Un
bolide traverse la jumelle à la verticale et nos cris s'entremêlent
: qu'est-ce que c'est, vous avez vu ? J'ai cru qu'il m'arrivait droit
dessus
! Perchés sur un rocher au-dessus du vide, nous assistons à
un festival de voltige impressionnant. Le temps est beau, clair, mais
le
vent violent
force les vautours à des acrobaties
époustouflantes dans un ravin dont la falaise en face de nous
est une véritable pouponnière.
Où
que nous portions le regard à travers la lunette dressée
sur un trépied,
ou bien avec les
jumelles, en nous postant bien stables, assis de préférence,
pour ne pas risquer
de basculer sous les rafales, nous observons des vautours installés
sur d'étroites corniches qu'ils ont recouvertes de
paille et de fines brindilles. Qui l'eut cru ? Ces grands rapaces
nécrophages font preuve d'une tendresse manifeste à l'égard
de leur rejeton annuel unique.
Je
vois un adulte se redresser sur le nid en frissonnant pour tourner
dans notre direction
un regard inquiet, imité instantanément par le poussin
encore tout duveteux. Puis, constatant sans doute que notre agitation
ne semble
pas dangereuse,
il se retourne vers la paroi, reposant son long cou sur celui du petit
qu'il caresse d'un frottement doux pour le rassurer. -
Photos : Peñas d'Itsusi. Vautour fauve pattes pendantes. -
Cet
instinct maternel avait été reconnu très tôt
par les Egyptiens. La déesse Mout (la Mère) se muait
en vautour pour veiller sur les hommes et leur redonner vie. La déesse
Nekhbet de l'Egypte méridionale était représentée
par une tête de vautour sur le diadème
du pharaon, et sur les parois des temples ou des tombeaux, elle étendait
ses ailes protectrices. Chez
les Aztèques, Quetzalcoatl, le dieu de l'air, qui présidait
au commerce et dont le nom signifiait "le serpent à plumes",
avait pour
attributs les quatre éléments représentés par
un épis de maïs (la terre),
un poisson (l'eau),
un lézard (le feu) et
un vautour (l'air). - Illustrations : Egypte ancienne,
déesse Nekhbet. -
En
réalité, le couple de vautours, stable
durant plusieurs années,
effectue toutes les tâches en commun après
avoir accompli
son vol nuptial dès le mois de décembre
ou janvier, pendant lequel les deux oiseaux évoluent gracieusement
de concert, très proches l'un de l'autre (vol synchronisé),
parfois en compagnie d'autres couples. Le mâle et la femelle
construisent le nid, couvent
l'oeuf
à tour
de rôle
pendant
près
de
deux
mois,
gardent
et
nourrissent
ensemble
le jeune durant plus de trois mois. Sur sa falaise, celui-ci risque tout
autant l'insolation que le froid, et l'adulte s'évertue à l'ombrager
de son corps et à l'abriter
de la pluie en étendant ses ailes au-dessus de lui.
Depuis
leur protection,
les vautours se sont
bien
multipliés au Pays basque
et Dimitri
Marguerat,
notre guide
naturaliste, a moins de scrupule à nous guider sur un de leurs
sites de reproduction aux Peñas d'Itsusi, malgré la
gêne
que notre présence
ne manque pas de leur procurer. - En basque, Itsusi signifie "vilain" voire "affreux".
Itsusiko
harriak veut donc dire "les vilaines roches". Cette étymologie
illustre parfaitement l'évolution de la perception du
paysage et des montagnes dans nos mentalités.
Les
anciens bergers ne voyaient dans ce site
que le ravin dans lequel leurs bêtes
risquaient de se précipiter, mues
par une peur soudaine et irraisonnée, alors qu'aujourd'hui, les
citadins que nous sommes le trouvons magnifique -. Partis
d'Itxassou, nous avons emprunté la
route du Pas de Roland encore calme
à cette époque de l'année pour monter
en voiture jusqu'au col des Veaux, non loin de l'Artzamendi (orthographié
Mont
Hartza ou Harcea, montagne de l’ours, dans les archives communales
d'Itxassou du XVIIIe siècle). Depuis le col, les Peñas
sont des montagnes "en creux", et nous
descendons le sentier pour rejoindre leurs crêtes qui dominent
le précipice
que forment ces falaises
jusqu'à la
vallée encaissée où se blottit une ferme. -
Illustration : Mexique, Aztèques, dieu Quetzalcoatl. -
Géologiquement,
elles sont constituées de grès permotriasiques,
faits d’un sable cohérent aggloméré par un
ciment, formés entre la fin de l’ère primaire (le
Permien, où se sont développés les reptiles et qui
s'achève par la troisième et la plus grande extinction d'espèces
vivantes dans l'histoire de l'évolution
de la vie sur Terre - caractérisée par la fin des ammonites)
et le début de l’ère secondaire (le Trias, où sont
apparus les dinosaures et qui se
termine par la quatrième et avant-dernière grande extinction).
A ce jour, on n’a pas relevé leurs
traces au Pays basque, mais on peut
trouver sur des dalles de grès de la Rhune des empreintes de fougères
qui furent très abondantes au Permien, au cours duquel presque
tous les continents étaient réunis en un seul, la Pangée. A
titre anecdotique, à cette
époque apparurent les cynodontes (dents de chien), appartenant
au groupe des therapsida (aussi
connus sous le nom de "reptiles
mammaliens").
Au Permien,
ils se nourrissaient de poissons et au Trias, ils pouvaient se nourrir
de petits cœlophysis (dinosaures carnivores). Ils pondaient
des œufs et à la naissance des petits, la femelle cynodonte
les allaitait. - Photos : Le torcol
fourmilier. -
Presque
toutes ces espèces disparurent en même
temps que les dinosaures, sauf quelques rares qui évoluèrent
pour aboutir aux mammifères.
Dans l'Hérault (Pyrénées orientales), sur la commune de Mérifons
près
du Lac du Salagou, des terres rouges, ou ruffes,
datent de la fin de l'ère primaire, soit environ 250 millions
d'années.
Des filons de calcaires blancs irriguent l'épaisse couche d'argile
et de grès en ce lieu où se trouvaient des lagunes. Une
importante vie reptilienne animait collines et vallons
du
lodévois.
Les géologues ont découvert une petite dalle paléontologique
sur le site de la
Lieude où ils ont recensé un
millier d'empreintes de pas de reptiles thérapsides datant du
permien supérieur. - Photo : Vautour
fauve. -
Dès
les premiers pas, près de la Venta Burkaitz, nous voyons dévaler
deux chevreuils en rut qui se poursuivent belliqueusement.
Là, ils descendent, mais je suis sûre qu'ils seraient
capables de monter
à la même vitesse et j'envie leur aisance. Avant de le
chercher pour nous le montrer sur les Peñas d'Itsusi, Dimitri
nous explique pourquoi le monticole (merle) bleu a éveillé son
intérêt.
Il s'agit d'un oiseau thermophile, méditerranéen,
sédentaire, qui voit sa population régresser en Provence.
Il
y a dix ans, il a découvert pour la première
fois sa présence au Pays
basque
où, au
contraire, son nombre s'est accru. Sans doute le potentiel
alimentaire
était-il meilleur, et ne trouvait-il pas de concurrence sur
les rochers escarpés et les falaises qu'il affectionne.
Sa
venue est une illustration d'un réchauffement climatique qui
se manifeste également
par la migration vers le Nord d'espèces végétales
méridionales. Autre
nouveauté, Dimitri a entendu chanter des cigales l'été dernier à Iraty.
- Photo : Pinson des arbres. -
Pendant qu'il parle, Dimitri réussit toujours à avoir
une oreille qui
écoute les oiseaux alentour. Il s'interrompt soudain et nous
dit qu'il a repéré un torcol
fourmilier. Celui-ci doit
son nom à sa curieuse façon de tordre
le cou et tourner la tête en tous sens, particulièrement
durant la parade nuptiale ou pour inquiéter un prédateur,
mouvement qu'il accompagne alors d'un sifflement imitant celui d'un
serpent. Bien qu'appartenant à la
famille des pics, son apparence est plus proche de celle des passereaux.
Il est plus petit que la grive avec un port plus vertical. Son
petit bec ne lui permet pas de creuser lui-même un trou et il utilise
les cavités
existantes pour nicher. Dimitri brandit
son appareil numérique dont le son est au maximum et, sans tarder,
l'oiseau
arrive furieux pour déloger l'intrus que, bien évidemment,
il n'arrive pas à identifier. Il chante à qui mieux mieux
pour le chasser et Dimitri s'empresse d'éteindre son outil diabolique
pour ne pas le rendre fou. - Schéma : Carte
géologique. Photo : L'Irubela derrière une crête
d'Itsusi. -
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Dimitri Marguerat, guide naturaliste, avec un groupe | Peñas de Itsusi |
1er avril 2011 |