Je
poursuis ma réflexion sur une ville durable pour aborder la
question double de l'alimentation et des déchets ménagers.
Ces deux thèmes
sont liés et constituent une composante importante
de notre impact environnemental, auquel s'ajoute la pollution générée
par les rejets de CO2 (dioxyde de
carbone) dans l'atmosphère
en raison de l'acheminement routier des marchandises par camions
et l'incinération des
déchets non triés. Je pense que des solutions locales peuvent
être trouvées, sans attendre une hypothétique mise en oeuvre à l'échelon
français ou européen. En outre, s'agissant de la question des déchets,
de l'entretien des routes, de la maîtrise de la circulation urbaine,
il s'agit bien de domaines d'action municipaux. -
Photo 1 : Maroc, Atlas, déchets
composés essentiellement de plumes. -
Je suis allée marcher quelques
jours en 2007 de village en village sur les pistes et les sentiers
du Moyen-Atlas, au Sud-Est
de
Marrakech.
Le mode de vie traditionnel des Berbères qui y résident
commence
à être
lentement
perturbé par
l'introduction de l'électricité et celle de produits
extérieurs,
limitée
cependant par l'absence de routes carossables. Leur alimentation
provient essentiellement des plantes qu'ils cultivent
et
des animaux qu'ils élèvent. Les
rares déchets
que nous avons aperçus ne se composaient que de végétaux
et de quelques grosses piles, indices
de la modernité qui les effleure. Poules, chèvres,
brebis et parfois une vache dont nous devinons la présence
dans une étable accotée
à une maison, consomment probablement la plupart des reliefs
végétaux,
et les chiens doivent ronger les os.
Tous les transports s'effectuent à dos d'homme (ou plutôt de femme) ou avec des mules qui aident également aux labours. Ces Berbères sont la vivante illustration d'une civilisation sans déchets, la seule pollution éventuelle pouvant être celle de l'eau, étant donné qu'aucun village n'est pourvu d'égouts ni de système d'assainissement quelconque, et que la faible pluviosité les oblige à puiser dans l'eau stagnante de nappes phréatiques peu profondes. Je n'aborde pas ici le problème de la surpopulation humaine, à laquelle s'ajoute celle du bétail, notamment ovin et caprin, qui provoquent la désertification du Maroc. - Photo 2 : Un mode de transport économique et non polluant. -
Parallèlement,
lorsque je vais chercher à vélo
au couvent des Bernardines
d'Anglet un poulet, des oeufs et des légumes que j'emporte
en vrac dans mon panier, l'énergie qui a été dépensée
pour m'alimenter a été presque
uniquement naturelle et solaire, si l'on fait abstraction des investissements
préalables
des serres, des toiles de plastique étendues sur les planches
maraîchères,
du local de vente avec son équipement, dont le coût
s'étale sur des années, ainsi que de mon matériel
culinaire et du gaz pour la cuisson. Les soeurs arrosent leurs
plantations en puisant
dans la nappe phréatique alimentée par les pluies
filtrées
à travers la forêt de Chiberta et le sable des dunes.
Les déchets
qui résultent
de la consommation de ces aliments sont biodégradables.
- Photo 3 : Une production maraîchère locale. -
Il
en est de même des
poissons
que j'achète à la
pêcherie, qui ont seulement nécessité les barques,
leur équipement et
le carburant pour naviguer dans l'estuaire ou les eaux côtières
proches, ainsi que les locaux de vente sur les Allées
marines
à Bayonne. Ce sont des circuits courts, de vente directe du
producteur au consommateur, sans emballage jetable (à condition
de prévoir
un récipient
qui se ferme pour le transport du poisson afin d'éviter l'utilisation
de sachets de plastique). Ils permettent aux producteurs locaux d'en
vivre, et au consommateur
d'acheter
à un
prix
raisonnable des produits frais, de qualité et de saison. Les
quelques habitants qui cultivent dans leur jardin des fruits
et légumes font encore davantage d'économies et, s'ils
pratiquent, à l'égal
des soeurs du couvent, une agriculture traditionnelle sans produits
chimiques et peu de mécanisation, leur impact environnemental
est minime. - Photo 4 : Essaouira, déchets
autour du port. -
Pour
les 40 000 habitants d'Anglet (et les quelque 300 à 400 000
habitants des agglomérations du Pays basque
et du Sud des Landes), est-ce que ce mode d'approvisionnement direct
peut être
généralisé ou
du moins voir sa part accrue ? On constate à
l'heure actuelle que les quelques AMAP (Associations
pour le Maintien de l'Agriculture Paysanne) qui se sont fondées
n'arrivent pas à contenter
la demande, faute de maraîchers en nombre suffisant. A Anglet,
les distributions, sous forme de paniers, ont lieu tous les vendredis
de 18 h 30 à
19 h 30 à la Place Quintaou. En 2006, il n'y avait qu'un producteur
de légumes
qui fournissait 20 membres. Une autre AMAP officie
sur Bayonne, avec distribution au Polo Beyris (30 membres et 3 producteurs),
d'autres à St Pierre d'Irube, Hasparren, Mauléon, Tarnos...
Quoique en croissance, c'est encore un mode
d'approvisionnement parfaitement marginal et qui comporte quelques
contraintes, notamment du côté du consommateur. -
Photo 5 : Une production diversifiée et non intensive dans un environnement
forestier. -
Le
marché de Quintaou
qui s'ouvre chaque jeudi et dimanche matin se compose de producteurs
qui viennent parfois de loin, certains complètent leur offre
par des produits achetés, et il y a aussi beaucoup de
commerçants.
Si l'on en juge par tous les sachets qui jonchent le sol
après leur départ,
ce marché a encore beaucoup de progrès à faire
sur le plan de la réduction à
la source des déchets non biodégradables. Même
si les clients arrivent avec un panier, un caddie ou repartent avec
un carton ou un cageot,
chaque emplette est emballée en sachet plastique, doublé
pour le poisson et additionné de papier pour le fromage
et la viande. Les produits cuisinés sont en barquettes
plastiques couvertes de film, ou en carton doublé d'aluminium,
tous emballages jetables qu'il serait bon de proscrire, car difficilement
recyclables.
Les marchés de Bayonne et Biarritz ouvrent toute la semaine et des marchés saisonniers ou permanents s'ouvrent dans les villages environnants. Y aurait-il une clientèle pour un marché quotidien de produits frais locaux à Anglet ? Peut-être faudrait-il alterner l'emplacement de Quintaou avec d'autres quartiers d'Anglet où l'on créerait pareillement des rendez-vous hebdomadaires réguliers, je pense notamment aux Cinq-Cantons et Blancpignon. - Photo 6 : Energie animale, pollution minimale. -
Divers
producteurs pratiquent accessoirement la vente
directe à la
ferme, ainsi que par Internet, la clientèle se faisant
par le bouche à oreille. Le
Pays basque occupe une situation à part sur
le plan de l'agriculture
et de l'élevage. Alors que les statistiques nationales
et régionales montrent une population agricole en forte baisse,
il en va différemment dans cet extrême Sud-Ouest de la
France, avec une moindre régression et un pourcentage de jeunes
agriculteurs plus élevé
que la moyenne. Une plus forte proportion d'exploitations individuelles
de taille relativement restreinte, un moindre salariat, une orientation
résolue
vers la qualité,
la tradition et l'innovation tendant à une meilleure image locale
de la campagne agricole constituent une originalité qu'il est
bon de noter. - Photo 7 : Culture traditionnelle
sans produits chimiques. -
L'Association
des Producteurs Fermiers du Pays Basque s'est donnée une éthique
qui mérite
d'être encouragée par les consommateurs. Elle a
défini
des règles de production fermière, notamment le
respect de la nature, des besoins des animaux et de leur bien-être,
l'interdiction d'achats extérieurs de matière première
(lait, fromage, viande à transformer,...). Elle comptait
30 adhérents en 1989, date de sa constitution, 136 en
2001, 173 en 2005. Elle a créé une charte de qualité Idoki à laquelle
71 producteurs souscrivent en 2009 (dont 34 en fromage de brebis,
6 en fruits et légumes). Ils pâtissent cependant
d'un déséquilibre de l'offre constituée
principalement de produits laitiers (fromages) et en second de
produits carnés.
La raison en est simple : il s'agit de petites exploitations,
majoritairement installées en zone de montagne, tandis
que les plaines fertiles sont monopolisées par de grandes
exploitations industrielles à dominante
céréalières (maïs) dont les techniques
productivistes peu respectueuses de l'environnement et de la
santé publique
bénéficient en outre des subventions et primes européennes.
- Photo 8 : Recueil des eaux pluviales sur la
côte au Sud d'Essaouira. -
Forte
de toutes ces données, la municipalité d'Anglet
peut influer sur le cours des choses de façon à encourager
une production respectueuse de l'environnement, une moindre pollution
en diminuant
l'amplitude des transports d'approvisionnement et une moindre proportion
d'emballages avec la proscription des emballages non recyclables.
Elle peut même
faire modifier le choix des cultures dans son environnement proche.
Le premier moyen, c'est l'approvisionnement des cantines scolaires,
avec le remplacement progressif des conserves industrielles par des
produits frais locaux en négociant avec les producteurs environnants.
Le second, c'est la concertation avec les maisons de retraite, cantines
des grosses
entreprises,
restaurateurs
et traiteurs
pour qu'ils adoptent un comportement similaire.
Cela
pourrait être
mis en valeur dans l'image de marque de la ville, à connotation
déjà "verte". Installer, l'été, un petit
marché des plages près de la salle des congrès, où s'approvisionneraient
tous les
restaurateurs du bord de mer encouragés à varier leurs menus en mettant
plus l'accent sur les fruits et légumes frais, pourrait avoir un
impact considérable sur les mentalités. Le troisième,
c'est l'éducation,
en communiquant notamment avec les associations
de parents
d'élèves et les autres associations de la ville. A
terme, on ne devrait plus se trouver devant l'aberration d'une supérette
d'Anglet qui offre du lait frais (cru) provenant de la région
Rhône
Alpes et des côtelettes d'agneau, fraîches aussi, importées
de Nouvelle Zélande, alors que le Pays basque a des vaches
laitières
et des moutons
à profusion (et je ne parle pas de ce qui se vend en grande surface). -
Photos 9 et 10 : Un environnement non pollué à Anglet-Chiberta.
-
L'idée
de produits frais locaux qui seraient plus onéreux
que des produits industriels importés de régions et pays
lointains doit être combattue. Il faut faire prendre conscience
qu'il est globalement plus onéreux d'entretenir un réseau
autoroutier en croissance pour des camions aux circuits
croisés insensés transportant
des
marchandises
suremballées qui les protègent des dommages occasionnés
par ces transports (outre les questions de marketing). Comble de tout,
au lieu d'amorcer une politique de réduction du gaspillage et d'encourager
un développement recentré sur les régions, le gouvernement nous menace
de dégrader encore plus notre environnement
par l'ouverture d'une voie ferrée supplémentaire à travers
nos campagnes pour acheminer du nord au sud et d'est en ouest de l'Europe
des produits
en tous sens et en dépit du bon sens. Je ne suis pas pour
l'autarcie, qui n'est pas souhaitable ni possible, mais pour un recentrage
des
approvisionnements (au moins alimentaires)
accompagné
d'une amélioration globale de leur qualité. Il y va de
notre santé
et de celle de notre région. - Photo
11 : Fabrication domestique du pain au Maroc. -
La
baisse actuelle des revenus des ménages induit,
à ma connaissance, une diminution sensible de la consommation
de viande, si j'en juge
par les échos d'évolution des ventes des petits
bouchers de quartier. Cette tendance, qui devrait perdurer, va rendre
encore plus absurde le maintien de cultures centrées sur l'alimentation
du bétail élevé en batteries. J'espère
que les cultures du maïs et
des autres plantes fourragères qui monopolisent les terres de
notre région réduiront de surface pour privilégier
les cultures destinées directement à une alimentation humaine rééquilibrée
en fruits
et
légumes.
Devant
le changement climatique qui paraît inéluctable, la meilleure
défense,
c'est la polyculture, génératrice de surcroît d'une
meilleure biodiversité. - Photo 12
: Des serres pour pallier les aléas climatiques. -
En
attendant que les emballages voient leur volume se réduire,
voici le témoignage de touristes du Nord-Ouest
de l'Inde en visite au Pays basque. Ils se sont étonnés
de notre système
de déchèterie, qui les faisait même
sourire. Quoi, vous apportez vos déchets sur place et vous payez
le coût de ces centres de collectes et des usines de traitement
? Chez nous, c'est le contraire, lorsque nous avons un déchet,
nous le vendons, et donc
nous récupérons de l'argent sur notre achat initial.
Pourquoi ne pas s'en inspirer, à l'instar de ce qui se faisait
autrefois pour
les
bouteilles
de verre
consignées, afin d'enseigner au consommateur quels emballages
ne peuvent
être recyclés et qu'il privilégie l'achat de produits
entourés d'emballages
recyclables. Un tel système éviterait également
que des citoyens trop pressés ne répartissent pas correctement
les emballages dans les bennes et empilent à côté les
emballages volumineux ou dont les bennes ne sont pas à portée
immédiate. Au final, le consommateur influera ainsi
sur les procédés industriels dans le sens
d'un
moindre impact
sur l'environnement
et
d'un moindre
gaspillage. - Photo 13 : Utiliser les fruits
de saison locaux. -
Réaction de Pascale : J'ai lu avec attention tes écrits concernant le thème Agenda 21 - je valide ton argumentaire globalement bien qu'il faille tenir compte à mon sens, des aspects et enjeux économiques existants (lobbies de l'emballage, des transports routier, ASF, de la promotion immobilière, de l'agriculture et la pêche perfusées) qui emploient du monde et pèsent auprès des décideurs et du politique. Partir d'un constat ok - Avancer des solutions, des pistes et tenir compte aussi d'une réalité économique et interactive, de l'offre et de la demande, du niveau effectif des prises de conscience de la sté civile.... du pain sur la planche en perspective - surtout en matière d'éducation et de formation, la base à mon avis qui conditionne tout changement sociétal dans les comportements et les choix de vie ! mais ça commence à bouger, je le vois dans l'éco-construction et les fillières d'approvisionnement des matériaux écologiques, sujet qui me passionne !
Réponse de Cathy : Je ne nie pas la réalité, mais je pense que, lorsque nous agissons, c'est en fonction d'un futur pensé, imaginé, rêvé. Par mes écrits, j'essaie d'influer, aussi peu que ce soit, sur l'idée que nous nous faisons de l'avenir, et qu'une façon de vivre et de se comporter plus "durable" devienne réalité, parce que nous nous mettons à la souhaiter et à y croire.
Article du journal Sud-Ouest paru le 3 juin 2009 : Et la demande fit évoluer l'offre...
Article du journal Sud-Ouest paru le 173 juin 2009 : Faire évoluer les comportements au quotidien...
Cathy | Alimentation
et déchets |
9 juin 2009 |