Mon grand-père parlait allemand avec sa mère, lituanienne, russe avec son père, anglais au sein de la famille et français dans son environnement parisien. Il avait émigré en 1917, fuyant les désordres engendrés par la révolution bolchévique, en transitant par Vienne et Berlin, pour aboutir à Paris. Incrédule, je le testai un jour en m'adressant à lui directement en allemand. Après un moment de silence, il me répondit dans la même langue : je réalisai que la légende s'avérait être fondée. Mon père, qui avait soif d'aventures, partit vivre au Québec où il épousa ma mère, native d'une ville minière d'extraction du cuivre, Rouyn-Noranda, située dans le grand Nord. Je vécus avec elle dans un quartier ouvrier de Montréal, Saint Henri, avant de "tomber en amour" avec une française. Après avoir séjourné un an à Toulouse, où je trouvais la température hivernale bien trop élevée, nous nous sommes installés en Lorraine, dans la banlieue de Nancy, à Maxéville, parce qu'il y fait "frrett'". - Simon Goldin, chanteur-compositeur, au Makila Golf Club de Bassussarry, en octobre 2009 -
Effectivement, la Lorraine est aussi une ancienne région minière, de langues allemande et française, je retrouve en quelque sorte un peu de mes origines ici. Avec l'aide de la municipalité et celle de l'université de Nancy, j'y ai enregistré mon premier disque intitulé "Et du Haut du Lièvre je vois Saint-Henri" - Le Haut du Lièvre est un quartier de Maxéville et Saint-Henri le quartier de Montréal où j'ai vécu quatre ans -. Je compose les textes et les musiques de mes chansons que j'interprète en m'accompagnant à la guitare. Elles ont pour thème récurrent l'hiver. Au Québec, on a la chance d'être confronté à un élément naturel qui peut tuer : la nature est hostile à l'homme. C'est tout le contraire de la France, qui me paraît être un grand jardin, entièrement aménagé par ses habitants. J'évoque aussi les petites gens de mon ancien quartier, les péripatéticiennes, les hommes au chômage, des êtres simples mais chargés d'histoire, jamais misérabiliste. Dans tout esprit ouvrier, il y a de la noblesse. De la tristesse naît le sourire, le rire engendre la mélancolie. Lorsque j'ai envie de m'évader, je cherche sur Internet des chansons de Fernandel, comme "On dit qu'il en est". Pour bien structurer mes chansons, je m'inspire des classiques français, de Racine. J'ai découvert l'alternance d'alexandrins et de vers de dix pieds (vers décasyllabiques) qui donnent un rythme original et très intéressant pour fournir des effets. - Simon Goldin à l'assemblée générale de Lorraine-Québec en mars 2009 avec sa compagne nancéienne -
J'ai disposé de trop peu de temps pour échanger avec Simon Goldin et mieux explorer sa différence, il n'était présent à Bassussarry que pour mettre une ambiance musicale québécoise lors du vernissage des oeuvres de deux peintres de son pays d'origine, Gilles Côté et Nadine Bourbonnière, fort sympathiques eux aussi. L'histoire de la migration de sa famille a éveillé un écho en moi, car elle s'apparente à celle de mes grands-parents maternels, que je n'ai pas connus. Elle m'a fait remonter à d'autres migrations, plus anciennes, de l'Europe vers l'Amérique. Avant les Grandes Découvertes initiées à partir du XVIe siècle, les sagas des Vikings rapportent leurs explorations depuis la Scandinavie en passant par l'Islande, le Groënland et Terre-Neuve, jusqu'en Amérique du Nord. Ils investirent également à la même époque, à partir du VIIIe siècle, les côtes européennes, déstabilisant l'empire carolingien, et c'est peut-être (et même certainement, selon Joël Supéry) grâce à leur savoir-faire nautique que les Basques de part et d'autre des Pyrénées commencèrent à poursuivre la baleine bien au-delà du golfe de Gascogne à partir du IXe siècle. L'apogée de cette activité se situe entre le XIIe et le XVe siècle, et l'on retrouve des vestiges de fours pour la fonte de la graisse des mammifères marins dans l'île aux Basques qui fut occupée saisonnièrement de 1584 à 1637, et qui est située non loin de la ville de Trois Pistoles, à 500 km en amont de l'embouchure du fleuve Saint-Laurent au Québec. Depuis cette époque glorieuse, les Basques ont continué à prendre la mer, et parmi ceux-ci, mon grand-père paternel, natif de Saint Jean de Luz, capitaine au long cours de la Compagnie Transatlantique au début de sa carrière maritime.
L'hypothèse d'une migration encore plus ancienne de l'Europe vers l'Amérique du Nord, qui aurait eu lieu pendant la dernière glaciation du quaternaire, vers la fin du paléolithique, a été évoquée devant moi par le Dr Jacques Blot lors d'une visite accompagnée qu'il menait sur les flancs pyrénéens du Jara et d'Iraty pour nous montrer les vestiges préhistoriques des cromlechs, dolmens et menhirs. Après enquête sur la "toile", elle m'a paru intéressante, même si, pour l'instant, elle n'emporte pas l'assentiment de l'ensemble de la communauté des archéologues, loin s'en faut. Les recherches américaines n'en sont encore qu'à leurs débuts, et l'on découvre encore très régulièrement de nouveaux sites qui font évoluer l'idée que l'on se fait de l'arrivée des humains en Amérique. Elles sont curieusement entravées aux Etats-Unis par une loi fédérale récente, de 1990, The Native American Graves Protection and Repatriation Act (NAGPRA), qui exige que les biens culturels amérindiens soient rendus aux peuples natifs quand ces biens ont été déterrés. Cette loi autorise néanmoins les équipes d'archéologues à analyser les découvertes mais dans un délai très court. Par biens culturels, la loi désigne les restes humains, les objets funéraires et sacrés, et tout objet et artefact du patrimoine amérindien. Bien que cette loi fédérale fut rendue nécessaire pour mettre un terme aux pillages de sites historiques, les archéologues et chercheurs américains l'accusent de restreindre gravement la recherche archéologique sur les origines des premiers habitants des États-Unis (source Wikipédia).
Malgré tout, les chercheurs s'aperçoivent peu à peu, au fur et à mesure qu'ils déterrent des ossements, fossiles et même momies, que l'arrivée des humains s'est faite en plusieurs vagues, qui étaient composées d'ethnies différentes d'homo sapiens (on n'a pas trouvé d'autres espèces d'humains antérieures à l'homo sapiens, comme Néandertal ou Homo Erectus par exemple, sur le sol américain). Lors de la découverte des premiers vestiges préhistoriques sur le sol américain, seul le passage par le détroit de Béring a été envisagé dans un premier temps pour l'introduction des hommes et des bêtes. Pour des raisons climatiques, celui-ci n'aurait été franchissable à pied par l'homo sapiens que durant trois périodes, 75 000 - 60 000 ans, puis 30 000 - 25 000 ans et enfin 15 000 - 12 000 ans. L’étude comparée des gènes révèle que la plus ancienne vague migratoire remonterait à 60 000 ans, ce qui bouleverse considérablement l'idée que l'on se faisait auparavant d'une date d'arrivée des hommes sur ce double continent isolé autour de 15 000 - 12 000 ans.
Cette première vague migratoire serait donc à peu près contemporaine de l'arrivée de l'homo sapiens en Europe (qui était déjà occupée par les Néandertaliens). Elle correspondrait aussi à peu près avec la date d'arrivée des humains en Australie (par voie maritime). Ces migrations successives seraient venues d'Asie, mais aussi d'Europe, et une origine australoïde (mélanésienne ou africaine) a été constatée sur les squelettes découverts dans plusieurs sites préhistoriques d'Amérique du Sud (Brésil) et Centrale (Mexique). Les linguistes, quant à eux, distinguent, d'une part, des populations qui parlent les langues amérindes et se répartissent sur les deux Amériques, d'autre part, un deuxième groupe qui parle le nadéné, rattaché aux langues déné-caucasiennes, les Apaches et les Navajos, localisés en Amérique du Nord, et enfin un troisième qui regroupe les populations qui parlent les langues austro-sibériennes, confinées dans la partie la plus septentrionale du continent. - Biface solutréen en feuille de laurier à gauche, et de la culture Clovis à droite - Musée maritime de Greenwich : vêtement Inuit -
Au passage, il est intéressant de savoir que l'analyse crâniologique a encore cours aux États-Unis, alors qu'elle a été abandonnée en Europe, car, inventée à l'origine en anthropologie pour classer les fossiles humains, elle avait été reprise par des théoriciens racistes et par les idéologues nazis pour hiérarchiser les "races" humaines contemporaines. Voici ce qu'en dit Pierre Clément (LIRDHIST, université Claude Bernard, Lyon I) :
En 1861, Paul Broca, éminent neurobiologiste et chef de file de la crâniologie, mesura le poids des cerveaux d’hommes et de femmes, ces derniers étant nettement moins lourds. Broca mit en relation cette « infériorité physique » avec ce qui était admis à cette époque : l’« infériorité intellectuelle » des femmes. Cent vingt ans après, Stephen J. Gould (1983) a réanalysé les données originales de Broca, et montré que les différences de poids de ces cerveaux étaient d’abord liées à la taille des individus, puis à leur âge, puis à la présence ou absence de méninges, etc. : le paramètre sexe n’intervient pas ! Par ailleurs, d’autres travaux ont prouvé que, dans l’espèce humaine, il n’existe aucune relation entre le poids du cerveau et l’intelligence (synthèse dans Vidal 2001).
Les Américains continuent donc à pratiquer cette technique (Source Wikipédia), alors qu'il est démontré que la variabilité humaine de la forme du crâne est énorme, quel que soit le sous-groupe considéré, d'origine européenne, africaine ou asiatique. De plus l'indice céphalique (rapport entre la largeur maximale et la longueur maximale du crâne humain mesurées dans le plan horizontal) est en partie lié à l'environnement et il existe des différences entre les migrants arrivés aux États-Unis à la fin du XIXe siècle et la génération de leur descendants. - British Museum : collections exposées dans la bibliothèque -
Etant donnée la relative homogénéité du peuplement européen actuel, je ne crois pas avoir jamais lu que les anthropologues européens se soient interrogés sur l'aspect des homo sapiens arrivant en Europe. Pourtant, il semble établi que notre espèce s'est formée entre 200 et 100 000 ans en Afrique (Ethiopie ?) et qu'elle s'est ensuite répandue sur la Terre. Comme l'anthropologie est une science inventée par les Européens, toutes les représentations de l'homo sapiens le montrent d'aspect européen, blanc. Ce qui nous paraît une évidence ne l'est pas pour les anthropologues américains dont les ancêtres européens sont arrivés sur un continent où les habitants avaient manifestement un type asiatique. Ils s'interrogent donc sur l'aspect des premiers arrivants et ils essaient, vaille que vaille, de recouvrir en imagination de chair et de peau les ossements qu'ils découvrent dans le sol, ce qui n'est pas un exercice facile, et, chaque fois, l'interprétation des résultats fait l'objet de contestations très vives, si on en juge, par exemple, d'après le cas du « Kennewick Man ». - British Museum : collections exposées dans la bibliothèque -
Il s'agit d'un squelette humain en très bon état trouvé en 1996 dans le centre de l'État de Washington, au sud de la Colombie-Britannique, qui remonterait à près de 9 000 ans. Il ne présenterait aucune des caractéristiques physiologiques des populations amérindiennes contemporaines : certains chercheurs l'ont tout d'abord classifié comme « caucasien » (i.e. de race blanche), mais le consensus semble maintenant être qu'il soit davantage apparenté aux populations polynésiennes contemporaines ou à la minorité Aïnu du Japon (une population présentant davantage de similitudes avec les caucasiens qu'avec la population japonaise contemporaine). Le « Kennewick Man » a fait toutefois l'objet de poursuites judiciaires, notamment par les populations amérindiennes locales qui semblaient pressées de l'enterrer afin qu'il ne remette pas en question leurs revendications territoriales. En février 2004, la cour d'appel des Etats Unis déclara qu'aucun lien culturel entre les tribus et le squelette n'apparaissait, permettant ainsi aux études scientifiques du squelette de reprendre. - British Museum : collections exposées dans la bibliothèque -
Une des découvertes les plus récentes au Québec remonte à 2003 : le professeur Claude Chapdelaine et son équipe a mis au jour des pointes de lances typiques de la culture paléoindienne Clovis remontant à plus de 10 000 ans, ce qui correspond aux nouvelles datations avec des méthodes modernes de six sites archéologiques des USA effectuées par Michael Waters qui a ainsi réduit la période de cette culture à 11 050 - 10 900 BP, soit 13 300 - 12 800 années calibrées, ce qui ramène sa durée à 500 ans seulement ! Parallèlement, les archéologues Dennis Stanford et Bruce Bradley (deux chercheurs du Smithsonian Institute) ont trouvé des similitudes entre la culture Clovis nord-américaine et la culture Solutréenne qui était répandue en France méridionale et sur la péninsule ibérique. Ils soutiennent l'hypothèse que les Solutréens auraient traversé l’Océan Atlantique durant la dernière époque glaciaire en longeant la bordure sud de la banquise par cabotage, à l’aide de techniques de survie similaires à celles du peuple inuit actuel. D'autre part, les recherches du Dr Douglas Wallace de l'Emory University School of Medicine à Atlanta en Georgie ont permis de découvrir des similitudes génétiques entre certaines populations amérindiennes et européennes, caractéristiques qui n'existent pas chez les Asiatiques. Il a ainsi retrouvé des fragments d'ADN mitochondrial d'ascendance européenne remontant à 15 000 ans dans certaines tribus indiennes du nord-est, les Sioux et les Ojibwa, de la région des Grands Lacs. - Hypothèse de la migration solutréenne - British Museum : préhistoire en Grande Bretagne -
Un des arguments en faveur de la migration solutréenne, est la découverte par cette culture de la fabrication de l'aiguille en os dotée d'un chas. En effet, celle-ci aurait permis, outre la confection de vêtements plus perfectionnés, celle d'outres pouvant contenir des liquides et cuire des aliments, ainsi que la construction d'embarcations en peau identiques aux oumiaks et kayaks du peuple Inuit. Les détracteurs posent en revanche le double problème de la distance à parcourir, environ 5 000 km, et celui de la période séparant la fin de la culture solutréenne (17 000) du début de la culture Clovis (12 000), soit environ 5 000 ans, d'après l'état actuel des recherches américaines. Ils préfèrent avancer l'hypothèse d'une invention indépendante des techniques de taille, comme cela s'est produit dans maints autres cas. - Musée maritime de Greenwich : vêtement Inuit -
Ce qui m'intéresse dans cette problématique, ce n'est pas tant de savoir qui a raison, et si, effectivement, des habitants de l'Europe ont pu migrer vers l'Amérique à cette époque lointaine particulièrement glaciale, mais surtout s'il est vraiment pertinent de s'interroger sur la race, la couleur de peau et l'aspect physique des homo sapiens vivant aux époques préhistoriques. Jeudi dernier, j'assistais à la bibliothèque à un "bistrot des sciences" sur le thème "Darwin et la théorie de l'évolution 150 ans après" animé par Marc Silberstein, biologiste, éditeur et directeur de la collection « Matériologiques » spécialisée en sciences et en philosophie des sciences. Il en ressortait que l'évolution s'effectue à chaque naissance, qu'elle est individuelle (et non propre à l'espèce) et continue. Chaque être qui naît est différent de tout autre et présente, parfois, de légères modifications par rapport au patrimoine génétique transmis par ses parents, qui peuvent être indifférentes ou décisives pour sa survie individuelle, et qui peuvent être, parfois, transmises à sa descendance. C'est dans ce cadre qu'il faut comprendre la diversification physique des humains que nous regroupons très arbitrairement et grossièrement en "races" africaines, asiatiques et caucasiennes (blanches), alors qu'il existe toutes les nuances entre chaque grande catégorie et à l'intérieur d'une même catégorie. - British Museum : collections -
A l'inverse, je m'interrogerais plutôt sur l'influence très importante (le biaisage ?) sur l'anthropologie qu'exerce l'ambiance actuelle qui règne sur le double continent américain, notamment en ce qui concerne l'antagonisme exacerbé entre les indo-américains, les anciens esclaves déportés d'Afrique, les populations d'origine européenne et tous les métis à des degrés divers (sans compter les immigrés plus récents, venus du monde entier et particulièrement de Chine). Cette confrontation à la différence d'aspect - et de culture - entre des humains d'une seule et même espèce n'a pas conduit à la tolérance, l'enrichissement mutuel et l'ouverture, mais au contraire a incité les chercheurs contemporains à projeter dans le passé cette quête des différences, justifiée par le besoin de reconstituer l'itinéraire des migrations. Pourtant, je m'interroge sur sa pertinence, puisque l'homo sapiens serait venu "directement" d'Afrique en Europe, sans que les crânes récupérés dans notre sol soient de type négroïde. Prétexte fallacieux, donc ? Les Américains doivent-ils vraiment se focaliser sur la détermination de "races" humaines qui ne sont qu'une fiction pour reconstituer le passé de leur double continent ? - British Museum : collections -
André Bocquier, Gilles Côté, Nadine Bourbonnière, Simon Goldin | Québec |
24 octobre 2009 |