Dans le hall de l’aéroport de Biarritz-Parme, Yolande Sampedro, directrice du Centre de loisirs de Bassussarry, en compagnie de Gisèle Auckenthaler, la présidente d’AHSM (Actions Humanitaires en Santé Mentale, Santé Publique et Vie Sociale) de Cambo, salue les familles en échangeant les dernières nouvelles sur les jeunes voyageurs de l’association Bazteak de Bassussarry et de l'IUT de gestion de Bayonne attendus d’un instant à l’autre à leur retour du Bénin. «Vous avez eu des nouvelles, vous ? – Seulement un SMS ! – C’est comme moi ! – Oh, nous, à l’AHSM, nous étions en relation quotidienne avec nos correspondants sur place, et nous connaissions le déroulement de leur programme. Tout s’est parfaitement passé de bout en bout et ils reviennent enchantés de leur séjour, vous allez voir. » En effet, l'AHSM oeuvre depuis des années au Bénin où elle a créé une structure d'aide humanitaire et un réseau de relations ; c'est par son entremise que tout a été organisé, l'hébergement, les visites, les actions à destination des établissements scolaires et la mise en contact avec une association de jeunes Béninois, l'UJAP. Gisèle Auckenthaler est confuse : « J’aurais dû être présente avec eux durant le séjour, mais j’ai dû subir un rapatriement sanitaire dès les premiers jours : en 20 ans, c’est la première fois que cela m’arrive, j’ai eu une attaque conjointe de paludisme et de salmonellose, beaucoup de fièvre, et je souffrais en plus d’une sciatique que j’avais contractée en France, j’étais dans l’impossibilité de m’occuper de ces jeunes, cela me désolait, heureusement que deux de mes collègues de l’association ont pu prendre le relais ! » Quant à Yolande Sampedro, elle prévient les parents : « Je vais le leur dire, qu’Olivier – animateur au CLSH et au club jeunes – est furieux ! Même pas un appel de Paris pour signaler qu’ils étaient bien arrivés pour prendre la correspondance pour Biarritz Parme ! » Enfin, le groupe arrive, sorti bon dernier de l’appareil, certains vêtus de cotonnades africaines multicolores et d’autres coiffées de myriades de tresses fines, Afrique oblige : « Les voilà, les voilà ! » Tout le monde se congratule et demande : « Alors, les impressions ? – Extraordinaire ! Au-delà de nos espérances ! Les Béninois sont des gens super-sympas, on serait bien restés un peu plus ! »

Une fois les bagages récupérés, les jeunes se rendent au CLSH pour raconter leur séjour à Olivier qui ne se prive pas, en préambule, de leur faire des remontrances pour avoir si peu pensé à ceux qui, par obligation comme lui, étaient restés en France. Mais son humeur remonte dès qu’ils lui offrent un objet artisanal en bois d’ébène sculpté du Bénin en souvenir (un ballon rond soutenu par des mains stylisées) et commencent à raconter… « Quand nous sommes sortis de l’avion, nous avons été saisis par la chaleur humide, 40°C, et par la circulation, démente, beaucoup de voitures et surtout des motos partout, qui portent jusqu’à cinq personnes – sans casque – et un vaisselier ! L’aéroport de Cotonou est tout à fait moderne, contrairement à ce que tu supposais, Olivier. Notre bus a commencé à rouler devant de grands bâtiments et la route s’est brusquement convertie en une piste sableuse où les roues se sont enfoncées. Personne ne s’en est ému : il a simplement fallu pousser le bus pour le dégager de ce mauvais pas ! Dès nos premiers contacts avec les jeunes de l’UJAP (Union des Jeunes de l’Arrondissement de Possotomé), nous avons été étonnés de leur maturité et de leur diagnostic lucide sur leur pays et leur société. Un peu plus âgés que nous, ce sont des étudiants ou des enseignants débutants (deux instituteurs, un professeur de physique-chimie, un de maths, un de sciences économiques, un de lettres modernes, deux de droit qui se destinent à la diplomatie…). Ils ont fondé cette association pour donner des cours de soutien pendant les vacances à Possotomé, arrondissement qui regroupe trois villages. Ils nous ont demandé à l’issue du séjour de revenir cet été les assister dans leur tâche, comme bénévoles bien sûr : nous avons été un peu pris de court, et nous avons été obligés de leur dire que nous ne pouvions pas tout en leur promettant de revenir l’an prochain.

Fils de paysans, ils se sont formés eux-mêmes, grâce à l’enseignement qu’ils ont reçu et par leurs propres recherches et réflexions. Ils portent un regard acéré sur les institutions de leur pays, non pas tant sur le plan politique (le Bénin est une démocratie paisible en 2008), mais sur le plan social, évoquant « le fléau de la polygamie qui détruit la population béninoise », la place de la femme et l’importance prégnante des religions (catholique, vodoun – vaudou -, et autres). En réaction, ils disent que leurs priorités personnelles sont, dans l'ordre: 1) avoir du travail stable, 2) une maison, 3) des enfants, et surtout pas l’inverse. Cependant, nous ne verrons, une fois, qu’une seule fille dans le groupe (bien que la proportion de filles en université soit supérieure à celle des garçons, paraît-il), et nous n’aurons affaire le reste du temps qu’à des jeunes hommes, non mariés. De façon plus générale, les hommes viennent plus facilement vers les Yovo (les blancs) que les femmes, beaucoup plus fermées. Les autorités sont conscientes des progrès à accomplir envers leur population féminine puisque des affiches placardées partout préconisent la priorité à donner aux filles – dans l’enseignement sans doute -. A la question de savoir s’ils aimeraient vivre en France, les jeunes de l’UJAP répondent qu’ils seraient d’accord d’y venir en touristes mais que c’est au Bénin qu’ils veulent vivre et agir (ils n’ont jamais quitté le Bénin).

Toutes nos idées préconçues sont balayées : nous sommes face à des jeunes intelligents, ouverts, débordant d’idées, et qui rêvent de faire évoluer leur pays et qu’il se développe. Bien que la principale source d’information soit la radio (il y a aussi Internet à l’université, ces Béninois sont très au fait de la politique française et européenne, bien plus que nous, et ils s’inspirent de nos institutions pour faire évoluer les leurs. Le Bénin, un des pays les plus pauvres du monde, comporte surtout des activités de subsistance et ne dispose d’aucune ressource naturelle exportable – ce qui est peut-être sa chance, ainsi, il n’éveille aucune convoitise de la part des pays développés, depuis la traite des noirs de triste mémoire -. Il y a un peu de coton, des céréales, des fruits, du poisson. L’eau est très chère (l'eau de source locale vendue en bouteilles). »

Pendant tout leur séjour, Marion remarque que les jeunes de l'UJAP seront toujours impeccablement mis, alors que les jeunes Français qui arpentent la région sont toujours plus ou moins poussiéreux. Pudiques, ils parlent peu de leur propre situation familiale et ne feront pas voir les conditions dans lesquelles sont logés leurs proches (les Français sont dans un hôtel climatisé aux normes européennes). D’autre part, ils souhaitent un véritable échange. Les Français remarquent rapidement qu’au restaurant, ils les accompagnent sans manger avec eux. Ils les invitent donc à plusieurs reprises, mais les Béninois tiennent à leur offrir à boire en d’autres occasions, puisque bien sûr ils n’ont pas les mêmes moyens financiers. L’échange entre les deux groupes de jeunes n’est pas seulement intellectuel : par leur entremise, les « Yovo » («je veux» = les blancs) ont la chance de pouvoir assister à des spectacles où les étrangers sont rarement admis, notamment deux cérémonies religieuses vodoun (vaudou) – les Béninois sont très croyants -, ainsi qu’à des soirées mémorables (le meilleur souvenir de Julien, c’est la soirée chez Eugène, le couturier, alors qu’en principe la circulation la nuit est interdite, car le couvre-feu règne théoriquement, mais ils ne savent pas pour quelle raison, ni si c’est exact). Ils les protègent et les entourent aussi dans leur pérégrination, en ville, au marché, dans les écoles. Le « Yovo », en tant que blanc, est supposé être forcément riche, et des gens les harcèlent parfois pour recevoir des aumônes. A Cotonou, Marion a l’impression que les femmes les regardent d’un œil hostile, par contre à Possotomé, la population est très amicale, tout le monde leur dit bonjour, une femme qu’ils ne connaissent pas les aborde pour les remercier de leur rendre ainsi visite – il faut savoir que Possotomé n’est pas une région touristique, et qu’ils sont quasiment les seuls étrangers dans l’arrondissement -. Ils assistent à la pêche traditionnelle dans le lac Ahêmê, filment et photographient – toujours en demandant la permission, ce à quoi on leur répond qu’ils sont en pays démocratique (ils en sont très fiers et le répètent à tout bout de champ), et que tous sont frères et soeurs ! -. L’AHSM organise durant leur séjour la visite rapide de Cotonou, où se situe l’aéroport, une poterie, une exploitation de sel, la ville de Ouidah, avec son mémorial sur la traite des noirs ("la porte du non-retour"). La majeure partie de la population est francophone (l’enseignement est seulement pratiqué en français, en sus de la pratique de divers dialectes locaux (le gbe, le haoussa, le songhai - le dendi -, le yoruba...), mais les jeunes Français sont obligés de parler lentement, sans contracter les mots, sinon ils ne sont pas compris. Au marché, les femmes (sans doute analphabètes ou ayant passé peu de temps à l’école) le parlent mal ou pas du tout. Le tutoiement est généralisé partout.

L’arrivée à Possotomé le premier jour est mémorable : ils sont accueillis au milieu du village par les enfants et des danseurs qui leur offrent un spectacle accompagné de chants et de percussions, avec un rythme en tapant dans les mains et une gestuelle extraordinaires. Autre souvenir marquant, la vison de ces femmes qui font tout en portant leur bébé, puisent l’eau, pêchent et vaquent à toutes leurs activités sans qu’il quitte leur dos. Par contre, dès que le bébé est capable de se mouvoir un peu, il dispose très vite d’une grande autonomie, dès l’âge d’un an, il est capable de sortir de la maison sans surveillance et d’y retourner tout seul. D’autre part, les jeunes Français sont étonnés de voir toujours du monde marcher au bord de la route, même en dehors des villages. Ils n’ont pas eu à affronter le visage de l’indigence : ils n’ont pas senti de misère, ni vu de gens souffrant de la faim, ni été trop confrontés à la mendicité, pas d’enfants aux membres maigres et ventre gonflé. Tous les gens sont lotis à la même enseigne. Il y a beaucoup d’enfants. La proximité du lac engendre la présence de beaucoup de moustiques (qui attaquent en masse l'une des étudiantes, dont les jambes sont marquées de boursouflures rouges), ils sont dans un secteur où le paludisme est endémique (ils ont été vaccinés aussi contre la fièvre jaune). Les seuls animaux sauvages inhabituels qu'ils aperçoivent sont de grands lézards d’une cinquantaine de centimètres qui se tiennent sur les murs et que personne ne chasse car ils se nourrissent d’insectes et participent naturellement à la lutte contre les moustiques. Dans l’hôtel sont maintenus en cage un crocodile et un singe.

Les jeunes de Bazteak sont venus dans le but précis de faire « de l’humanitaire ». Ils ont amené des fichiers informatiques pour le collège, du matériel pédagogique pour les écoles maternelles et primaires. Pendant leur séjour, les enseignants étaient en grève, pendant 72 h, pour militer en faveur d’un statut égal pour tous les instituteurs (il y en a actuellement trois différents), pour un travail permanent et stable. L'avis des jeunes de Bazteak est un peu mitigé sur leurs actions. Ils ont constaté que les gens n’étaient pas forcément contents lorsqu’ils procédaient à la distribution de fournitures car il n’y en avait jamais assez : par exemple, ils avaient apporté pour 200 enfants et il en fallait pour 600 en école maternelle, 900 en primaire et 950 en collège. Un des jeunes Béninois en voyant ce qu’ils avaient dans les cartons a réagi en disant qu’il était capable de se l’acheter lui-même (du coup, il n’a rien eu). De ce fait, les enseignants distribuaient les dons aux meilleurs, aux plus méritants des élèves, pour inciter les plus faibles à progresser. Les jeunes de Bazteak se sont insurgés de ce critère et souhaitaient que la distribution soit la plus équitable possible entre tous, ce qui n’a pas vraiment été entendu. D’autre part, la collecte d’objets pédagogiques qu’ils ont faite à Bassussarry a permis de réunir des objets très variés en petit nombre chacun (10 règles, 5 tubes de colle…), ce qui est très difficile ensuite à distribuer sur place, au Bénin. Il aurait mieux valu de grandes quantités d’objets tous identiques plus aisés à répartir équitablement. Ils ont été confrontés à la difficulté supplémentaire de l’impossibilité de donner globalement aux enseignants pour l’école, sinon ceux-ci risquaient de s’approprier les dons (pour eux-mêmes et leurs propres enfants) : pour l’éviter, les jeunes ont dû distribuer eux-mêmes directement aux élèves. En voyant ces cartons, les Africains avaient tendance à vouloir des paquets entiers plutôt que de simples échantillons.

Deux étudiantes sont venues, sans accompagnateur, visiter une petite école maternelle qui consistait en une case et une paillasse au sol sans aucun équipement d’aucune sorte, pour 25 élèves. Ayant amené un carton de matériel, elles ont commencé à montrer à l’institutrice un puzzle pour lui expliquer en quoi consistait le jeu, elles ont sorti de la pâte à modeler. Puis elles ont commencé la distribution. Jusque là, tout le monde était resté calme, mais le bouche à oreille avait circulé dans le village et les mères sont arrivées de toute part : il y a presque eu une émeute. Elles s’emparaient de tout ce qui tombait sous leurs mains, arrachaient les poupées des mains des petits élèves, voulant tout emporter chez elles, pour leurs enfants ou pour la revente, on ne sait pas. Elles étaient incapables de comprendre qu’il s’agissait de matériel pédagogique destiné à la communauté, à la classe, qui devait rester à la disposition de tous les élèves pour le bien de tous les enfants présents et à venir. Les deux jeunes filles étaient atterrées : assises dans un coin, elles attendaient que l’orage passe. La maîtresse s’évertuait à récupérer les objets un à un, de jeunes adolescents de 12 à 15 ans, se sont mis à protéger les jeunes filles, le matériel dans les sacs, et ils ont aidé également à retrouver les objets dispersés, faisant preuve d'une belle maturité. Le fossé entre les générations était mis en évidence : les jeunes, conscients de la nécessité de leur éducation, et les femmes encore dans l’ancienne logique de prendre tout ce qui vient pour en tirer profit, sans songer au long terme, peu sensibilisées à la nécessité d’un enseignement dont elles n’avaient sans doute jamais bénéficié. Finalement, après avoir fait le tour des maisons, la plupart des objets ont pu être récupérés pour l’école, mais les jeunes filles ont été fortement choquées par cet événement.

La distribution a donc été une épreuve, une tâche difficile et ardue. Un bilan progressif des actions a été établi lors de nombreuses réunions avec les jeunes béninois de l’UJAP dont c’était le premier échange avec une association de jeunes Français. « C’est une première expérience, des erreurs ont été commises qui seront rectifiées sur le long terme, car il est bien évident qu’il ne s’agit pas d’une action ponctuelle, mais du début d’une coopération de longue haleine entre les jeunes de Bassussarry – et de l’IUT de gestion de Bayonne – et ceux de l’UJAP au Bénin » ont-ils convenu ensemble. La priorité devra être portée sur les maternelles et le collège, les écoles primaires étant comparativement mieux loties, il est nécessaire de mieux cibler pour ne pas disperser l’aide et la rendre plus efficace. Il s’agit d’une coopération non seulement matérielle, mais également et surtout intellectuelle, insistent-ils : les échanges de vue sont primordiaux et ils y attachent beaucoup d’importance. Marion rapporte avec amusement la propension des Africains en général et des jeunes de l’UJAP en particulier, à aimer les titres ronflants : « ils s’appelaient mutuellement par leur titre « Monsieur le Secrétaire Général préposé à l’Enseignement » par exemple, et chacun dans l’association en avait un ! ». Une coopération pourra être menée dans le sens d’une sensibilisation à l’environnement : «il n’y a pas de poubelle, les déchets sont répandus partout, il n’y a aucune récupération organisée, et encore moins de recyclage, qui pourrait être à terme une source de revenu » remarque Marion, en précisant qu’il s’agit là d’un projet à envisager pour plus tard. Les jeunes de Possotomé ont besoin d’ordinateurs, pour créer un centre multimédia, avec un coin bibliothèque, l’arrondissement devant être à terme équipé d’Internet. A encore plus long terme, ce serait bien de pouvoir financer la venue de quelques jeunes de l’UJAP en France. Dans l’immédiat, la première chose à faire est de raconter cette expérience aux autres jeunes de Bazteak qui devaient venir et se sont désistés dans les dernier temps avant la concrétisation de ce projet de deux ans : les parents, entendant des nouvelles alarmantes sur la Mauritanie, ont pris peur pour la sécurité de leurs enfants et n'ont pas donné l'autorisation qu'ils effectuent ce voyage, malgré de multiples réunions avec l'association de l'AHSM qui tentait de les rassurer en faisant état de leur connaissance du terrain et des informations régulières qu'ils avaient sur le Bénin. Marion, Haize et Julien souhaitent leur communiquer l'envie de s’impliquer à leur tour en se déplaçant là-bas pour aider les enfants du Bénin dans leur scolarité. Ils ont filmé et pris des photos durant leur séjour : un montage va être réalisé afin de faire profiter leur entourage et la population de Bassussarry de leur expérience et remercier ainsi tous ceux qui les ont aidés à partir.

Cathy Constant-Elissagaray

 

 

 

 

Participants : Marion Bedat, Haize Duhalde, Julien Combes de Bazteak avec Marie Damestoy du CLSH (Centre de loisirs de Bassussarry), 4 étudiants de l’IUT de gestion de Bayonne et 2 accompagnateurs de l’association AHSM (Actions Humanitaires en Santé Mentale, Santé Publique et Vie Sociale) de Cambo
Trois jeunes de l’association Bazteak de Bassussarry au Bénin
Du 22 février au 3 mars 2008