Cette affaire n'est pas très nette, et le doute subsiste pour chacune de ces assertions. Conrado Rodríguez, directeur de l'Institut Canarien de Bioanthropologie, demande en vain depuis 1976 le rapatriement d'une momie guanche en très bon état de conservation qui se trouve à Madrid. Il pourrait peut-être faire ainsi des analyses génétiques qui permettraient d'affiner la détermination de la provenance des Guanches et, éventuellement, analyser la population canarienne actuelle pour connaître le degré de permanence de ces caractéristiques. Il faut savoir que les Canaries avaient un climat propice pour provoquer des momifications naturelles, mais les Guanches utilisaient des techniques de momification pour enterrer des individus appartenant à certaines élites sociales. Ces momies furent l'objet d'expoliation dès le XVIe siècle. Le scientifique regrette l'absence d'une législation universelle qui permette la dévolution des restes historiques à leur lieu d'origine. Six momies guanches et des centaines d'ossements qui se trouvaient au Musée de Londres ont été transférés en un lieu inconnu. Une importante collection de vestiges guanches du musée ethnologique de Berlin a été détruite par les bombardements de la seconde guerre mondiale. - Photos : Le village de Igueste de San Andrés - Dattes sauvages. -

La dispersion de ces restes dans des pays étrangers est due à l'émergence, au XIXe siècle, de l'anthropologie physique. Les scientifiques cherchaient alors un lien entre les Guanches et l'homme de Cromagnon. Berthelot envoya quelques crânes à Paris. Les anthropologues allemands Eugène Fischer et Ilse Schwidetzky se rendirent sur place respectivement dans les années 1930 et 1950 pour effectuer leurs études qui, bien qu'elles ne fussent pas racistes ni inspirées de l'idéologie nazie comme on l'a suspecté, s'attachaient cependant à déterminer les caractéristiques de la "race" guanche. Alors que cette population semblait composite (caucasoïde, berbère, arabe...), la chercheuse réduisit ces origines à deux sources, méditerranoïde et cromagnoïde. D'après d'autres études basées sur la comparaison des groupes sanguins (García Talavera et autres), il existe une proportion élevée du groupe sanguin 0 (supposé majoritaire chez les guanches) dans la population canarienne actuelle. C'est aussi le cas des Touaregs du Hoggar et des berbères de Ait Haddidu du Haut Atlas. De même, l'analyse du matériel génétique de la population canarienne actuelle (Cavalli-Sforza et autres), revèle qu'il existe aussi des similitudes avec les berbères modernes nord-africains. - Photo : Figuier de Barbarie, cactus raquette, Opuntia dillenii (plante invasive) en provenance d'Amérique tropicale. -

Quoi qu'il en soit, il n'en est pas moins vrai qu'il existe une résistance réelle doublée d'une certaine hostilité face à l'invasion que subit Tenerife. Les "natifs" craignent une concurrence exacerbée pour trouver du travail, ainsi qu'une crise de l'eau. Le discours est parfois carrément xénophobe, non seulement à l'égard des étrangers, mais aussi des Espagnols de la péninsule. Bien sûr, certains politiques, démagogues ou sincères, s'en saisissent pour s'opposer aux dirigeants en place. Ces problèmes ne datent pas d'hier. Après la prise du pouvoir en 1496, il s'est produit dès le XVIe siècle un mouvement de masse pour coloniser et repeupler l'île, avec l'arrivée d'immigrants en provenance des divers territoires de l'Empire espagnol alors en pleine croissance (Portugal, Flandres, Italie, Allemagne). Les forêts de pin canarien ont été progressivement éclaircies pour pratiquer l'agriculture pour la consommation locale et l'exportation. - Photo : Strates de laves au Nord de Santa Cruz. -

Les Espagnols essayèrent d'abord la canne à sucre avant de passer à la vigne et la banane. La culture de cette dernière a commencé dans les jungles tropicales chaudes et humides du Sud-Est asiatique, entre l'Inde et la Malaisie. Elle arrive à Madagascar et de là, se propage le long des côtes méditerranéennes. Elle est introduite aux Canaries depuis la Guinée équatoriale par des explorateurs portugais. - Le mot banana vient du Bantou et est sans doute dérivé de l'arabe banan qui signifie " doigt, orteil " -. L'Histoire considère que, une fois la culture bien implantée dans les îles, les Espagnols l'auraient introduite sur le sol américain pendant les voyages de colonisation du Nouveau Monde. - Photo : Bananeraie. -

Au cours de nos pérégrinations sur l'île, nous sommes frappés par l'étendue de ces exploitations encloses dans des murs de pierre ou de toile, ou bien dans des serres. Le mauvais temps de la première quinzaine de mars et les très fortes rafales de vent ont causé par endroits de grands dégâts, des feuilles sont déchiquetées sur des hectares et certains pieds dépérissent. En effet, en raison de leur origine, ces plantes apprécient une hygrométrie élevée (60 à 90% d'humidité dans l'air) et un bon ensoleillement mais craignent les vents et les variations brusques de température, y compris entre le jour et la nuit. Les bananes figurent parmi les fruits les plus consommés à travers le monde et constituent la quatrième plus grande culture mondiale après le riz, le blé et le maïs, apportant une contribution majeure à la sécurité alimentaire. Toutefois, dans la plupart des pays producteurs, elles sont exclusivement destinées aux marchés nationaux et parfois régionaux, avec à peine 21% de la production mondiale écoulée sur les marchés internationaux. Seul un nombre limité de pays producteurs de bananes est engagé dans le commerce international de bananes contrôlé à 80% par cinq grandes multinationales (Dole, Del Monte, Chiquita, Fyffes et Noboa). Ces dernières années cependant, leur pouvoir a été éclipsé par celui des grandes chaînes de distribution sur certains grands marchés européens, notamment le Royaume-Uni. En 2008, près de 10,5% des bananes consommées dans l’UE étaient produites au sein de l’UE (îles Canaries, Guadeloupe, Martinique, Madère, Açores, Algarve, Crète, Laconie et Chypre) et environ 18 pays étrangers produisent actuellement des bananes à destination du marché de l’UE.

Au niveau mondial, en 2007, les bananes "biologiques" et "commerce équitable" représentaient 14,5% des exportations mondiales de bananes. Sur certains marchés européens, cette tendance est encore plus prononcée, ce créneau représentant 30% de la consommation totale de bananes du Royaume-Uni et 60% en Suisse. Les Canaries, à l'instar des Antilles, se sont engagées depuis 2000 dans cette niche commerciale lucrative : les produits phytosanitaires sont passés de 10 kilos par hectare à 4,3 kilos (10 fois moins qu'au Costa Rica), soit une chute de 60 %. Le plan "banane durable" a fixé une nouvelle réduction de 50 % des pesticides d’ici 2013. Toutefois, le problème de l’épandage aérien reste entier puisqu’il devrait disparaître à terme mais pas avant plusieurs années. - Photo : Mangues. -

Inversement au circuit d'introduction de la banane, après avoir vaincu les Aztèques, les Espagnols importent aux Canaries la cochenille, insecte (Dactylopius coccus) en provenance des régions andines désertiques et du Mexique, qui se nourrit et se reproduit naturellement sur les figuiers de Barbarie (Opuntia ficus-indica) introduits en même temps, et dont on extrait le rouge carmin (qui fut utilisé en peinture par Michel-Ange et retrouve aujourd'hui un regain d'intérêt comme colorant alimentaire naturel mentionné E120 sur les étiquettes, devant la défiance croissante du consommateur à l'égard des produits chimiques). La méthode de production contrôlée utilise de petits paniers nommés 'nids Zapotec' et placés sur le cactus hôte. Ces paniers contiennent des femelles propres et fertiles qui quittent le nid pour s'installer sur le cactus en attente de leur insémination par les mâles. Les cochenilles doivent être protégées des prédateurs, du froid et de la pluie. Le cycle complet dure trois mois durant lesquels le cactus est gardé à une température constante de 27°C (il faut donc des serres climatisées). - Photo : Nids Zapotec sur un cactus hôte Opuntia ficus-indica. -

A la fin du cycle, les nouvelles cochenilles sont prêtes à commencer leur cycle ou sont séchées pour la production du colorant. Les pyrales (Lépidoptères), les coccinelles (Coléoptères), des Diptères comme les Syrphidae et les Chamaemyiidae, les chrysopes (Neuroptères) et les fourmis (Hyménoptères), ainsi que de nombreuses guêpes comptent parmi leurs prédateurs. Il faut y ajouter de nombreux oiseaux, des rongeurs commensaux des humains (rats) et des reptiles. Comme toujours, s'il s'agit d'un élevage à petite échelle, il suffit d'appliquer des méthodes manuelles de contrôle, alors qu'à grande échelle, il faut traiter préventivement avec des bioinsecticides ou des pièges à phéromones. - Schéma : Cochenille mâle et femelle. -

Les Espagnols apportent aussi des Andes les pommes de terre. Nous nous promenons sur le chemin de la Candelaria bordé de terrasses en monoculture de "papa bonita" sans irrigation, car elle se pratique à l'altitude où stagnent les nuages dont les gouttelettes se posent en une rosée quasi permanente sur la terre et les plantes. Un plat local se nomme la "papa arrugada" ou patate frippée, qui correspond à notre pomme de terre en robe des champs, cuite dans sa peau, sauf qu'il s'agit de tubercules de petite taille, onctueux à l'intérieur, et saupoudrés de gros sel. En remontant un sentier boueux dans un bosquet de châtaigniers (probablement aussi importés du bassin méditerranéen), nous avons la surprise de découvrir que les terrasses se poursuivent en serpendant au milieu du bois, jusqu'à une petite cabane qui doit servir à la fois de rangement pour les outils et de lieu de pique-nique bucolique et champêtre. Les oiseaux gazouillent autour et les vers de terre s'activent : dans un biotope apparemment aussi équilibré, j'espère que les paysans n'abusent pas des produits chimiques. Je vois bien une poudre blanche sur la terre et les plants, mais j'ignore ce que c'est. Probablement un produit pour éviter que les feuilles ne soient mangées par les chenilles et limaces ?

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Jean-Louis et Cathy guidés par Cédric et Loreto
Tenerife
Séjour du 18 au 28 mars 2011