Le
vide est là, froid, noir, immense. De loin en loin, des atomes
qui errent, vaguement emportés dans une expansion de presque
rien, encore du vide, ponctué d'énergie concentrée,
parfois, rarement, sous forme d'étoiles,
assemblées en galaxies qui tournent, indéfiniment, autour
de centres appelés
trous noirs, plus obscurs encore que les espaces intersidéraux
puisqu'ils captent toute lumière passant à proximité et
l'enfouissent à tout jamais en
leur sein dans une giration qui s'affole et se précipite.
Un
vide agissant donc, qui s'étire en tous sens, qui est parcouru
de particules ou rayons en déplacement, qui sous-tend la révolution
des astres qui s'attirent et s'entraînent mutuellement dans des
rondes incompréhensibles,
grâce à une tension appelée gravité toujours
inexpliquée à ce jour,
même si on sait en calculer la force, proportionnelle à la
masse et la distance... Cet univers d'éléments
visibles, ou suggérés par des indices de leur présence,
se propagent au milieu de nulle part, dans le néant, à ne
pas confondre avec le vide, un néant impensable, inimaginable,
pas d'espace, pas de temps,
rien
de tangible ni d'exprimable, l'inconnu, au-delà d'un lointain
infini et de limites improbables...
Malgré
leur éloignement mutuel, ces atomes épars, infimes, s'assemblent
parfois pour former des molécules
de gaz, surtout le plus simple,
l'hydrogène, un proton, un électron, mais qu'est-ce que
cela veut dire exactement,
on ne sait pas trop, peut-être faudrait-il ne parler qu'en
termes d'énergie concentrée, qui possède certaines
caractéristiques. Des
rayons cosmiques s'échappent des fournaises qui se consument
dans une giration sur elles-mêmes
pour s'éteindre doucement ou culminent dans une explosion
gigantesque qui ébranle l'inébranlable, une onde de
choc sans support, sans air ni eau ni terre.
Ils
traversent les immensités
glacées
sans que rien ne freine leur vitesse, dans un vide qui est forme,
qui se creuse
ou se bosselle et
se courbe
à proximité des rassemblements massifs de matière
en fusion des étoiles. Ils suivent ses géodésiques
immatérielles, contournent les astres et poursuivent encore
leur course insensée,
jusqu'à
ce qu'ils rencontrent, événement impossible rendu fréquent
par le miracle des probabilités, des nombres, de l'espace
et du temps, une de ces molécules errantes
qui éjecte à son tour un peu de son énergie,
qui percute un autre
élément isolé dans le vide, et ainsi de suite.
Ces chocs énergétiques, indéfiniment répétés sur des durées très longues, finissent par provoquer l'assemblage de molécules toujours plus grandes, formées d'atomes toujours plus lourds, engendrés au coeur des étoiles géantes et éparpillés lorsqu'elles meurent en supernovae. A la naissance de l'univers, il n'y avait rien. Rien qu'une concentration incroyable d'énergie en un point incroyablement petit. Mais tout se passe comme si cette énergie apparemment dépourvue de pensée, de volonté, de but, possédait un programme. Des milliards d'années de naissances et de morts d'étoiles pour créer des éléments de plus en plus lourds dans les étoiles, et des assemblages de plus en plus complexes dans ce vide qui n'en est peut-être pas un.
De l'eau, des minéraux, de l'argile, des composants
organiques à base de carbone et d'hydrogène, s'assemblent
dans le vide en agglomérats minuscules qui ensemencent l'univers, se
répandent
partout, en permanence, et pénètrent par le miracle de la
gravitation dans les éléments plus
importants, retournent au hasard de leurs déplacements erratiques
au coeur des étoiles, ou bien tombent sur des planètes
plus ou moins hospitalières.
C'est
ainsi, paraît-il, que notre planète se serait pourvue
en eau et en air si nécessaires à l'émergence
de la vie, et qu'elle aurait de même reçu sa manne de composants
organiques apparemment si fragiles, mais qui s'assemblent
dans ce vide qui nous est si hostile. Quant aux êtres vivants que nous
trouvons sur Terre dans des endroits aussi extrêmes que les sources
chaudes géothermales en surface ou sous la mer, les
eaux glaciales qui baignent les banquises,
ou encore les zones
sèches brûlantes ou glacées des terres émergées, même s'ils préfèrent
les eaux chaudes et les forêts tropicales, nous ignorons encore
la façon dont ils naissent et si l'ADN qui programme leur devenir
est
aussi une émanation de notre univers mystérieux.
Les
nuages s'amoncellent au-dessus de la Côte basque, enfermant la
cime de la Rhune dans un monde opaque mouvant. Des averses
sourdent de la frange qui surplombe la mer. Des vestiges de la tempête
nous permettent d'observer une énorme pierre plate soulevée
de sa gangue de terre par les racines d'un grand arbre qui l'enserrait
à la base de son tronc, cause peut-être de sa faiblesse
relative pour lutter contre des vents de plus de 120 Km/h. L'humidité ambiante
condense en mille gouttelettes qui s'accrochent aux pilosités
végétales sans
entraîner le pollen omniprésent, milliards de points fertiles
déposés
sur toute chose.
La
baie de Saint Jean de Luz s'efface et réapparaît dans
toute sa splendeur, illuminée quelques instants avant de retomber
dans la grisaille. En montant le dernier raidillon, j'observe les cyprès
autrefois plantés
de main d'homme qui essaiment en file indienne parmi les roches d'une
ravine érodée.
En bordure, un vieux houx déploie ses branches pourvues d'au
moins deux patrimoines génétiques différents :
les unes portent des feuilles sombres, vernissées, épineuses,
découpées,
les autres de simples formes lancéolées plus claires,
un peu semblables
à celles du camélia, qui entourent de petites fleurs
en boules blanc-rosé
groupées à leur base.
Richard, Michèle, Max, Jean-Louis, Cathy | Rhune |
Dimanche 19 Avril 2009 |