Les
papillons ne sortent pas sous la pluie, tout le monde sait ça.
Nous devions aller les observer le 18 juin avec Dimitri Marguerat à Iraty,
mais le temps pourri nous a obligés à reporter
la
sortie
naturaliste à la fin du mois. Animateur du Centre
permanent d'initiatives pour l'environnement (CPIE)
du Pays
basque
basé à Saint
Etienne de Baïgorry,
il a invité Pierre-Camille Leblanc, président de
l'association Paon du Jour de Cambo-les-Bains, à venir partager
ses connaissances avec nous. Avant d'aborder notre expérience
d'une douzaine d'heures (de midi à minuit), je recommande la lecture
des souvenirs entomologiques de Jean-Henri Fabre (1823-1915).
Il a mis son style incomparable digne des plus grands auteurs littéraires
au service d'une science expérimentale irréprochable
pour dévoiler
au commun des mortels, dans un langage imagé et avec une verve
enthousiaste, les comportements à la fois si éloignés
et si proches de ces animaux parfois tant décriés que sont
les insectes. Je suis allée à la rubrique
Papillons du site Internet en lien, qui commence par le texte relatif
au Grand-Paon. En voici un tout petit extrait :
Le Grand-Paon n'est papillon que pour se perpétuer. Se nourrir lui est inconnu. Si tant d'autres, joyeux convives, volent de fleur en fleur, déroulant la spirale de leur trompe et la plongeant dans les corolles sucrées, lui, jeûneur incomparable, affranchi pleinement des servitudes du ventre, n'a pas à se restaurer. Ses pièces buccales sont de simples ébauches, de vains simulacres, et non de vrais outils, aptes à fonctionner. Pas une lampée n'entre dans son estomac : magnifique prérogative, si elle n'imposait brève durée. A moins d'extinction, il faut la goutte d'huile à la lampe. Le Grand-Paon y renonce, mais il lui faut du coup renoncer à longue vie. Deux ou trois soirées, juste le strict nécessaire à la rencontre du couple, et c'est tout : le gros papillon a vécu. - Photo : Moro sphinx ou sphinx colibri ou sphinx du caille-lait : il butine en vol stationnaire comme les oiseaux-mouches. -
L'entomologiste
déroule
sa réflexion tranquillement,
se gardant de conclusions hâtives, et cherche avec méthode
par quel moyen le mâle trouve la femelle, si c'est par la vue,
l'ouïe
ou l'odorat. Ses expérimentations ne lui permettant pas d'arriver à une
certitude, il porte ses efforts
sur le Bombyx du chêne ou Minime
à bande. "La conviction
est faite. Pour convier aux noces les papillons des alentours, les avertir à distance
et les diriger, la nubile émet une senteur d'extrême subtilité,
insaisissable par notre olfaction... De cette quintessence aisément
s'imprègne
tout objet où quelque temps la femelle repose, et cet objet devient
dès lors, à lui seul, tant que ses effluves ne sont pas
dissipés, un centre d'attraction aussi actif que la mère
elle-même... L'apparition du flux avertisseur est plus ou moins
tardive suivant l'espèce. La récente éclose a besoin
de se mûrir quelque temps et de disposer ses alambics. Née
dans la matinée, la femelle du Grand-Paon a des visiteurs parfois
le soir même, plus souvent le lendemain, après une quarantaine
d'heures de préparatifs. Celle du Minime diffère davantage
les convocations ; ses bans de mariage ne sont publiés qu'après
deux ou trois jours d'attente." - Photo : Hespérie de la
mauve (Pyrgus Malvae) - C'est la chenille qui se nourrit de la mauve
-
- Note : Les papillons nocturnes mâles peuvent détecter des concentrations infinitésimales de substances chimiques volatiles à l’aide de leurs antennes plumeuses. Cet extraordinaire pouvoir de détection est lié à la très grande superficie des antennes. En suivant le gradient de concentration de la phéromone, les mâles peuvent remonter jusqu’à sa source émettrice. -
Je passe à l'histoire dramatique
de la
chenille
du chou, ou plus exactement celle de la Piéride, un vulgaire
papillon blanc connu de tous. Pas à pas,
utilisant des moyens d'investigation simples, mais faisant preuve d'une
inventivité et d'une perspicacité remarquables, Jean-Henri
Fabre découvre
qu'un minuscule papillon de la taille d'un moucheron, Microgaster glomeratus,
a pour "métier" d'exploiter la Chenille du chou, se
faisant par là-même un auxiliaire naturel précieux
et parfaitement involontaire de l'homme, amateur et
cultivateur de chou.
Il
observe que certaines chenilles se meurent au moment de tisser la toile
qui les soutiendra
pendant leur transformation en chrysalide. Leur dissection met au jour
des vers qui grouillent dans l'abdomen : ce sont les larves du Microgaster.
Après une longue enquête, il découvre que les femelles
minuscules ont percé de
leur rostre ventral les oeufs de la Piéride pour y déposer
leur propre ponte. Cette
dernière a éclos
dans l'abdomen de la chenille de la Piéride et les larves intrusives
se sont nourries du sang de leur hôte. L'entomologiste
remarque au passage que "les deux calendriers sont remarquablement
synchrones. Lorsque, au bout d'un mois, la chenille
cesse de manger et fait ses préparatifs de métamorphose,
les parasites sont mûrs pour l'exode". -
Photo : Phrygane dans son fourreau d'herbes assemblé avec de la
soie. -
Jean-Henri Fabre
fait entendre un discours qui n'a toujours guère d'audience,
l'augmentation de notre démographie provoquant
un accroissement dramatique de notre pression sur l'environnement par
rapport à l'époque où il vivait. "Toute
créature a ses droits à la vie. La chenille du chou fait âprement
valoir les siens, de sorte que la culture de la précieuse plante
serait bien compromise si d'autres intéressés ne prenaient
part à sa défense. Ces autres sont les auxiliaires, collaborateurs
par besoin et non par sympathie. Les termes d'ami et d'ennemi, d'auxiliaires
et de ravageurs sont ici simples tolérances d'un langage non toujours
bien apte à traduire l'exacte vérité. Est ennemi
qui nous mange ou s'attaque à nos récoltes ; est ami qui
se repaît de nos mangeurs. Tout se réduit à une effrénée
concurrence des appétits. De par le droit de la force,
de la ruse, du brigandage, ôte-toi de
là que je m'y mette ; cède-moi ta place au banquet. Telle est
l'inexorable loi dans le monde des bêtes, et quelque peu dans le nôtre,
hélas !" - Photo : Epeire à feuille de chêne. -
Ces réflexions qui remontent à plus d'un siècle restent toujours d'actualité, je le constate en lisant le thème de la 7ème conférence Internationale Francophone d'Entomologie (juillet 2010), « Interactions et Biodiversité » qui se donne pour objectif d'illustrer la multiplicité des types d'interaction entre les êtres vivants et leur milieu, ainsi que les phénomènes de coévolution. En effet, le monde des insectes et plus généralement des Arthropodes est un acteur essentiel de la biodiversité, que l'on étudie malheureusement trop souvent seulement pour le combattre, à titre de ravageur des cultures ou vecteur de maladies. Pour que les humains réalisent leur dépendance à son égard, il faut des conditions critiques, comme, par exemple, le déficit en insectes coprophages en Australie. - Photo : Sauterelle. -
Pour pallier le dysfonctionnement des pâturages australiens
(du fait de la rareté des Scarabéides coprophages capables
de recycler les bouses des bovins introduits), le Commonwealth Scientific
Industrial and Research Organization (CSIRO) a dépensé entre
1970 et 1985 plusieurs millions de dollars australiens pour introduire en
Australie une quarantaine d'espèces exotiques de bousiers, à la
fois pour réduire les effectifs des mouches qui se développaient
dans les déjections et attaquaient le bétail, et pour prévenir
l'accumulation des bouses qui, non enfouies, conduisaient à une perte
annuelle cumulée d'environ un million d'hectares de pâturages.
Pendant 15 ans, chaque éleveur a été ainsi
amené à débourser un dollar par an et par tête
de bétail pour financer ce programme d'introduction, ce qui lui a
fait prendre conscience de manière très directe de la valeur économique
de ces insectes.
La raréfaction des insectes butineurs et notamment des abeilles domestiques en Europe et aux Etats-Unis engendre une réflexion salutaire sur l'abus de produits phyto-sanitaires dans les cultures. Voici quelques extraits d'articles qui illustrent ce problème. Depuis le 18 avril 2002, des milliers de colonies d'abeilles sont en train de mourir dans les ruches situées en zone de grandes cultures du Gers et de la Haute-Garonne. Ce phénomène survient toujours dans des zones où l'on constate la conjonction de plusieurs éléments : la multiplication et le croisement de traitements chimiques massifs - fongicides sur blé (dont un nombre non négligeable avec de nouvelles molécules), produits désherbants de semis sur tournesol et maïs - ; l'utilisation quasi généralisée de semences de tournesol enrobées de produits à base de Fipronil et de semences de maïs enrobées de produits à base d'Imidaclopride, matières actives insecticides hautement toxiques pour les abeilles. - Photo : Libellule. -
Dans
le même temps, des apiculteurs du
Morbihan voient leurs ruches décimées. En
quelques jours, elles ont formé aux abords des ruches
des petits tapis noirs de cadavres d'insectes. Les apiculteurs morbihannais
(un millier au total, essentiellement amateurs) montrent du doigt des pratiques
agricoles nuisibles mais aussi les intérêts d'une industrie
agroalimentaire qui, sans tenir compte de leur toxicité «fait
passer ses molécules
en force» et obtient leur homologation. La France utilise à elle
seule autant de pesticides que l'Allemagne, l'Italie et la Grande-Bretagne
réunies. Le même problème s'est posé dans
les ruches ariégeoises, avec
20% de mortalité en 2002. Les responsables de cette hécatombe
sont, selon les apiculteurs, le Gaucho imidaclopride et le Régent
fipronil, deux produits hautement toxiques. Le 21 janvier 2003,
le ministère français de l'agriculture maintenait la suspension
du Gaucho pour les semences de tournesol mais l'autorisait pour le maïs.
De son côté, Bayer Crop, la firme
productrice du Gaucho, lançait des procédures judiciaires à l'encontre
des apiculteurs détracteurs de leur insecticide. Pourtant, c'est
tout un écosystème qui risque d'être bouleversé : "Quand
il n'y aura plus de pollinisation, 22 000 espèces de plantes vont
disparaître". - Photo :
Argus vert ou thècle de la ronce (Callophrys rubi). -
Pour
surveiller la santé des
écosystèmes, on utilise depuis quelque temps la filière
Papillons, et plus particulièrement les papillons de jour. La
plupart des espèces sont fortement dépendantes
d'une, ou d'un petit nombre de plantes dont les chenilles se nourrissent.
Ces plantes varient beaucoup d'une espèce à l'autre et leur
présence, leur répartition, leur période d'apparition
sont parmi les facteurs les plus importants dans l'écologie des Papillons.
Les exigences des adultes sont également très variables. Certains
vont se nourrir, d'autres non, puisant dans les ressources accumulées
lorsqu'ils étaient chenilles. Certains seront spécialisés
dans la consommation de nectar sur des formes de fleurs particulières.
Ils peuvent également n'être actifs qu'à des températures
ou un degré d'ensoleillement précis. Certaines
espèces
ont besoin d'abris pour hiverner à l'état adulte, d'autres
survivent au froid à l'état de chenille ou de chrysalide, enterrées
dans le sol, et sont donc sensibles au labour, d'autres enfin sont migratrices.
Les pendants de cette grande diversité d'exigences écologiques
sont la spécialisation et, par conséquent, une sensibilité importante
: les communautés de
Papillons vont réagir fortement aux perturbations de leurs habitats
naturels car leurs capacités de résistance et d'adaptation
sont relativement faibles. Cette sensibilité et cette diversité d'exigences
en font d'excellents indicateurs de la santé de la biodiversité en
général. Ils sont donc très appropriés pour suivre
les progrès - et les erreurs - réalisés en vue d'atteindre
l'objectif de protection de la biodiversité. -
Photo : Combat mortel entre une mouche et un éphémère. -
Les papillons fréquentent une grande variété de
milieux, et on les trouve jusque dans les jardins et les parcs des villes,
avec des espèces très répandues et résistantes
telles que le Vulcain (Vanessa atalanta), le Paon de jour (Inachis io), le
Tircis (Pararge aegeria), l'Azuré des nerpruns (Celastrina argiolus)
ou les Piérides (Pieridae). Les zones d'agriculture intensive hébergent
une faible diversité de Papillons, qui bien souvent n'exploitent que
les talus, les haies et les friches.
Les Piérides (Pieris sp.), le
Cuivré commun (Lycaena phlaeas) sont capables de s'installer sur les
jachères car leurs chenilles se nourrissent de plantes colonisant
rapidement des milieux nouvellement créés (plantes "pionnières")
telles que les oseilles sauvages ou certaines Crucifères. Les fleurs
trouvées dans les jachères servent également de ressources
aux adultes d'autres espèces venant de milieux voisins. Les haies
et les plantes herbacées qui croissent à leurs pieds peuvent
accueillir une plus grande diversité d'espèces. Les linéaires
de haies qui subsistent dans les pays bocagers n'ayant pas trop souffert
du remembrement sont donc d'une grande importance. On
y trouve le Gazé (Aporia
crataegi), les Théclas, l'Amaryllis (Pyronia tithonus), le Sylvain
azuré (Limenitis reducta)...
Mais ce sont - de loin - les milieux ouverts fleuris qui sont les plus favorables aux papillons. En tant que telles, les prairies naturelles destinées à la fauche ou au pâturage sont particulièrement précieuses. Les nombreuses graminées qui y poussent nourrissent les chenilles de très nombreuses espèces, et l'importante floraison qu'elles abritent attire les adultes venus des milieux environnants. Le Myrtil (Maniola jurtina), le Demi-deuil (Melanargia galathea), les Hespéries, les Nacrés, les Mélitées, les Lycènes... fréquentent en abondance ces prairies. - Photos : Sauterelle (à gauche), Perle (à droite). -
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CPIE Pays Basque : Dimitri Marguerat invite Pierre Camille Leblanc, président de l'association de Cambo-les-Bains "Le Paon du Jour" | Papillons |
29 juin 2010 |