L'automne
nous surprend alors que l'été semblait s'installer sur
la côte
basque. Ces premiers frimas, 2°C à 9 heures et demie ce
matin sur la route de Macaye, avivent les couleurs et font s'ébrouer
les arbres, chatouillés
par leurs
feuilles
craquantes
dont le vert se
pare d'or et de pourpre. Au premier souffle
d'une bise acide qui dévale les flancs raides du Baïgoura,
promontoire isolé de la chaîne pyrénéenne,
elles rompent les amarres, tanguent et
vacillent
en un vol indécis,
hésitant
jusqu'au dernier instant à recouvrir
d'une cape miséricordieuse les racines dénudées
par l'érosion des quelques arbres rescapés des écobuages.
Le ciel d'un
bleu intense s'adoucit à l'horizon, la mer disparaît sous
un voile laiteux tandis qu'à l'opposé s'estompent les
silhouettes des pics du Midi d'Ossau
et d'Anie
à peine visibles derrière les contreforts en dégradés
de mauve qui soulignent leur éloignement.
Une main cramponnée à la manette des freins, un skater pas si jeune que ça dévale avec prudence les derniers pâturages au-dessus de la base de loisir d'où nous verrons partir sur des remorques traînées par un gros tracteur des groupes de jeunes en trottinettes renforcées, semblables à des VTT dépourvus de selle, et des voitures chargées de parapentistes équipés d'énormes sacs à dos qui contiennent leur voile soigneusement pliée. Dans le lointain, un coup de fusil rappelle que la chasse est ouverte, et nous espérons ardemment ne pas être pris pour des palombes. Les pottoks, insensibles au froid, terminent placidement leur somme nocturne, debout les yeux vaguement ouverts sur un paysage pastoral dont j'ignore s'ils apprécient le charme. Plus loin, alignés sur des sentes horizontales qu'ils ont tracées, des moutons explorent un flanc escarpé en broutant avec application.
Il
y a quelques années, des conflits d'usage
ont éclaté sur le Baïgoura. Les éleveurs
voyaient d'un mauvais oeil arriver ces touristes, citadins de la côte
ou d'ailleurs, craignant à tort ou à raison qu'ils n'effrayent
leurs bêtes et n'abîment les herbages. A voir la santé florissante
de la base de loisir qui multiplie ses activités, agrandit sa
terrasse de restaurant, et reçoit
toute l'année des familles heureuses de se détendre en
pleine nature, quoiqu'elles aient recours à des accessoires motorisés,
il est évident
qu'ils ont perdu la partie. Celle-ci se poursuit ailleurs.
En
2008, la
municipalité
a invité au château de Garro l'association Concordia afin
qu'elle anime une équipe de volontaires internationaux qui se consacreraient
à la restauration des murs de soutènement de la terrasse
de ce château
du 12ème siècle et de l’escalier extérieur vers le
grand parterre. Ce chantier devait déboucher sur deux projets ambitieux
: la création
d’un pôle d’agriculture biologique du Pays Basque ainsi qu’un
projet d’hébergement intergénérationnel. Peut-être
se sont-ils réalisés, j'aimerais bien savoir
si les
agriculteurs locaux ont changé leurs pratiques et cessé de
recourir
massivement
aux
produits
phytosanitaires. Une information trouvée sur Internet
me fait penser que ce n'est pas encore gagné. En
effet, après la balade, nous déjeunons au restaurant de la base d'un délicieux
cochon
de lait
sur
la provenance duquel, après coup, je m'interroge. C'est que je viens
de découvrir qu'une association
pro-environnementale
(Ingurumena)
de Mendionde, présidée par Mattin
Etchepare, est toujours en lutte cette année contre le développement
d'un élevage
industriel
de porcs, l'EARL Uhaldia, qui menace d'infecter l'eau et l'air par
un
épandage massif et régulier de ses effluents sur les champs
alentour...
Citadine
et randonneuse sur le Baïgoura, je regrette quant à moi l'abandon
d'une exploitation équilibrée de la montagne, dont ce hêtre-têtard à la
stature majestueuse en est le vestige. Il rappelle, à ceux qui
l'auraient oublié, qu'autrefois
la forêt
faisait aussi partie intégrante de la végétation
montagnarde où elle occupait au minimum les sommets et les flancs inaccessibles
aux troupeaux. Exploitée
par l'homme pour son bois d'oeuvre et le chauffage, ses
fruits et ses feuilles complétaient utilement le régime
alimentaire du bétail, sans
recours à ces plantes exotiques que sont le maïs ou les
tourteaux de soja issus de l'industrie oléagineuse. Contribuant à maintenir
le sol, la forêt
adoucissait l'atmosphère,
brisait la force du vent et permettait au relief de garder sa fonction
de château d'eau en limitant le ruissellement et le dirigeant avec
douceur vers les profondeurs de la terre...
Giono
le savait bien, qui chantait la résurrection de la Provence près
du Mont Ventoux en contant, au début du XXe siècle, l'histoire
de l'Homme qui plantait les arbres et ressuscitait ainsi toute une région
désolée dont la vie s'était enfuie après la destruction de ses forêts.
Les paysans du Pays basque ont perdu cette tradition, accru par le feu
l'espace
dédié aux
pâturages
et livré aux affres de l'érosion la montagne.
Le
Baïgoura
en pâtit moins
que la Rhune ou l'Artzamendi et quelques arbres subsistent par miracle.
J'espère voir un jour les communes et syndicats de montagne
reprendre conscience de l'importance de la forêt et la restaurer.
Je suis persuadée que nous autres, citadins, avons une grande responsabilité
dans ces pratiques paysannes et que nous pouvons accompagner la conversion
vers une agriculture et un élevage moins intensifs en privilégiant par
nos achats les produits de qualité biologique. Les subventions européennes
ont perverti le monde agricole en favorisant à outrance l'industrialisation
et la concentration des terres entre les mains de peu de propriétaires
qui n'étaient plus des paysans mais des entrepreneurs. En fin de promenade,
nous demeurons interdits devant la transformation d'une borde en
centrale solaire électrique. Si celle-ci doit servir à alimenter
des trayeuses, il n'y a rien à dire. Mais si cette installation, subventionnée
par l'Etat, doit simplement permettre à l'éleveur de vendre à EDF son
courant à prix
d'or, je m'interroge sur sa pertinence et sur le bon usage de
l'argent public.
Remarque de Pierre C. Les panneaux photovoltaïques que tu as vus sur la borde servent, en général, à alimenter une pompe à eau de manière à ce que les troupeaux puissent avoir de l'eau en permanence.
Max, Michèle, Nadine, Jean-Louis B., Jean-Louis, Cathy | Baïgoura |
18 octobre 2009 |