A
Saint Didier, à côté de la somptueuse boutique
- salon de thé -
atelier du nougatier
Sylvain aux délicieux produits à l'amande et au miel
du pays, se trouve l'entrée plus discrète d'un musée
- atelier
à la collection très rare, puisqu'il n'y a que cinq fabricants
au monde de cette spécialité (deux en France, et les
trois autres en Italie, en Espagne et aux USA) : il s'agit des appeaux
Raymond, créateurs depuis
quatre générations ! Nous sommes reçus par un
homme haut en couleurs, au physique avantageux et au verbe facile dont
l'accent chantant méridional,
sans affectation aucune, charme immédiatement notre oreille.
Il adore expliquer l'histoire de sa famille et la fabrication des appeaux,
mais
il a aussi le goût du contact avec le public et utilise toutes
les ficelles théâtrales pour nous fourvoyer parfois
dans des histoires abracadabrantes contées avec un sérieux
trompeur, que nous écoutons attentivement,
croyant qu'il poursuit son exposé, jusqu'à la
chute où nous découvrons la supercherie dans un éclat
de rire !
-
M. Raymond, créateur d'appeaux, 4ème génération
-.
Son humour se fait toutefois plus incisif lorsqu'il évoque les "viandards", terme qui désigne les chasseurs ne pensant qu'à tuer, obnubilés par la quantité de gibier abattu, et dont il les affuble même lors d'interviews à la radio ou à la télévision. C'est un euphémisme de dire qu'il les tient en piètre estime. Il évalue le nombre de chasseurs parmi ses visiteurs à un pour cent, car, assène-t-il d'un ton méprisant, "ils croient tout connaître". Avec ce franc parler, il se trouve un jour apostrophé au téléphone par l'un d'eux qui ne cesse de vitupérer : "Mais Monsieur, si vous m'appelez, c'est que vous vous sentez concerné et visé par mes dires !", lui rétorque-t-il pour lui clouer le bec ! - Photo : Une des présentations d'animaux empaillés de l'écomusée -
La
salle d'accueil, ouverte au public depuis 2001, dispose de trois ensembles
d'animaux empaillés
par son grand-père, qu'il a extirpés de l'unique vitrine
où ils
étaient exposés dans l'ancien musée familial à Carpentras.
Il les a lui-même
mis en scène
très naturellement,
sans négliger la touche d'humour qui le caractérise,
sur un fond de tableaux faits de plusieurs contreplaqués superposés
et peints, réalisés
par un ami facteur, Léopold Reynier, avec pour thèmes
les animaux
des
bois,
des
plaines et
des zones humides. Jean-Louis
et moi n'éprouvons pas du tout le
malaise dont nous avions été saisis récemment,
lors de notre visite du muséum d'histoire naturelle de Rouen,
où nous avions honte de souscrire,
en le parcourant, à la destruction et la mort d'autant d'animaux
pour nous offrir la faculté de les examiner à loisir.
La présentation
attrayante et l'excellent état des fourrures et plumages, de
même que
la reconstitution de positions familières des animaux nous donnent
presque l'impression qu'ils pourraient reprendre vie. -
Photo : Théodore
Raymond, fondateur de l’industrie des appeaux en
1868, à l'âge de 17 ans. -
Dimitri
en profite pour nous désigner tous les animaux que nous avons
entrevus les jours précédents à la jumelle ou
la lunette, ou
bien dont nous avons décelé les traces,
et cela nous fait plaisir de les reconnaître,
réalisant que nous avons tout de même réussi à retenir
un peu de la somme d'informations sur la nature fournie par notre guide.
M.
Raymond relate le dégoût qu'il a éprouvé en
entrant dans l'atelier de son grand-père,
taxidermiste à
ses heures et fabricant de casseroles pour gagner sa vie. Saisi par
l'odeur de charogne qui s'en dégageait, il a immédiatement
compris que ce métier ne lui
conviendrait
pas, bien
qu'il
faille être
doté d'un sens artistique et d'une grande connaissance de la
nature pour réussir à redonner à de simples peaux
couvertes de poils, de plumes ou d'écailles un air de vérité et
de réalisme dans l'apparence.
Il
possède ainsi quelques animaux devenus très rares et
protégés par
la loi.
C'est d'ailleurs une source de contraintes légales,
car il doit renouveler chaque année sa déclaration à l'administration
pour confirmer qu'il est toujours en leur possession. Il nous fournit
l'exemple du râle
des genêts, décimé suite à la destruction
des prairies alluviales humides qui constituaient son habitat. D'autre
part, deux fois l'an, il subit un contrôle pour vérifier
qu'il n'expose pas de nouveaux animaux empaillés qui seraient
protégés
par la législation. Si
jamais il en trouvait un mort, il faudrait un an de démarche,
nous dit-il, pour obtenir l'autorisation de l'empailler. Inutile
de préciser qu'il serait
totalement pourri d'ici là. Il est donc impossible d'agrandir
sa collection, en tout cas en matière d'espèces protégées. -
Photos : Flamants et colverts en vol en Camargue - Schéma
des métamorphoses de l'Artémia.
-
Dimitri poursuit ses explications
sur le flamant rose dont nous avons aperçu quelques groupes
en Camargue la veille. 30 000 couples y nichent désormais,
passant l'hiver généralement
au Maroc. Il évoque le phénomène particulier qui
se déroule au Chott
el Jerid en Tunisie. Tous les quatre-cinq ans, celui-ci s'emplit
d'eau lors de fortes précipitations. Les
oeufs de crustacés Artemia,
enfouis dans le sable en attendant le moment propice, éclosent
alors en moins de quinze jours et les animaux effectuent
à un rythme accéléré leurs métamorphoses
pour se reproduire avant que le lac ne s'assèche de nouveau.
Avertis mystérieusement de la
présence de cette manne fugace, les flamants accourent et
font bombance, piétinant l'eau saumâtre pour dégager
de la vase les animalcules qu'ils récoltent en filtrant l'eau
de leur bec doté
de lamelles cornées aux fonctions similaires aux fanons des
baleines. - Photo : Plume de flamant rose ramassée
en Camargue -
Pendant
des années, M. Raymond a été trompettiste. Capable
de jouer impeccablement dès le premier déchiffrage des
partitions, il était appelé d'une formation
à l'autre pour remplacer au pied levé des concertistes,
sans avoir besoin de subir les longues séances de répétitions.
Cette oreille musicale extraordinaire, il a su l'adapter et l'affiner
pour reconnaître et mémoriser
le
chant des oiseaux (à moins que ce ne soit l'inverse). Arpentant longuement
la nature, il sait distinguer, pour un oiseau donné, le cri
d'alerte, les échanges
parents-progéniture,
les sons émis par le mâle pour préserver son
territoire et les chants de parade qui résonnent pour attirer
les femelles. Seuls ces derniers l'intéressent, car l'appeau
servira ensuite à approcher plus
aisément les volatiles. Interdit d'utilisation pendant la chasse,
cet accessoire ne doit plus servir désormais qu'aux
amoureux de la nature désireux
d'observer de plus près les oiseaux pour les étudier,
les photographier, les filmer...
Rien
n'empêche cependant un
chasseur d'en faire l'acquisition pour repérer à l'avance
le lieu de résidence de sa cible pour y revenir
ultérieurement armé de son fusil et la détruire,
M. Raymond en est bien conscient. - Photos
: L'appeau (ici pour imiter le coq de bruyère) est souvent un
sifflet, alors que l'appelant est un oiseau. A droite, leurre fait
de bois
et de roseau. -
Il
procède toujours comme autrefois, négligeant les magnétophones
qui déforment les sons et ne permettent pas de se souvenir dans
quelles circonstances ils ont été émis, et rejetant
de même l'usage des caméras qui ne sont pas fidèles
dans les aigus. Il préfère se fier à son oreille, à sa
mémoire, à son observation.
Lorsqu'une
demande a été émise par suffisamment de clients
potentiels pour justifier la recherche préalable à la
création d'un appeau, il
se met en quête
de l'oiseau au moment où il est le plus agressif, à la
saison
des amours, s'en approche le plus près possible et n'écoute
que lui, en
tentant
de faire
abstraction
de tous les bruits environnants. Il écoute le chant aussi longtemps
que nécessaire pour se l'approprier parfaitement.
Parfois,
dix minutes suffisent à cet apprentissage (pour le loriot).
L'appeau de la grive litorne a nécessité 130 ans de recherches
pour restituer parfaitement
les nuances et
les variations
de son chant. Il raconte que, lorsqu'il était jeune,
il résidait à Vénasque où il lui arrivait
fréquemment de faire l'école
buissonnière pour partir à vélo dans la campagne.
Pour se désaltérer
après son escapade, il allait quémander un sirop d'orgeat
au café du
village grâce à l'argent de la vente d'un appeau de sa
fabrication à un
chasseur. Il trafiquait alors des viroles de canne à pêche. -
Photos : Machines-outils de l'atelier de fabrication d'appeaux - Appeaux
pour imiter le râle, la mésange bleue, le merle, le canard
rougeot -
Plus
tard, il utilisa le chaume, le hêtre, le buis qu'il faisait mettre
en forme par des
tourneurs sur bois du Jura, spécialistes de ce travail en
France. Ils sculptaient également la corne de buffle,
matière
première
pour les
embouts de
pipe et les
porte-cigarettes.
Il récupéra des barreaux de cages à oiseaux
pour les transformer en
sifflets en
biseau. Il récolta des os de cochon, de poulet, de lapin,
très
difficiles à travailler car ils étaient trop durs, des chutes
de boîtes
de conserves, mais les utilisateurs
à force de souffler dedans recrachaient la peinture et le métal
rouillait. Enfin, il utilisa le maillechort, puis le laiton nickelé qui
servait aux instruments de musique et n'était pas corrompu par
la rouille. En réalité, le matériau importe peu,
seule compte la forme intérieure.
Après
avoir bien écouté et mémorisé le chant,
il revient donc à l'atelier où il essaie de modifier
un appeau existant pour obtenir le nouveau chant. Par exemple, à partir
d'un gros appeau à coucou,
on peut arriver à imiter le hibou grand-duc. Dans le cas
contraire, il devra en réaliser un en effectuant une création
totale, et il lui faudra tester quels supports, quels formes, quelles
techniques doivent être
imaginés pour obtenir une imitation parfaite. Il
existe ainsi des appeaux à frapper, à friction
bois - métal, et des appeaux à bouche, les plus difficiles à utiliser,
où l'on obtient le son en soufflant ou en inspirant selon le cas,
comme un harmonica qui émettrait des sons très variés. Pour
un seul appeau, cette recherche peut durer des années,
jusqu'à trouver
l'astuce ou le stratagème qui permet à l'appeau de
fonctionner parfaitement et de façon stable dans le temps
: il ne faut pas perdre de vue que le mâle
ou la femelle doivent s'y méprendre et réellement
penser qu'il s'agit d'un de leur congénère
amoureux ! - Photos : Machines-outils
de l'atelier de fabrication d'appeaux - Ancien outillage servant à mettre
en forme les peaux - Ci-contre, appeaux de tourterelle, moineau,
macreuse -
Il
nous montre son outillage
parmi lequel se trouvent toujours de petites presses de l'arrière
grand-père, à découper, à emboutir,
à sertir, qui fonctionnent
impeccablement depuis plus de
cent ans
! Il en a d'autres plus modernes qu'il s'est fournis auprès
de fabricants de Carpentras spécialisés dans les
conserves. Il s'approvisionne désormais dans l'Ain. Le
problème, c'est que les éléments sont
"trop parfaits" car ils sont réalisés
au tour numérique. Il doit
ensuite créer du jeu pour obtenir ce qu'il veut. Il nous
fait tester l'utilisation de fragments d'instruments, puis
nous
invite
à nous
rendre dans
la
salle de
projection. A l'écran,
il projette un diaporama de photos d'animaux. Debout à un angle
près
d'une fenêtre, il se saisit tour à tour comme un prestidigitateur
de ses instruments dont il connaît si bien l'usage qu'aucune étiquette
ne lui est nécessaire pour lui rappeler l'oiseau dont il imite
le chant. Il décrit brièvement l'habitat et le comportement
de l'animal, ajoute parfois une anecdote, puis nous fait entendre des
trilles, des sifflements,
hululements ou tapotements, croassements ou craquètements, avec
une virtuosité époustouflante, que confirme à chaque
fois Dimitri, en connaisseur.
C'est tout à fait impressionnant, il nous transporte à son gré au
fond des forêts,
sur la berge d'une mare, au milieu des hautes herbes, un voyage
sonore en suivant des oiseaux amoureux par monts et par vaux,
grâce au
simple truchement d'appeaux. Qui eut cru cela possible ?
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Séjour naturaliste organisé par Dimitri Marguerat pour un groupe d'une dizaine de personnes, Cathy et Jean-Louis, Margaitta, Chantal, Claudine, Jean et Dany, Louis, Henri et Dany | Provence |
12 au 19 septembre 2009 |