La
cime crénelée du château enchanté s'est
voilée
de nuages ce matin. Cette atmosphère humide emplit de mystère
la montagne qui cache ses repères
sous une chape mouvante de densité variable, dans un ballet
langoureux dont pourrait s'inspirer une danseuse orientale. Le soleil
fait une pâle
apparition au début de notre ascension, étendant
vainement ses bras de feu en éventail pour écarter les
nuées. Dans
cette ambiance terne, les fleurs déploient leurs
atours récemment avivés sur lesquels scintillent des
diamants translucides. Des résilles perlées s'accrochent
aux brins d'herbe, entrelacs compliqués
suspendus souplement, à la fragilité trompeuse, pièges
mortels momentanément
révélés et
qui
s'effaceront aux regards des moucherons pressés dès le
réchauffement
de l'atmosphère.
J'observe la nature d'un nouvel oeil critique, forte
de ma récente lecture d'un des dossiers de la très jolie revue Terre
sauvage, Arbres et Forêts, chez Milan, qui
porte sur le Mont Aigoual, situé dans les Cévennes, à cheval
sur les
confins du Gard et de la Lozère. Il y règne, tout comme chez nous,
un climat
pourvu
de fortes précipitations,
et cette région a pâti, ainsi que les Pyrénées, d'une surexploitation
de ses forêts qui a réduit l'Aigoual, à la fin du XIXème siècle, à
une montagne
pelée, soumise de plein fouet à l'érosion pluviale.
Verreries,
forges, fonderies, mais également troupeaux transhumant depuis la plaine,
scieries et besoins en bois de chauffage croissant avec la population,
tous ces facteurs ont concouru à un déboisement intensif qui a eu pour
conséquences des crues
violentes
qui ont provoqué des inondations catastrophiques en aval, dans les
vallées de l'Hérault et du Tarn.
Je ne peux pas m'empêcher de penser aux inondations
qui se déclenchent de plus en plus fréquemment chez nous, à Ascain,
St Pée s/Nivelle,
Bassussarry, Arcangues en mai 2007, sinistres répétitifs qui se sont
propagés cette année jusque sur les berges de Bayonne, où ont
été sapés les fondements de pierre du pont Mayou qui enjambe la Nive
avant sa confluence dans
l'Adour. Les causes sont multiples, on attribue commodément la
plus grande amplitude et la plus grande fréquence de ces catastrophes
au changement
climatique, mais chacun sait
que l'urbanisation
intensive
des barthes, l'effacement des méandres, les barrages, la canalisation
des cours d'eau et leur franchissement par
des ouvrages d'art sous-dimensionnés n'ont pas arrangé le problème.
Je
n'avais cependant pas imaginé que le déboisement de nos Pyrénées occidentales
puisse avoir une quelconque incidence.
C'est
pourtant vrai qu'elles sont pelées, il suffit de voir le triangle
ridicule de conifères à feuilles persistantes prolongé
d'une bande de mélèzes aux jeunes pousses vert clair à l'ombre
desquels pâturent des chevaux, sur
l'Ezcondray, contrefort du Mondarrain et de l'Artzamendi, pour réaliser
à quel point
nos montagnes manquent de végétation. Et cela ne suffit
pas à nos éleveurs
basques qui trouvent le moyen de brûler régulièrement
les quelques ajoncs et fougères qui subsistent par leur pratique
sacro-sainte
de
l'écobuage. Si l'Aigoual a pu changer de physionomie et retrouver
une forêt dense et variée, sur un sol redevenu fertile,
c'est grâce à la
volonté de deux hommes, le
forestier Georges Fabre et le botaniste Charles Flahaut, qui ont
su motiver et encourager toute la population locale pour rendre la
montagne de nouveau vivante et lui redonner sa fonction première
de château d'eau. Un film, maintenant disponible en dvd, leur
a été consacré. Le meilleur critère pour
juger si un espace naturel est faible, c'est de chercher s'il subit
une attaque
contre laquelle il n'arrive pas à se défendre. Ce
tout petit bois exposé aux vents et aux pluies, constitué de
deux monocultures juxtaposées
de pins et de mélèzes, voit
justement ses cimes menacées par la chenille
processionnaire.
J'invite
tout un chacun à découvrir l'extraordinaire texte de l'entomologiste
Jean-Henri
Fabre qui fait un parallèle très instructif
et révélateur
entre les sociétés de chenilles processionnaires et l'idéal communiste
des sociétés humaines. Nous rencontrons tout un nid qui s'est laissé tomber à terre.
Celles-ci en sont au stade 6 sur 8 de leur évolution décrite
dans le premier site en lien.
6. Au printemps, la colonie conduite par une femelle quitte l'abri et se dirige vers le sol. C'est la procession de nymphose : toutes les chenilles se tiennent les unes aux autres et se déplacent en longue file. Une file peut compter quelques centaines de chenilles. Au bout de plusieurs jours, elles s'arrêtent dans un endroit bien ensoleillé. Puis chacune d'entre elles s'enfouit dans un trou de 10 à 20 cm.
Nous
contournons le sommet chaotique dont de larges pans de roches se sont
détachés récemment (toujours l'érosion
en marche), et je tombe en arrêt
devant un bonzaï naturel d'aubépine qui émerge d'un
fouillis d'herbes, de mousses et de lichens, et qui a dû autant être
modelé par
la pauvreté du substrat
rocheux sur lequel il survit que par
la dent féroce des herbivores sauvages ou d'élevage.
Nous
grimpons le dernier raidillon entre des aubépines aux troncs
tortueux qui prennent des allures fantomatiques dans la brume où je
me surprends
à imaginer
quelque lutin farceur caché dans l'ombre d'une anfractuosité.
Nous redescendons par la sente raide habituelle qui se poursuit entre
les
racines d'un bois de chênes-têtards vénérables,
moussus à souhait,
qui
me donne à chaque fois l'impression de me promener en forêt
de Brocéliande,
où je rencontrerais, négligemment assis à califourchon
sur une branche basse, Merlin l'Enchanteur ou bien le roi Arthur...
Quelques informations complémentaires de Claire Noblia, suite à
la lecture de ce texte : " Sur
le Mondarrain il y a aussi les restes, les soubassements d'un château-fort
du Moyen-âge construit à l'époque anglaise, lors
des guerres entre Navarre et Angleterre. Les restes de cromlechs sont aussi
repérables mais ne sont pas aussi
beaux que la nécropole proche de Mehatze sur l'Artzamendi (montagne
de la carrière de pierre, contraction de harritza mendi ; il y demeure
des restes de fabrication de meules en grès sur la face nord où les
chercheurs ont dénombré plus de 200 ébauches de pierres à meules,
publications de Jean-Pierre Duhard, puis de Claude Dendaletche) où se
trouvent 20 cromlechs, trois dolmens et trois cistes. Il est tout à fait
exact que le déboisement
est un gros facteur d'érosion et lors de l'arrivée des romains,
les auteurs avaient noté le "Vasconum
ager" (plaine cultivée de l'Ebre par opposition à "Vasconum
saltus" la forêt des Vascons précisée par Pline.
Cette zone de montagne boisée
correspond grosso modo à la Basse Navarre d'aujourd'hui en sachant
que "Basse" dérive
d'un mot latin que l'on retrouve dans les quartiers "basaburu" "au
fond du bois" ou dans le nom du moulin des Diharce à Bayonne
qui est un pléonasme
le moulin de Bacheforêt. "
Steve, Max, Richard, Jean-Louis et Cathy | Mondarrain |
Dimanche 5 avril 2009 |