Il était une fois une jolie rivière, appelée Bidassoa, née de l'union de l'Izpegi et de l'Iztauz à Erratzu, qui s'écoulait avec fougue des proches Pyrénées navarraises, entraînant dans son sillage les eaux de ses sept affluents bien au-delà du cap du Figuier, un promontoire d'où Fontarrabie contemple les flots agités du golfe de Biscaye. A chaque fonte des neiges, et lors des fortes pluies qui arrosent (de temps à autre) ce coin du Pays basque, elle arrachait à la montagne des rochers qu'elle roulait, cognait, déchiquetait en parcelles de plus en plus petites qu'elle finissait par déposer près de l'embouchure où son cours prenait ses aises dans une large plaine, serpentant ou débordant selon la saison de ci, de là. Pendant longtemps, les hommes dans leur sagesse héritée des anciens demeurèrent sur les hauteurs, et seuls se hasardaient près de ses rives ceux qui y étaient forcés, les possesseurs de moulins à eau en amont, et en aval, les marins, les pêcheurs et les cueilleurs de coquillages.

Progressivement, les activités humaines entravèrent son cours, les anciens moulins furent remplacés par 28 centrales hydroélectriques. Sur les 114 barrages que compte son bassin fluvial pourtant de taille modeste, les deux tiers empêchent ou rendent difficiles le passage des poissons migrateurs, anguille, saumon, lamproie, alose. Tous ces ouvrages réduisent et régulent son flux, et ils retiennent les sédiments dont l'aval se trouve dépourvu. De surcroît, le besoin croissant de granulats pour construire les routes a conduit les entreprises à en extraire de son lit la totalité de ce qui demeurait près de son embouchure, un moyen simple et bon marché, puisque la rivière avait accompli tout le travail de concassage. Inutile de dire que la faune et la flore n'était pas leur souci. A leur décharge, personne d'autre n'en avait cure non plus. Il ne reste désormais que du sable fin et de la vase fluide qui se meuvent davantage au gré des marées que du débit du fleuve dont l'impétuosité a été bridée. Les lois sur la protection des cours d'eau sont arrivées bien tard, et elles ne sont pas rétroactives : les équipements restent en place. Ce n'est pas tout. La population côtière a augmenté, les trois communes riveraines de la baie de Txingudi, Hendaye, Irun et Fontarrabie, ont permis aux maisons, immeubles, bâtiments artisanaux et industriels de s'installer de plus en plus près du cours d'eau, remblayant le lit et restreignant son trajet. Un aéroport , des ports, une marina, une plage même ont été construits.

Le Consorcio Transfrontalier Bidasoa Txingudi n'a certes pas été constitué pour ralentir la construction d'infrastructures, mais au contraire générer davantage d'activité encore, en unissant les moyens des trois communes et des deux pays français et espagnol. Récemment, une société d'étude, la Casagec, basée à Anglet, a été commanditée pour qu'elle analyse l'interaction du fleuve et de l'océan et permette d'en déduire les actions à entreprendre pour éviter que les inondations ne provoquent trop de dommages matériels, notamment sur la zone artisanale et industrielle des Joncaux à Hendaye. Partout en Europe des problèmes de ce genre se produisent en raison des perturbations que nous avons apportées aux cours et de l'implantation toujours plus rapprochée des bâtiments et infrastructures, notamment dans les embouchures. La Méditerranée commence à pénétrer dans le delta de l'Ebre comme en Camargue, le littoral atlantique recule, Soulac-sur-mer en Gironde, le Cap-Ferret à Arcachon, Anglet, Biarritz, Saint Jean de Luz...

Que faut-il faire ? Puisque l'on n'a plus le droit de creuser le lit des rivières à tort et à travers, on démolit les montagnes. Certes, ainsi, des cailloux descendent, ils sont même sous nos roues, nous pouvons nous déplacer partout, et de plus en plus vite. Mais cela ne résoud pas le problème de l'érosion côtière ni celui des poissons dont le nombre ne cesse de se réduire, car leur lieu de reproduction et de vie se trouve précisément, en règle générale, soit dans les rivières, soit le long des côtes en eau peu profonde. Françoise Pautrizel, océanographe et directrice du musée de la mer de Biarritz et bientôt de la future Cité de l'Océan, soulignait dans une conférence qu'elle donnait récemment à l'université du temps libre de Biarritz la spécificité de notre golfe de Gascogne. Creusé après l'éloignement des plaques tectoniques américaines lors de l'arrachement de la petite plaque ibérique qui a basculé vers le Sud, il ne s'ourle le long de nos côtes que d'un très étroit plateau continental qui s'enfonce vers le large jusqu'à une profondeur de 200 mètres avant de former un talus qui plonge vers les abysses.

Bénéficiant à la fois de la tiédeur du Gulf Stream et de la présence de courants froids, on peut y observer des espèces quasi tropicales, boréales et des grands fonds. C'est la raison pour laquelle la baleine basque s'approchait si près de nos côtes. Sachant que le plateau continental accueille la majeure partie des poissons, on comprend que des tensions s'élèvent entre les marins pêcheurs de part et d'autre de la frontière. Et si nous dégradons de surcroît cette zone décidément très peuplée, autant sur terre qu'en mer, les alevins ne peuvent plus s'y nourrir, et s'ils meurent, ce n'est pas la peine d'espérer trouver du poisson. Les quotas de pêche seront impuissants à régler cet aspect des choses...

Un autre paramètre est à prendre en compte pour comprendre l'importance tout à fait considérable de la baie de Txingudi. Après que la plaque tectonique ibérique ait glissé vers le Sud, elle s'est trouvée prise en sandwich entre la plaque euroasiatique et la plaque africaine qui remontait vers le Nord. Le résultat de cette confrontation de Titans a été l'orogénèse des Pyrénées qui forment une barrière infranchissable pour les oiseaux migrateurs, forcés de converger vers le goulet d'étranglement du Pays basque, phénomène bien connu des chasseurs de palombes.

Rares sont les oiseaux qui effectuent d'une traite cet épuisant voyage. Ils apprécient de pouvoir se reposer et se nourrir, et ils privilégient les haltes dans des zones humides comme le marais d'Orx, restauré depuis quelques années, les vasières de Beltzenia à Hendaye, le parc écologique de Plaiaundi à Irun et les marais de Jaitzubia à Fontarrabie ou une réserve un peu plus loin en Espagne dont j'ai oublié le nom. Le drainage et le comblement des marais opérés systématiquement depuis le Moyen Age en Europe pour augmenter les surfaces agricoles et accroître l'implantation humaine dans les plaines a fini par mettre en danger la survie d'un grand nombre d'espèces, et parmi elles les oiseaux migrateurs. La responsabilité de la communauté qui réside autour de l'embouchure de la Bidasoa est donc immense : d'elle dépend la fragilisation - ou non - de ces oiseaux qui se moquent des frontières et couvrent une aire qui va de l'Afrique à la Pologne.

Il ne faut pas désespérer. Prendre conscience d'un problème, c'est déjà être en chemin vers une solution ? Certes, ce n'est pas simple. Nous agissons depuis des siècles sans nous préoccuper de l'impact de notre mode de vie sur notre environnement, et il ne nous a pas effleuré que nous puissions nous mettre ainsi à terme en danger de mort. Le discours actuel est simpliste, et tend à éluder une réflexion de fond. Il ne s'agit pas de se borner à dire que notre bilan carbone va s'améliorer, l'exemple de la mauvaise santé de la baie de Txingudi est là pour montrer que l'énergie hydraulique n'est pas non plus la panacée. Alors, que faire ? Lors des réflexions de la ville d'Anglet à propos de la mise en place de son Agenda 21, il est apparu qu'il y avait beaucoup de gaspillage.

Eclairer a giorno toute la nuit la ville, ses bâtiments administratifs et commerciaux est une ineptie. Entretenir des espaces verts plantés d'espèces végétales non adaptées à notre climat et nécessitant beaucoup de soins me paraît bien superflu, de même, pour Anglet, que la présence d'une patinoire dévoreuse d'énergie électrique. J'ai vu récemment le film sur l'obsolescence programmée des équipements et produits de consommation courante qui montre bien que nous marchons sur la tête. Au prétexte de donner du travail aux gens, nous fabriquons exprès des produits de mauvaise qualité qui engendrent des volumes monstrueux de déchets dont nous ne savons plus que faire. Dans l'agriculture industrielle, c'est pareil, nous produisons énormément à grand renfort de produits chimiques et la plupart des fruits et légumes est jetée avant même d'avoir été distribuée. J'ai rencontré dernièrement Martine Razin, responsable locale de la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO), basée à Arcangues. Elle a fait autopsier un milan royal dont la population européenne hiverne au Pays basque et en Aragon. Il était mort d'une intoxication au cadmium, un élément qui entre dans la composition des hyper-phosphates utilisés dans les engrais. Il s'était accumulé dans le corps des vers de terre dont l'oiseau se nourrissait...

Nous avons choisi de marcher autour du Xoldo en partant du col d'Ibardin. Entre les deux se trouve le Xoldokogaina, un lac de retenue qui appartient à la commune d'Urrugne, sur l’Unxin, et approvisionne en eau potable, avec deux autres réserves sur la Nivelle, toute la zone d'Hendaye jusqu'à Saint-Jean-de-Luz. Toutefois, des témoignages recueillis par le BRGM auprès des anciens montrent qu'encore au début du siècle dernier, la population rurale puisait l’eau aux sources ou aux puits. L’alimentation en eau de Guéthary était assurée, de 1912 jusqu'à récemment, par la station de pompage d'Ithurria («iturri», source) qui prélève l’eau dans le massif des marno-calcaires à faciès flysch crétacés. Le raccordement au réseau d’eau potable a été très tardif pour certaines communes, en 1958 pour Ahetze et Arbonne par exemple.

La toponymie en garde la mémoire : de nombreux lieux-dits, sites ou villages portent un nom faisant référence à l’eau («Ur» en basque). Urrugne se dit Urruña et signifie «l’emplacement de l’eau» car on y trouve de nombreuses sources. Nous franchissons le barrage sur la passerelle et rejoignons un sentier ponctué de loin en loin de plaques de béton : ses pierres doivent recouvrir le tuyau d'acheminement de l'eau jusqu'à l'usine de traitement d'eau potable dont j'observe, de loin, de curieux bacs apparemment emplis de graminées, mais ce doit être plutôt des joncs. Il s'agit peut-être d'une épuration biologique, mais je ne trouve aucune information sur le système utilisé. - Carte : Xoldokogaina, lac et usine de traitement d'eau potable. -

J'ai toujours entendu dire qu'il valait mieux ne pas boire l'eau des ruisseaux, ni même des sources en montagne, à cause de la présence du bétail qui les pollue. Cela m'a d'autant plus étonnée de voir de multiples preuves de la présence de brebis une partie de l'année et de trouver des pottoks en train de paître, mais ils sont probablement acceptés sur les versants dont les eaux de ruissellement ne se déversent pas dans le lac. Par ailleurs, une énorme piste a été creusée sans délicatesse, l'excès de terre recouvrant la végétation en contrebas, afin sans doute de permettre aux exploitants forestiers de venir y faire des coupes. Pourtant, nous sommes sur le site Natura 2000 du massif de "Larrun - la Rhune - Xoldokogaina". Depuis 2010, il est répertorié pour son 'patrimoine naturel riche, diversifié et très particulier' où sont recensés des milieux humides spécifiques de l’ouest du Pays Basque, des forêts remarquables, des espèces végétales et animales rares à l’échelle européenne…

Assez curieusement, il est précisé que tout l’enjeu du projet consiste à concilier la conservation du patrimoine naturel avec le maintien des activités agropastorales et forestières traditionnelles et le développement durable des nouvelles activités de loisir et de tourisme. En effet, ses promoteurs soulignent que les paysages et la biodiversité actuellement présents sur ces montagnes sont issus d’une cohabitation multiséculaire entre l’homme et la montagne. Une grande partie des richesses naturelles actuelles a été façonnée par les pratiques agro-sylvo-pastorales ancestrales : les grandes surfaces de landes ouvertes qui abritent certains types de landes très rares à l’échelle européenne ont été maintenues par le pâturage ovin, le libre parcours des pottok et les pratiques traditionnelles d’entretien (telles que la fauche de fougères), les vieilles forêts d’arbres têtards, habitats privilégiés pour des espèces d’insectes rares, sont les résultantes d’une gestion forestière ancestrale, associant utilisation du bois et pâturage de sous-bois, de nombreux habitats naturels remarquables comme les tourbières, les grottes et falaises, et les forêts de ravin qui présentent une biodiversité remarquable, ont été préservés grâce à une gestion agropastorale extensive et respectueuse de la nature.

Mais depuis quelques années, ces territoires pastoraux connaissent de grandes évolutions. Le pâturage de montagne diminue et les pratiques agricoles d’entretien sont peu à peu abandonnées depuis une vingtaine d'années. Le nombre de brebis envoyées en montagne à diminué de près de 70% et le temps de pâture en montagne a été divisé par 3 (les brebis restaient autrefois en montagne de mai à novembre, elles ne montent aujourd’hui que 4 à 10 semaines en automne après la saison de traite). Les raisons évoquées pour expliquer cet abandon de la montagne sont multiples : baisse du nombre d’agriculteurs, conditions de production en évolution (cheptel plus productif qu’autrefois mais moins rustique, donc moins adapté à cette montagne difficile), cohabitation difficile avec les autres utilisateurs de la montagne (fréquentation touristique en constante augmentation, chiens non tenus en laisse, divergence de vues avec les chasseurs et forestiers sur la manière de gérer la montagne, etc... La diminution du pâturage et l’abandon des pratiques d’entretien traditionnelles conduisent peu à peu à l’embroussaillement des landes ouvertes. Les fougères, les ajoncs, les ronces envahissent les anciennes landes et prairies. L’espace se ferme, la végétation s’homogénéise et les espèces les plus sensibles disparaissent. A terme, ces évolutions conduisent à une banalisation paysagère et écologique et augmentent les risques d’incendies incontrôlables.

Pour l'instant, il n'y a pas péril. Le printemps s'annonce de toute part. Le sol se perce de milliers d'asphodèles qui ne montrent encore qu'un bouquet de feuilles serrées. Les noisetiers, saules, aulnes, osiers offrent leurs chatons aux premiers insectes. Des guêpes fouisseuses, solitaires, pénètrent chacune dans un trou différent creusé dans le talus du chemin. Leur nid sera rempli d'arthropodes (insectes matures, larves, araignées) souvent paralysés à l'aide de leur venin et sur lesquels elles pondront. De l'eau sourd de sombres cavités, s'écoule en ruisseaux chantants, s'étale en marécages boueux où je cherche vainement des plantes carnivores. Je ne trouve qu'un festival de mousses du vert le plus vif au noir le plus opaque, gorgées d'humidité et scintillantes de gouttes irisées. Les tourbières sont vraiment des lieux particuliers, inhospitaliers pour tout autre que les sphaignes et droséras.

J'aperçois cependant de drôles de feuilles hérissées de piquants, ce qui paraît étonnant dans une ambiance aussi humide, au voisinage des mousses douces et spongieuses. Il est vrai que les ajoncs et les ronces en sont aussi pourvus. Plus loin, des feuilles arrondies présentent des pustules poilus : je n'ai pas testé s'ils étaient urticants. Ces plantes semblent armées pour décourager les grands herbivores. J'ignore si leur ruse est valable pour les insectes. Aux obstacles physiques, s'ajoutent peut-être de ces poisons chimiques dont les végétaux ont le secret. Le lierre arbore encore des grappes de baies gris-vert joliment encapsulées. Sur une pierre, j'aperçois soudain un escargot attaqué par un ver luisant femelle. Je ne pense pas qu'elle puisse lui infliger des morsures à travers la coquille. C'est bizarre qu'elle l'escalade, plutôt que d'essayer de le renverser ou de se glisser dessous. Un papillon semble déjà en bout de course : ses ailes sont fendues, déchirées, il en manque des morceaux au bout, comme s'il avait dû échapper à des prédateurs qui l'avaient happé aux extrémités. Je piste les papillons jaunes (les citrons ?), toujours très rapides en vol et qui se posent rarement. Alors que je désespère, l'un d'eux s'attarde sur une fleur de pissenlit. Il butine, l'air de rien, sans cesser de jeter un oeil sur moi, sa langue presque aussi longue que son corps enfoncée jusqu'au coeur pour en aspirer le nectar.

SOMMAIRE

Chatons
Le ver luisant cherche à anesthésier l'escargot
Fruits du lierre
Azuré aspirant le nectar d'un pissenlit
Aigrette garzette
Mouettes tridactyles
Aigrette garzette et sa proie
Le port de plaisance de Capbreton : digues pour canaliser l'embouchure du Boudigau, petit barrage pour la marina et machine pour aspirer la vase (?)

 

Rédactrice : Cathy - Promenade effectuée avec Jean-Louis
XOLDO
5 Mars 2011