue en un muret du meilleur effet. Fils électriques et téléphoniques enterrés pour effacer une modernité inesthétique, seuls se dressent quelques lampadaires discrets qui donnent envie de les allumer à l'ancienne, avec une bougie fixée au bout d'une perche. La fontaine monumentale aussi m'attire, pierre plate de grès rose dressée comme un rappel des cromlechs qui hantent la montagne, à l'effigie d'un grand écrivain natif d'Urdax, Axular (1556-1644), figure autant de la Navarre et de cette vallée du Baztan que de Saint Jean de Luz ou de Sare, où il mourut, puisqu'il dépendait, en tant que prêtre, de l'évêché de Bayonne qui s'étendait à l'époque loin au-delà des Pyrénées et s'exprimait dans le dialecte basque du Labourd limitrophe. J'apprends au passage qu'Iturria n'est pas seulement le nom de l'humoriste dessinateur dans le journal Sud-Ouest, mais également l'appellation basque d'une fontaine...

Comme l'abbaye de Lahonce, mais en bien meilleur état, le monastère de San Salvador a été occupé par des moines appartenant à l'ordre des Prémontrés (et non pas fondé, contrairement à ce qu'indique par erreur le site de Sare, puisque l'ordre fut fondé par Saint Norbert de Xanten (1080-1134) alors que le monastère existe depuis le IXe s.). La dégustation de vins qui clôture la balade se fera, cerise sur le gâteau, dans le très joli cloître sous les arcades duquel se trouve une exposition de peintures et de sculptures modernes. J'apprécie tout particulièrement le panachage de couleurs chaudes des pierres qui constituent le clocher et chatoient dans les rayons du soleil qui réussissent à s'insinuer parfois entre deux nuages.

Enfin le convoi démarre, et nous longeons quelques maisons aux proportions imposantes, de facture très navarraise, avant de nous élever (très doucement) dans la montagne. Le charme de cette promenade tient à la grande convergence de goûts de ceux qui y sont conviés, et nous ne tardons guère à reconnaître quelques têtes connues (Christophe et Lucile Lamoure, deux ou trois compagnons de cours de philosophie, un couple de voisins, une relation de travail de Jean-Louis, des amis de mes parents...) parmi d'autres personnes avec lesquelles nous lions conversation sans difficulté. La première halte permet aux libraires de présenter les écrivains, éditrice et jeunes associées dans la promotion de la lecture. Les suivantes nous mettent directement dans le vif du sujet.

Cathy Boulanger, institutrice, nous explique comment elle en est venue à raconter les fabuleuses aventures de Théo, voyage à travers le temps pour initier les jeunes enfants à l'histoire de Bayonne de façon ludique et plaisante. Stéphanie Duval, qui est venue avec son mari et ses quatre jeunes enfants (trois garçons et une fille cadette) pour la soutenir, écrit également pour les enfants, mais dans un registre différent, plutôt orienté vers les documentaires (Le petit livre de la justice, Racket non !, L'école, c'est pas si facile, Ah ! les garçons..., La Terre, etc.). Elle écrit également des articles dans des albums pour enfants. Elle me confie que, puisque son éditeur la connaît, il lui suffit de proposer un sujet, et qu'elle ne commence à l'étudier qu'après avoir obtenu l'assurance de voir son travail publié. La principale difficulté selon elle, notamment pour son dernier livre sur la justice, résidait dans l'obligation d'un style très simple, "sujet-verbe-complément", phrases courtes, mots de la langue courante, que de petits dessins sont venus illustrer, et le parti pris d'une présentation en "zapping", formée de petits encarts individuels et traitant chacun un sujet, une notion, que l'on peut lire dans n'importe quel ordre.

A la pause suivante, les deux jeunes femmes de l'association Libreplume m'enchantent : elles parcourent tout le Pays basque et le sud des Landes pour promouvoir la lecture (ou l'écriture) dans les écoles, centres aérés, bibliothèques ou clubs divers et variés. L'une d'elles est intervenue l'an dernier à l'école d'Arcangues dans le cadre de leur projet tri-annuel d'écritures de nouvelles. Pétulantes et pleines d'idées, elles sont l'enthousiasme personnifié, et très complémentaires, puisque l'une était institutrice et l'autre est animatrice.

Après chaque pause, nous poursuivons notre marche en admirant les points de vue sur la basse montagne dont les forêts commencent à se teinter de leur parure d'automne. Suivant l'orientation, le vent nous pousse dans le dos et nous aide à monter, ou bien nous nous retrouvons dans une zone parfaitement calme où chacun retire les coupe-vent devenus inutiles qui nous font transpirer. Durant notre progression, nous regardons la tête des écrivains, et Jean-Louis et moi convenons au retour qu'il ne faut pas s'y fier.

Frédéric Duhart est un petit homme maigrelet à lunettes, qui s'arrête à tout instant pour photographier les poules, les champignons, le houx qui pousse sur le chêne (vision qui provoque les exclamations des promeneurs) ou le moindre point de vue qui lui semble digne d'intérêt. Lorsque le libraire s'arrête sous un chêne vénérable (tel Saint Louis rendant la justice, rappelle-t-il), ce jeune homme au palmarès impressionnant, qui se présente comme un éternel étudiant, qui a enseigné parallèlement dans plusieurs pays d'Amérique du sud et en Espagne, s'anime soudain et se lance avec fougue dans l'histoire de l'alimentation, objet de son dernier livre (Du monde à l'assiette - Il a aussi écrit : Habiter et consommer à Bayonne au XVIIIe s. - Eléments d'une culture matérielle urbaine, Anthropologie historique du corps, Le chocolat au Pays Basque - XVIIème au XXIème siècle, de Bayonne à Onati, ainsi que diverses publications dans des revues spécialisées). Le libraire doit même l'interrompre pour le recadrer en lui posant des questions tant il est intarissable : un vrai puits de science, qu'il émaille d'une foule d'anecdotes !

L'autre homme est d'un genre bien différent, né à Oran, avec des études à Bordeaux qui lui donnent envie, bien qu'il demeure ensuite à Paris, de revenir chaque week-end dans le Sud-Ouest, amateur de cigare, il cache sous une apparence grossière un coeur de poète et ne cesse d'écrire malgré ses occupations professionnelles successives, toutes dans le domaine de la presse et du livre. Il s'agit de Léon Mazella (à droite sur la photo), surprenant, qui enchante le lecteur par son don des images originales et la musicalité de ses phrases.

L'avant-dernière pause permet de faire la connaissance d'Anne Poumirau-Dujol qui, par son livre intitulé Heurtoirs du Béarn et du Pays basque, montre que les centres d'intérêt sont infinis, et qu'il est possible de reconstituer un pan d'histoire (assorti de photos magnifiques) avec un sujet aussi spécialisé.

Nous découvrons enfin la littérature scandinave grâce à une très jolie éditrice, mariée à un français et installée à Larbey, petit village de Chalosse, dans le sud des Landes. Gaïa Editions a pour objet de diffuser les livres qu'aime cette jeune femme, et qu'elle fait traduire en français pour nous les faire découvrir à notre tour. Afin de se démarquer de la concurrence et être remarquée sur les rayons, elle a imaginé de n'imprimer ces livres que sur des feuilles de papier rose pâle ! Elle nous présente plusieurs livres, dont une très curieuse histoire (comique, paraît-il) d'un jeune homme et d'une jeune femme que tout devrait séparer et qui font connaissance dans un cimetière... Jean-Louis l'a acheté. Quant à moi, j'ai préféré acquérir l'histoire romanesque et véridique d'une femme islandaise artiste dans l'âme qui finit par suivre sa vocation de peintre, malgré un environnement totalement contraire.

Nous terminons la marche en longeant longuement le cours d'un ruisseau dans une gorge humide à la verdure luxuriante, en une boucle qui nous ramène au village où nous cheminons près d'une maison abandonnée qui illustre la fragilité des oeuvres humaines, et dont les vestiges ont servi d'abri à la germination d'arbres qui ne tarderont pas à accélérer l'érosion en descellant les pierres... Pourtant, nous ne sommes pas à l'équateur !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cathy, Jean-Louis et plus de 120 autres personnes
Randonnée littéraire à Urdax
Dimanche 12 octobre 2008