Il
y a deux jours, le lever de soleil était merveilleux derrière
les arbres au fond du jardin de la Tour de Lannes. Il fallait s'y attendre,
ce ciel
magnifique annonçait un radoucissement de l'atmosphère
et le retour à une humidité plus coutumière. Le
Baïgoura
nous a donc offert un tout autre visage, empreint de douceur. L'atmosphère
diffuse et brouillée au
sein de laquelle nous étions enfouis était parfois percée
par des rayons du soleil qui dardaient entre les interstices des nuages
et
balayaient quelques
champs
ou collines
avant
de disparaître à nouveau aussi rapidement qu'ils étaient
apparus, ne me laissant même pas le temps de faire le point avec
mon appareil photo.
Notre enthousiasme de dimanche dernier avait fait des émules, et nous étions plus nombreux aujourd'hui, plus enclins à craindre la pluie que la neige qui avait disparu des flancs de cette montagne basse. Nous sommes montés par le chemin des crêtes que nous avions suivi pour redescendre la semaine dernière. Les perspectives étaient donc différentes, et, ajoutées aux conditions météorologiques, elles transformaient cette balade du tout au tout, comme si nous étions ailleurs, sur une autre montagne. Il faisait même tiède et les quelques gouttes qui tombaient de temps à autre, éparses, n'arrivaient pas à nous mouiller. J'ai repris ci-dessous les commentaires indiqués sur les panneaux du chemin botanique, pour mémoire.
Schistes et quartzites : un peu d'histoire. L'examen des roches du Baïgoura nous permet de dater la formation de ce massif entre 530 millions et 420 millions d'années. Les roches présentes sur ce versant nord sont d'une part des schistes, que l'on reconnaît à leur survace souvent ondulée plutôt que plane et à leur couleur verdâtre, grisâtre ou rougeâtre. D'autre part des quartzites, qui sont parmi les roches les plus dures et les plus résistantes. Leur surface granuleuse va du brun au jaune en passant par le gris et le blanc.
La
hêtraie : sans parler de sa prestance, de son ombre généreuse, de son hospitalité
(oiseaux, mustélidés), la liste des services rendus est longue. Son fruit,
le faîne, nourrit toute la faune sauvage, ses feuilles sont broutées et servent
de litière. Ses rameaux et ses branches alimentent le feu ou sont transformés
en charbon de bois. Son bois, taillé, scié, ponçé, sera sabot, mobilier,
bardeaux de toiture, outillage, petite charpente...
Fleurs de la hêtraie : le Baïgoura est un manuel grandeur nature de géologie, botanique, archéologie... On y trouve de nombreuses roches et plusieurs types de sols. La belle hêtraie est plantée sur un sol riche, profond, et abrite une faune et une flore très différentes des pelouses et des cimes. La scille bleue qui est la jacynthe des Pyrénées y est présente, ainsi que la très gracieuse hépatique qui décline les bleus, du plus pâle au bleu azur.
Plantes médicinales. Si on les trouve sur le bord des sentiers tout au long de la saison d'été, c'est que tous les brouteurs, pottoks, brebis et aussi chevreuils de passage les évitent soigneusement, sachant que les étincelantes digitales pourpres et les hellébores étranges aux jolis sépales verts sont pour le moins indigestes ! Cela vaut également pour le dompte-venin aux allures de piment sauvage.
Ecureuil roux : acrobate ! Grâce à sa queue qui lui sert de balancier, de parachute, de gouvernail, il exécute des bonds de cinq mètres et descend la tête la première à toute vitesse ! Ses griffes en forme de crochets et ses doigts longs et bien écartés permettent d'avoir une bonne prise lors des escalades. La hêtraie du Baïgoura lui offre le gîte et le couvert sur une bonne partie de l'année. Au printemps, il grignote des bourgeons, des fruits, des champignons...
Buse variable : juché sur un arbre ou sur un piquet, à l'affût des rongeurs qui peuplent les prairies, ce trappu rapace aime les zones bocagères où se mêlent prairies, pâturages, haies qui abritent taupes, mulots, campagnols, et même reptiles... Il se bagarre souvent avec les corneilles, disputant un territoire à grands renforts de cris perçants. C'est à son plumage que la buse doit son nom, passant du brun au blanc...
N'ayant
rien à admirer dans le lointain, je me suis mise à observer
la végétation proche. Non pas que la marche soit dure, loin de là,
nous allions d'un pas de sénateur
et j'en ai profité pour photographier des détails auxquels
je n'avais pu prêter attention la dernière fois, faute de
temps, mais aussi parce que la neige enfouissait le sol sous son brillant
manteau glacé. C'est
intéressant de voir les différentes stratégies des
plantes pour survivre dans les conditions hivernales. Les arbres perdent
leurs feuilles et entrent dans ce que l'on appelle "une
petite
mort", ou tout au moins une forme de léthargie : la force
vitale se dédie
seulement à résister et faire
en sorte que le tronc et les branches n'explosent pas sous la
pression de la sève qui, gelée, verrait son volume augmenter
de façon
intolérable.
Il
faut croire que l'écorce est
vraiment un bon isolant, car la sève circule juste derrière
sa surface, dans l'aubier, tandis que le centre du tronc n'est que du
bois mort dont la présence donne à l'arbre
sa rigidité pour soutenir le houppier (l'ensemble des branches). L'écorce
n'est pas inerte, contrairement
à ce que l'on pourrait croire, et elle est un produit complexe
et diversifié
de l'évolution, capable de s'adapter à des variations et
des contraintes environnementales. - Les
lignes suivantes sont extraites du site lié
à ce texte. - Par
exemple, l’écorce épineuse
de nombreux acacias des savanes africaines
décourage la plupart des grands herbivores de venir les brouter.
Le Séquoia des côtes, le niaouli
ou le chêne-liège ont une épaisse écorce
qui les protège du feu. L'arbre
bouteille du Queesland et le bois bouchon à écorce
de papyrifée ont une écorce verte
chlorophyllienne permettant de se substituer aux feuilles tombées
pendant la saison sèche. Les baobabs stockent de l’eau
dans les tissus internes de son écorce spongieuse. D'autres encore
doivent se défendre contre les agressions des parasites et autres
insectes en libérant des substances nocives (le latex) à la
moindre blessure.
Avec
les tensions provoquées par
la croissance en épaisseur de l'arbre, combinées aux
facteurs du milieu, l’écorce va parfois se craqueler,
se fissurer, se plisser. D’autres vont plutôt avoir tendance à se
détacher annuellement par plaques, lambeaux, feuillets de façon
aléatoire et irrégulière. C'est une
structure complexe en constante évolution. Elle est issue d'une
assise de cellules dites méristématiques (ou embryonnaires)
appelée cambium. Les
cellules se divisent pour donner, en simplifiant, deux types de tissus
: vers l'intérieur du tronc, le cambium donnera
le xylème secondaire (ou bois), et vers l'extérieur de
l'assise, il donnera du phloème secondaire (ou liber). Le cambium
est donc la limite entre l'écorce et le bois. Une
autre assise de cellules méristématiques se forme dans
une partie plus externe de l'écorce, c'est l'assise subero-phellodermique
(ou phellogène). Elle permet de produire vers l'extérieur,
du suber (ou liège) et vers l'intérieur, du phelloderme,
tissu souvent riche en chlorophylle. Ainsi, l'écorce d'un
arbre est constituée de cellules et tissus
vivants (assises méristématiques, phloème et phelloderme)
et de structures faites de cellules mortes appelées rhytidomes.
L'écorce,
véritable peau
des arbres, est un élément
vital pour les plantes ligneuses. Elle permet entre autre de les protéger
et de les nourrir. Elle
assure une protection du cambium contre les agressions physiques ou biologiques
(la neige, le gel, le feu,
les rayons ultraviolets). Elle sert également de protection physico-chimique
contre les insectes, les parasites, etc. en stockant des substances de défense
comme le latex par exemple. La sève brute, venant des racines, est
ascendante et riche en eau et éléments minéraux. La
sève élaborée
descendante, riche en assimilas de la photosynthèse, provient des feuilles.
L'écorce a
donc un rôle indispensable dans l'acheminement des nutriments. Les substances
nocives au bon fonctionnement du métabolisme de l'arbre sont évacuées
vers la partie externe de l'écorce
qui meurt et va se détacher progressivement du tronc. C'est le cas des
tannins, des résines, des mucosités ou encore des cristaux. Compte
tenu de tous ces éléments, je m'étonne que la mousse (Dicrane
vert ?) qui pousse en une
chevelure épaisse et longue depuis la base du tronc jusque vers les trois mètres
de hauteur
ne pénalise pas ces hêtres têtards : comment peuvent-ils respirer avec une
pareille couverture ? D'un autre côté, vu leur teinte verte éclatante de santé,
ces mousses n'ont pas souffert du tout du froid et peut-être ont-elles protégé
par leur présence envahissante les gros arbres de la morsure du gel ?
Les
herbes jaunissent et dépérissent dans leurs parties
aériennes
: elles font peine à voir. Les plus toniques ont
une croissance tellement rapide qu'elles ont déjà émis
de nouvelles feuilles pour continuer à survivre en attendant la
floraison et l'émission des
graines. Quant aux mousses, lichens et minuscules plantes grasses, ils
sont étonnants. Multicolores, nombreux sont ceux qui ne paraissent
pas avoir du tout pâti du froid ni du gel. D'une résistance à toute épreuve,
ils jaillissent en touffes éclatantes et couvrent toutes les
surfaces disponibles, roches, troncs ou terre laissée à nu
par les herbes défaillantes
ou l'action énergique des taupes qui passent leur temps à forer
le sous-sol et rejeter le terreau pour percer leurs galeries et respirer.
Les lichens
sont un véritable paradoxe arithmétique puisque chez
eux 1 + 1 = 1. En effet, ils se composent de deux êtres vivants
différents : un champignon et une algue et vivent en parfaite
symbiose en extrayant très peu de nutriments de leur environnement
(essentiellement le rayonnement solaire et les gaz de l'air, sauf erreur).
En Antarctique, ils ont acquis des caractéristiques
particulières
d'adaptation : leur respiration et leur photosynthèse
ne sont optimums que durant la pleine saison estivale et son jour continu,
ils renferment une forte concentration de pigments et d'acides anti-gel
qui
permettent une photosynthèse limitée jusqu'à -10°C,
et ils
ont développé la capacité d'utiliser rapidement l'eau
dès qu'elle est disponible. Par
ailleurs, les lichens ont des exigences écologiques
très
précises.
Leur présence dans certains habitats peut donc fournir des renseignements
sur les caractéristiques du lieu en question. Dans le domaine
de la pollution, on a pu démontrer que les lichens sont des
véhicules
pour certains poisons. Ils peuvent ainsi accumuler dans leur thalle
les produits des retombées radioactives, ce qui fait d'eux d'excellents
bio-indicateurs. Dans les villes, la disparition des lichens est une
indication d'un taux de pollution atmosphérique non négligeable.
Les scientifiques ont pu par ce biais établir de véritables
cartes d'intensité de pollution. Evidemment, rien de tel sur
le Baïgoura.
L'air est pur, et même par moment franchement "vivifiant" (les
k-ways servent autant pour la bruine que pour le vent qui parfois souffle
fort).
Je
m'étonne d'un lieu commun, c'est de la diminution de la taille
des plantes au fur et à mesure que nous montons en altitude. En
montagne, la température baisse environ de 0,6°C tous les
100 m, et elle présente des fluctuations de grande amplitude, de -10°C
pendant la nuit à 40°C
au sol quelques heures plus tard dans une belle journée. Cependant,
il fait moins froid au ras du sol, et si celui-ci est recouvert d'un
manteau neigeux, la température y stagne à 0°C sous 40 cm de neige. En
outre, les rafales de vent peuvent être
très
puissantes ce qui peut provoquer un arrachement des plantes. Pour s'adapter
à ces contraintes, le nanisme est une bonne stratégie induite naturellement
par le refroidissement qui ralentit les
processus vitaux comme la photosynthèse et la croissance.
Mais
si l'appareil aérien des plantes
de montagne est discret,
leur appareil racinaire est souvent très développé. En
association au nanisme, les plantes adoptent
une forme en coussinet (piège pour récupérer la
chaleur des rayons lumineux). C’est une masse hémisphérique
ressemblant à des mousses. La plante se divise dès
la base avec de toutes petites feuilles étroites serrées
les unes contre les autres. Ce coussinet retient l’eau et l’humus
en protégeant
la plante du vent, donc de l'évaporation, ce qui crée une
couche d’air immobile autour de la plante permettant de garder
une température relativement élevée par rapport à la
température ambiante.
Il s'agit là d'une convergence
adaptative, c'est-à-dire qu'elle
se retrouve chez des espèces végétales différentes
vivant dans un même milieu. Une association
très commune dans les stations de basse altitude est celle des Joubarbes
et des bryophytes : les rosettes des Joubarbes se nichent alors dans un épais
coussin de mousse encroûtant la roche (photo ci-dessous).
Les plantes se couvrent de pilosité, manteau blanc argenté de poils duveteux situé à la surface des tiges et sur les feuilles, qui a une fonction d'isolant thermique et retient la chaleur comme les feuilles sombres. C'est un isolant hydrique, un écran qui limite les agressions mécaniques (comme le vent), limite l'évaporation et donc la déshydratation. Il réfléchit une partie du rayonnement solaire en excès. L'élévation de la teneur en sucre élaboré par photosynthèse ainsi que celle de protéines spécifiques permet aux plantes de supporter des températures négatives, même en pleine croissance. Pendant la période de repos de la végétation, les stomates se referment et la quantité d’eau dans les cellules diminue. La concentration en sucre augmente, tandis que le point de congélation s'abaisse, évitant par ce biais que l’eau présente dans les tissus ne se transforme en glace et ne fasse mourir la plante. C'est le phénomène de la succulence : les tissus se gorgent d'eau très concentrée en sels dissouts.
Enfin,
les plantes montagnardes sont essentiellement des plantes vivaces, c'est-à-dire
des plantes qui ne consacrent qu'une faible partie de leur énergie à produire
des graines, a contrario de ce que font les plantes annuelles. Tout
concourt en effet pour que les graines soient arrachées et entraînées
vers le bas, loin de l'endroit où elles auraient dû germer
: le vent, la neige, la pluie, l'érosion, les coulées de
solifluxion (alternance gel-dégel), etc. Les plantes vivaces disposent
d'un pied et d'une durée
de vie suffisamment longue pour espérer que quelques-unes de leurs
graines auront germé à proximité avant leur dépérissement,
mais surtout, beaucoup d'entre elles se reproduisent de façon végétative
(certaines saxifrages se reproduisent quasi exclusivement de cette façon).
Mais bien que les plantes de montagne comptent sans doute davantage sur
l'efficacité d'une
reproduction végétative, elles n'en fleurissent pas moins
et plus encore, offrent aux insectes et aux papillons de très parfumés
et très attirants périanthes. Il est vrai que le temps de
la belle saison est compté, et en montagne, tout doit aller vite
et demeurer efficace.
Richard, Sammy, Max, Michèle, Jérémy, Jean-Louis B., Pierre, Rose, Jean-Louis, Cathy | Baïgoura |
18 janvier 2009 |