Je vole de concert avec le vautour fauve. Placée juste au-dessus de lui, j'observe ses rémiges qu'il écarte ou resserre, élève ou abaisse pour maintenir sa direction dans le flux d'air en conservant une altitude de quelques dizaines de mètres par rapport au fond de la vallée. Le duvet et les fines plumes de son dos palpitent doucement au gré de sa progression lente et calme. La tête au bout de son long cou se tourne de droite et de gauche, pivote vers le bas, sans déséquilibrer l'oiseau qui rectifie insensiblement et constamment la position de son corps, de sa queue et de chacune des plumes de ses deux grandes ailes. Au sol, son ombre court et tressaute au gré des obstacles, se déforme et se perd parfois dans un creux du relief pour se reconstituer plus loin. Je perçois la profondeur du paysage qui se déroule au-dessous de nous, une grande prairie parsemée de buissons et bordée d'arbustes qui se convertissent en une forêt d'arbres qui escaladent les flancs du massif montagneux des Arbailles. Contre les parois qui abritent le vallon, l'air échauffé s'élève, emportant l'oiseau qui évolue en spirale jusqu'au voile de vapeurs légères et filandreuses qui flottent dans le bleu du ciel. - Photo : Vautour fauve. -
Ces impressions, je les reconnais, je les ai déjà éprouvées avec la même appréhension légère qui me contractait l'estomac. Je m'initiais alors à la plongée sous-marine, ou plutôt la nage lente en surface avec palmes, masque et tuba, dans les eaux chaudes des Antilles. Si l'on n'était pas venu me prévenir que le groupe s'en allait en me tapotant sur l'épaule, je crois que j'y serais encore, mon visage tourné vers le bas, vers ce monde si étrange où le poids ne compte pas, où seule importe la forme pour pénétrer ce milieu résistant et se déplacer avec aisance afin de se nourrir ou au contraire d'échapper aux prédateurs. J'avais été captivée par cette expérience où, pareillement, je ne me sentais pas extérieure, mais au contraire partie prenante, tandis que je me mouvais de concert avec les poissons, les anémones et les algues. Entraînée avec eux au gré des courants, ballotée par les vagues, je m'étais brusquement retrouvée au-dessus d'un à-pic où j'avais été saisie par la fraîcheur qui émanait des profondeurs sombres. L'imagination marchant à toute vitesse, j'avais été envahie par la crainte irraisonnée qu'un requin - ou un barracuda - puisse en jaillir brusquement pour me dévorer...
Cette fois, c'est une plongée dans l'atmosphère. Lovée dans un creux entre les rochers sur la cime du Béhorléguy, bien confortablement assise sur une petite pelouse, les pieds calés contre une pierre qui affleure, j'appuie les coudes sur mes genoux pour tenir fermement et sans trembler les jumelles qui prolongent mon regard. Le vent souffle par à-coups, malmenant mon corps, et j'apprécie d'autant mieux la performance en vol à laquelle j'assiste. Je pense que, si je me sens autant en symbiose avec les mouvements de l'oiseau, c'est que, exceptionnellement, il évolue à faible distance en contrebas et je l'observe sur fond de végétation qui me donne des points de repère, notamment de profondeur et de vitesse. D'ordinaire, les oiseaux sont plus loin, sur fond de ciel, souvent à contrejour. Le vautour fauve s'est perdu dans l'immensité bleu pâle, j'abaisse les jumelles et guette à l'oeil nu l'arrivée du prochain oiseau planeur qui apparaîtra à l'opposé, sur ma droite, après avoir effectué hors de ma vue une glissade le long d'un toboggan aérien invisible. Voilà un aigle royal qui passe à nos pieds. Il a une silhouette plus ramassée, la tête enfoncée dans le corps, sans cou apparent, un plumage bicolore avec une bande brun foncé et une autre beige très clair qui vont parallèlement d'une extrémité de l'aile à l'autre. Contrairement au vautour, il ne guette pas des bêtes blessées ou malades, mais des animaux bien vivants, assez étourdis pour ne pas prendre garde à lui. Son vol est plus rapide, sa tête plus mobile, et on le sent prêt à fondre comme une pierre pour saisir de ses serres une proie de petite taille, à poil ou à plume, qu'il emportera en lieu sûr à flanc de falaise. Au Pays basque, sa population a crû de un à huit couples en quinze ans. On trouve également l'aigle botté, de couleur blanche, qui vit dans les forêts.
Dans les Arbailles, le massif dont fait partie le pic du Béhorléguy, le vautour fauve, décimé des siècles durant par des humains ignorants et cruels comme partout en France, est désormais protégé et sa population s'est considérablement accrue. Seuls les juvéniles migrent, parfois jusqu'au Sénégal. Quant à l'aigle royal qui subissait les mêmes persécutions, sa population remonte depuis sa protection officielle et l'introduction de la marmotte dont il fait ses choux gras. Dimitri, notre guide, a une prédilection pour les sols calcaires au relief tourmenté. Nous débutons notre petite randonnée en longeant une falaise claire où les strates montrent un plissement en coupe renversée (un anticlinal) qui illustrent bien les forces géologiques mises en oeuvre lors de l'orogenèse (la formation) des Pyrénées. Ce massif contraste avec ceux qui l'environnent et notamment les montagnes qui s'élèvent sur l'autre versant du vallon du Laurhibar, un cours d'eau qui suit le tracé d'une faille géologique. C'est du poudingue sur plus de mille mètres d'épaisseur. On suppose qu'il s'agit d'un ancien cône sous-marin au débouché du canyon de l'Arthaburu, à l'époque où le golfe de Gascogne se creusait (hypothèse de J-M Boirie) corrélativement à l'ouverture de l'Atlantique Nord (début du processus au Permien -299, -251 millions d'années, c'est-à-dire bien avant qu'il y ait les Pyrénées). De ce côté-ci, le Béhorléguy est constitué d'un calcaire remontant au Crétacé moyen, bien plus récent que le poudingue (-112, -99 millions d'années).
La meilleure preuve de l'origine marine en partie biologique de ces dépôts, c'est la découverte, en montant sur les contreforts de la falaise qui nous domine, de fossiles d'oursins, en tout cas c'est ce qu'on a supposé dans un premier abord. Bien sûr, il ne fallait pas s'attendre à voir une boule couverte de piquants, quoique nous en ayions vu pendant la balade géologique à Bidart. Il s'agit plutôt de coquilles en coupe longitudinale, dont on n'aperçoit que les contours minces. En outre, ils ne sont pas vraiment circulaires (un oursin, même fossile, a une symétrie radiale) et peuvent avoir parfois des dimensions fort imposantes, qui font penser à d'énormes huîtres. L'exemplaire le plus allongé que j'aie pu trouver sur Internet est un fossile d'échinoïde australien (oursin), appelé Lovenia bagheerae, daté du Miocène tardif (environ 8 millions d'années). Je trouve ailleurs que les invertébrés fossiles les plus communs dans la craie sont les palourdes et les huîtres. Le diamètre des coquilles de palourdes "inoceramids" (Inocérames en français) trouvées au Kansas pouvait atteindre 6 pieds (1,80 m !) et vivaient en colonies au fond des océans du Crétacé. Certains de ces fossiles géants étaient recouverts d'huîtres incrustées dans leur coquille. Je trouve un peu plus loin sur la face ombrée d'un rocher un coquillage, toujours en coupe, qui ressemble à une coquille St Jacques fossilisée dans une matière curieusement poreuse, criblée de petits trous. Lorsque j'étais allée voir les coulées basaltiques près de Bilbao, ces petits trous correspondaient à un dégazage de la roche, mais il s'agissait de la lave s'écoulant des entrailles de la Terre. Pour ces sédiments formés dans des mers chaudes peu profondes, le processus est différent. Les sédiments déposés au fond des mers se sont agglomérés en laissant de petits espaces qui apparaissent maintenant sur la roche érodée comme une porosité plus ou moins prononcée.
Nous croisons une brebis qui boîte douloureusement, la patte horriblement gonflée et déformée par l'infection due à un panaris. Margaitta pronostique que, s'il n'est pas traité à temps, la septicémie se propagera dans le sang et la bête souffrira de plus en plus. Ses compagnes n'en ont cure, elles ont grimpé jusqu'à la barre rocheuse pour prendre les rayons du soleil matinal et se chauffer en broutant avec nonchalance. Dix jours plus tard, nous croiserons aux alentours de Larceveau un troupeau dont deux brebis marchent aussi sur trois pattes. Ces pauvres bêtes semblent bien délaissées par leurs propriétaires. Une buse plane à faible hauteur. Dimitri signale la présence d'un dolmen au lieu-dit Buruntze. A nos pieds, une bouse s'étale, curieusement creusée : c'est un renard qui l'a grattée en quête d'insectes bousiers à manger. Un milan royal traverse les airs fugacement, un vautour fauve passe à faible altitude au-dessus de nos têtes. Des aubépines résistent au pacage intensif, de loin en loin, arborant leurs baies rouges défendues par de longs piquants.
Après les averses de ces derniers jours, la prairie scintille de tous les feux réfléchis par les gouttelettes accrochées aux fils des toiles d'araignées tendues un peu partout entre les brins d'herbe. L'épeire diadème, ornée de quatre points sur son abdomen, ne répare pas sa toile déchirée par les insectes qui tentaient de se désengluer. Elle la dévore le soir pour en recycler la matière dans son abdomen et la retisse en une heure de temps. Je retrouve mon maître favori Jean-Henri Fabre, qui traite de l'épeire avec la précision, la réflexion et le charme qui le caractérisent. Il compare le comportement de trois espèces, les épeires fasciée, soyeuse et diadème, par rapport à leur sens de la propriété, tout en philosophant en parallèle sur le comportement humain. Voici ce qu'il en dit. "L'Épeire diadème, hirsute et d'un roux variable, a sur le dos de gros points blancs disposés en triple croix. Chassant de nuit surtout, elle fuit le soleil et se tient de jour sur les arbustes voisins, dans un refuge ombreux communiquant avec le réseau de gluaux au moyen d'un fil télégraphique..."
A la fin de son étude, il conclut : "La force prime le droit, dit la brute, ou plutôt, de droit, il n'y en a pas chez elle. Le monde de la bête est une cohue d'appétits sans autre frein que l'impuissance. Seule capable d'émerger des bas-fonds des instincts, l'humanité fait le droit, le crée lentement à mesure que se clarifie la conscience. De ce lumignon sacré, si vacillant encore, mais accru d'âge en âge, elle fera resplendissant flambeau qui mettra fin, chez nous, au principe des brutes et changera de fond en comble, un jour, la face des sociétés." Cette envolée est superbement optimiste, n'est-ce pas, surtout lorsque l'on sait que cet homme de science a connu la guerre de 1870 et qu'il est mort en 1915, au début de la première guerre mondiale.
Il réfléchit ensuite sur la forme de la toile. Il était mathématicien avant de se lancer dans la botanique, puis l'entomologie, et possède donc les outils pour comprendre et analyser ce qu'il observe. "Le tracé des Épeires est donc une ligne polygonale inscrite dans une spirale logarithmique. Il se confondrait avec cette spirale si le nombre des rayons était illimité, ce qui rendrait les éléments rectilignes infiniment courts et changerait la ligne polygonale en une ligne courbe." Il étend ce concept à d'autres constructions animales. "C'est une réalité au service de la vie, un tracé dont l'architecture animale fréquemment fait usage. Le Mollusque, en particulier, n'enroule jamais la rampe à vis de la coquille sans consulter la savante courbe. Les premiers-nés de la série l'ont connue et pratiquée, aussi parfaite aux premiers âges du monde qu'elle peut l'être aujourd'hui." Il donne pour exemples l'ammonite, le nautile, l'escargot, et conclut en nous ouvrant des perspectives universelles. "La géométrie, c'est-à-dire l'harmonie dans l'étendue, préside à tout. Elle est dans l'arrangement des écailles d'un cône de pin comme dans l'arrangement des gluaux d'une Épeire, elle est dans la rampe d'un Escargot, dans le chapelet d'un fil d'Araignée, comme dans l'orbite d'une planète ; elle est partout, aussi savante dans le monde des atomes que dans le monde des immensités."
Pour s'excuser de ses incursions mathématiques, il explique qu'il n'a pas eu une scolarité académique. "Apprendre sous la direction d'un maître m'a été refusé. J'aurais tort de m'en plaindre. L'étude solitaire a sa valeur ; elle ne vous coule pas dans un moule officiel, elle vous laisse votre pleine originalité. Le fruit sauvage, s'il arrive à maturité, a une autre saveur que le produit de serre chaude ; il laisse aux lèvres qui savent l'apprécier un mélange d'amertume et de douceur dont le mérite s'accroît par le contraste." Je lis avec délectation son texte sur le Binôme de Newton, où il explique comment, par un hasard heureux, il découvrit l'algèbre tout en l'enseignant, obligé d'assimiler seul pas après pas chaque notion à partir d'un livre aride jusqu'à en avoir une idée suffisamment claire pour être capable de l'expliquer de façon limpide à son élève, comme si elle coulait de source !
Pour ce faire, il comprend dans le même temps qu'il lui est indispensable de savoir maîtriser l'art du langage et qu'une bonne pédagogie ne va pas sans une science approfondie des mots et de leur assemblage en une forme plaisante à écouter. "En ces temps lointains, il était de règle de faire précéder la science de quelques sérieuses études littéraires. Il fallait avoir fréquenté les bons esprits de l'antiquité, conversé avec Horace et Virgile, Théocrite et Platon, avant de toucher aux toxiques de la chimie, aux leviers de la mécanique. A ces préparatifs, les délicatesses de la pensée n'avaient qu'à gagner. Les exigences de la vie, toujours plus âpres à mesure que le progrès nous afflige de plus de besoins, ont changé tout cela. Foin du langage correct ; avant tout les affaires !"
Dimitri s'empare d'un carabe qui marche à découvert sur le sol. Cet animal a pour particularité de vivre trois ans sous sa forme adulte. Généralement, les insectes peuvent vivre longtemps sous leur forme intermédiaire de larve ou de chenille, mais après leur sortie de la chrysalide, ils ne subsistent que le temps de se reproduire et meurent très vite. Curieusement, plusieurs espèces de carabes sont spécialement inféodées à l'Aradoy et l'Ursuya et bénéficient à ce titre d'une protection légale. Toutefois, des collectionneurs cèdent à leur passion et viennent en prélever pour posséder en propre toutes les variations de cet insecte. Pourtant, je ne leur trouve pas un charme transcendant, leur carapace n'arbore pas ces reflets métallisés qui parfois donnent l'impression de voir des bijoux sur pattes. Un groupe de coulemelles appétissantes s'élève au-dessus des herbes, à divers stades de maturité. Dans le doute, il faut se garder de cueillir celles de petite taille car elles comptent des espèces toxiques, voire mortelles. Les grandes, par contre, ne présentent pas de danger et se consomment, de préférence jeunes, avec le chapeau encore fermé, sautées à la poêle avec ail et persil.
Au milieu du parc à brebis, des blocs de sel sont disposés à l'extrémité de pieux pour équilibrer le régime alimentaire du troupeau. Dimitri signale la présence en contrebas de pieds de géranium d'endress. Il existe de nombreuses espèces de géraniums sauvages dans les Pyrénées, mais celle-ci est une espèce protégée qui ne se rencontre que dans les prairies riches et les reposoirs à bétail sur sol acide des Pyrénées Atlantiques et plus particulièrement du Pays Basque. Bien que le Béhorléguy soit un peu à l'écart de la chaîne, Jean-François Terrasse et, après lui, Nicolas Van Meer-Ordoqui, du jardin botanique Paul Jovet de Saint Jean de Luz, en ont repéré à quelques centaines de mètres de l'endroit où nous cheminons. Dimitri se souvient que l'épouse du grand naturaliste du XXe siècle Jean Vivant avait dévissé, il y a 40 ans, sur l'Orhy en cherchant à atteindre un exemplaire de cette plante. Sa présence sur le Béhorléguy est peut-être le fait des troupeaux, qui auraient transporté ses graines en se déplaçant d'un mont à l'autre pendant la transhumance.
Il nous montre l'ingénieux système de levier qui permet à la fleur de sauge de déposer son pollen sur le corps des insectes butineurs. "Celle-ci propose un petit aérodrome privé bien tentant pour l'abeille, avec des couleurs attirantes qui la conduisent vers le coeur. Tout juste posée, le semblant de piste s'avère un levier efficace pour faire basculer d'un coup d'étamine sur la tête de l'abeille une bonne rasade de pollen (la luzerne fait un peu pareil). Les abeilles domestiques sauront trouver la parade en abordant la fleur de côté, sans se poser, mais dans ce cas, elles ne polliniseront pas la fleur, qui le sera par une abeille sans expérience ou par une abeille sauvage." Dimitri nous avait déjà montré ce mécanisme naturel de la sauge dans le Vercors et il a vérifié depuis que la sauge cultivée présente le même artifice. A chaque fois, la même question se pose. Comment une évolution si fine a pu se produire ? Il n'est pas possible d'imaginer des modifications infimes et dispersées de segments de gènes qui aient permis d'aboutir à une coordination aussi parfaite entre la fleur et l'insecte, bénéficiant, dans ce cas, autant à l'une qu'à l'autre. Quand on voit le résultat, immanquablement s'impose l'idée d'une évolution dirigée, orientée, avec des sauts, des mutations avec l'ajout d'organes entiers, tout constitués, mais à savoir comment c'est possible, ça, c'est encore un mystère.
Dans le ciel, nous voyons évoluer le milan royal qui, comme l'aigle ou le roitelet, tire son nom de la couleur des plumes de sa tête qui forment une sorte de couronne. Au contraire du milan noir qui migre déjà au début du mois de juillet vers le Sud, le milan royal a sa zone d'hivernage en Europe, ce qui nous donne l'impression qu'il est très commun alors qu'en réalité son aire de répartition est fort restreinte. Ses effectifs se sont réduits de 30 à 40% à cause de nos pratiques agricoles, la disparition des haies et l'emploi des pesticides qui empoisonnent notamment le campagnol ou rat-taupier dont il se nourrit. En effet, ce dernier ne meurt pas sous terre, mais remonte à la surface où il déambule avant de mourir. Par ricochet, le milan royal se trouve empoisonné à son tour, et comme il est inféodé à l'Europe, le problème se pose bien plus dramatiquement pour lui, qui n'a pas la possibilité de se refaire une santé ailleurs.
En redescendant du sommet, un renard s'enfuit sous nos yeux. Tandis qu'une partie du groupe suit Dimitri qui tâche de le pister, Jean-Louis se dirige vers un aven, un gouffre étroit entouré de barbelés qui s'enfonce jusqu'à une profondeur de 400 mètres environ à la verticale. Nous sommes bien dans un environnement karstique. Pendant que nous déjeunions au sommet, nous avions d'ailleurs reconnu le poljé, cette étendue plane au pied du Belchou que nous avions traversée pour nous rendre sur le Zabozé, situé à peu de distance du Béhorléguy à vol d'oiseau. Le versant opposé présente une surface érodée caractéristique d'un rabotage glaciaire. En effet, si l'Aquitaine a été un refuge pour bien des espèces animales et végétales pendant les glaciations du Quaternaire, il n'en reste pas moins que les massifs montagneux, même méridionaux, comportaient également des glaciers dont les vestiges s'amenuisent d'année en année et auront bientôt disparu. Je n'ai cependant pas trouvé d'information sur leur extension maximale, et s'ils s'étendaient jusqu'au Béhorléguy. Il faudrait savoir juger de la forme du vallon, en auge ou pas, et s'il existe des moraines à proximité.
Avant de nous enfoncer dans une forêt très humide au sol spongieux, nous admirons un vol d'innombrables chocards à bec jaune parmi lesquels se sont insérés deux grands corbeaux. Au sol, Dimitri nous montre une empreinte de blaireau, semblable à celle d'un ours en miniature. Il attrape à la main un papillon (une Mégère ?) pour que nous puissions mieux l'observer. Ses ailes inférieures ont des coloris et des dessins très différents de la face supérieure des deux paires étalées. Il fait de même avec un grillon dépourvu d'appareil stridulateur : c'est donc une femelle. Il détache d'un ajonc une tige de cuscute ou "barbe de bouc". La cuscute du thym parasite de nombreuses plantes, surtout les trèfles, la luzerne, les bruyères et autres ajoncs. Cette plante est dépouvue de chlorophylle et de feuilles. Peu après la germination, dès qu'une jonction s'établit avec une plante hôte, la racine disparaît. La cuscute n'a plus de contact avec le sol, elle grimpe le long des plantes car ses tiges sont volubiles comme le liseron. De plus, ces mêmes tiges gonflent au contact de la plante hôte et forment des crampons-suçoirs. Il existe d'autres cuscutes qui préfèrent le houblon ou le haricot. Ses tiges sont rougeâtres, les inflorescences formées de fleurs parfumées, rose pâle à 5 parties. D'abord sous forme de cloches, elles s'épanouissent en étoile et fleurissent de juin à octobre. En bordure de forêt, une ammanite panthère étale son chapeau brun moucheté de taches claires. Alors que nous ne sommes plus très éloignés du col où sont garées les voitures, nous faisons halte pour écouter les bruits en provenance de la forêt qui couvre des parois érodées et abruptes : à plusieurs reprises, nous reconnaissons le brame assourdi de cerfs en pleine période de rut qui se défient à distance.
Randonnée naturaliste organisée par Dimitri Marguerat pour Jacques, Margaitta, Jacqueline, Jean-Louis, Cathy |
Behorleguy |
Mardi 5 octobre 2010 |