Groupe Dimitri : Mag & Jean-Jacques, Cathy & Jean-Louis, Françoise M., Jean-François & Danie, Françoise I., Cathy L., Pascal, Jacques, Anita & Jean-Vincent, Jackie L., Margaitta, Michou et Nemeci.
Nocito
Vendredi 13 au lundi 16 juin 2014

Quelle tranquillité d'esprit offre la préparation d'un séjour en Aragon ! Contrairement au Pays basque qui atteint des records de précipitations, la sierra de Guara bénéficie d'un régime mixte influencé à la fois par la Méditerranée et l'Atlantique, il y pleut nettement moins (914 mm en moyenne à Nocito et 1902 mm en 2013 à Biarritz, soit plus du double) et surtout de façon plus concentrée (90 jours en moyenne par an), au printemps et à l'automne, si bien que l'on est presque assuré d'y trouver le beau temps. Toutefois, lorsque nous nous y sommes rendus en éclaireurs, Jean-Louis et moi, en août 2013, nous avons observé une grande abondance d'eau dans les ruisseaux, cascades, vasques, il y avait très peu de cours d'eau à sec et le paysage était très vert. Peut-être n'aurions nous pas eu le même engouement et l'envie d'y amener les amis si nous avions trouvé un paysage brûlé par le soleil. Il faut cependant rappeler que jadis, la sécheresse n'était pas perçue de la même façon dans une société essentiellement rurale. Un journal périodique décrit à ce propos les rites auxquels se livrait la population, avant que la région ne se dépeuple. On les appelait les rogations ; il s'agissait de processions religieuses pour demander la pluie à un saint, en l'occurence à San Úrbez en sierra de Guara. Son sanctuaire se trouve au nord-ouest du massif, sur les hauteurs du village de Nocito où nous avons choisi de séjourner. Quand la cloche convoquait une procession - une cloche amenée à dos d'homme depuis Bentué, petit village situé au nord-est, toute la population des alentours s'y donnait rendez-vous. Le corps incorrompu du saint était alors humecté devant le sanctuaire, au centre de la grande esplanade, une cérémonie appelée "la Mojada" (l'humectage). En 1701, il fut transféré dans un cercueil à triple fermeture dont les clés étaient gardées respectivement par la Vallée du Serrablo, Nocito et Huesca. La dévotion s'accrut avec les années. L'une des dernières manifestations importantes eut lieu en 1929. Près de 2000 personnes en provenance de Angues, San Pelegrin, Radiquero, Otin, Nasarre, Rodellar, Sietamo, Alquézar, etc. s'y rendirent pieds nus en sacrifice, avec les prêtres, et portant les croix des paroisses. Les fidèles vénérèrent le corps de San Úrbez dont le thorax parfaitement conservé, insensible à la corruption depuis onze siècles, était exposé au regard. Cette nuit même, il plut. En 1967, don Damian Iguacén fonda la confrérie de San Úrbez. En 2013 encore, un évêque vint prier et prononça une messe d'intercession pour faire venir la pluie... Mais parfois, le résultat se faisait attendre. Les habitants de Lecina, excédés de l'échec des rogations faites à San Martín de La Choca, dans le cañon du Río Vero, à l'est du massif, l'abandonnèrent au milieu du chemin. Peu d'heures s'écoulèrent avant que deux garçons du village ne soient dépêchés à toute vitesse pour récupérer le saint et le remettre sur son autel, car il tombait une averse impressionnante... - Photos : Au nord de la sierra extérieure de Guara, les Pyrénées enneigées en juin - Piscine naturelle - Vautour fauve - Ci-dessous : Au sud de la sierra de Guara, le bassin de l'Ebre -

Le sanctuaire de San Úrbez s'élève face à la grotte d'Ayral, "lieu favori du saint qui menait une vie d'anachorète", une précision qui déjà appartient à sa légende. C'est celle-ci qui est répétée à l'envie sur les sites français de canyoning ou d'escalade en sierra de Guara. Aux fioritures brodées sur sa biographie mythique, je préfère le retour aux sources de chercheurs soucieux de reconstituer l'origine et le contexte de cette dévotion pluriséculaire qui perdure encore aujourd'hui. Selon Inmaculada de la Calle Ysern et Angel M. Moran Viscasillas, auteurs du livre publié en 1994 "Cara y cruz en Nocito - El ayer y el hoy de une comunidad en la Sierra de Guara" (Un visage et une croix à Nocito - Le passé et le présent d'une communauté en Sierra de Guara), les rites consacrés à ce saint ont même contribué pour une bonne part au maintien du lien social de la diaspora après l'émigration massive qui a vidé la sierra de Guara de ses habitants au XXe siècle, et ils accompagnent le relatif dynamisme actuel de cette vallée encore récemment sinistrée. Qui plus est, le village agricole de Nocito a longtemps été lié sur le plan économique et social au monastère, raison de plus pour s'aventurer un peu dans les arcanes de son histoire. - Photo ci-dessous : Dans les environs de Nocito, des papillons en quantités -

C'est au milieu du Xe siècle que la dévotion à l'ermite San Úrbez fut promue par les moines mozarabes* du monastère de Nocito: c'est à eux que l'on doit les fondations de San Úrbez de Gallego en Serrablo, San Úrbez de Basaran en Sobrepuerto et Sant Urbici de Serrateix dans le comté catalan de Berga. Le christianisme s'était répandu à partir du IVe siècle dans l'Empire romain. Le Royaume Wisigoth (418-711), repoussé d'Aquitaine par Clovis Ier en 507, déplaça sa capitale de Toulouse à Tolède. Dans cette Espagne wisigothe se réfugièrent les intellectuels d'Afrique du Nord chassés par les Vandales, les Byzantins, puis les Musulmans. Durant cette période, de grands évêques, qui étaient également de grands auteurs, firent de leurs sièges épiscopaux des centres intellectuels en les dotant de bibliothèques et d'écoles qui transmettaient la culture classique et formaient aussi bien des clercs que des laïcs jusque dans les campagnes. Le plus célèbre d'entre eux fut sans doute Isidore de Séville (vers 570-636), dont les œuvres furent lues et commentées pendant tout le Moyen Âge. Après la conquête et la colonisation par les Maures (Arabes et Berbères), les non-musulmans eurent le statut de "dhimmi" et, hormis les vieillards, les femmes, les enfants et les handicapés, ils payaient la Jizya qui s'élevait à un dinar par an. Bien qu'ayant moins de droits que les Musulmans, ils avaient une meilleure condition que les minorités présentes en pays chrétiens : la tolérance faisait partie intégrante de la société andalouse, même si toutefois leur sort dépendait des autorités qui régnaient. Avec le temps, la société s'islamisa, 80% de la population était musulmane au XIe siècle. Si les quatre cinquièmes de la péninsule étaient sous domination musulmane, le nord relevait de quatre royaumes chrétiens et, depuis 806, d'une marche franque créée par Charlemagne avec pour capitale Barcelone. La sierra de Guara se trouvait donc à l'époque de San Úrbez sur une zone frontière, la Reconquista ne commençant véritablement qu'à partir de 1085 avec la prise de Tolède. Le corps du saint, momifié, fut vénéré dans le monastère de Nocito jusqu'à la guerre civile de 1936, date à laquelle il fut brûlé. Pour approcher la personnalité du saint ermite, les auteurs du livre "Cara y cruz" se sont référés aux documents qui figurent dans l'étude du professeur Luis Vázquez de Parga (1912-1994) intitulée "Textes hagiographiques relatifs à San Úrbez", publiée au volume V de "Hommage à don José M. Lacarra" (Saragosse, 1977), et où il reproduit "la Vita vel confessio sancti Urbici (la vie de San Úrbez)" et les leçons des bréviaires de Huesca, imprimées par les évêques Juan de Aragon en 1505 et Pedro Agustin en 1547. - Photo : Eglise en ruine d'Ibirque - Photo de Jean-Paul Dugène : Plaque commémorant la profanation de la sépulture de San Úrbez - Ci-dessous : Libellule en train de sécher ses ailes, accrochée à l'enveloppe de sa chrysalide dont elle vient de sortir par la tête -

(*) Mozarabe, terme issu de l'arabe "musta’rib" qui signifie arabisé, attribué aux chrétiens vivant sur le territoire al-Andalus.

Ceux-ci ont été analysés également par Antonio Durán Gudiol (1918-1995), historien médiéviste et prêtre contemporain, qui a émis de nouvelles hypothèses sur la biographie du saint dans un texte intitulé "L'ermite San Úrbez, mozarabe de Huesca ?". En voici la traduction libre. Cette "Vita vel confessio sancti Urbici" a été écrite dans un mauvais latin et en lettres wisigothiques grossièrement tracées par un copiste qui rendit obscurs des passages de l'original qu'il ne comprenait pas. Malgré tout, on devine que l'auteur initial était un moine lettré, qui rédigea la biographie de San Úrbez en augmentant les données recueillies par la tradition orale d'apports personnels dus à son imagination d'une part, mais également à ses connaissances bibliques, littéraires et canoniques d'autre part. Il est très probable qu'il était membre du monastère de Thomières et qu'il suivit le genre hagiographique romancé introduit avec succès par Iacopo de Varazze avec la "Legenda aurea" (légende dorée). La Vita dut être écrite à une date assez postérieure à 1266, année où fut écrite l'oeuvre de Varazze. Le texte dont il se servit est une notice historique, c'est-à-dire un texte liturgique succinct - une lecture de l'office des Matines ou la commémoration du saint dans le Martyrologe - dont les termes sont à peu près les suivants :

Urbicus confessor Christi qui ex patre iniquo et matre christiana natus, habitum monachalem suscepit apud Sanctum Martinum Anticum, sed ex Aragonensi monte exit et primus heremita in (Sancti Martini) solitudine perseveravit plus quam quinquaginta annos et cum esset fere centenarius migravit ad Dominum XVIIIe kalenda decembris. - Photo ci-dessous, : Le Tozal (pic) de Guara (2076 m) aux falaises claires de calcaire vues depuis le village abandonné d'Used -

Il contient quelques précisions qui accréditent son authenticité. Tout d'abord le toponyme "Aragonensis mons" fut attribué à l'abbaye du bas Moyen-Age Montearagon, citée dans la chronique arabe d'al-Udri au XIe siècle (Yabal Aragun - Djebel, mont, Aragon) avec la mention "célèbre parmi les chrétiens". Elle localise dans le mont Aragon le monastère Sanctum Martinum Anticum (Saint Martin l'Ancien) où San Úrbez a revêtu l'habit monacal et qu'il a quitté pour mener une vie d'ermite dans un lieu solitaire que la Vita ne situe pas. Ce monastère ne peut que correspondre au monastère San Martin de Asan, situé sur la rive du Flumen et fondé au VIe siècle par l'abbé Victorian. Cela suppose un San Martin "el Nuevo", qui doit être localisé dans l'église rupestre de l'ermitage de San Martin de Valdonsera, aux sources du canyon (barranco) de Banzo et à l'abri du pic Matapaños, dans une impressionnante solitude. Comme c'est habituel dans ce genre de textes, la mémoire liturgique ne fournit aucune date chronologique qui permette de situer San Úrbez dans le temps. Mais s'il mourut quasi centenaire après une cinquantaine d'années de vie érémitique, il dut abandonner le monastère aux alentours de ses quarante ans, probablement au IXe siècle. - Photo ci-dessous : L'un des multiples papillons qui habitent la vallée de Nocito -

Pour satisfaire la curiosité dévote de l'époque à laquelle fut écrite la Vita sancti Urbici, ce moine de Thomières remplit les lacunes concernant la nature, l'enfance et la jeunesse d'Úrbez avec une certaine érudition, un peu de fantaisie et une bonne dose de patriotisme très français.

Urbico, né dans la ville de Bordeaux, fut le fils d'un père infidèle et de Asteria, femme chrétienne instruite dans les lettres grecques et latines. Après la mort au combat du père, la mère et le fils furent emmenés captifs en Galice. Une fois libérée, Asteria revint à sa ville tandis qu'Úrbez demeurait captif. Celui-ci ne put se rapatrier que plus tard, revenant en bateau à Bordeaux, non sans avoir dû vaincre par la lutte l'opposition d'un homme fort qui cherchait à l'en empêcher. Offert en actions de grâces à Dieu par Asteria avant le retour d'Úrbez, celui-ci, désireux de se consacrer au meilleur service du Christ, s'en fut en Aragon et entra au monastère de San Martin el Antiguo.

Le moine anonyme, pour donner plus d'autorité à son récit, cite comme sources de ses dires les évêques Nebridio et Frontiniano qui auraient personnellement connu le saint. Il s'agit de deux personnages du VIe siècle qui n'étaient pas de la région, l'un était de Egara (Tarrasa) et l'autre de Gerona. Il trouva sans doute ces noms dans une collection canonique, peut-être celle appelée Hispana-Gallica, à la bibliothèque de Thomières. En ce qui concerne le nom d'Urbicus ou Urbicius - aragonisé en Úrbez -, il a pu s'inspirer d'un homonyme, Urbico, maître de l'école littéraire de Bordeaux, mentionné par le poète Ausone, également bordelais, qui vécut au IVe siècle. Ce ne fut pas pour l'identifier à San Úrbez, mais pour fixer à Bordeaux le lieu de naissance de l'ermite. En tant que naturel de la fameuse cité savante aquitaine, ce n'est toutefois pas le saint qu'il présente comme un versé en littérature classique, mais sa mère qui aurait été instruite en latin et en grec. Sa supposition ne manque pas de vraisemblance, car le nom d'Urbico était propre à Bordeaux. Mais cette affirmation lui créa un problème : comment expliquer que le Bordelais Úrbez émigra d'Aquitaine aux montagnes d'Aragon ? Il le résolut grâce à son imagination : il inventa une fantastique guerre entre Galiciens et Aquitains, la captivité d'Asteria et d'Úrbez en Galice, le rapatriement des deux et le voeu de consacrer Úrbez à Dieu formulé par la mère. Selon la tradition orale de Nocito recueillie par le moine anonyme, Úrbez fut un homme de nature angélique, qui jamais ne tomba malade malgré les privations et les pénitences de sa longue vie d'ermite, et qui conserva jusqu'à la fin de ses jours une vue parfaite et une dentition complète. L'école érémitique fondée par le saint est située au-delà du mont Aragon, dans une grande montagne d'accès difficile, un lieu très froid, enneigé en hiver et refuge des hors-la-loi. Les ermites vivaient dans des grottes solitaires ; une ourse tenait la garde près de celle de San Úrbez. Ils rompaient la solitude pour assister aux offices religieux dans l'oratoire commun, près duquel il y avait une cuisine ; la communauté possédait un âne ; les chemins s'effaçaient fréquemment à cause de la neige. La description correspond aux caractéritiques de Valdonsera - vallée des ours - et l'église de San Martin dont le souvenir se conserve encore. - Photo ci-dessous : Criquet vert -

A la tradition orale est aussi attribué le récit d'une quinzaine de miracles qu'aurait personnellement effectué San Úrbez, et qui ont été relatés dans la Vita. Seul le premier semble émaner de la fantaisie de l'auteur. Les autres (je résume) rapportent la façon dont il réchappa à des attaques du diable, de hors-la-loi, de bêtes sauvages et le don qu'il avait de soigner bêtes et gens, ainsi que de commander aux éléments (supprimer une tempête de neige), utilisant parfois l'eau de source jaillissant dans sa grotte pour soulager les maux. Ce texte Vita sancti Urbici fut traduit en espagnol en 1501 par un clerc de Jaca de façon quelque peu infidèle. Les livres liturgiques de la Cathédrale de Huesca ne firent mention du culte à San Úrbez qu'à partir de 1505, utilisant la Vita remaniée et augmentée en 1547. En conclusion, suite à la reconstruction de la mémoire liturgique, la source hagiographique la plus autorisée, on en retire que San Úrbez fut le fils issu d'un mariage mixte d'une chrétienne et d'un musulman (peut-être le père était-il lui-même issu d'un couple mixte musulman-chrétien). Il entra en tant que moine au monastère San Martin de Asan, proche de la ville de Huesca, qu'il abandonna pour fonder l'ermitage de San Martin de Valdonsera dans les solitudes duquel il vécut plus de cinquante ans, jusqu'à mourir quasi centenaire un 14 novembre. Sa condition de mozarabe est manifestement accréditée autant par son étape monastique à Asan que par sa vie érémitique à Valdonsera, sur le territoire de Huesca. Sa captivité, reproduite sur les cinq textes hagiographiques, peut avoir un fond de vérité, étant donné le contexte politique et juridique de l'époque et du lieu. Etant fils d'un père musulman, Úrbez, selon la loi canonique de l'Islam, était obligé de professer la religion du père. Son inaccomplissement constituait un délit d'apostasie, passible de la peine de mort, comme les martyres saintes Nunila et Alodia en 851. Le moindre mal qui pouvait arriver à sa mère et lui était l'incarcération suivie d'un jugement dont ils sortirent absouts par la grâce d'un cadi peu jaloux. C'est ce qui s'était d'abord passé en première instance pour Nunila et Alodia qui furent remises en liberté par Jalaf ibn Rasid, seigneur d'Alquézar et de la Barbitaniya ; en seconde instance, le wali de Huesca les condamna à la décapitation. Il est plus vraisemblable que San Úrbez soit né à Huesca plutôt qu'à Bordeaux. Les disciples et successeurs du saint à l'ermitage se convertirent au monachisme à une date non précisée, peut-être au début du Xe siècle, et fondèrent le monastère de Nocito où ils transférèrent le cadavre de San Úrbez. - Photos : Détail d'une araignée - Une toile en forme de coupe -

Le premier document connu émis par ce monastère remonte à l'année 992 et fait allusion à un inventaire de ses biens dont faisait partie Nocito, déjà partagé en deux quartiers par le ruisseau Guatizalema. En cette fin de Xe siècle, cette vallée jouissait de bonnes relations avec le wali de Huesca puisqu'elle n'eut à déplorer aucune attaque d'Al-Mansour qui, en 999, mit à sac et incendia d'autres lieux similaires. Dans la basse-cour du Santero, M. Asuncion Bielsa a découvert en 1976 huit sépulcres de gens originaires de Navarre qui, semble-t-il, initièrent un timide repeuplement de ces zones en venant s'installer sous la protection du monastère près de Nocito. Antonio Durán Gudiol pense que la vallée ne fut pas islamisée. Le français Lucien Briet, quant à lui, suppose que la dénomination du ruisseau remonte à cette époque : Guatizalema, "ruisseau qui s'assèche souvent" (nom issu de "guat", dérivé de "oued", "zal", "a cessé", et "ma", eau). Il en serait de même pour Guara qui proviendrait de l'arabe gara, colline arasée. Mais Durán Gudiol pense que Guara proviendrait de l'appellation "al-Yabal Guwara" (le djebel - mont - Guwara), cité par Al Udri, géographe arabe de l'époque. - Photo ci-dessous : Cascade dans un environnement qui s'ensauvage, avec une forêt qui repousse -

C'est la troisième fois que Jean-Louis et moi venons à Nocito. Le village est situé à 981 m d'altitude sur un haut plateau dominé par le point culminant de la sierra "extérieure" (c'est-à-dire détachée des Pyrénées), le Tozal de Guara. En 2002, seule une piste tout juste carrossable y menait. Puis nous y sommes revenus en repérage en août 2013, suite à une information donnée par Françoise I. sur une auberge du village qui proposait des balades accompagnées par un guide naturaliste. Ma moisson de photos a été très riche, car nous avons prospecté les alentours à pied quatre jours durant, en prenant notre temps. L'accès plus aisé par deux petites routes bitumées, l'une par le nord et l'autre par l'ouest du massif, m'a décidée à faire connaître ce site magnifique aux compagnons naturalistes du groupe Dimitri. Ainsi que je l'ai dit plus haut, le village est partagé en deux quartiers (San Juan et San Pedro, comme à Pasajes en Guipuzcoa). Le Guatizalema, enjambé par un élégant pont médiéval pavé, traverse la vallée du nord au sud pour se jeter dans le réservoir (embalse) de Vadiello. Quelques rares maisons des XVIe et XVIIe siècle à l'architecture typique de montagne subsistent encore, mais la majorité des habitations a été reconstruite au XIXe siècle. L'histoire du village est donc liée à celle du Sanctuaire de San Úrbez perché à deux kilomètres de là sur une colline, bâtiment des XVIe-XVIIe siècles construit sur une base romane du XIIe siècle. Le massif est occupé par les humains depuis 40 000 ans, avec des vestiges jusqu'à 10 000 ans avant notre ère, puis de la fin du Néolithique à l'Age du Bronze (entre 4000 et 1000 avant J.-C.). Après la découverte du gisement d'Ibirque par D.M. Navarro, ingénieur du Patrimoine Forestier de l'Etat, en 1949, de multiples études ont été faites sur les mégalithes et notamment la "Caseta de la Bruja" (petite maison de la sorcière), nom attribué au dolmen d'Ibirque, ainsi que le dolmen du barranco (canyon) du Palomar près de Santa Eulalia la Mayor. Outre quelques haches polies, on a aussi trouvé près du sanctuaire des monnaies romaines et deux têtes sculptées en marbre datant du Ier au IIIe siècle après J.-C. Il semble établi qu'à l'époque Nocito était une exploitation agricole et qu'un temple se dressait sur le lieu actuellement occupé par l'ermitage de San Urbez, devenant une villa romaine à l'époque impériale. Les Wisigoths prirent la succession, comme en témoigne le chapiteau interverti de la colonne baptismale de San Úrbez, grossièrement travaillé. - Photos : Une vieille maison de Nocito avec sa typique cheminée aragonaise - Le pont roman sur le Guatizalema -

Si nous avons choisi cette destination, c'est parce qu'on y trouve davantage qu'ailleurs une nature assez sauvage, même s'il subsiste des traces d'exploitation ancienne, murets caractéristiques recouverts d'une rangée de pierres alignées sur la tranche, bergeries, villages en ruines. Son sol calcaire, la précarité de la ressource en eau, les fortes pentes et le manque de terres cultivables ont rendu difficile la survie dans cette zone. Mais ces conditions climatiques et physiques ne sont toutefois pas la cause de l'actuelle désaffection humaine. Une étude entreprise par Carlos Palacio Aniés et publiée en mai 2011 sur Internet présente l'analyse des conditions de cette désertification à l'intérieur d'une thématique plus large intitulée "La régulation des activités touristiques comme élément dynamisant d'un espace naturel protégé : le parc naturel de la Sierra et des Canyons de Guara". - Photo : Muret de pierre bordant les chemins et les pâturages -

Voici la traduction libre de cette rétrospective. Au cours des siècles, ce massif fut un territoire frontière disputé, jusqu'à ce qu'une population s'installe de façon permanente sur les plateaux au nord et au sud de la sierra, ainsi que dans les fonds de vallées les plus favorables aux activités agricoles, comme l'Alcanadre et le Vero à l'est. Ces sociétés traditionnelles vécurent en contact étroit avec l'environnement naturel, mettant à profit au maximum ses ressources et constituant une culture et un patrimoine propre qui se sont perpétués jusqu'à une époque récente. Mais cette situation a commencé à se dégrader vers le milieu du XIXe siècle, avec la profonde transformation économique qui se produisait en Europe occidentale, fruit de l'industrialisation et de la modernisation économique. Celle-ci s'est répandue à un rythme très différent selon les lieux et de façon très polarisée. Quelques noyaux ont pu mettre à profit le changement technologique pour commencer leur développement précoce, tandis que des régions périphériques ont amorcé plus lentement le processus ou bien ne l'ont pas engagé du tout. Les zones rurales purent avoir un peu de croissance, mais les zones de montagne souffrirent d'une marginalisation économique qui provoqua la perte de leur population, l'abandon des terres cultivées, des pâturages et la détérioration du patrimoine architectural, artistique et culturel. Entre 1900 et 1981, la population espagnole connut une augmentation considérable, associée au processus d'industrialisation. Elle s'accrut toutefois plus lentement que dans d'autres pays d'Europe et à un rythme inégal sur l'ensemble de son territoire. L'Aragon est l'une des régions qui connut une croissance plus modérée, ce qui lui fit perdre du poids relativement à la population totale espagnole, et à l'intérieur de l'Aragon, ce furent précisément les zones de montagne englobées dans le Parc qui subirent la plus grande perte relative de poids démographique. - Photos 2013 : Un papillon aux ailes duveteuses butine grâce à sa longue langue - Une larve d'insecte dévore une feuille, puis elle s'interrompt, inquiète, et se cambre avant de s'immobiliser pour donner l'impression qu'elle n'est qu'un bout de branche -

En économie traditionnelle de base agraire, la présence de population dépendait de la disponibilité des ressources naturelles et de la capacité humaine à s'adapter à celles-ci. La répartition territoriale de la population est donc restée assez homogène jusqu'à la moitié du XIXe siècle, même si la densité de population était déjà plus faible en montagne. Le processus d'industrialisation a provoqué la polarisation territoriale en raison de la croissance plus grande et plus rapide des régions qui incorporaient mieux les nouvelles technologies. En Espagne, ce furent d'abord le Pays basque et la Catalogne, si bien que l'Aragon se trouva enclavé entre ces deux foyers principaux. A la fin du XIXe siècle et au début du XXe, commencèrent à s'établir des différences notables à l'intérieur du territoire aragonais. La zone centrale autour de Saragosse commença à connaître un certain dynamisme, tandis que les zones montagneuses du nord et du sud conservaient une économie traditionnelle. L'investissement en infrastructures durant cette époque se centra sur la construction du réseau espagnol de chemins de fer qui eut une importance minime dans les Pyrénées aragonaises. En conséquence de cet isolement provoqué par un manque d'investissement furent maintenus les moyens traditionnels de production. L'insertion postérieure dans le contexte économique moderne eut simplement pour conséquence la fin de cette économie traditionnelle, la transhumance ovine, l'agriculture de subsistance et l'industrie textile traditionnelle. Les raisons du dépeuplement de ces zones sont donc géographiques : l'altitude, les fortes pentes, les sols squelettiques et le manque d'eau. Dans ce contexte, les investissements de l'Etat eurent un rôle d'accélération de ce processus de dépeuplement. - Photos 2013 : Balisage de chemin - Le Guatizalema - Enseigne du refuge aménagé près de l'ancien monastère -

A partir de 1910, les investissements se tournèrent vers la construction de routes et les ouvrages hydrauliques, notamment dans les Pyrénées. Mais ils eurent pour effet d'engendrer le départ des habitants, ainsi que la sortie des ressources naturelles. Les routes suivirent le cours des rivières, portant préjudice aux communications et au développement économique entre les vallées. La construction de barrages, que ce soit pour l'irrigation ou la production d'électricité, assortie d'un repeuplement forestier, provoqua la désertification des zones affectées. Le principal flux migratoire se dirigea vers Barcelone et dans une moindre mesure Saragosse, Valence et Madrid, atteignant son point crucial entre les années 1950 et 1970. Parallèlement à ce dépeuplement se produisit un important processus d'urbanisation de la population. En Aragon, la population se redistribua vers les villes et les grands villages têtes de "comarca" (division du territoire qui regroupe plusieurs municipalités). En 1900, seulement 25% de la population était urbaine (vivait dans des municipalités de plus de 5000 habitants). Aujourd'hui, plus de la moitié de la population aragonaise vit à Saragosse et 20% de plus dans des municipalités de plus de 5000 habitants. - Photo 2013 ci-dessous : Mante religieuse qui se carapate dans les herbes -

Le processus d'émigration des zones de montagne provoqua un double déséquilibre de l'âge et du sexe. D'un côté, la population qui émigrait était principalement jeune, ce qui induisait un vieillissement et un plus faible accroissement naturel. Depuis les années 1970, la perte de population est surtout due à ce dernier facteur. D'un autre côté, c'est la population féminine qui émigra davantage, car son profil correspondait mieux au marché du travail associé au secteur des services qui est si réduit dans le monde rural. Le vieillissement est un phénomène habituel dans les pays développés, mais en Aragon et spécialement dans les Pyrénées aragonaises, il a été aggravé par la forte émigration qui s'y est produite. Par conséquent, le taux de mortalité est élevé par rapport au taux national, tandis que le taux de natalité est bas, tout spécialement dans les communes montagnardes. Et quant au taux de fécondité, il est également bas, non seulement en terme de nombre réduit d'enfants, mais également en raison du petit nombre de femmes en âge fertile. Il y a davantage de population proche de la retraite que de l'entrée sur le marché du travail. Les données des communes les plus petites donnent peu d'espoir sur leur survie dans le futur. - Photo 2013 : Criquet -

L'émigration vers les zones urbaines peut s'expliquer du point de vue de l'offre (provenant de la structure productive ou de la création d'infrastructures) ou de la demande (choix du lieu de résidence), du fait de la perception d'obtenir de meilleurs biens et services que dans le monde rural et les montagnes aragonaises. Ce mouvement a été accéléré par la construction de l'État-providence dans les premières années de la transition démocratique espagnole (la dictature du Général Franco a pris fin en 1975) et le moindre accès aux services sociaux, de santé et d'éducation dans les zones rurales. A partir des années 70, les critères de politique territoriale ont influé sur les actions publiques. Les connexions entre les routes se sont améliorées, de même que la dotation en infrastructures et services, quoique dans bien des cas elle soit peut-être arrivée trop tard. La tendance aujourd'hui continue d'être régressive, surtout dans les communes les plus reculées en montagne. Les communes de moindre taille tendent à disparaître, et seules s'accroissent les capitales ou les communes qui se sont dédiées au tourisme. Ainsi, selon l'auteur, une entité comme le Parc naturel peut intervenir pour diversifier la population active, fixer la population grâce au tourisme et même générer une attraction vers de nouveaux lieux. Il faut mentionner en outre les retraités qui reviennent sur leur lieu d'origine. - Photos 2013 : Eglise de Nocito - Ci-dessous : Reflets sur un plan d'eau du barranco de la Pillera -

Le retard d'investissement en infrastructures en Sierra de Guara la maintint ancrée dans une économie traditionnelle durant de nombreuses années. La construction de routes se fit aussi le long des cours d'eau, ce qui eut pour conséquence que, jusqu'aux années 30 ou 40, il n'y eut aucune liaison vers Rodellar (Rio Alcanadre) et Arcusa (Rio Vero). Situé entre les bassins du rio Gállego et du rio Cinca, l'isolement du massif fut similaire à d'autres zones interfluviales. De nombreux villages demeurèrent isolés, rendant difficile un développement économique, et ils furent progressivement abandonnés entre les années 1950 et 1970. Ici, la politique hydraulique n'eut pas de conséquences aussi catastrophiques que dans d'autres secteurs comme les Pyrénées, car la morphologie du terrain et le manque de débit des rivières de la sierra empêchèrent la construction de grands lacs de retenue. Les barrages construits dans l'enceinte occupée aujourd'hui par le Parc n'inondèrent que de petites vallées. C'est sur les étendues méridionales de la sierra que la population s'est le mieux maintenue, grâce à des conditions orographiques et climatiques meilleures, ainsi que de meilleures infrastructures et communications par routes. Dans la partie nord au contraire où nous séjournons, les villages sont plus réduits et c'est là que l'on trouve le plus de villages abandonnés en Aragon et même par rapport à l'Espagne. Y subsiste toujours l'absence d'infrastructures, particulièrement de réseau routier, mais aussi un important déficit en services basiques sanitaires et d'éducation. - Photos : Barrage de Cienfuens (cent sources) sur le panneau duquel figurait en 2013 "Pantano = Injusticia, Destrozo" (Barrage = Injustice, Destruction) (le tract n'y était plus en 2014) - Ci-dessous : Papillon aux ailes couleur de l'écorce de l'arbre sur lequel il est posé -

Les principaux pôles d'attraction sont Huesca, Barbastro, Ainsa et Sabiñánigo, capitales des quatre "comarcas" intégrées dans le parc (Alto Gállego, Sobrarbe, Hoya de Huesca et Somontano de Barbastro) et qui constituent toujours des foyers d'attraction de la population qui y réside. Alto Gállego et Sobrarbe au nord sont typiquement pyrénéennes et montrent de façon aiguë les traits caractéristiques de crise, dépeuplement et abandon. Les autres, situées plus au sud, ont accès à la vallée de l'Ebre, elles sont plus adaptées au contexte économique et les villages montagnards bénéficient de meilleures conditions économiques et d'un moindre dépeuplement. L'émigration s'est faite vers deux métropoles historiques (Huesca et Barbastro) qui ont réduit les pertes vers d'autres territoires. Alto Gállego constitue une exception parmi les vallées pyrénéennes puisque y a été créé un centre industriel électro-métallurgique comme Sabiñánigo qui a de ce fait exercé une attraction identique à celle de Huesca et Barbastro au sud. Ces trois foyers présentent de bonnes communications avec la France, Saragosse et Lleida. Pour résumer, il existe 51 villages ou hameaux à l'intérieur du Parc naturel ou sur sa zone périphérique de protection, dont 17 sont inhabités. Le Parc peut ainsi être considéré comme un désert sur le plan démographique. A l'intérieur se trouve une des plus grandes concentrations de hameaux inhabités ou abandonnés de toutes les Pyrénées. Toutefois, l'intégration dans l'union européenne et la création du Parc naturel dans les années 1980 ont permis de nouveaux changements dans cette zone, notamment sur le plan agricole dans le secteur sud-est du Somontano. - Photo 2013 : Barranco de la Pillera -

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Le phénomène touristique a émergé en liaison avec le processus d'industrialisation, ce qui fait qu'on ne peut pas parler de tourisme avant le XIXe siècle. Jusqu'au XVIIIe siècle, c'est à peine si l'on trouve des témoignages écrits sur la présence de voyageurs dans les Pyrénées. Durant le XVIIIe siècle, l'Espagne est une destination secondaire dans les circuits des voyageurs sur le continent, étant donné qu'elle se trouve éloignée des parcours classiques du grand tour britannique et du circuit éducatif des chevaliers d'autres nationalités. L'Espagne devient ainsi au XIXe siècle une destination attractive justement parce qu'elle est peu connue. Mais l'Aragon n'est pas une destination très fréquentée puisqu'il ne se situe pas sur les itinéraires empruntant les principales voies de communication. Seule Saragosse, située sur la route entre Madrid et Barcelone, proche de la frontière française de la Junquera, sera régulièrement visitée, l'autre entrée sur la péninsule se faisant par Irun, à l'extrémité opposée de la chaîne. Parmi les routes passant par les Pyrénées centrales, seules étaient utilisées celles qui reliaient Saragosse et Huesca à la frontière française par Jaca. Canfranc prit de l'importance grâce à la construction de la liaison ferrovière tardive Canfranc-Oloron. Le passage se faisait également par Sallent et Bénasque. Les premiers déplacements à Guara débutèrent alors de façon marginale. - Illustration : Le muletier espagnol : "Souvenir de la Sierra-Nevada, tableau d'Eugène Giraud exposé au salon de 1850-1851 -

Les grands sommets pyrénéens cessèrent de constituer un passage difficile entre l'Espagne et la France et ils devinrent une destination recherchée par quelques voyageurs. Tout d'abord, ce fut la curiosité scientifique et la reconnaissance de l'exploit d'avoir atteint les plus hauts sommets qui constituèrent les premières motivations. Ramond de Carbonnières est un bon représentant de cette époque. A partir des années 1830, les motivations se diversifièrent : hispanophilie, entreprises artistico-littéraires et nouvelles connaissances scientifiques qui s'ajoutent aux classiques de la géologie, minéralogie et botanique, comme la connaissance de la géographie et la réalisation de cartographies. Au milieu du XIXe siècle, le contexte romantique se reflète dans les chroniques et les dessins de quelques voyageurs qui cherchent en se déplaçant leur source d'inspiration. Les moyens de transports utilisés étaient les voitures, chevaux et diligences, mais on voyageait aussi à pied ou en train, ce qui changea totalement la donne. Les voyageurs laissèrent des descriptions détaillées des logements où ils furent hébergés, du territoire et des habitants. Les lieux de villégiature préférés étaient les lieux historiques (San Juan de la Peña, Jaca), les stations thermales (Panticosa, Benasque) et les hauts sommets pyrénéens afin de mesurer leur altitude ou explorer leur richesse géologique et scientifique. Dans ce contexte, la Sierra de Guara demeura une zone périphérique qui n'était pas sur les grandes voies de communication et n'avait pas l'attrait recherché. Alors qu'au XIXe la vogue des Pyrénées bat son plein, il faut attendre 1870 pour que quelques pyrénéistes à l’âme d’explorateurs commencent à s’intéresser à la Sierra de Guara, dont Henri Passet et Lacotte-Minard. Alphonse Lequeutre, le comte Aymard d’Arlot de Saint-Saud et les frères Tissandier (Gaston et Albert) poussent leurs investigations vers les montagnes bleutées dont ils devinent l’existence depuis la brèche de Roland. Leur destination de prédilection est le canyon du Mascún. À l’époque, le Guide Joanne, ancêtre du Guide bleu, décrit le voyage de Gavarnie à Rodellar en trois jours de marche. Entre 1872 et 1876 sont réalisées les premières études géophysiques, la première ascension connue et l'exploration géologique par Lucas Mallada. - Photos : Couleuvre à échelons ou vipère aspic ? (deux individus observés en amont de la cascade du barranco de la Pillera en 2013) - Ci-dessous : Détail d'un papillon posé sur une fleur -

Mais le véritable inventeur de la Sierra de Guara sera Lucien Briet. L’homme était en France un quasi inconnu. S’il s’intéresse à l’Aragon, c’est qu’à ses yeux, les Pyrénées françaises sont tellement courues qu’elles ne méritent plus le moindre intérêt. Il commence à parcourir le Haut Aragon à partir de 1904. Au cours de ses campagnes de 1907 et 1908, il découvrira le Mascun, le Véro. Il publie en 1913 "Beautés du Haut Aragon" dont les écrits et les photos sont une mine de témoignages. Dans une sorte de vision prémonitoire, il dira : « Je ne crains pas d’affirmer que les gorges du Rio Véro, parmi les curiosités et les merveilles des Pyrénées, auront leur valeur, dès que le haut Aragon, pourvu de routes et de chemins de fer, deviendra accessible à tous. » Sauf pour le train, l’avenir lui donnera raison. Durant la première moitié du XXe siècle, les visites à la zone de Guara ont surtout une vocation alpiniste ou d'escalade, et ce seront les membres de l'association d'Alpinistes d'Aragon ou du Centre alpiniste de Barcelone qui seront les visiteurs les plus habituels. Il faudra attendre la seconde moitié du XXe siècle pour que soient édités des guides de description et promotion des charmes de Guara. Elle reprendra vie sous les pas de Pierre Minvielle et de quelques-uns de ses amis. Ils remonteront les canyons à l’aide de mâts et d’échelles souples utilisés en spéléo pour franchir les cascades. Le Guide Minvielle aux envolées lyriques sera pendant longtemps le seul ouvrage de référence. "Les cent plus belles courses" de Patrice de Bellefon propulsera véritablement le Rio Véro au pinacle de la notoriété. Christian Abadie sera un contributeur discret de l’histoire "guaresque". Ce grand arpenteur de canyon s’établit à Rodellar dans les années 60 et parcourt la Sierra dans ses moindres recoins. Ses riches écrits sont publiés dans le cercle très fermé de la Société Ramond. - Photos : Une maison en ruine d'Ibirque - Ci-dessous : Les vaches profitent de l'ombre d'une maison abandonnée d'Ibirque -

Les villages abandonnés sont un autre attrait du massif. Une étrange atmosphère de civilisation perdue plane entre les maisons de pierre aux toits de lauze. Après la guerre d’Espagne, l’exode rural a frappé irrémédiablement les hauts plateaux. Félix Mayral, le dernier habitant d’Otin meurt en 1976. Les villages sont livrés aux ronces. Sans les photos de Briet, les écrits d’Abadie et de Minvielle, il ne resterait rien de cette époque. Dans les années 1980, la venue en Sierra de Guara pour la pratique du canyonisme et de la spéléologie augmente considérablement de la part de visiteurs des deux pays qui cherchent à ouvrir de nouvelles voies. La fréquentation massive à des périodes déterminées et la difficulté à contrôler certaines pratiques liée au dépeuplement de ce territoire mettent en péril la richesse naturelle de cette zone de contrefort pyrénéen au point de se rendre compte de l'urgence de fonder un Parc Naturel de la Sierra en 1991. A partir de ce moment, la régulation des activités sera accompagnée de politiques de dotation d'infrastructures et de services pour diversifier les destinations et encourager l'établissement et la fixation de la population. - Photos : Ibirque, village abandonné - Ci-dessous : 2013, Reflets au barranco de la Pillera -

Bien que Guara naisse comme destination touristique avant la mise en valeur du milieu rural comme espace récepteur, le dépeuplement a déjà causé la destruction des structures économiques du territoire. Depuis les années 50 et 60, les ouvrages de divulgation publiés par les auteurs locaux Arnal Cavero et Cardús font la promotion des aspects historiques et culturels de la zone. A ce moment naît un type de tourisme qui perdure aujourd'hui et se caractérise par son caractère d'excursion de proximité, en provenance principalement de Huesca, Barbastro ou d'autres agglomérations proches. Il s'agit de visiteurs qui vont passer la journée à visiter les éléments artistico-culturels de la zone, ce que l'on peut considérer comme les prémices du tourisme culturel du Parc. D'autres visiteurs s'y rendent pour faire du sport, de la randonnée, s'éduquer ou se détendre le dimanche. Depuis les années 60-70 où la spéléologie et le canyonisme se sont développés, la venue de visiteurs français a eu des conséquences profondes, puisqu'elle a rendu possible l'installation de services en relation avec ces activités, en partie offerts par la population originaire de la sierra. A partir de ce moment, la France est devenue le principal marché pourvoyeur de visiteurs à Guara, accentuant la spécificité de cette destination par rapport à d'autres zones pyrénéennes proches. Durant les années suivantes, d'autres activités acquièrent de l'importance, quelques unes spécialement dommageables dans un milieu déjà dépeuplé, comme les circuits en 4x4 par les pistes forestières. Toutes ces agressions du milieu font s'élever les voix de nombreux collectifs qui signalent la nécessité de réguler les activités et usages. C'est ainsi que l'on arrive en 1990 à déclarer l'urgence de créer un Parc Naturel. - Photo 2013 : Reflets à la cascade du barranco de la Pillera -

Carlos Palacio Aniés souligne qu'il est important de comprendre cet espace non seulement du point de vue écologique et touristique, mais également social puisqu'il résulte de l'usage de la nature par des successions de générations rurales. Ainsi, après le dépeuplement, l'invasion et la protection, l'étape suivante devra être la revitalisation. C'est dans cet objectif que travaille le Parc de Guara et les administrations locales. A l'heure actuelle, les activités touristiques qui se déroulent dans l'enceinte du Parc de Guara sont touristico-sportives (la randonnée, l'alpinisme, le canyonisme, l'escalade, le VTT), avec des activités plus marginales (promenades à cheval, spéléologie, pêche, chasse, golf, aile delta, parapente et vol ULM), sans oublier le tourisme naturaliste et ornithologique, ainsi que le tourisme culturel. Ce dernier se développe dans le domaine urbain avec la visite de quartiers historiques, églises, musées, centres d'interprétation, peintures rupestres ou modes de vie traditionnels, comme cela s'est produit dans la vallée du río Vero (art rupestre et patrimoine architectural d'Alquézar). Mais c'est toujours le canyonisme qui domine et continue de croître. - Photo 2013 ci-dessous : L'ensemble monastère-église et gîte de San Úrbez -

A son habitude, Françoise M. déborde d'enthousiasme et nous sert de guide botaniste sur le chemin qui nous conduit la première après-midi de Nocito au barranco de la Pillera, pour nous détendre de la route assez longue (plus de quatre heures) effectuée en covoiturage depuis la côte basque. Elle nous signale l'aphyllante de Montpellier, une sauge de couleur violette, une hélianthème, une orchis moucheron, une campanule, une orchis pyramidale, une platanthère. Soudain, elle cueille deux graminées et les brandit en nous expliquant leur importance : il s'agit de l'Aegilops Ovata (elle nous donne directement son nom savant) ou égilope ovale. C'est une espèce méditerranéenne et du Proche-Orient, voisine du blé, mais dotée d'épis de 2 à 4 épillets avec de longues arêtes raides. C'est entre 1821 et 1824 que Requien a découvert aux alentours d'Avignon et de Nîmes un hybride naturel d'Aegilops ovata et de Triticum vulgare (froment ou blé tendre). Il pensa qu'il s'agissait d'une espèce à part entière, et ce n'est qu'après les expériences de Fabre, Godron, Regel, Groenland et Planchon, environ quarante ans plus tard, que son origine hybride sera établie. D'après Couplan, l'Egilope est une céréale proche parent du blé qui aurait participé à la constitution des blés cultivés dont l'épi est formé de deux rangées d'épillets situés de part et d'autre de l'axe. Il était déjà cultivé entre le Tigre et l'Euphrate 4800 ans avant notre ère, et les Egyptiens, les premiers, en firent du pain. Un internaute raconte qu'enfant, il s'amusait à mâcher des grains mûrs d'Egilope qui finissaient par donner une sorte de masse élastique comme du chewing-gum. La mastication avait pour effet d'obtenir le gluten, qui est caoutchouteux. Il écrit que si on a la patience de ramasser ces petits épis, puis de les décortiquer, on peut aussi en grignoter les grains crus pour le plaisir. Les papillons se posent sur les scabieuses. Dans un champ pousse encore du sainfoin, une légumineuse herbacée qui sert de fourrage pour le bétail. Il s'est peut-être ressemé naturellement, après le départ des paysans, à moins qu'une petite activité agricole ait repris autour de Nocito où sont élevés des chevaux ? Des cistes roses offrent aux insectes leur corolle rose chiffonnée. Un machaon volète au-dessus de pigamon aux fleurs blanches. - Photos : Orchis moucheron - Orchis pyramidale - Ci-dessous, Aegilops Ovata -

Nous avons la chance d'avoir deux géologues (amateurs) dans le groupe. Mag et Jean-Jacques ont l'oeil attiré par les innombrables fossiles contenus dans les roches qui bordent le Guatizalema dans le barranco de la Pillera, en aval de Nocito. Le haut Aragon doit son originalité à l'importance des roches calcaires où l'érosion a creusé une pléiade de canyons. Ces roches sédimentaires (calcaires surtout, mais aussi flysch, marnes et bancs de grès) actuellement portées à des hauteurs considérables, tapissaient le fond d'une mer peu profonde (entre 50 m et 300 m) aujourd'hui disparue (Thétys). De gigantesques forces tectoniques les ont soulevées depuis le début du tertiaire (il y a environ 60 millions d'années), déportées, transportées en une succession de plis et de failles que l'érosion fluviale et glaciaire nous a rendu encore plus malaisée à décrypter. Ce sont ces obstacles que durent vaincre les rivières du Haut Aragon. Pour se frayer un chemin parmi les rochers de ces Sierras, elles ouvrirent de profondes entailles qui aujourd'hui confèrent un caractère particulier et original à ces montagnes. Ainsi, les coquillages (coque, moules, huîtres, nummulites*, ....) présents dans les eaux chaudes de cette mer se retrouvent aujourd'hui en quantités importantes dans des sols de marnes. En ce qui concerne plus précisément la vallée de Nocito qui se trouve sur le versant nord de la sierra de Guara, elle constitue une partie du flanc sud du synclinal (en creux qui a été comblé ultérieurement) de la Cuenca de Jaca (Cf. coupe sud-nord ci-contre) et forme un affleurement continu de la série de couvertures sud-pyrénéennes. La coupe ouest-est met en relief la succession de plissements où alternent anticlinal (bosse) et synclinal (creux) et qui débute avec l'anticlinal de El Tozal de Guara qui domine Nocito. Bien plus tard, les glaciations du Quaternaire ont fracturé le calcaire des sommets dont les débris ont été entraînés vers l'aval par l'érosion (pluie, fonte des neiges et des glaces, torrents). - Photo : Huîtres fossiles - Schéma : Alvéoline - Schéma : Coupes géologiques -

* Foraminifère fossile dont les coquilles en forme de pièces de monnaie abondent dans divers calcaires et sables de l'époque tertiaire

Des chercheurs se sont penchés sur l'étude de ces fossiles et notamment les raisons de la disparition des producteurs de carbonates constituant la rampe de Guara, les macro foraminifères benthiques (qui vivent au fond de la mer). Je reprends ici des éléments de la thèse de Damien Huygue (Institut des Sciences de la Terre de Paris, Université Pierre et Marie Curie, Paris). De très nombreux paramètres peuvent influer sur la présence ou la disparition de ces organismes, comme la luminosité de l'eau, la nature du substrat ou encore la salinité de l'eau. Mais surtout, ils sont caractérisés par la présence de symbiontes propres à chaque espèce. Par exemple, les nummulites et les alvéolines sont toujours associés à des diatomées (microalgues unicellulaires à coque siliceuse bivalve parfois finement ornée), très sensibles aux changements environnementaux et aux modifications des courants, ou encore à la chimie de l'eau qui pourra induire leur disparition. Certains des foraminifères observés dans la formation de Guara sont épiphytiques, et sont donc dépendants de la présence de ces végétaux marins. Le passage de conditions oligotrophiques (eau pauvre en nutriments) à eutrophiques (eau riche en nutriments) aura pour effet de remplacer ces espèces de végétaux par des algues. Dans une synthèse de l'évolution de la paléobiodiversité et de la taille de deux groupes de foraminifères à l'Eocène, les alvéolines et les nummulites, Brasier a mis en évidence en 1995 que la période de biodiversité maximale se localisait durant le Lutétien moyen et qu'une grande coupure se produisait à la limite entre le Lutétien (47,8 - 41,3 millions d'années) et le Bartonien (40,4 à 37,2 Ma). Les formes sont devenues plus petites et moins diversifiées, ce qui suggère le passage de conditions oligotrophiques à eutrophiques à l'échelle de la mer Téthys qui occupait les lieux à cette époque. La cause peut en être l'intensification des apports continentaux via l'action des rivières et l'apparition de deltas. De plus, l'augmentation du flux particulaire induit une baisse de la luminosité de l'eau néfaste pour ces organismes et leurs symbiontes. Le remplacement des foraminifères par des organismes tels que les oursins et les mollusques est un nouvel indice d'un changement des conditions du milieu. Etudiant la série sédimentaire des Sierras Extérieures passant par le canyon d'Arguis (village d'où part la route d'accès par l'ouest du massif), il met en évidence que cette sédimentation n'est pas seulement due à un forçage purement tectonique (conduisant à la formation des Pyrénées actuelles) : la limite Lutétien-Bartonien est aussi une époque de grands changements climatiques, avec l'apparition de la première glaciation des deux pôles au Cénozoïque (ère qui débute il y a 65,5 millions d'années). Les températures des eaux de fond baissent vers 41,3 Ma. Tous ces événements se seraient produits juste avant l'optimum climatique de l'Eocène moyen (55,8 Ma). Il semble donc que le forçage climatique sur l'érosion soit la conséquence du passage entre une période où les conditions climatiques étaient très stables (au début du Paléogène) vers une période de changements rapides des conditions de température, d'humidité et d'abondance de la végétation. - Schéma : Nummulite - Photos : Alvéolines et nummulites - Diatomées (au microscope à balayage) - Ci-dessous : Alvéolines et nummulites -

Délaissant les pierres, Françoise M. s'émerveille devant un groupe de ramondes, « joyaux d’améthyste enchâssés dans du velours » selon la citation du Comte botaniste de Bouillé. C'est une espèce vivace rare, très résistante au froid, à la fois charnue et délicate. Endémique du massif pyrénéen, elle fut dédiée à Louis Ramond de Carbonnières, célèbre pyrénéiste du XIXe siècle, par le botaniste Jean Michel Claude Richard. Affectionnant les rochers calcaires ombragés entre 800 et 2000 m, c'est un des rares angiospermes (plantes à fleurs) capable de reviviscence (capacité à se déshydrater et s'hydrater de façon réversible). Dans les Pyrénées ariégeoises, l'habitat de prédilection se situe vers 1000 m sur des escarpements schisteux humides en sous-bois. Elle appartient à la famille des gesnériacées, une grande famille tropicale qui était répandue en Europe au cours de l’ère tertiaire. Seules quatre autres espèces — toutes endémiques des Balkans — ont pu survivre aux derniers épisodes glaciaires. Durant notre petit séjour, nous aurons la chance de voir les saxifrages à longues feuilles réunies en rosette au moment de la pleine floraison. Enracinées dans les fentes des parois rocheuses verticales, leur unique hampe florale est si grande qu'elle se penche en une courbe élégante. Nous voyons encore la germandrée des Pyrénées, une orchis (dactylorhiza), et du lin aux fleurs bleues. - Photos : Ramonde - Saxifrages à longues feuilles -

Le lendemain, nous faisons la connaissance de Jean-Sébastien Chevrier, installé depuis six ans à Nocito et qui va nous guider pendant deux jours. C'est un Vosgien. Avec sa femme et ses enfants, il est venu passer ses vacances en sierra de Guara. Cela leur a tellement plu qu'ils sont revenus et qu'ils ont pris des contacts avec les quelques personnes présentes pour étudier la possibilité de vivre et de travailler à Nocito. Il était comptable, elle commerciale, les enfants étaient d'accord pour quitter leur région d'origine. Au village, personne n'y a cru. Les Espagnols leur disaient : "Vous verrez, il fait très froid ici l'hiver." Ils n'avaient aucune idée des rigueurs du climat vosgien ! Il est cependant exact que la température à Nocito peut descendre jusqu'à -17°C et que les précipitations produisent un abondant couvert neigeux (Nocito se trouve au pied de la face nord du Guara, 2077 m, et du Corcurezo, 1661 m)... Avec les températures estivales qui atteignent rarement plus de 32°, cela fait tout de même une oscillation thermique annuelle de près de 50°C à laquelle doit s'adapter le milieu, plantes, animaux, ...et humains ! Depuis quinze ans le propriétaire restaurait, construisait et aménageait la Casa Villacampa durant ses week-ends et les vacances. Visiblement, il avait dans l'idée, dès le début, d'en faire un hôtel cossu pour y recevoir des familles dans des suites. Il avait tout vu en grand, la taille des chambres, des salons, des couloirs, escaliers... Bâtisse dans le style aragonais aux murs, sols, escaliers de pierre, c'est du solide. Alors que nous descendons l'unique route du village pour notre seconde balade du week-end, Jean-Sébastien nous le désigne et le salue au passage. Il travaille à son potager en contrebas de la route, face à l'alignement de maisons. Il est âgé, mais encore tonique. Il a aidé le jeune couple à démarrer en leur concédant l'hôtel à un loyer modique la première année. Bien sûr, tout était à faire. L'épouse s'est mise à la cuisine, le mari au service, il a fallu faire une communication inventive et intensive, mais le choix était bon et la clientèle a suivi. Jean-Sébastien s'est mis peu à peu à l'espagnol et il a appris l'histoire du village et de la sierra de Guara de la bouche même des derniers habitants à temps partiel. - Photo : Férule commune avec deux capricornes ou longicornes ? de la famille des Cerambycidae ou d'autres groupes floricoles (Oedemeridae, Alleculinae) ? -

Les maisons de Nocito, nous dit-il, appartiennent à des gens qui vivent à Huesca, Saragosse, et qui viennent sur la sierra l'été, car il y fait plus frais. Au début du XXe siècle, le village comptait 280 personnes, et vers 1920, Nocito avait la particularité de déjà connaître la fée électricité, car une micro-centrale fonctionnait quelques heures par jour, luxe rarissime en ce lieu enclavé et loin du monde. Mais durant l'entre-deux guerres, les jeunes furent tentés par le travail dans les usines et en ville. L'aîné était chargé de l'entretien du domaine familial et les cadets qui autrefois se retrouvaient dans le clergé, l'armée, valets de ferme ou partaient fonder un nouveau village, choisirent désormais d'aller en ville pour devenir indépendants. Le phénomène s'amplifia dans l'entre-deux guerres, car le manque de bras rendit difficile la continuité des exploitations. La guerre civile, de 1936 à 1939, y mit le coup de grâce, la solidarité explosa, les villages étaient coupés en deux camps opposés. Franco fit construire des routes pour abattre les arbres, raison de plus pour faire fuir les derniers habitants. A l'inverse, les villages qui n'étaient pas reliés par des pistes furent abandonnés. Durant les années 50, Nocito fut touché par l'exode comme de nombreux village de la région, car les jeunes partaient tenter leur chance à la ville. Les conditions de vie dans ces sites isolés leur paraissaient trop difficiles, et les instances dirigeantes espagnoles de l'époque (le Général Franco) voyaient dans ces lieux reculés des foyers de contestation difficiles à contrôler. Rien ne fut fait pour aider ces populations rurales en grande difficulté... Au début des années 1960, bien des villages furent désertés et Nocito fut intégré à Nueno. De près de 300, la population passa à moins d'une dizaine d'habitants. Dans les années 80, il n'y avait plus que quelques habitants permanents, deux soeurs et Thomas, tous trois très âgés et de surcroît célibataires. Ce dernier finit par être seul dans le village, cultivateur de céréales "jabali" spécialement semées pour maintenir les hardes de sangliers chassées au ferme, c'est-à-dire que le sanglier repéré était tenu sur place par la meute de chiens et achevé à la dague, une activité très prisée en ces contrées... A cette époque, des visiteurs peu scrupuleux dégradèrent et pillèrent une partie du patrimoine.

L'étude ethno-historique "Cara y cruz en Nocito" donne un aperçu très concret de la situation ancienne et présente en Sierra de Guara et dans le Serrablo. Elle permet de comprendre quel a été le destin de beaucoup de villages aragonais et celui des 300 villages en phase terminale, c'est-à-dire sur le point de devenir des résidences secondaires ou d'être abandonnés. Aujourd'hui, grâce à l'opiniâtreté de quelques "domingueros", natifs viscéralement attachés à leurs pierres, auxquels se sont ajoutés quelques jeunes français amoureux du coin dont les habitations s'intégrèrent dans le paysage et qui développèrent lentement mais sûrement une forme d'agro-tourisme assez respectueux de l'environnement, la vie est revenue dans les villages, soutenue par l'attrait touristique de la Sierra de Guara et de son Parc naturel. Relié par une piste avec l'extérieur du massif, Nocito fut le premier à sortir d'un long sommeil. L'électricité revint en 1998, ce qui rendit la restauration des bâtiments plus facile. Aujourd'hui, il renaît de ses cendres pour accueillir les vacanciers avides de nature et de calme. En effet, si la Sierra orientale est réservée aux pratiquants d'escalade et de canyonning, Nocito, à l'ouest, est prisé par les vttistes et les randonneurs (ainsi que quelques cavaliers). Le village est devenu prospère, avec pas moins de quatre auberges, en comptant celle tenue par le couple français, plus un camping et une épicerie. Depuis peu, la piste a été goudronnée, ce qui permet une augmentation de la fréquentation des lieux qui deviennent une destination prisée par les frontaliers et surtout les Palois. Certains week-ends, la population arrive à doubler : une centaine de vacanciers y suffisent... Au village voisin de Bentué de Nocito, il n'y avait pas de lumière 30 ans auparavant, il fallait utiliser un groupe électrogène et des lampes à pétrole. Un chapelier a réussi à y conserver son activité. - Photos : Aphyllante de Montpellier - Chrysomèles ? -

Jean-Sébastien a pris sa reconversion au sérieux. Non seulement il s'est intéressé à l'histoire de la sierra de Guara, mais il a également entrepris de prospecter les sentiers pédestres qui, au début de sa présence, étaient loin d'être aussi entretenus que maintenant. Beaucoup avaient disparu dans la végétation qu'il commence à connaître, même s'il n'est pas encore un spécialiste. Le samedi, il nous emmène sur un circuit qui passe par San Úrbez, Bentué de Nocito, Used, puis, après avoir traversé l'unique route du plateau, emprunte un chemin parallèle sur les contreforts du Tozal de Guara. Nous faisons halte devant un beau bouquet de férules communes en fleurs. Ces ombellifères d'un jaune lumineux appartiennent à la famille des apiacées, comme le cèleri ou la carotte, mais aussi la grande ciguë, dont le philosophe Socrate fut condamné par le tribunal d'Athènes à boire une décoction mortelle. Dans la mythologie grecque, Prométhée, dont le nom signifie "le prévoyant", était l'un des Titans. Il est surtout connu pour avoir créé les hommes à partir d'eau et de terre, ainsi que pour le vol du "savoir divin" (le feu sacré de l'Olympe), tison qu'il cacha dans une tige creuse (férule, roseau ou fenouil), et qu'il restitua aux humains. Courroucé par sa ruse, Zeus, le roi des dieux, le condamna à être attaché à un rocher, son foie se faisant dévorer par un aigle chaque jour et renaissant la nuit. Selon Platon, Prométhée entendait compenser l'erreur de son frère Épiméthée, "celui qui réfléchit après coup", qui avait donné aux animaux, au détriment de la race humaine, les dons les plus importants : force, rapidité, courage et ruse ; poil, ailes ou coquille, et ainsi de suite. Zeus, qui voulait se venger des hommes pour le vol du feu de Prométhée, offra ensuite à son frère Epiméthée une épouse, Pandore, à laquelle il confia une boîte avec l'interdiction de l'ouvrir. Celle-ci céda à la curiosité, libérant tous les maux de l'humanité, mais en la refermant très vite pour les retenir, elle y garda enfermée la seule Espérance... - Photos : Avec Françoise M., impossible de passer devant une orchidée sans la voir ! -

Après ce petit rappel culturel, il nous montre le chêne sessile (ou rouvre) aux glands sans tige, qui poussent directement sur les rameaux, le chêne vert et les pins que le Général Franco fit planter pour l'exploitation forestière. Nous voyons aussi le buis, le genévrier, le genêt, le trèfle bitumineux (fabacée dont la tige et surtout les feuilles froissées sentent le goudron) et le genêt épineux qui forme des ondulations jaune d'or douces au regard, mais gare à qui s'y frotte ! Comme la veille, et bien que nous soyons à une altitude un peu supérieure, nous trouvons du sainfoin. L'aphyllante de Montpellier est l'une des plantes les plus caractéristiques des garrigues de la Méditerranée occidentale, où elle fleurit abondamment au printemps, formant des touffes rappelant les joncs. Son nom signifie en grec "fleur sans feuilles". Celles-ci sont en effet réduites à des gaines membraneuses à la base des tiges. Elle est très appréciée des chevaux et des moutons, et comme la capucine, la fleur comestible peut venir agrémenter une salade. A ce propos, l'association Mareschal, qui s'est donné pour but de valoriser l'héritage de l'ingénieur Jacques-Philippe Mareschal (1689-1778), a créé en 2011 un jardin partagé dans le quartier des Beaux-Arts de Montpellier, au 28 rue de la Cavalerie, sur le thème "Les plantes nommées Montpellier au XVIIIe siècle". - Photo : Orchis pyramidal -

Cette initiative fait suite à l'édition d'une brochure "Les plantes dédiées à Montpellier et à ses savants", produite par Pascal Salze et Didier Morisot. - Pour mémoire, l'université Montpellier 1 est l'héritière directe de l'université médiévale créée le 26 octobre 1289 par la bulle papale "Quia Sapientia" du pape Nicolas IV où des médecins andalous enseignèrent. Elle réunit l'école de Médecine fondée en 1220 par le cardinal Conrad, légat du pape Honorius III, ce qui fait de la Faculté de Médecine de Montpellier la plus ancienne en activité au monde, et l'école de Droit et des Arts dont les premiers statuts furent octroyés en 1242. Son rayonnement, en particulier à partir de l'enseignement de la médecine et du droit, ne fit que s'amplifier jusqu'à la Révolution française qui fit disparaître les facultés en 1793. Elles se reconstituèrent progressivement au XIXe siècle. - A la fin du XVIIe siècle à Montpellier, Pierre Magnol (1638-1715), issu d'une famille d'apothicaire, proposait d'établir en 1689 des familles végétales. Une demeure porte encore son nom à Montpellier au 10 rue du Bayle, où il vécut dans cet hôtel particulier sur deux étages. Le XVIIIe siècle fut une des époques les plus brillantes et vit apparaître de nouvelles activités scientifiques comme l'astronomie, la météorologie, la physique, l'agriculture. Montpellier fut, un temps, le pôle méridional de la science française. Le père Xavier Azéma conte l'histoire des "Jardiniers de Montpellier" (2004, Les Presses du Languedoc) de la fin du Moyen Age au début du XXe siècle, en passant par la Révolution, car c'est dans cette ville que fut créé le premier jardin des plantes en France. Il rappelle qu'aux XVIIe et XVIIIe siècle, la profession était regroupée en "corps des jardiniers", puis il y eut la société d'horticulture et de botanique de l'Hérault, jusqu'aux syndicats de l'époque moderne. En 1706 est aussi créée la Société royale des Sciences de Montpellier. A cette époque, il y avait une émulation scientifique autour des plantes, de la médecine et de l'architecture. Un vaste réseau s'établit entre Paris, Montpellier et la Suède. Par exemple, en 1735, le suédois Carl von Linné (1707-1778), auteur de la nomenclature binominale, donna le nom de son ami Magnol à une plante qu'il nomma Magnolia. - Photos : L'unique jardin entretenu de Bentué de Nocito - Ci-dessous : Découverte d'un serpent (couleuvre ?) sur le chemin, qui met du temps à se réfugier dans les buissons parce qu'il est entouré par le groupe : il finit par décider de faire demi-tour et trouve à se cacher dans les buissons de buis -

C'est au tour de nos géologues amateurs de prendre la parole. Montrant les roches, Jean-Jacques dit qu'il s'agit de poudingue, un mot issu de l'anglais pudding qui désigne un gâteau fait d'une pâte compacte dans laquelle se distinguent les raisins secs et les fruits confits. Le terme a été francisé au XVIIIe siècle car il est très suggestif, dans la mesure où il désigne une roche sédimentaire compacte où sont mélangés des éléments grossiers de forme ovoïde (des galets) pris dans un ciment naturel, le plus souvent du grès. Il est formé par les divagations d'un fleuve qui dépose les sédiments. Plus la taille des galets est importante et plus la vitesse du courant d'eau qui les a déposés était forte. Si ceux-ci comportent des morceaux anguleux, qui ont subi peu de transport, la roche s'appelle de la brèche. Inversement, si les galets ont un diamètre inférieur à 2 mm, on a affaire à un grès. Ces phénomènes se sont passés en préambule à l'érection des Pyrénées, quelque 15 millions d'années avant qu'elles ne commencent à émerger, c'est-à-dire vers 65 Ma. Le grand delta d'un fleuve s'ouvrait vers Bilbao, prenant sa source dans les montagnes catalanes dont les vestiges actuels sont à Montserrat. On trouve également des grès carbonatés car il y avait beaucoup d'animaux marins dont les squelettes ou coquilles se sont déposés sur le fond marin de Téthys qui occupait cette région avant l'érection des Pyrénées. - Photo : Cheminée aragonaise de la maison-forte d'Used -

Nous passons devant une phalangère à fleur de lis, un muscaris, une sauge, dont le nom vient du latin "salva", car on pensait que la plante soignait tous les maux. Jean-Sébastien nous fait remarquer les plantes mellifères comme le thym, le romarin et le chêne vert. Il nous rapporte qu'un apiculteur du village voisin de Belsué vend du miel de chêne vert produit à partir du suc qui s'échappe du gland lorsqu'il se détache de l'arbre à l'automne, qui est butiné par les abeilles. De couleur presque noire, il aurait la propriété de soulager les affections pulmonaires et bronchites, et d'être anti asthmatique. Les abeilles (comme les fourmis) apprécient aussi le miellat, excrétion de certains insectes suceurs de sève (pucerons principalement). Nous observons que toute la vallée et ses versants étaient travaillés en terrasses. Les murets de pierre retiennent la terre, bordent les chemins et les propriétés, les jardins ("regados", irrigués) étaient aménagés sur les berges des ruisseaux, tandis que le blé ("secados") et la pomme de terre poussaient sur les hauteurs. Les paysans avaient des chèvres, des moutons, une vache parfois, des poules. La chasse (au lapin ou au sanglier) permettait d'améliorer l'ordinaire. Les surplus de production étaient chargés sur les mules pour être troqués en aval de la sierra contre de l'huile, du vin, du sel. Le miel d'amandes était récolté dans la partie orientale, vers Alquezar, et la vigne poussait sur les contreforts (somontano). - Photo : Maison-forte d'Used -

Un glaïeul d'Illyrie arbore une grappe de fleurs rose vif : calcifuge, il indique une absence de calcaire à l'endroit où il pousse. Nous voyons du lin herbacé, sauvage, à fleurs jaunes ou à fleurs blanches. Une vipérine porte des fleurs un peu semblables au pissenlit. Près d'un pont de pierres dressées sur la tranche s'élèvent de grandes hampes fleuries d'Ophrys laxiflora, tandis que la pelouse est parsemée d'Ophrys araignée. Nous arrivons devant une maison-forte aux murs de pierre à deux étages, avec écurie et étable au rez-de-chaussée, un porche voûté, un corral à l'arrière où étaient gardées les chèvres et les brebis. En haut d'un escalier de pierre se trouve une grande cuisine dotée d'une cheminée arrondie. Le feu au sol permet de cuire "la carne à la brasa", plat typique aragonais. De part et d'autre se distribuent les chambres, tandis qu'à l'étage se trouvent le grenier partagé en chambres-silos pour les grains (lentilles, pois chiches, haricots) et le pigeonnier. Le toit est recouvert de lauzes sur une charpente constituée d'énormes poutres de chêne. La cheminée aragonaise est surmontée d'une pierre "espanta brujas" (qui effraie les sorcières). D'autres cheminées peuvent être surmontées d'une croix ou d'une tête animale. Plus bas dans le village, un panneau signalétique en carreaux de faïence indique "A era de Urbez", c'est-à-dire l'aire de battage (des céréales) d'Urbez. Une fois passée l'unique route est-ouest qui traverse le plateau, nous remontons sur l'autre versant d'où nous admirons la chaîne pyrénéenne aux cimes enneigées, où Jean-Sébastien nous désigne le Vignemale, le Marboré, le Mont Perdu, le Soum de Ramond, le Parc national de Posets-Maladeta. - Photo : Panneau "aire de battage du blé d'Urbez" -

Le lendemain, nous partons de nouveau à pied du village de Nocito, dans la direction opposée, vers l'ouest. Les prairies de la vallée bordées de murets de pierre laissent rapidement place à une colline pelée où est bâti le château d'eau de Nocito (plutôt une citerne) près d'une pompe de relevage. Les plaques de grès qui affleurent sont couvertes de petits cailloux, une désagrégation liée à l'action combinée de l'eau et de la température qui provoque une dégradation mécanique de la pierre. La présence de petits trous indiquent que la roche s'est formée au fond de la mer où étaient installés des bivalves. La roche est formée à partir de l'érosion des reliefs qui existaient au niveau de la Catalogne, ainsi que de la Corse et de la Sardaigne qui étaient alors soudées à la péninsule ibérique. Un peu plus loin, un gros bloc de pierre sombre permet à Jean-Jacques d'illustrer ses propos. Il sort de son sac une petite fiole d'acide chlorhydrique et montre que la roche réagit par l'émission d'un peu de mousse, signe qu'elle est composée de sable et cailloux cimentés par du calcaire. La couleur noire est peut-être due à la présence de manganèse (s'il y avait du fer, elle serait rouge). Le carbonate de calcium CaCO3 s'est formé à l'Eocène, il y a 50 Ma. Sur la tranche du bloc rocheux, on distingue très nettement les couches successives de sédiments qui se sont déposés. Pour mieux comprendre ces phénomènes, je consulte le guide très bien fait de l'association Medistone "Altérations de la pierre" relatif à la conservation du patrimoine. En période de gel, lors du passage de l'état liquide à l'état solide, l'eau augmente de volume de 9% et exerce des pressions internes suffisantes pour fissurer la plupart des pierres. Les sels dissous dans l'eau en cristallisant exercent aussi des pressions importantes qui peuvent dépasser les résistances mécaniques des pierres les plus dures. Les pressions de cristallisation dépendent du type de sel et du taux de sursaturation de la solution à partir de laquelle il cristallise. Le degré de sursaturation est lui-même lié à la vitesse d'évaporation de la solution (rapide si l'atmosphère est sèche, si la pierre est soumise à un fort ensoleillement...). - Photos : Bloc de grès - Test à l'acide chlorhydrique pour détecter la présence de calcaire -

La nature du réseau poreux de la pierre entre aussi en ligne de compte. Ses propriétés déterminent si les sels cristallisent à la surface ou à l'intérieur du matériau. Dans le second cas, elle y provoque des fissures importantes et des desquamations sous la forme d'écailles de plus ou moins grandes dimensions. Les efflorescences en surface engendrent une érosion moindre. Ces altérations peuvent être également d'origine biologique. Les algues, champignons et lichens laissent un dépôt visible, tandis que certaines bactéries provoquent une décohésion du matériau au travers de leurs réactions métaboliques sans former de dépôt visible. Les bactéries hétérotrophes se développent en présence de composés organiques d'origine naturelle (poussières, pollens...). Elles sont présentes en grand nombre sur la pierre et sont parfois à l'origine de la formation d'acides organiques (acide oxalique par exemple) qui entraînent la formation de patine et des phénomènes de dissolution, en particulier de minéraux sensibles comme les carbonates. Les bactéries autotrophes utilisent pour vivre et comme source d'énergie l'oxydation d'un composé minéral. Les bactéries nitrifiantes oxydent l'ammoniaque en nitrates, ce qui peut aboutir à la formation de nitrate de potassium (le salpêtre). Cette microflore est l'agent fréquent d'altération du calcaire et du grès. Les bactéries qui oxydent le soufre engendrent la formation d'acide sulfurique (phénomène de dissolution), puis de sulfates (formation de sels, tels que sulfates de calcium ou de potassium). Ces sels d'origine biologique s'ajoutent à ceux qui résultent de la simple évaporation des solutions et participent à l'érosion liée aux cristallisations salines (desquamation). La composition de la pierre peut favoriser le développement de certaines altérations. Les pierres calcaires sont plus solubles que les pierres silicatées (granite, grès...). La succession de passées grossières et fines dans un grès ou un calcaire riche en éléments détritiques peut être également une source d'hétérogénéités qui confèrent au matériau un comportement non uniforme vis-à-vis du développement des altérations différentielles de formes caractéristiques. En règle générale, plus les grains constitutifs ont une taille importante, plus la pierre est altérable : à porosité et composition égales, les liaisons inter particulaires sont moins nombreuses, la cohésion de la roche est plus faible et l'action des agents de dégradation dans les joints ou pores inter granulaires est beaucoup plus efficace. - Photos : Bloc de grès - Vautour percnoptère d'Egypte -

Nous longeons un ruisseau dont l'eau s'écroule en cascades d'un palier à l'autre. C'est l'occasion pour Jean-Sébastien de nous montrer le phénomène de formation du tuf (ou travertin), par précipitation des ions carbonate dissous dans l'eau sur des végétaux exposés aux embruns. Ce matériau très poreux est particulièrement employé, en raison de sa légèreté, dans la fabrication des volumineuses cheminées aragonaises. La présence de poissons de toutes tailles montre la relative permanence de ce petit cours d'eau. Plus haut, des arbres sont écorcés sur une bonne hauteur par des chevreuils. Nous pique-niquons sur le promontoire où subsiste le hameau abandonné d'Ibirque formé de cinq maisons et d'une église, toutes en piteux état. Des vaches entrent et sortent des bâtiments convertis en étables improvisées. Si nous ne faisons pas le détour par le dolmen pourtant tout proche (mais nous ignorons sa présence), nous ferons par contre durant la sieste de magnifiques observations de vautours, percnoptère d'Egypte, vautour fauve, qui tournent parfois à très faible hauteur au-dessus de nos têtes, une merveille ! La balade se terminera par un bain en eau fraîche dans une vasque blonde entre deux cascades, un site magnifique à une demi-heure à peine en amont de Nocito... Que demander de plus ? - Photos : Tuf et poissons -

La dernière matinée, seule une partie du groupe demeure en sierra de Guara. Nous décidons de retourner près de l'embalse de Santa Maria de Belsué, sur le site du barrage de Cienfuens (les cent sources) pour voir surtout la Garganta de Cienfuens et la Garganta del Flumen, un paradis pour les oiseaux (vautours fauves et percnoptères) et les plantes rupicoles (saxifrages à longues feuilles) que nous avions exploré l'an passé. Sur la crête des falaises spectaculaires qui enserrent le cours d'eau se détache la silhouette d'une chèvre blanche, insensible au vertige. L'après-midi, nous retournons au Pays basque en passant par la station de ski de Formigal où nous faisons halte, juste avant de passer le col du Pourtalet où l'on bascule sur la vallée d'Ossau. Bien entendu, il n'y a pas de neige. C'est Françoise R. qui nous a prévenus de la floraison du très rare sabot de Vénus, une orchidée très originale qui pousse sur les sols alcalins et figure sur la liste rouge UICN de la flore menacée en France. Elle pousse en bon voisinage avec d'autres orchidées plus communes. Pour protéger cette plante pendant le mois de sa floraison, trois gardes se succèdent, payés par l'Etat espagnol. Nous repérons la voiture de fonction et demandons au préposé de nous montrer les fleurs. Il nous amène à quelques mètres de là, tout près de la route, et surveille jalousement que nous ne marchions pas sur les plantes dont certaines sont encore en boutons, donc moins repérables dans l'herbe haute. Nous terminons notre séjour sur cette dernière observation merveilleuse. - Photo ci-dessous : Sabot de Vénus -

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