Afin de préparer les prochaines rencontres transfrontalières d'astronomes amateurs en 2010, nous nous sommes réunis à Santander. Ville portuaire à la géographie singulière, nous y avons pénétré par l'avenue principale moderne aux immeubles de style anglais qui longeaient une baie profondément enfoncée à l'intérieur de collines abruptes. Bousculée par un fort vent du Sud-Est qui façonnait les nuages en curieux mamelons étagés, la surface de l'eau se ridait de vagues sèches qui malmenaient les rares embarcations qui s'y aventuraient. Pour la plupart, les navires étaient à l'ancre. Les petites barques de pêcheurs et les bateaux de plaisance étaient amarrés dans un port longitudinal non loin du monumental Palais des Festivals. Les bateaux de plus grande envergure étaient curieusement alignés le long des immeubles en face d'un ancien village de pêcheurs contigu à Santander, El Astillero (le chantier naval). Nous avons eu la surprise de découvrir dans ce quartier excentré une survivance du passé fort pittoresque. Sur une place en bordure du port entourée d'habitations toutes identiques, dotée d'une aire de jeux aux balançoires espagnoles caractéristiques, de grands hangars aménagés tenaient lieu de restaurants à l'aspect vétuste.

Devant chaque entrée exposée au vent violent se tenaient debout des cuisinières qui touillaient une paella ou un autre plat local à l'odeur alléchante dans une grande poêle de fonte au-dessus d'un bec de gaz. La première femme était très âgée, le visage racorni et ridé, les joues et les lèvres enfoncées dans une bouche sans doute passablement édentée. Visiblement encore alerte, elle jetait vers notre groupe un oeil plutôt sombre. Une femme plus toute jeune non plus se tenait à ses côtés. Alors que nous étions encore au parking où nous contemplions un grand pont-levis, les deux moitiés de son tablier dressées, nos amis espagnols nous avaient demandé de rester à l'écart, le temps de choisir tranquillement parmi toute cette enfilade de restaurants. Si nous nous étions avancés tous ensemble, et surtout, si les femmes avaient entendu que nous étions français, nous aurions été apostrophés, accrochés, hélés, elles auraient fait tout leur possible de la voix et du geste pour nous inciter à choisir leur gargotte plutôt que celle de leurs voisines et il aurait été très difficile de nous en dépêtrer. A vrai dire, lorsque nous nous sommes dirigés vers le troisième ou le quatrième où, curieusement, c'étaient deux hommes, dont un asiatique, qui grillaient des sardines sur le devant, je les ai trouvées plutôt calmes, je pense qu'elles réservaient ces manifestations bruyantes pour l'été, ou bien lorsqu'il y avait foule de badauds. Pénétrant sur la gauche dans la grande salle de restaurant vitrée, je découvris par la suite qu'un couloir séparait l'enfilade de restaurants sur toute leur longueur des bars au fond destinés aux habitués locaux. Celui qui était juste à l'arrière-plan était décoré de hublots et de grands tableaux et l'on y consommait aussi des plats simples : deux mondes se côtoyaient sans se mélanger, nappes blanches d'un côté, tables nues de l'autre.

Bien qu'il y eût du pain sur la planche et que beaucoup de décisions dussent être prises dans un temps qui nous était compté, nos amis de Santander tinrent à nous accueillir "astronomiquement" par une séance préalable de planétarium, dans l'enceinte de l'école de la navigation (Universidad de Cantabria, Escuela Técnica Superior de Náutica). Du verre brisé et le pavement collant des marches à l'entrée laissaient imaginer l'ambiance qui régnait en semaine, quand les jeunes se détendaient entre les cours sur le perron face à la baie. Nous parcourûmes un couloir vitré donnant sur les salles de classe avant de pénétrer dans l'enceinte circulaire à l'extrémité du bâtiment, flanquée à l'extérieur des anciens bancs courbes de bois qui équipaient autrefois le lieu. Parlant très lentement en espagnol pour que nous le comprenions bien, un animateur jovial nous expliqua en guise de préambule que, si un degré de latitude seulement séparait Bordeaux (44°) de Santander (43°), il fallait réaliser que cette distance minime au sol était au contraire déjà très sensible lorsqu'on se tournait vers le ciel. Allumant simplement le Soleil et les planètes visibles à l'oeil nu, y compris la Terre et la Lune, il nous montra comment leur mouvement apparent d'Est en Ouest était provoqué en réalité par la rotation de la Terre sur elle-même en sens inverse. Il expliqua ensuite la raison pour laquelle nous étions sous une coupole. Elle était représentative de notre expérience sensible quotidienne qui nous faisait croire, en voyant le Soleil ou les étoiles se lever à l'Est, culminer dans le ciel puis se coucher à l'Ouest, que nous étions sous une voûte céleste, ainsi que l'imaginaient les Anciens dans tous les mythes et religions.

Enfin, il nous montra la ligne de séparation entre la voûte blanche et les murs noirs : c'était la représentation de l'horizon, le cercle où terre et ciel semblent se rejoindre, ou plutôt, dans le cas présent, mer et ciel. En effet, la courbure de la Terre nous empêche de voir au-delà de cet horizon dont la distance (en milles nautiques, 1 mille nautique = 1,852 kilomètre), dit-il, se calcule très précisément par la formule "2,085 x racine carrée de h", h étant la hauteur à laquelle se situent les yeux de l'observateur par rapport à la surface de l'eau. Sur Wikipédia, ce multiplicateur est arrondi à 2,1 mais le calcul annexé donne un coefficient de 1,93 qui tient compte de la réfraction de la lumière par l'atmosphère, qui réduit cette distance. Pour donner une idée, les yeux d'un observateur situés à une hauteur de 5 m lui permettent de voir à une distance théorique de 8 km, à 10 m, l'horizon est à 11,3 km et à 50 m, 25,3 km. D'autre part, il nous dit que si la Terre tournait autour d'un Soleil immobile, elle effectuerait un cercle parfait, mais étant donné que le Soleil est entraîné en même temps dans une giration autour du centre de la Voie lactée, la galaxie à laquelle nous appartenons, notre propre révolution autour du Soleil devient alors une ellipse, dont le périhélie (point le plus proche) est atteint le 4 janvier et l'aphélie (point le plus éloigné) le 4 juillet. Petite remarque, ces dates montrent bien que le phénomène des saisons n'a rien à voir avec la distance plus ou moins grande de la Terre par rapport au Soleil. - Schéma ci-dessous extrait du site en lien -

L'animateur nous rappelle que nous avons deux Nord : la boussole indique le Nord magnétique (l'axe de symétrie cylindrique du champ magnétique), situé dans la direction du Canada à environ 1000 km du Nord géographique, qui correspond à l'axe de rotation de la Terre. La différence entre les deux se nomme la déclinaison magnétique qui varie en permanence en fonction des mouvements du noyau terrestre. L'angle qui la mesure n'a pas la même valeur suivant l'endroit de la Terre où l'on se trouve. Les cartes indiquant la plupart du temps le Nord géographique, il faut donc effectuer une correction lorsqu'on se dirige avec une boussole pour faire le point et savoir exactement où l'on se trouve. D'autre part, l'animateur nous fait observer que les saisons ne se remarquent pas seulement à la hauteur du soleil à midi et à la température qu'il fait, mais aussi la nuit avec "le triangle des saisons", c'est à dire les étoiles et constellations qui apparaissent à l'Est du méridien céleste, traversent le ciel et disparaissent au bout de quelques mois à l'Ouest, au fur et à mesure de la révolution de la Terre autour du Soleil pendant l'année. Elles sont indiquées dans les éphémérides chaque mois. - Schéma extrait de Futura-sciences -

Sur une question d'un visiteur espagnol, qui assiste à la projection en même temps que nous, l'animateur raconte une anecdote intéressante à propos du planétarium. Le premier planétarium moderne fut imaginé au début du vingtième siècle. Il ouvrit à Munich en 1920. Construit par la société Carl Zeiss, il consistait en un projecteur de ciel, sphère creuse éclairée de l'intérieur, sur laquelle étaient percées les étoiles. L'image produite par la sphère mobile était projetée sur un dôme. Il nous rapporte qu'au début, la lumière était fournie par une bougie (ce qui m'étonne un peu), et que les gens tournaient sur eux-mêmes pour figurer le mouvement des astres, la sphère de projection demeurant immobile ! Ce système, avec des variantes imaginées par différents constructeurs, fut le seul à être utilisé jusque dans les années 1980. Après la deuxième guerre mondiale, Américains et Russes se partagèrent les compétences allemandes, sans se formaliser s'il s'agissait d'anciens nazis ou non, et quelques planétariums commencèrent donc à être fabriqués dans ces deux pays, sans que la prééminence soit ôtée aux Allemands. Les meilleurs sortaient des ateliers de la RDA (République Démocratique Allemande), d'où provenait celui de Santander. La chute du mur de Berlin en 1990 eut une conséquence imprévue en la matière : tous les clients de l'unité de fabrication orientale reçurent un fax dès le lendemain, annonçant la dissolution et la fermeture de la société, ainsi que la rupture des relations commerciales. Les clients se retrouvèrent sans aucun suivi, le service de maintenance des appareils n'étant plus assuré et il n'y eut plus aucun moyen de se procurer des pièces détachées pour remplacer le matériel usé. Le planétarium ne pouvait plus évoluer. Au moment de notre visite, celui-ci avait justement un problème, il n'était plus possible de régler la latitude qui restait bloquée sur celle de Santander. La seule solution envisagée pour le réparer était d'attendre de récupérer des pièces de celui de Bilbao, sans doute mis au rebut et remplacé par un autre plus moderne, numérique (?).

L'animateur, avec lequel je discutais en fin de séance, m'amusa : très sérieusement, il m'affirmait qu'il regrettait que Napoléon ne soit pas resté plus longtemps en Espagne ! Je l'interrogeais plus avant, étonnée, ayant davantage eu écho des morts causées par les batailles napoléoniennes dont les habitants des pays limitrophes nous faisaient encore grief à l'heure actuelle. Il pensait que les lois et les institutions auraient progressé davantage, et que le pays aurait eu une centralisation politique plus favorable à la paix sociale. Il trouvait également que l'enseignement en France était meilleur, et qu'il était dommage que l'Espagne optât pour les méthodes anglo-saxonnes qui spécialisent trop les étudiants au détriment d'une vision globale et pluridisciplinaire. Une illustration des inconvénients causés par la division du pays en communautés ou régions autonomes me fut donnée peu après, par les membres d'Astro Cantabria auprès desquels je déjeunais.

L'association astronomique de Cantabrie (Astrocantabria) a été fondée en 1982 et son dynamisme a inspiré une telle confiance au gouvernement de Cantabrie que son conseil de l'environnement (une sorte de ministère à l'échelle régionale) a accepté de financer la construction d'un observatoire inauguré le 7 mai 2007 et ouvert au public depuis le 20 juillet de la même année. Situé à 130 km environ à l'Est de Santander - malheureusement un peu loin pour une fréquentation aisée par les adhérents d'Astrocantabria -, près du village de Polientes, non loin de la ville de Reinosa, il dispose d'une autonomie énergétique procurée par des panneaux solaires photo-voltaïques. Son emplacement a été choisi avec soin de façon à bénéficier des meilleures conditions pour l'observation astronomique. Voici ce qu'en dit le site d'Astrocantabria : " Valderredible, sur le Páramo de la Lora, est situé dans un lieu qui présente le moins de nébulosités et de précipitations, et le plus grand nombre de jours et de nuits avec un ciel dégagé. C'est là également qu'y règne la plus faible contamination lumineuse. L'altitude (1070 m) et l'éloignement de la côte offrent un air limpide à la grande transparence. En plus, étant situé sur un plateau, l'espace est ouvert et sans obstacle, offrant une vue dégagée de tout le ciel, y compris aux abords de l'horizon. "

Tandis que la Cantabrie menait à bien son projet d'observatoire, la région voisine de Burgos cherchait à améliorer son indépendance énergétique et, comme partout en Espagne, prospectait des lieux appropriés à l'implantation de parcs d'éoliennes. Comme chacun sait, il est préférable de les situer sur les hauteurs, dans des endroits isolés des habitations et exposés aux vents. Malheureusement pour Astrocantabria, le gouvernement de Burgos jeta son dévolu sur un terrain limitrophe de l'observatoire, qui se trouve juste à la "frontière" entre les deux régions. Désormais, chaque nuit, du haut des grands mâts jaillissent des éclairs aveuglants qui préviennent les avions de leur présence. C'est une pollution lumineuse insupportable ! L'association, soutenue par sa région, essaie de négocier pour remplacer, au moins, ces lumières blanches contre des rouges, moins néfastes à l'observation, mais pour le moment, c'est le statu quo...

Je reviens un peu sur les relations hispano-anglaises. Suite à notre petit séjour à Londres, nous avions appris que l'Espagne (comme le Portugal) s'était bien gardée de se compromettre avec le trafic triangulaire pendant les siècles qui avaient suivi la découverte des Amériques, et qu'elle s'était concentrée sur la colonisation de ces continents et l'exploitation de leurs richesses minières et agricoles en se procurant sur place une main d'oeuvre au moindre coût, indienne dans un premier temps, africaine par la suite. La Grande Bretagne avait donc acquis un pouvoir économique considérable en s'assurant la maîtrise des océans vers les Indes orientales et occidentales sur lesquels elle avait assuré 80% du trafic négrier, dont une portion était destinée aux colonies espagnoles qui achetaient cette "marchandise humaine" moyennant une fraction de leur production locale. Cela n'empêchait pas l'Espagne de maintenir des relations commerciales directes et intenses avec ses colonies. Santander, tout comme Séville, en bénéficia largement, construisant un grand chantier naval pour affrêter des bateaux. J'ai assisté récemment à une conférence donnée à l'Université du Temps Libre d'Anglet qui avait pour titre "Napoléon, le faux-pas espagnol". J'ai réalisé en l'écoutant que l'empereur avait négligé (ou ignorait) ces accointances entre les deux pays, et c'est ainsi que l'Espagne bénéficia du génie militaire de Wellington qui poursuivit les armées napoléoniennes jusqu'à Toulouse...

Cette époque est révolue, mais des relations privilégiées ont perduré, entre l'Espagne et ses anciennes colonies d'une part, et vis à vis de la Grande Bretagne d'autre part. C'est en effet la première chose que nous apprennent nos hôtes lorsqu'ils nous présentent la ville : très prisée des Anglais, nombre d'immeubles ont été construits par eux, et c'est une destination privilégiée, facilitée par un ferry (que nous voyons dans la baie) qui dessert deux fois par semaine les villes de Portsmouth et Plymouth en 24h. C'est aussi le siège historique de la première banque d'Espagne, la Banco de Santander Central Hispano, qui est en train de devenir la première banque européenne. Nos compagnons nous en indiquent le siège, percé d'une porte monumentale. Elle a racheté en 2004 Abbey, 6e banque britannique, et poursuit en achetant Alliance & Leicester (A&L). Nous apprenons également que le gouvernement de Cantabrie est en tractation avec Ryanair pour que Santander devienne la base de cette compagnie pour le Nord de l'Espagne. L'aéroport est en train d'agrandir l'espace destiné aux passagers et il projette d'ouvrir une ligne d'atterrissage supplémentaire pour accroître son trafic. Enfin, signe de son dynamisme, Santander est actuellement candidate au titre de Capitale européenne de la culture pour l'année 2016. Quoi que nous pensions de ce passé sulfureux et de cette activité capitaliste, partagés par l'Europe entière, séjourner à Santander pour les prochaines rencontres transfrontalières d'astronomes amateurs ne pourra être qu'instructif et passionnant !

SOMMAIRE
Page 1/2

 

 

Astrocantabria - Astronomie Côte Basque - Société Astronomique de Pau - Société Astronomique de France
Santander
Samedi 21 novembre 2009