Dès
le début, le ton est donné, résolument familier,
intimiste : ce ne sera pas une conférence comme les autres.
Elle se déroule
au théâtre du Casino devant un public original. En haut,
les élèves
des écoles de Biarritz (avec des classes du lycée Cantau
d'Anglet) occupent toute la mezzanine. Nombre
d'adultes installés à l'étage au-dessous sont
des proches de Léopold
Eyharts ou de sa famille, ne serait-ce que par ancien voisinage, car
il a passé sa jeunesse à Arcangues où résident
toujours ses parents, et il a débuté
ses études à Biarritz.
A
côté de
moi, une commerçante de Bayonne me dit s'être déplacée
tout exprès
pour l'écouter, car ses
parents étaient de fidèles clients. Sur l'estrade, devant
l'écran
géant
où figure notre héros dans sa tenue spatiale,
se dresse
la maquette de la fusée Saturn V réalisée par
Jacques Bellay (comédien, metteur en scène et professeur) à l'époque
où le
premier homme marchait sur la lune et où Léopold commençait à mûrir
son rêve d'aller dans l'espace. -
Photo : La première image affichée à l'écran pour la conférence. -
Les membres de l'association Astronomie Côte
Basque dont il est le parrain s'évertuent depuis
des semaines à ce que cette manifestation se déroule
dans des conditions optimales, ce qui les a amenés à s'adjoindre
comme partenaire la mairie de Biarritz pour offrir à l'astronaute
le meilleur accueil. Hervé,
le secrétaire de l'association,
prend le micro et il évoque d'emblée dans sa présentation
son amitié
personnelle à l'égard des parents de Léopold dont
il est un voisin. Il rapporte surtout l'émotion intense mêlée
de terreur de Jeannine Eyharts - assise au premier rang devant l'estrade
aux côtés de son mari - lorsqu'elle a assisté au
premier envol de son fils en fusée Soyouz vers la
station
spatiale russe MIR en 1998. Dix ans plus
tard, son appréhension est toujours aussi grande lorsque celui-ci
prend la navette américaine pour séjourner
dans la station spatiale internationale (ISS) en rotation autour de
la Terre.
Par
ce simple témoignage, tous les spectateurs prennent conscience
du caractère
extraordinairement risqué de cette aventure professionnelle,
qui constitue encore aujourd'hui un véritable exploit personnel
et collectif. Didier Borotra, le maire de Biarritz, bien sûr
présent pour honorer cet hôte
d'exception, souligne aussi l'émotion de Jeanine Eyharts dont
il a été témoin
à Baïkonour (où la température était
de -27°C, se rappelle-t-il) et
qui ôte à cette
entreprise toute la banalité que
l'on pourrait attribuer
à l'envoi
régulier d'êtres
humains dans l'espace depuis une quarantaine d'années. -
Photo : Maquette de la fusée Saturn V -
De
façon un peu anecdotique, le sénateur-maire reçoit
des mains de Léopold un maillot
du Biarritz Olympique qui a séjourné 48 jours dans la station
ISS, parcourant 20 millions de km à 400 km d'altitude et à la
vitesse de 28 000 km/h. En échange, il lui offre la médaille
d'or de la Ville de Biarritz (*). Hervé, au nom d'Astronomie Côte
Basque, récupère
aussi le béret basque orné du logo de l'association, assorti
d'un certificat qui atteste son parcours dans l'espace. Puis Léopold
commence sa conférence
en commentant un petit reportage filmé de son travail sur la station
spatiale internationale, où il était responsable de l'installation
du laboratoire européen
Columbus qui a été amené en même temps que lui
dans la navette spatiale Atlantis. Ensuite, il répond
aux questions du public, en donnant la priorité aux enfants qui
disposent de
peu de temps
et doivent
ensuite
retourner
à l'école. - Photo : Léopold
Eyharts et Didier Borotra, maire de Biarritz. -
(*)
Ce sceau rond de 62 mm à oreillettes, est plaqué sur un
traité conclu par Biarritz en 1351 avec les villes de Flandres (archives
du Nord, Chambre des comptes). La légende - sigillum consilii de Beiarriz
- est répétée
sur les deux faces du sceau. D'un côté, on voit cinq pêcheurs
dans une barque ; trois d'entre eux rament, les deux autres s'apprêtent à harponner
une baleine. Le revers représente Saint-Martin partageant son manteau.
(Saint Martin est le saint patron de Biarritz). On retrouve également
cette baleine sur les armes d’Hendaye,
Guetaria, Motrico et Ondarroa.
Léopold
Eyharts procède directement à l'exposé technique
du vol, mais les questions des élèves à la fin
permettent de se faire une meilleure idée de ses impressions
personnelles. Et tout d'abord, demande Capucine, a-t-il eu peur ? -
Non, aucun astronaute n'a peur,
sinon il ne partirait pas. Il se prépare pendant très
longtemps, s'intéresse
à la sécurité de très près. Il éprouve
plutôt de la joie, dit-il à
Clara, car il a beaucoup attendu ce moment, et beaucoup travaillé dans
ce but avant de partir. Le jeudi 7 février
2008, revêtu
d'une combinaison spatiale dont l'aspect a été très peu modifié depuis
le début des vols habités, il participe à la
mission STS-122 qui achemine des membres du 16e équipage
de l'ISS à bord de la navette Atlantis. Le départ, prévu
pour le 6 décembre 2007, a été retardé
à plusieurs reprises en raison d'un problème électrique
de la navette, il n'aura donc que 44 jours pour effectuer
les tâches qui étaient prévues pour trois mois
de séjour. Il n'est pas
au poste de pilotage de la navette, qui dispose
de hublots et parebrise.
Il doit se tasser avec son collègue
allemand à l'arrière (en dessous), à l'étroit,
chacun installé sur un siège spécial,
dans une soute sans aucune vision possible vers
l'extérieur pendant le décollage.
- Photo : Léopold Eyharts. -
La
navette s'élève
à
la verticale
de façon à très vite (en deux minutes) sortir
de la couche la plus dense de l'atmosphère qui freine
sa progression. Les
boosters (fusées latérales) qui ont
assuré 80%
de la poussée se détachent alors, tandis que les moteurs
cryogéniques
de
la navette produisent une accélération de 7 km/s pendant
plus de 6 minutes supplémentaires pour
amener
la navette à une vitesse de 26 700 km/h qui lui permettra
de s'insérer en orbite. Les boosters retomberont en mer, ralentis
par des parachutes, et seront récupérés
par bateau afin d'être réutilisés sur une navette
suivante, après un contrôle très poussé de
leur état de fonctionnement.
Pendant ce temps, Atlantis poursuit sa progression vers l'ISS qu'elle
atteindra sur son orbite à 343
km d'altitude après deux jours de voyage.
- L'orbite de la station a été réhaussée
de 5 km en vue de l'arrivée de Progress M63 et d'Atlantis.
Les moteurs du module
Zvezda sur l'ISS ont été allumé 118
secondes. Tous
les véhicules spatiaux sont dotés d'un moteur. Sur
l'ISS, il est situé du côté russe. L'ISS évolue
sur une orbite où il reste encore un peu d'atmosphère
qui freine légèrement la station et provoque une perte
d'altitude. Périodiquement, il faut donc la "remonter".
Afin d'économiser le carburant des moteurs embarqués,
les astronautes utilisent plutôt la navette ou un vaisseau
cargo pour effectuer cette manoeuvre environ une fois à une
fois et demie par mois. - Premier travail de ce premier
jour de vol avant l'ouverture des portes de la soute, photographier
le
réservoir
externe après
son détachement et avant sa désintégration dans
l'atmosphère au dessus de l'Océan indien. Rien d'anormal
n'est observé, les films du lancement montrent seulement 3
petits débris qui se détachent près de la conduite
LH1 juste derrière le tripod support avant, à T+ 2mn
13, au moment de la séparation des boosters. Aucun n'a apparemment
heurté l'Orbiter. -
Photo : La navette Atlantis décolle
du Centre spatial Kennedy de la NASA, à Cap Canaveral (Floride).
-
Le
samedi, à
l'approche de la Station spatiale internationale, le commandant
de bord ajuste sa vitesse et il effectue une pirouette arrière
afin de permettre aux astronautes de l'ISS de prendre des clichés
de la navette sous toutes ses coutures à la recherche d'éventuels
dégâts.
Ces images sont directement transmises aux ingénieurs
de la Nasa sur Terre qui recherchent de possibles dommages sur le
bouclier
thermique. Cette inspection permet
de constater qu'il n'y a qu'un décollement
du bord d'une couverture isolante sous la nacelle du moteur orbital
droit. Une inspection plus poussée de la zone endommagée
a lieu dans la nuit de dimanche à lundi au moyen des caméras
de la perche OBSS. Cette déchirure n'est pas située à un
endroit critique pour la rentrée atmosphérique. -
La Nasa avait minimisé les
conséquences
que pouvaient avoir eu le détachement de morceaux de mousse
isolante du réservoir
principal de la navette Columbia,
dont l'impact avait été à l'origine
de sa désintégration et
de la perte des sept membres de son équipage, lors de son retour
sur Terre en février 2003. Depuis, la Nasa décortique les
images du lancement, filmé sous
tous les angles de vue, fait procéder à des inspections en
orbite et a même prévu un kit de réparation dans l'espace
au cas où. -
Depuis l'intérieur de l'ISS, un cosmonaute dirige la manoeuvre d'arrimage de la navette. Les passagers débarquent par le sas en planant en apesanteur, se congratulent joyeusement avec les occupants de l'ISS. Pour la première fois, le commandant de bord de la station spatiale est une femme, l'Américaine Peggy Wilson. Peu après, Léopold Eyharts transfère son siège anatomique à l'autre extrémité de la station dans le Soyouz. - Il s'agit d'un véhicule habité permettant le transport de 3 personnes. Il est en permanence arrimé à l'ISS pour servir de « canot de sauvetage » à l'équipage en cas de grave problème, lui permettant ainsi de regagner la Terre. Le Soyouz attaché à l'ISS est changé tous les six mois environ. - Léopold Eyharts signale dans son exposé que les obstacles et débris qui flottent dans l'espace sont repérés à l'avance par la station de contrôle et de pilotage sur Terre, qui fait faire une manoeuvre d'évitement à l'ISS si nécessaire. Pour mémoire, il y a 18 000 objets de plus de 10 cm (micro-météorites et débris d'objets ayant explosé) et 2500 satellites en orbite dont les 2/3 ne sont plus opérationnels. Quand l'obstacle est vu trop tard, soit qu'il arrive trop vite, soit qu'il soit trop petit et qu'on ne l'ait pas vu à temps, on demande aux astronautes de se réfugier dans le Soyouz en attendant le choc. Ensuite, il faut effectuer des recherches pour savoir où a eu lieu l'impact et ce qui est endommagé. Léopold Eyharts rapporte qu'un appareil photo a été perdu il y a quelques mois par un astronaute en sortie à l'extérieur de l'ISS ! - Photo : Léopold Eyharts déjeune dans la navette Atlantis. © Esa/Nasa. -
Hans
Schlegel, le cosmonaute allemand acheminé en même temps
que Léopold
Eyharts,
a
souffert du
voyage (apparemment des problèmes intestinaux)
et la première
excursion spatiale (activité extra-véhiculaire ou
EVA) est reportée de 24 heures. Cette journée est
mise à profit
par les astronautes d'Atlantis et de la Station pour décharger
les équipements à bord de la navette et, inversement,
des équipements et des résultats expérimentaux
de la Station sont chargés à bord
de la navette pour leur retour sur Terre. Hans Schlegel doit
cependant se faire remplacer le dimanche,
et ce sont deux cosmonautes américains qui préparent
la sortie de Columbus de son habitacle dans la navette en vue de
son amarrage à l'ISS. -
Photo :
Le Canadarm2 transporte le module Columbus de la baie de la navette à sa
place au nœud Harmony.
-
Stan Love et Rex Walheim installent une sorte de poignée (une prise) sur Columbus pour que le bras robotique de l’ISS puisse s'en saisir. Le mardi 12 février, Leland Melvin, aux commandes du bras robotique, extrait les 13 tonnes de Columbus des soutes de la navette. Après plus d'1h30 de manoeuvre, le laboratoire est finalement fixé sur l'élément de jonction N°2 de la station par Leopold Eyharts qui effectue le boulonnage par ordinateur et toutes les connexions nécessaires. - Le "Node" 2 sert, tout comme Unity, à permettre le passage entre plusieurs parties de la station. Il reliera ainsi le laboratoire japonais Kibô, le laboratoire européen Columbus, le laboratoire américain Destiny, le "Centrifuge Accomodation Module" et des "Multipurpose Logistic Modules". - Après quoi, il s'équipe de lunettes et d'un masque chirurgical qui couvre sa bouche et son nez avant de pénétrer dans le module par un sas. Ces protections sont une précaution contre les particules et objets qui pourraient, en microgravité, flotter dans le laboratoire et blesser les astronautes. Une fois la ventilation activée, elles ne seront plus nécessaires.
Il
s'assure donc de la parfaite propreté de Columbus avant
de procéder
avec ses collègues aux branchements électriques,
de la climatisation, des conduites d'eau et informatiques à l'ISS.
Ils commencent aussi à y transférer des équipements
et des fournitures. Léopold
Eyharts montre qu'il ne faut que deux personnes pour
manipuler dans l'ISS (en apesanteur) une armoire (un rack) dont
le poids nécessiterait
20 personnes sur Terre.
L'installation du module Columbus constitue une nouvelle étape dans
la construction de la station spatiale internationale, immense laboratoire à l'initiative
de la Nasa, qui a pour ambition d'être une base pour observer la vie
en "micro-pesanteur".
Le premier élément de sa structure a été placé en
1998. L'ISS, habitée en permanence par deux ou trois astronautes, devrait être
achevée en 2011, après une quarantaine
de vols pour en acheminer les différentes sections.
A terme, elle fera la taille d'un terrain de football.
En
tout, trois sorties seront effectuées
pendant le séjour de Léopold Eyharts. La deuxième
a pour objet la maintenance de la station spatiale (le remplacement
du réservoir d'azote destiné au système
de refroidissement), qui
dure pendant 6 à 7 heures. Hans Schlegel (qui s'est rétabli)
doit préalablement,
avec Rex Walheim, passer la nuit dans la chambre de décompression
de l'ISS où ils purgent l'azote de leur organisme avant
de respirer l'oxygène
pur de leur scaphandre spatial, afin d'éviter des malaises
graves. Le NTA (Nitrogen Tank Assembly : réservoir d'azote)
vide est déboulonné et stocké sur le CETA
(Crew and Equipment Translation Aid) avant d'être attachés
sur le ICC (plate-forme "Integrated Cargo Carrier")
dans la soute pour être
ramené sur terre. Après restauration, il sera remonté sur
l'ISS. Une troisième et dernière excursion orbitale
a lieu vendredi, le 8e jour, pour installer à l'extérieur
de Columbus un observatoire solaire et un boîtier "EuTEF"
(European Technology Exposure Facility) contenant huit expérimentations
requérant une exposition
au vide et au rayonnement de l'espace. - Photo :
Le Canadarm2 transporte le module Columbus de la navette Atlantis à sa
place à l'élément de jonction n° 2 Harmony
sur l'ISS. -
L'ISS
tourne très vite sur son orbite autour de la
Terre : au cours d'une journée théorique de 24 heures,
il fait 15 fois jour et nuit ! Cela a pour corollaire un changement
de saison très
rapide : en Australie, février est un mois d'été alors
que le Canada est bien sûr en hiver, recouvert de glace et de
neige. Les astronautes n'ont que 10
à 20 secondes pour prendre une photo d'un endroit précis
sur Terre, et doivent donc se préparer à l'avance pour
ne pas la rater. En réponse à une question de Charlotte,
Léopold Eyharts lui confie
que la Terre est magnifique, vue de l'espace. C'est différent
de ce que l'on voit d'avion, et le passage est très rapide
: en deux minutes, on parcourt le trajet de Biarritz à Nice.
Eva, de l'école Sainte Marie
où Léopold Eyharts a étudié dans sa jeunesse,
s'interroge sur
l'organisation
de
son emploi du temps. Les astronautes travaillent en respectant une
journée théorique de 24 heures et l'ISS est au temps
universel de Greenwich. Ils effectuent leurs activités durant
8 à 10 heures par jour. Quand une navette arrive, l'emploi du
temps est perturbé et ils peuvent être amenés à travailler
plus longtemps. L'arrivée d'Endeavour
a provoqué
par exemple un décalage de 12 heures. Ils se reposent la nuit
(théorique)
et les week-ends. Pour dormir, il est nécessaire de s'isoler
car il y a beaucoup de bruit dans la station, produit notamment par
les ventilateurs.
Il faut mettre des boules Quies dans les oreilles, et s'introduire
dans un sac de couchage fixé à la paroi. La sensation
est très différente
de ce que l'on éprouve sur Terre car les muscles sont relâchés
en permanence, il est donc difficile de dormir. -
Photo :
L'ISS avec en arrière-plan la Terre. -
La
navette Atlantis - qui a été momentanément fixée à l'ISS
- repart au bout de 12 jours avec sept passagers, dont l'Européen
Hans Schlegel, tandis
que
Léopold
Eyharts demeure encore trois semaines dans
l'ISS.
Pour
contrer
les effets
de
l'apesanteur, il doit s'imposer de faire une heure et demie à deux
heures de sport par jour, soulever des poids, courir sur un tapis
roulant avec des sangles qui maintiennent son corps pour simuler
la pesanteur.
Avec d'autres cosmonautes, il contribue à des expériences
physiologiques : capacité respiratoire lors de séances
de vélo
ergomètre, prises de sang et d’urine, étude du
volume de ses mollets, tests d’audition, évaluation
psychologique et neurocognitive, réponses à un questionnaire
sur ses besoins nutritifs, étude de la façon dont le
cerveau gère les postures et les mouvements en micropesanteur
etc. Outre ces mesures effectuées dans l'espace, il a subi
un suivi médical très astreignant avant et après
le vol. Par la suite, il suffit d'un contrôle annuel,
pendant deux jours complets. - Photo :
L'astronaute européen Hans Schlegel termine des branchements
sur Columbus et remplace un réservoir d'azote pendant une
EVA de près de 7 heures (13 février 2008) -
Il ne s'y attarde pas pendant sa conférence,
mais en réalité
les incidences de la micro-gravité ou impesanteur peuvent être
très
importantes sur le corps
humain. Son épouse nous confie qu'elle a été atterrée
de l'état dans
lequel se trouvait Léopold à son retour, juste à la
sortie de la navette. Avachi sur un fauteuil roulant, il n'arrivait
même pas à tenir
sa tête
sur les épaules. En
effet, 20% des membres d'équipage de la navette spatiale et
80% de ceux de la Station spatiale internationale souffrent
de vertiges
et d'évanouissements lorsqu'ils
sont de nouveau soumis aux conditions de pesanteur qui règnent
sur Terre. Lorsque les astronautes
sont exposés aux conditions d'impesanteur, leur cœur n'a
pas à travailler aussi fort en vue d'assurer la circulation
du sang, il devient paresseux. Comme les conditions d'impesanteur masquent
les effets réguliers
de la gravité, le sang tend à s'accumuler dans la tête
et la poitrine, et le corps s'adapte donc progressivement à ces
conditions. Mais une fois de retour sur Terre, le système cardiovasculaire
des astronautes doit se réadapter à la gravité.
Le sang s'accumule donc dans les veines du bas du corps, ce qui réduit
la quantité de sang circulant vers le cerveau. Certains astronautes
se sentent étourdis tandis que d'autres perdent conscience en
raison du manque de sang oxygéné au cerveau. Par contre,
personne ne s'évanouit à l'envol.
L'ostéoporose
affaiblit
le squelette osseux qui perd de sa densité, tout particulièrement
au niveau des jambes et de la colonne vertébrale. La masse
musculaire fond et les muscles, en dépit
des exercices, répondent
moins bien. On
ne peut pas dire que les voyages dans l'espace font vieillir, dit
Léopold en réponse à une question, mais ils
provoquent une décalcification en l'absence d'une activité sportive
suffisante
: les effets de l'apesanteur sont comparables à ceux d'un
long séjour
alité dans
un hôpital. Les
cosmonautes récupèrent une bonne santé lorsqu'ils
sont de retour sur Terre. Recréer la gravité en faisant
tourner la navette, ainsi que cela a été suggéré dans
des livres et films de science fiction, serait d'une trop grande
complexité, nous explique-t-il. Il faudrait changer l'architecture
de l'ISS. Il y aurait une consommation électrique supérieure,
un problème de poids pour les mécanismes à acheminer
par navette ou fusée, et un problème de coût,
ce serait un investissement bien trop lourd. Cependant, il existe
des centrifugeuses à bord où sont
placées deux groupes de plantes afin de comparer leur pousse
par rapport à la surface de la Terre. Ce qui est étonnant,
parmi les observations botaniques faites dans l'ISS, c'est que
l'une des plantes étudiée
pousse en forme de spirale comme sur Terre : ce phénomène
semblerait donc indépendant de la gravité. Toutefois,
Léopold Eyharts avertit ses auditeurs qu'il n'est qu'un
opérateur,
un technicien, pas un biologiste, il n'est donc pas compétent
pour commenter les expériences qu'il a contribué à mettre
en route. Au départ,
il a reçu
une formation de pilote de l'air dans l'armée. Ses tâches
sur l'ISS, et notamment dans le laboratoire européen Columbus,
étaient donc effectuées en collaboration avec des équipes
sur Terre. - Photo :
Léopold Eyharts
dans l'ISS. -
Malgré ces
décennies de séjours
humains dans l'espace, sur
la Lune, MIR et l'ISS,
il semble
qu'aucune
solution véritablement efficace n'ait été trouvée
pour contrer ces effets néfastes. Je comprends mieux pourquoi
Léopold affirme que
les voyages habités vers Mars sont encore totalement inenvisageables
avant
un délai très long. Notre
seule expérience,
c'est le voyage jusqu'à la Lune, à 300 000
Km, effectué il y a 40 ans. Selon l'astronaute,
pour le prochain voyage, il faudra au moins attendre
que nous soyons capables de nous déplacer
dans l'espace beaucoup plus rapidement que
nous ne le faisons actuellement afin de réduire la durée
des trajets d'acheminement. Pour aller sur Mars avec les moyens
actuels, il faut 6 mois au minimum, pour un séjour sur place
de 6 mois à un an. En comptant le retour, cela fait au minimum
3 ans, pendant lesquels les spationautes sont totalement isolés
de la Terre, sans secours ni aide possible. Il est donc nécessaire
d'attendre l'invention et l'élaboration de systèmes
de propulsion beaucoup plus puissants qui permettent d'atteindre
Mars en 4 à 5 semaines.
Il faudrait assurer aussi de meilleures conditions d'installation
et de travail.
Les rapports
entre humains
en vase clos posent un problème important. Rester six mois
durant avec les mêmes personnes peut amener à des
antagonismes. Sur l'ISS, durant le séjour de Léopold,
ils ont d'abord été 10
astronautes, puis 3, puis de nouveau 10, il n'y a donc jamais eu
de tête à tête,
mais il estime que le nombre idéal est au minimum 6, de
préférence à 2 ou 3. Les astronautes
se connaissent tous : ils s'entraînent ensemble durant des
années.
Les conflits qui peuvent survenir ne sont pas fonction de la nationalité,
mais de la personnalité des astronautes. Toutefois, ils
ont la responsabilité de beaucoup de tâches qui les
occupent suffisamment pour qu'il n'y ait aucun problème
majeur, même pendant les vols
de longue durée. - Photo :
Observation par microscopie du bois de réaction dans une
tige en boucle. La zone de bois de réaction est située
au niveau de la ligne rouge (Photo: ASC). -
Récemment,
les Américains
ont abandonné le programme
lunaire et martien, jugé trop cher. Les Chinois en sont
au tout début de leur programme spatial. La construction de la
Station Spatiale Internationale a été envisagée
cela fait 20 ans, il s'agit donc d'un projet à
très long terme qui a été mis à l'abri
de tout aléa relatif à des changements d'orientation
politique. En 1995, un accord solide a été établi
entre les divers partenaires, ce qui est très difficile à obtenir.
Le cas de Columbus est particulier, car il s'est agi d'un contrat à coût
fixe avec l'industrie qui mettait à l'abri des dépassements
de budget, et les Européens ont volontairement choisi
un projet simple dont on possédait déjà le
savoir-faire, ce qui permettait de maîtriser
les coûts. Il en va différemment avec l'ATV (Automated
Transfer Vehicle) dont l'élaboration
subit une dérive des coûts liée à la
complexité du projet, car
on en est à son premier développement. Une
accession banalisée de tous les Terriens ne sera pas envisageable
avant quelques
centaines
ou
milliers
d'années... - Photo : Apollo
11, le 20 juillet 1969, permet à Neil Armstrong et Edwin "Buzz"
Aldrin de poser le pied sur
la Lune. -
Des problèmes de tous ordres se posent, et tout
d'abord au démarrage. Léopold Eyharts explique au jeune
Simon qu'il n'a rien vu au démarrage, puisqu'il était
dans la partie inférieure de la navette,
mais ceux qui se tenaient au poste de pilotage ont pu profiter d'un
beau spectacle. Cependant, durant les premières 8,5 minutes,
on ressent très fortement l'accélération
qui provoque une sensation d'écrasement. Le poids est multiplié par
1,5 à 3 sur
la navette. - Si l'on est acheminé en Soyouz, le poids est
multiplié
par 5 ou 6. - Pour le retour, l'effet est moindre. Le mal de l'air
arrive dans les premières heures et disparaît normalement
au bout de 24 heures. Ils
ont eu la chance, jusqu'à présent, de ne compter aucun
cas de maladie grave. Chacun
a suivi une formation médicale
et de réanimation, certains étant plus aptes que d'autres.
Maeva
demande à l'astronaute comment ils font pour aller
aux
toilettes
en
étant en
apesanteur (ce qui fait rire le public - mais chacun se posait
la question -). En effet,
tout
flotte
! Pendant le trajet en navette ou en fusée, ou bien pour les
missions
à l'extérieur
de
l'ISS qui peuvent durer de nombreuses heures, les astronautes portent
des couches-culottes. Le reste du temps, il faut utiliser une pompe
qui aspire. Il est bien sûr très important de ne pas salir
l'intérieur
de la Station. Ulysse s'interroge sur les déplacements. - On
fait comme les poissons, mais c'est un problème de ne pas avoir
d'appui, il faut donc s'accrocher les pieds, à l'intérieur
ou à l'extérieur de la navette selon le cas,
pour pouvoir effectuer des manipulations. Emilie demande dans quelle
langue on parle sur l'ISS : en anglais et en russe, Léopold
Eyharts ne connaît pas l'allemand. -
Photo : Enlèvement du réservoir d'azote. -
L'ISS n'est pas très éloignée de la Terre. Il est donc possible de téléphoner : il a pu ainsi souhaiter un bon anniversaire à ses neveu et nièce. Il peut aussi se pencher à la fenêtre et regarder la Terre : il passe de la Chine au Brésil en quelques minutes. L'impression d'éloignement est bien plus accentuée lorsque l'on est sur la Lune, et a fortiori sur Mars, où la Terre n'apparaît plus que comme un point faiblement lumineux dans le ciel. En ce qui concerne les repas, il avoue à Ketty qu'ils sont un peu monotones, une fois qu'on a effectué le premier cycle de repas américain, russe, français, japonais. Les produits frais sont rares, ils sont apportés par navette en petite quantité. La plupart du temps, il mange des produits lyophyllisés ou en conserve. Il faut prendre garde à manger proprement, pour que les miettes ou les gouttes ne planent pas à l'intérieur de la Station. Se pose aussi le problème de l'eau : elle est apportée à bord par navette dans des sacs spéciaux, mais elle est volumineuse et c'est un poids supplémentaire, sans parler du prix d'acheminement. Elle arrive aussi à bord des vaisseaux cargo russes, de l'ATV européen ou de l'HTV, véhicule spatial automatique de transfert de fret de l'agence spatiale japonaise JAXA lancé pour la première fois le 11 septembre 2009 (après le séjour de Léopold Eyharts). Une autre source provient de l'ISS elle-même. Son énergie est fournie par des panneaux solaires qui la stockent dans des piles à combustible dont le fonctionnement donne comme sous-produit de l'eau. Celle-ci est récupérée et transférée à l'intérieur de la station.
A
l'aide d'un ordinateur intégré au laboratoire Columbus,
Léopold Eyharts commande sa mise en service et l'installation des premières expériences,
comme par exemple la plantation de graines et l'observation de la
croissance de plantes hors gravité. Durant les 4 semaines qui
précèdent
l’arrivée
d’Endeavour (la navette du retour), il poursuit sa mise en route
en se consacrant notamment aux
modules Biolab (biologie) et FSL (physique des fluides). Il active également
le spectromètre franco-belge
Solspec destiné à mesurer la radiation solaire de l’ultraviolet à l’infrarouge
tandis que sont réalisées les premières
images de la Terre de la plate-forme expérimentale EuTEF, installée à l’extérieur
de Columbus. Installées sur une paroi de
la station, 2 expériences d’exobiologie,
Process et Amino, permettront d'étudier comment se comportent
certaines molécules
lorsqu’elles sont soumises au rayonnement solaire dans l’espace.
Léopold Eyharts explique à Margot que ces expériences
sont faites dans le cadre de la recherche fondamentale, ou bien pour le très
long terme. Les répercussions les plus immédiates se produisent
dans le domaine de la médecine,
pour comprendre par exemple l'origine des troubles de l'équilibre.
Ces expériences
scientifiques ne sont pas l'unique objectif de l'ISS : la Station permet
d'apprendre à vivre et travailler dans l'espace, de façon à pouvoir
aller plus loin dans l'avenir. On en est encore à "l'âge
de pierre" de l'exploration
spatiale, déclare-t-il. - Photo : Détail
de EXPOSE-R destiné aux expériences d'exobiologie. -
Le
13 mars 2008, après avoir opéré une
pirouette pour se faire aussi examiner sous tous les contours, la navette
spatiale Endeavour
s'amarre à la
Station spatiale internationale avec un nouvel équipage de sept
astronautes pour effectuer la mission STS-123. Dans les heures qui suivent
cet amarrage, Léopold Eyharts, à bord
de l’ISS depuis le 10 février, échange sa couchette
anatomique à bord du vaisseau Soyouz avec celle de son successeur à bord
de l’ISS, l’astronaute de la NASA Garrett Reisman. Cet échange
marque son transfert officiel de l’équipage
permanent de l’ISS à celui de la mission STS-123. Au cours
des douze jours durant lesquels Endeavour reste amarrée à l’ISS,
il continue à travailler sur le module européen
Columbus, mais il apporte également son soutien aux cinq sorties
dans l’espace prévues, en tant qu’opérateur du
bras robotique de la Station, aux côtés de Garrett Reisman
et de Bob Behnken, autre spécialiste mission de la NASA. Ensemble,
ils ajoutent le premier élément du laboratoire japonais Kibô à l’ISS – le
module pressurisé (JLP) – et contribuent à l’assemblage
et à l’activation du robot canadien à deux bras, SPDM
(Special Purpose Dextrous Manipulator), également
dénommé « Dextre », qui prend place au bout
du bras de la Station et pourra être commandé de l’intérieur
de celle-ci, voire depuis le sol, pour effectuer des travaux en extérieur
qui auraient normalement nécessité la sortie d’astronautes
dans l’espace.
Ils
installent également un
module logistique baptisé Experiment Logistic Module-Pressurized
Section (ELM-PS) qui servira essentiellement au stockage de matériels.
- Photo : Le transporteur de fret européen ATV arrimé
à l'ISS. -
Par
ailleurs, l’ESA continue à participer
activement à l’exploitation
de l’ISS. Le 3 avril 2008, elle procède à l’amarrage,
sur le côté russe de l'ISS, de son premier véhicule
de transfert automatique, l’ATV « Jules
Verne » qui a été lancé par la fusée
Ariane depuis Kourou en Guyanne. Il est conçu
pour effectuer le ravitaillement (livraison à la station du fret,
des ergols, de l’eau, de
l’oxygène) et
le rehaussement d’orbite de l'ISS, mais ne peut pas acheminer de
passagers. Il marque l’entrée
de l’ESA dans le club fermé des partenaires capables d’accéder
par leurs propres moyens au complexe orbital, en aller simple, puisqu'il
brûle à son retour en septembre 2008, lors de l'entrée
dans l'atmosphère au-dessus
de l'océan pacifique Sud. L'ESA envoie d’autres
expériences scientifiques par
navette ou Soyouz qui sont réalisées à l’intérieur
du laboratoire Columbus, conçu pour effectuer une centaine
d’expériences
par an pendant dix ans, dans tous les domaines de la recherche : biologie,
exobiologie, physiologie humaine, physique des fluides, physique fondamentale,
technologie et héliophysique. D’autres éléments
européens sont également en préparation en vue de
leur lancement vers l’ISS au cours des prochaines années :
bras télémanipulateur européen (ERA), élément
de jonction n° 3 et coupole d’observation. -
Photo : L'ATV s'approche de l'ISS (ESA 512). -
Léopold
Eyharts regrette que les Etats-Unis interrompent la construction des navettes
spatiales. Il rappelle le projet de l'avion
spatial Hermès qui avait été engagé à l'initiative
de François Mitterrand
en 1981 et dont les études avaient été entreprises
par l'ESA (l'agence spatiale européenne) de 1985 à
1992. Il fut interrompu et c'est dommage, commente-t-il.
L'Europe ne participe qu'à hauteur de 8% au programme de l'ISS,
ce qui signifie qu'il n'est possible d'y envoyer un astronaute qu'une fois
par an ou tous
les dix-huit mois. Elle n'est pas en bonne position, et en plus, le programme
de la navette américaine s'interrompt, ce qui signifie que l'accès à l'ISS
ne pourra plus se faire qu'avec les Soyouz russes. A l'horizon 2020, l'Europe
ne possède que l'ATV qui n'a qu'une fonction de transport logistique,
mais pas de personnes. Qui plus est, il amène mais ne ramène
pas : il n'est pas prévu pour résister au choc de l'entrée
dans l'atmosphère. L'ESA projette
de fabriquer une capsule, puis un véhicule habité. -
Photo : Atterrissage de la navette Atlantis. -
Comment
devient-on spationaute ? Léopold répond
à Cathy qu'il a eu la vocation vers 10-12 ans, quand il a vu un
homme marcher sur la Lune (c'était
les débuts
de la télévision). Il construisait des maquettes
de fusées avec son frère. Il a la chance de pouvoir réaliser
son rêve.
Pour devenir spationaute, il faut tout d'abord en avoir vraiment envie. Il
faut une très forte motivation. Ensuite, il est indispensable de suivre
une carrière scientifique et technique, quelle qu'elle soit. On se choisit
donc un premier métier, pilote, ingénieur, médecin. Exceptionnellement,
une institutrice, Christa McAuliffe, avait été sélectionnée
car en devenant astronaute, elle exerçait une fonction
pédagogique et suscitait des vocations scientifiques : malheureusement,
elle est décédée lors de la désintégration
de la navette spatiale Challenger au cours du décollage le 28 janvier
1986. Il faut compter 1,5 à 3
ans de formation spécifique. - Léopold
Eyharts a suivi un entraînement
pendant 3 ans pour effectuer cette mission sur l'ISS. - Il faut bien sûr
avoir
également une excellente santé, et maîtriser les langues étrangères
(anglais et russe). Lors de la dernière sélection de l'ESA, l'an
dernier, sur 9 000 candidats, 6 ont été retenus, après
avoir subi plusieurs mois de tests ! Il faut rédiger des dossiers, subir
des tests psycho-techniques, médicaux, des
entretiens. Au début des vols habités, c'était une expérience
extraordinaire. Depuis 40 ans qu'ils se pratiquent, ils se sont banalisés,
d'autant plus qu'un vol sur la Lune offre bien plus d'impressions que sur l'ISS,
où la Terre est
relativement proche, simplement un peu plus éloignée que depuis
un avion de ligne. Sur la Lune, ce n'est pas du même ordre, et il y aura
encore un saut lorsque les vols s'effectueront vers Mars. -
Photo : Jeannine Eyharts devant les maquettes réalisées par ses fils lorsqu'ils
étaient jeunes
adolescents. -
L'envoi d'êtres humains dans l'espace et les expériences que l'on réalise sur eux lorsqu'ils sont dans la Station Spatiale Internationale font l'objet de réflexions approfondies au sein de comités d'éthique. L'espace est utilisé tous les jours, par exemple pour les communications par satellite. Il existe des débats sur l'utilité de ces vols, sur le plan économique, juridique, écologique. En ce qui concerne Léopold Eyharts, bien sûr, il croit profondément à l'importance de séjourner et voyager dans l'espace... - Photo : Nasa, Apollo 8, 24 décembre 1968, lever de Terre. -
Léopold Eyharts et sa famille, l'association Astronomie Côte Basque, Didier Borotra, maire de Biarritz | Le rêve de Léopold |
vendredi 26 mars 2010 |