Reprenons
le fil de la visite. L'intérêt de ces réserves,
outre le plaisir de voir la nature sauvage reprendre ses droits, c'est
de servir d'indicateur d'évolution de l'environnement (positivement
ou négativement). Le problème qui se pose à Tangi
Le Moal, c'est celui de choisir une sélection
d'animaux
et
de
plantes
dont la variation numérique
dépend de perturbations anthropiques (dues aux humains).
Il est impossible de suivre la totalité du biotope d'une réserve,
aussi petite soit-elle. D'abord, il n'y a pas assez de spécialistes
capables de reconnaître et de décompter l'immense variété de
plantes et d'animaux, et ensuite la nature est tellement diversifiée
que c'est un travail impossible.
Il
faut
donc choisir les bons indicateurs, suffisamment sensibles à des
facteurs que l'on détermine à l'avance : la qualité de
l'eau, la pression immobilière
et routière, la chasse, les hydrocarbures, pesticides, engrais,
les pluies acides, la présence - ou l'absence - d'un couloir
végétal reliant
des réserves, la répartition des réserves sur
un territoire (les oiseaux dérangés à Errota Handia
s'envolent à Chourroumillas, et inversement),
etc. Il faut également prendre en compte la taille du territoire
nécessaire
à chacun. Beaucoup d'oiseaux qui sont repérés
sur ces réserves sont
migrateurs, leur conservation ne dépend donc que très
partiellement de la réserve,
quoiqu'elle soit essentielle à leur survie, à son petit
niveau de halte-refuge, de lieu de repos, d'alimentation ou de reproduction.
Il en est peut-être
de même pour les chauve-souris, les papillons. Chevreuils ou
sangliers ne se limitent pas à la réserve, de même
que les poissons dans les ruisseaux.
La
conception même de ces réserves est importante, car la
biodiversité
est liée à une diversité de territoires. Les papillons
affectionnent les prairies
naturelles, les abeilles ont besoin de fleurs, les amphibiens et
insectes procréent dans les mares, des oiseaux ne se nourrissent
que de la vase
des berges, inondées ou pas, d'autres plongent et demandent
une eau plus profonde, les forêts marécageuses comme
les aulnaies n'hébergent
pas les mêmes animaux que les chênaies, etc. Il faut ajouter
que nous ne
nous intéressons pas non plus de la même manière à tous
les êtres
vivants. Les oiseaux nous fascinent, raison pour laquelle il y a tant
de spécialistes
qui passent des heures à les observer et les compter. Il est
donc plus aisé de déterminer ceux qu'il faut inscrire
en liste rouge des espèces
en voie de disparition ou de raréfaction, comme le butor étoilé que
Michel Guilhous est tellement content d'avoir repéré et
photographié
sur sa réserve. D'autres lieux nous intéressent depuis
peu, comme les tourbières. Tangi Le Moal en a repéré une
intéressante à flanc
de côteau à proximité du terrain de sport de Bassussarry
- Arcangues qui longe la réserve de Chourroumillas.
Il
va demander à la commune
s'il peut l'intégrer dans son plan de gestion, en même
temps qu'il posera la question du déplacement de l'activité de
ball-trap, car les cibles mobiles ratées (petits plateaux d'argile
de couleur vive) atterrissent dans la tourbière et le bosquet
attenant, de même que les plombs. Les hurlements des supporters
et des joueurs de foot et de rugby ne sont pas non plus géniaux,
mais les animaux semblent s'y accoutumer. Les détonations sont
beaucoup plus traumatisantes.
Il semblerait que
cette tourbière isolée soit particulièrement étendue
et située dans un endroit
inhabituel, si j'ai bien compris. Ce sont des terres humides
très peu nutritives, qui hébergent un biotope bien
spécifique,
comme les plantes carnivores (toutes petites) réduites à capturer
des insectes pour survivre. N'y subsistent que des plantes et animaux
peu compétitifs dans un environnement
plus riche et qui ont développé une stratégie
adaptée à ce milieu.
Si par hasard on en amendait le sol pour la cultiver, on les détruirait à coup
sûr. Il se
passe un phénomène similaire sur les berges de la Nive, classées
Natura 2000. Sur la rive gauche, où a été bitumé d'autorité par
Bayonne l'ancien chemin de halage, les citadins qui s'y promènent à pied,
en vélo ou en roller se plaignent régulièrement
auprès des employés du
syndicat Nive-Nivelle chargé de son entretien ou de la mairie,
pour réclamer le "nettoyage" des berges afin que la
végétation ne leur cache pas la rivière et, sans doute aussi, parce
qu'ils trouvent que "cela fait sale", "elles ne sont pas nettes", comme
si la nature devait ressembler à un terrain de golf ou une moquette
d'appartement. "Que rien ne dépasse !" Résultat, alors que le classement
en Natura 2000 devrait empêcher de telles pratiques, le souhait de
paix de l'administration et l'absence d'effort explicatif et informatif
du public amènent à empêcher la vraie nature de se développer librement.
C'est
sur
l'autre
rive, que nous visitons, qu'elle réussit, difficilement, à subsister.
Au premier plan, dans la partie immergée périodiquement
par la marée
et les crues, pousse une herbe rase. Puis, derrière, s'élèvent
les roseaux de 1,50 à 3 mètres de haut
et au troisième plan, près du chemin, la mégaphorbiaie qui
est un ensemble de nombreuses plantes compagnes vivaces, effectivement
assez hautes, que décrit très bien
la jeune, dynamique et volontaire Elodie Larralde, de l'association
Laminak d'Anglet. Elle a tenté, en vain, de sensibiliser son
entourage à la sauvegarde de ces plantes pour faire appliquer les
directives
de Natura 2000. Pourtant, sa compétence ne peut être mise
en doute ses cinq ans d'études
après
le bac terminées
par un mémoire de stage de Master 2 sur les plantes des barthes
de Villefranque ! Depuis un an, elle a donc contribué à créer
cette association Laminak qui lui
permet d'avoir les mains plus libres pour informer les gens. En contrepartie,
elle galère pour survivre, effectue beaucoup de travail et
d'études
bénévolement et elle a moins d'impact et de pouvoir, à court
terme, même si elle touche beaucoup d'élèves
des écoles. Le problème qui
apparaît sur cette rive droite, c'est l'apparition de plantes
invasives comme l'herbe de la pampa, la renouée du Japon,
le raisin d'Amérique
et le séneçon en arbre (le baccharis, très nuisible
en Bretagne) qui prennent la place de la mégaphorbiaie, "ses
quatre ennemis",
commente Elodie.
Son
parcours me fait penser à celui de Laurent Verderey, rencontré pendant
la visite de Chourroumillas. Au cours de ses études,
depuis 1993, il a effectué tous ses stages à l'ONF et,
après l'obtention
de son BTS, en 1997, il a d'abord eu des CDD, toujours à l'ONF,
puis il a fini par avoir un CDI. Il travaillait en tant que simple
ouvrier,
c'est-à-dire
qu'il
allait, avec ses collègues, là où les machines
n'arrivaient pas à passer
et où les entreprises ne voulaient pas travailler. Il repeuplait
la forêt, dégageait les plantations nouvelles, entretenait
les pare-feux, sur un vaste secteur allant de Saint Palais à Biriatou.
Il n'y avait pas d'atelier à leur disposition, donc tout le
matériel était entreposé
dans un véhicule où ils mangeaient. C'était un
travail dur. Au bout de quinze ans et de deux hernies discales, il
a été mis dehors, sans
tambour
ni trompette
-
ni remerciements pour services rendus -. Pendant la période
de chômage
qui a succédé, il a repris ses études en université,
toujours dans le domaine de l'environnement. Depuis août 2008,
il a participé à la
création du Réseau Associatif Naturaliste en Pays Basque
- RANA Pays Basque,
basé à Ustaritz, qui
lui fournit
le travail
qu'il aime et pour lequel il est vraiment compétent. Il effectue
pour la commune de Mouguerre un inventaire
des espèces
naturelles en vue d'un diagnostic. Il est heureux de ce dénouement
: "J'ai 35 ans, cela ne me convient pas du tout de rester
oisif ; ma femme travaille et elle attend un enfant." Ce n'est
pas facile de travailler dans l'environnement, il n'y a pas vraiment
de
débouchés ni d'argent consacré à ce domaine
immense, malgré tout le
battage médiatique qui en est fait.
Tandis
qu'Elodie expose son sujet, Dimitri Marguerat, du CPIE Pays Basque,
appelé en renfort, l'interrompt lorsqu'il voit
passer un oiseau ou entend un pépiement. Sur la Nive, un martin-pêcheur rase
les flots à toute vitesse, nous avons à peine
le temps de l'apercevoir du coin de l'oeil, le temps de tourner la
tête. Dans la roselière, des pépiements divers lui font ouvrir sa "bible",
un livre sur les oiseaux où il nous montre sur une page celui que nous
entendons en prêtant l'oreille. "Vous ne le verrez pas, il est enfoui
dans les roseaux et impossible à détecter, si ce n'est par son cri.
Vous remarquerez qu'un oiseau a un chant d'autant plus joli et diversifié
qu'il a un aspect petit et insignifiant et qu'il vit dans un milieu
très fermé où il est invisible. Chanter est une
nécessité vitale pour communiquer, c'est sa stratégie de reproduction.
Au contraire, les oiseaux très colorés ont un cri basique, primaire.
La
communication
n'est plus
orale
mais
visuelle, par le biais du plumage. Il faut d'ailleurs distinguer les
cris d'avertissement,
d'appel,
des chants proprement dits qui ne s'entendent le plus souvent qu'à
la période des amours.
Il
évoque ainsi le phragmite, qui est à la fois un nom de roseau et celui
d'une fauvette des marais, le phragmite
des joncs et le phragmite aquatique. Puis il nomme la rousserolle,
qui
est un passereau migrateur transsaharien, le bouscarle, un autre
passereau, la cisticole des joncs, le bruant des roseaux. Le râle d'eau
émet un bruit qui évoque assez le cochon qu'on égorge (en plus faible,
quand même, mais ce que nous entendons est effectivement ressemblant).
Le rouge-gorge, nous fait-il remarquer, est une des rares espèces où
le
mâle et la
femelle
chantent (d'ordinaire, seul le mâle est chanteur).
De plus,
on
l'entend
en
hiver. C'est
un migrateur qui arrive du Nord et de l'Est. Son chant lui permet
de marquer son territoire alimentaire. Il n'y en a généralement qu'un
seul par jardin, toujours le même. Le pic épeiche tambourine sur
les arbres. Le troglodyte crie très fort, comparativement à sa taille
minuscule.
Dimitri
nous raconte le drame qui arrive parfois. Il faut savoir que le coucou,
qui est un très gros oiseau, pond un oeuf
très
petit de couleur passe-partout qu'il est incapable de couver. Il
guette le manège d'un autre oiseau en train de nicher, profite d'une
absence
pour pondre son oeuf, et - peut-être, ce n'est pas prouvé - jette
un oeuf de son hôte pour que le nombre reste identique. Chez les troglodytes,
seule la femelle couve et s'occupe des petits, sans l'aide du mâle,
qui est polygame. Si, par malheur, la femelle du coucou jette son dévolu
sur son nid, elle lui
prépare un enfer. Sitôt sorti de l'oeuf, le jeune coucou, qui a encore
les yeux fermés et qui est incapable de se débrouiller seul, contrairement
à d'autres espèces, se met à éjecter tout ce qui frôle une partie
de
son corps hypersensible située sur son dos, près de la nuque. Devant
la mère qui ne fait rien pour l'en empêcher, il précipite tous les
autres oisillons hors du nid. Puis, jusqu'à ce qu'il devienne apte
à s'envoler, cette minuscule femelle nourrit cet oisillon qui devient
de plus en plus gros et déborde du nid. Elle doit même se jucher
sur son épaule à la fin pour réussir à le nourrir ! L'histoire ne dit
pas
si elle en meurt d'épuisement...
Alors
qu'il nous décrit ce comportement curieux, il s'interrompt brusquement
pour dresser sa lunette sur le trépied et
la diriger vers le sommet des grands arbres qui surplombent la roselière
: un couple de gros-becs vient de se poser, c'est la première fois
qu'il en observe au Pays basque - d'ordinaire, ils résident plutôt
en Provence -.
Ces oiseaux, comme leur nom l'indique, ont un bec si
solide qu'il peut casser des noyaux de cerise : 60 kg de pression au
cm². Inutile de préciser que le bagueur, quand il doit en manipuler
un, se munit de gants métalliques pour se protéger ! Sur le sentier
du retour, nous apprécions le chenal tracé par des sangliers à travers
la roselière. La
trace de leurs pas est encore visible dans la boue. Plus loin, c'est
un blaireau qui laisse l'empreinte de ses cinq doigts
en arc de cercle sur le devant, prolongés de longues griffes. Il peut
manger jusqu'à cent kilos de lombrics (ces longs vers de terre indispensables
à l'aération du sol dont je caresse, par curiosité, celui qui a été
cueilli alors qu'il cherchait à s'enfouir de nouveau : il est propre,
doux, sans écaille ni pilosité ni glaire, c'est vraiment étonnant qu'avec
un corps aussi mou il puisse s'insérer dans les entrailles sous nos
pieds)...
"Savez-vous
ce qu'est un klonk ?" demande Stéphane Connole, animateur
de l'association Laminak spécialisé dans
la faune aquatique des rivières et des côtes maritimes,
et qui utilise pour son activité un bateau mixte, avec un
moteur essence couplé à un moteur électrique,
pour pouvoir observer tranquillement et sans polluer. Le klonk est
un objet
de bois
composé d'un manche
élargi à la base. On le manie de
haut
en bas
en frappant la surface de l'eau de façon à émettre
un klonk qui peut prendre diverses
sonorités suivant l'angle d'attaque.
Il
sert à attirer l'attention d'un poisson du Danube, introduit
malencontreusement dans nos rivières,
qui demeure dans la partie la plus profonde, à l'affût,
mais a la caractéristique
d'être très curieux (et affamé, car il peut devenir énorme,
de la taille d'un espadon avec l'allure d'un poisson-chat, muni de
barbillons).
Stéphane sentit ainsi un choc sous le bateau : le silure s'était
brutalement cogné en s'imaginant pouvoir gober un canard ou
autre oiseau plongeur. Un pêcheur dit l'avoir rencontré dans
l'Adour, ou même
dans la Nive, je ne me souviens plus. Ce qui est sûr, c'est que
c'est un poisson d'eau douce, qui ne supporte pas, normalement, la
présence
d'eau de mer dans les estuaires. Il est donc douteux qu'il ait pu envahir
aussi la Nive. Si c'est le cas, c'est inquiétant.
Stéphane
continue en expliquant la "reptation" des rivières. Lorsque l'on dessine
le cours d'une rivière - non endiguée, je précise - sur des années,
celui-ci a tendance progressivement à se déplacer dans le paysage à
la manière d'un serpent sur le sol. Dans un méandre, le courant s'accélère
en surface vers l'extérieur, sous l'effet de la force centrifuge,
et il entame la berge qu'il érode progressivement, la faisant reculer.
Inversement, le courant s'affaiblit et s'enfonce à l'intérieur de la
courbe, et l'eau dépose à la sortie du méandre près de la berge opposée
les alluvions qu'elle a "grignotés" en amont. Cette rive, donc, avance
au contraire vers le centre du lit.
Ce
phénomène, toute personne qui a pratiqué le canoë a pu s'en rendre
compte car, si l'on se trompe
de
côté,
le canoë frotte de son fond les galets et peut même se trouver incrusté
malencontreusement entre deux rochers. Il
faut alors sautiller dans le bateau, ou carrément en descendre et marcher
dans l'eau peu profonde
en le poussant et le soulevant pour se sortir du pétrin où l'on s'est
mis par manque d'observation de ce
principe
tout
simple
!
Pour
toute personne vivant en bordure de rivière, ce phénomène naturel
peut prendre l'allure d'un cauchemar, et elle ne sera pas consolée
si on lui dit que, d'ici un certain nombre d'années, la terre se
redéposera peut-être. La tentation
est
alors d'endiguer son cours. Cela a deux conséquences : les alluvions
ne peuvent plus se déposer sur la berge, ils
envasent le lit (ce qui est néfaste pour le frai des poissons) et,
à la première grosse crue, ils sont balayés vers la mer sans pouvoir
freiner
l'eau
qui dévale
et déborde
brutalement, dévastant les zones basses
qui, en étant colonisées par l'homme, ont perdu leur rôle d'éponge,
de stockage, de filtration et d'épuration de l'eau.
Le réflexe suivant
est d'ériger
un barrage
écrêteur de
crues, comme cela s'est fait à St Pée s/Nivelle. Aller contre les
phénomènes
naturels est une lutte sans fin, chaque palliatif amenant un nouvel
inconvénient...
Dans notre région estuarienne, où l'on sent l'effet de la marée, avec un retard d'une à deux heures, jusqu'au bec de gave à Port de Lanne sur l'Adour et jusqu'au barrage d'Ustaritz sur la Nive, il faut aussi savoir que ces eaux ne se mélangent pas (ou peu) sur une grande distance. L'eau salée étant plus dense que l'eau douce, elle remonte donc les cours d'eau contre le lit, laissant l'eau douce flotter au-dessus. Ainsi peuvent cohabiter dans une même rivière, le temps d'une marée, des poissons d'eau douce et des poissons d'eau de mer. Les pêcheurs de pibales devaient bien le savoir, eux qui guettaient, pendant les nuits noires de l'automne finissant, la remontée de la marée qui entraînait l'épais cordon frétillant d'alevins migrateurs terminant ainsi le long voyage qu'ils avaient accompli depuis leur naissance dans la mer des Sargasses !
SOMMAIRE | 2/2
|
Journées mondiales des zones humides Cathy, Jean-François Terrasse, le CREN (Tangi Le Moal), le CPIE Littoral Basque (Pascal Clerc), le CPIE Pays basque (Dimitri Marguerat), l'association Laminak (Elodie Larralde et Stéphane Connole) |
Errota Handia,
Chourroumillas et les barthes de Villefranque |
30 et 31 janvier et 2 février 2009 |