Etre humain, qu'est-ce que cela signifie ? Est-ce qu'une personne, atteinte de démence (*) car elle souffre de la maladie d'Alzheimer, perd de ce fait sa qualité d'être humain ? Quel comportement adopter, face à une personne qui a perdu la faculté de communiquer ? Cela signifie-t-il qu'elle a perdu toute capacité de réflexion, toute sensibilité ? La famille doit-elle culpabiliser de confier le ou la malade à un établissement spécialisé ? Est-il préférable de le ou la garder dans son environnement familier ?

(*) En médecine, affaiblissement psychique profond, global et progressif qui altère les fonctions intellectuelles basales et désintègre les conduites sociales.

Bernard Caupenne, médecin coordinateur à la maison de retraite Egoa de Bassussarry, anime depuis trois ans des réunions d'information sur la maladie d'Alzheimer à l'attention des familles des malades et du public. A ses côtés, se tiennent Jean-Louis Belmar, directeur de l'EHPAD (Etablissement d'Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes), Mme Faure, infirmière, et Katia Crabe, géronto-psychologue. Sept femmes sont venues l'écouter, six d'entre elles ayant leur mère atteinte de cette affection. L'une d'elle raconte que sa mère semblait mourante il y a trois ans, et pourtant, elle vit toujours. Une autre constate que sa mère a conservé sa personnalité anxieuse et solitaire, et elle félicite les membres de l'établissement d'Egoa de ne pas la forcer.

En préambule, Bernard Caupenne indique que cette réunion a pour thème la maladie d'Alzheimer. Il veut apporter son soutien aux "aidants" et leur offrir l'opportunité de poser des questions sur ces problèmes de démence et d'évolution de la maladie. Il veut aussi expliquer ce qui est fait pour ces personnes en fin de vie, pour ces résidents qui ont pour spécificité d'avoir du mal à s'exprimer et à dire leurs besoins.

En premier lieu, il expose le cadre législatif. Il se compose de trois lois.

La loi n° 99-477 du 9 juin 1999 vise à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs. C'est une grande première pour la France. Elle spécifie dans son Titre Ier - Droits de la personne malade : Art. L. 1er A. - Toute personne malade dont l'état le requiert a le droit d'accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement. Art. L. 1er B. - Les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage. Art. L. 1er C. - La personne malade peut s'opposer à toute investigation ou thérapeutique.

La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 est relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Elle met en avant la nécessité d'informer les patients sur leur pathologie. Cette volonté de transparence, nous dit Bernard Caupenne, est une arme à double tranchant. En effet, la levée du secret médical a permis aux assurances d'avoir accès au dossier médical et de refuser, dans certains cas, de verser aux ayant-droit des indemnités après le décès du patient, arguant du prétexte que son mal était "hors couverture". C'est un effet pervers.

Il évoque l'affaire Vincent Humbert. Devenu aveugle, muet et tétraplégique, suite à un accident de la route en 2000, ce jeune pompier bénévole de 21 ans avait gardé toute sa lucidité, sa capacité d'audition et la mobilité d'un pouce. Il a ainsi pu faire rédiger en son nom une lettre en 2002, adressée au président de la République et lui demandant le droit de mourir. Sa mère et un médecin finissent par l'aider en 2003, ils sont incarcérés, mais le procès se solde par un non-lieu en 2006. Entre temps, ce cas a démontré la nécessité de réviser le droit, ce qui est fait avec la promulgation de la loi Leonetti du 22 avril 2005 dont voici quelques extraits ci-dessous.

Article 1er. ...« Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l’article L. 1110-10. »

Article 2. ...« Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer le malade, sans préjudice des dispositions du quatrième alinéa de l’article L. 1111-2, la personne de confiance visée à l’article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un des proches. La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical. »

Article 5. ...« Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6 ou la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d’arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical. »

Article 6. ...« Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, décide de limiter ou d’arrêter tout traitement, le médecin respecte sa volonté après l’avoir informée des conséquences de son choix. La décision du malade est inscrite dans son dossier médical. Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins visés à l’article L. 1110-10. »

Bernard Caupenne résume ces mesures en disant que la mort est de nouveau considérée comme un phénomène naturel, qu'il convient de ne pas retarder "par une obstination déraisonnable" (ce que l'on appelle communément "l'acharnement thérapeutique"). Il convient au contraire de privilégier le confort et la qualité de vie du patient. En conséquence, le malade est informé de tout, il a le droit de refuser un traitement ou de l'interrompre. Le malade retrouve la faculté de choisir les orientations de sa propre vie, décision qui, encore récemment, était seulement du ressort des médecins. Cette loi permet d'inciter le corps médical à engager le malade à prendre des dispositions anticipées et à donner des directives anticipées. C'est surtout possible dans le cas neurologique, et non dans le cas d'une hospitalisation où l'on ignore au préalable quelle maladie on a. S'il est fait un diagnostic de démence programmée, le malade peut déterminer à l'avance ses choix, dans les trois ans qui précèdent une situation délicate (par exemple, trois ans avant un comas qui dure 4 ou 5 ans). Le malade peut aussi choisir une personne de confiance (dans sa famille ou bien parmi son entourage, ou un médecin) qui pourra prendre les décisions s'il en est dans l'incapacité. Cette personne aura moins de force que des directives anticipées qu'il aurait émises, mais le corps médical a l'obligation de la consulter.

C'est une très bonne loi, nous dit-il. Le malade peut ainsi demander d'interrompre tout traitement, des perfusions, tout ce qui ne passe pas par la bouche. Inversement, le médecin n'est plus obligé de faire de la surenchère. Toutefois, il a le devoir d'assurer le confort et l'accompagnement du malade. Ces décisions doivent être prises dans la transparence et la collégialité, que ce soit la poursuite ou l'arrêt des traitements. Tout le personnel soignant doit être interrogé, tout doit être consigné (tracé) dans un registre et expliqué. La loi est très claire. Elle donne aussi le droit de donner des médicaments pour soulager la souffrance, même si ceux-ci risquent d'abréger la vie du patient, dans le cas de traitements puissants. Par exemple, le médicament Hypnovel endort immédiatement et procure l'amnésie des situations difficiles qui ont nécessité son administration (cancer du poumon avec asphyxie intermittente, maladie de la carotide, donnant la sensation de crises cardiaques...). Lorsque l'effet de ce médicament se dissipe, le malade ne se souvient plus du problème qui a induit son administration.

Bernard Caupenne mentionne aussi le cas de Nicolas Bonnemaison, soupçonné d'euthanasie active et suspendu de ses fonctions. Xavier Bertrand a pris cette décision à la suite du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur l'établissement hospitalier de Bayonne, qui a étudié les dix-neuf dossiers de patients décédés qui avaient été pris en charge par le médecin urgentiste. Après leur étude, l'Igas a signalé aux autorités judiciaires qu'un dossier "comportait explicitement la mention d'une administration de curare au patient, en dehors des indications habituelles". M. Bertrand et Mme Berra précisent qu'aucune société savante n'indique l'administration de curare comme méthode de sédation. "Or seule une méthode de sédation pouvant avoir pour effet d'abréger la vie est autorisée par la loi du 25 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie". Bernard Caupenne indique que, normalement, le curare n'est utilisé que pour les anesthésies. En ce qui le concerne, il utilise beaucoup la morphine, un médi

 

Jean-Louis Belmar, directeur EHPAD Egoa de Bassussarry - Dr Bernard Caupenne, médecin coordinateur de l'EHPAD Egoa
Préserver la dignité humaine
25 novembre 2011