Elle s'est nichée subreptissement sous la treille, tressant avec application les feuilles mortes extraites de la motte de mon futur potager, et mises en place avec son partenaire alors que la vigne était encore décharnée et le passage aisé entre les rameaux que j'avais volontairement omis de tailler. A l'heure de la sieste, Jean-Louis s'est installé sans le savoir à proximité, dans l'embrasure de la porte-fenêtre plein Sud où il a attrapé un magnifique coup de soleil sur la figure en lisant au soleil printanier. Tapie sous les larges feuilles échancrées encore tendres et fines, elle faisait semblant de rien, un oeil luisant d'agathe d'encre surveillant cependant ses moindres gestes, par dessus le nid et par dessous le vert ombrage. De crainte de se faire repérer, elle conservait une attitude hiératique, parfaitement immobile, sitôt installée dans la position requise, ne laissant dépasser que le faisceau raide de sa queue dressée contre le mur et la tête au bec tendu vers le jardin, attentive à tout danger.

A chaque fois que la faim se fait sentir, avec l'envie de se dérouiller les pattes, et bien que nul mâle ne semble la relayer dans sa tâche, elle s'envole hâtivement et tâche de trouver pitance à proximité. Elle paraît avoir une prédilection pour mon futur potager qui recèle finalement bien des qualités, tandis que je désespère de voir percer les jeunes pousses des graines que j'ai semées. Je craignais justement que ces feuilles, collées les unes contre les autres par les averses successives et engagées dans une spirale pourrissante, ne soient finalement néfastes à mes projets d'herboriste débutante. Mais madame merle se charge de remuer tout cela. De son bec, elle se saisit d'une feuille qu'elle rejette sur le côté d'un geste sec de la tête, avant d'enfoncer vivement son bec dans les entrailles du terreau où elle semble faire bombance. Elle y trouve sûrement de gras vermiceaux, des insectes, et peut-être aussi des graines dont je ne souhaitais pas la germination, de chêne, frêne, laurier ou sureau. Les miennes sont plus bas, à l'abri de son bec fouineur, du moins je l'espère. Elle gratte aussi le substrat avec excitation et pointe aussitôt du bec qui fait mouche à tout coup. Je me suis toujours demandée comment c'était possible, avec des yeux sur les côtés, fort loin du bout du bec, et une cible enfouie, peut-être l'entend-elle remuer, ou bien sait-elle en détecter l'odeur ? Mystère.

En prévision de la future tonte de ma pelouse que Jean-Louis ne supportera pas éternellement à l'état de friche florissante, j'ai déraciné des pieds de menthe qui risquaient de se perdre, et je les ai vaguement enfouis entre les feuilles, cela me donne une impression de début de progrès qui me rassure. Et puis, elle sent si bon, la menthe, même si celle-ci, bien d'ici, ne vaut pas la méridionale, tellement parfumée, que nous dégustions chaque soir dans notre thé au Maroc, aux feuilles fines, sombres et dépourvues de cette pilosité blanche qui recouvre nos autochtones. Pour revenir à ma merlesse, je découvre sur le web qu'elle peut pondre de mars à juillet trois nichées de deux à cinq oeufs, ce qui donne un potentiel annuel de quinze nouveaux merles par an et par merlesse dans mon jardin ! Evidemment, si je compare au chêne dont beaucoup de glands germent sur la terre, la mousse ou le gazon, de même que les graines du laurier et des autres arbres du voisinage, cette "productivité" semble faible, mais il paraît évident, d'une part, que si je ne passe jamais la tondeuse, les arbres vont finir par envahir le jardin et pousser dans la maison, à travers les tuiles et les gouttières où s'amasse l'humus, et d'autre part, je vais avoir une "guerre des oiseaux" en raison de la surpopulation entretenue par les miettes de pain réclamées avec insistance quand j'omets de les répandre dans l'herbe devant le salon.

Le 1er mai est abominablement pluvieux, le samedi, c'est le jour du bain de mer, agitée et sale à dégoûter les surfers, donc nous reprenons le chemin de la montagne dimanche, et choisissons la Rhune, pour changer (ah! ah!). Enfin, il y a un peu de nouveauté, puisque nous optons pour le chemin des crêtes qui aboutit sur la falaise plein Ouest, au pied de l'antenne du sommet. Pour commencer, nous cheminons tout d'abord longuement en sous-bois doublement mélodieux, charmés par les torrents qui bondissent en cascades et s'écartent pour nous laisser passer, tandis que les oiseaux s'affairent, débordés par leurs activités printanières. Je découvre la fleur magnifique de l'ortie rouge, ou lamier pourpre, aux feuilles velues non urticantes : "La corolle a deux lèvres : la supérieure encapuchonne les quatre étamines et l'inférieure forme une large enveloppe prolongée par deux petits lobes latéraux. Les longues et étroites dents du calice semblent poindre comme des épines, puis s'étalent après la floraison." (La photo de gauche a été trouvée sur Internet)

La sente boueuse s'assèche progressivement et je découvre sur les marges épargnées de l'écrasement sous le poids des randonneurs de jeunes fougères qui percent la croûte de terre en faisant le gros dos, assez curieusement, alors qu'une extrémité pointue semblerait plus appropriée. Leur tige s'élance ensuite bien plus vite que les feuilles ne se déroulent, et elles offrent au regard des circonvolutions colorées qui évoquent la forme ramassée de foetus en gestation. Au stade ultérieur, ce sont des nouveaux-nés aux points serrés que j'imagine en les observant. Ce doit être la naissance des futurs petits merles qui me travaille... La nature est une source permanente d'émerveillement. Les scientifiques qui la manipulent sous couvert d'améliorer notre alimentation et notre santé devraient passer plus de temps à se promener et moins de temps à s'isoler dans leurs laboratoires. Ils prendraient davantage conscience de sa beauté et de sa complexité et deviendraient peut-être plus modestes dans leurs affirmations. Ma soeur Caroline m'a fait passer une critique très argumentée et très documentée contre la vaccination comme panacée pour la lutte contre les pandémies et autres épidémies.

Ce texte fait ressortir l'opposition fondamentale entre deux attitudes : l'Homme tout puissant face à la Nature toute puissante. Faut-il réellement intervenir dans le cours des choses, ou bien toute intervention est-elle plus néfaste que le laisser-faire ? Quelles fins donner à la recherche effrénée de connaissance de la nature des choses ? La problématique porte sur la véracité de l'utilité des vaccins et l'occultation de leur nocivité. J'irais même plus loin. Notre "bonté" naturelle nous porte à lutter contre toutes causes supposées de maladie et de mort (prématurée ou non). Cette faculté est d'ailleurs largement encouragée par tous ceux qui y trouvent un intérêt, avant tout pécuniaire, que ce soit les fabricants d'engrais, pesticides, hybrides et OGM, ou les laboratoires pharmaceutiques ou encore les fabricants d'instruments agricoles ou médicaux. Prôner une vie et une alimentation simples et saines ne serait d'aucun profit. Pourtant, il paraît évident que ce modèle de pensée occidental conduit à une démographie mondiale galopante d'une population en mauvaise santé qui détruit son environnement. Cela n'a pas de sens !

Enfin, ce ne sont pas ces quelques paroles couchées sur la page virtuelle qui changeront les choses. D'ailleurs, c'est tellement difficile de lutter contre le courant. Rien que faire ses courses en choisissant des produits sains et locaux, sans emballage polluant, on n'imagine pas la galère ! L'autre jour, j'étais chez l'épicier en bas de chez moi, et qu'est-ce que je découvre ? Des côtes d'agneau de Nouvelle-Zélande ! Alors que la montagne basque et béarnaise est remplie de moutons ! D'abord, je soupçonne qu'il s'agit de produit décongelé, vendu pour du frais, mais comment le prix peut-il être compétitif ? Il y a quelque chose de tordu dans le commerce international. Autrefois, les commerçants sur la route de la soie ne convoyaient que des produits de luxe, et l'approvisionnement à distance était justifié par l'incapacité des Européens à produire des épices, la méconnaissance de la sériciculture ou de la fabrication de la porcelaine... On dira que je ne suis pas capable de comprendre et qu'il faut laisser aux personnes compétentes le soin de penser à ma place.

SOMMAIRE

 

 

Max, Richard, Jean-Louis et Cathy
Rhune
3 mai 2009